Skip to main content

Décisions | Chambre des prud'hommes

1 resultats
C/19304/2021

CAPH/13/2024 du 08.02.2024 sur JTPH/48/2023 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 18.03.2024, 4A_170/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19304/2021 CAPH/13/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 8 FEVRIER 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 20 février 2023, représenté par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

et

Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Soile SANTAMARIA, avocate, Santamaria & Jakob, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève.


EN FAIT

A.           Par jugement du 20 février 2023, le Tribunal des prud'hommes, statuant par voie de procédure simplifiée, a rejeté l'exception d'immunité de juridiction soulevée par A______ (ch. 1), déclaré recevable la demande formée le 10 mars 2022 par B______ contre A______ (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite et qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3).

B.            a. Par acte du 8 mai 2023, A______ dépose un appel contre les chiffres 1 et 2 du jugement, dont il conclut à l'annulation. Il conclut à ce que, statuant à nouveau, il soit dit et constaté qu'il est au bénéfice d'une immunité de juridiction, à ce qu'il soit dit et constaté que la demande en paiement formée le 10 mars 2022 par B______ contre lui est irrecevable, à ce que B______ soit déboutée de l'ensemble de ses conclusions, que le jugement soit confirmé pour le surplus, que la procédure d'appel est gratuite et qu'il n'est pas alloué de dépens. Subsidiairement, il conclut que la cause soit renvoyée au Tribunal des prud'hommes pour nouvelle décision.

En tant que de besoin, ses arguments seront repris ci-dessous.

b. Le 12 juin 2023, B______ a répondu au recours et a conclu à son rejet et à la confirmation du jugement. Elle a produit des pièces nouvelles, dont la recevabilité sera examinée ci-dessous.

c. Le 24 juillet 2023, A______ a répliqué.

d. Le 25 septembre 2023, B______ a dupliqué.

e. Le 17 octobre 2023, la cause a été gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure:

a. A______ est employé en qualité de Deuxième Secrétaire de la Mission permanente de la République C______ auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève. Il est au bénéfice d'une carte de légitimation "C" délivrée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). La Mission est constituée, hiérarchiquement, d'un Ambassadeur, d'un Ministre, de trois Conseillers, de quatre Premiers secrétaires, de deux Deuxièmes secrétaires, et d'un Troisième secrétaire.

b. Par contrat de travail à durée indéterminée signé le 1er avril 2020, B______, ressortissante philippine, a été engagée par A______ en qualité d'employée domestique privée. Elle a été mise au bénéfice d'une carte de légitimation "F" du DFAE. Le contrat prévoyait l'application du droit suisse et renvoyait en particulier à l'Ordonnance (fédérale) sur les domestiques privés, du 6 juin 2011 (ODPr; 192.126).

c. Par lettre communiquée par message WhatsApp du 20 février 2021, A______ a licencié B______ pour le 31 mars 2021.

d. Le 26 mars 2021, B______ s'est opposée à son licenciement.

e. En mars 2021, B______ a saisi le Bureau de l'Amiable Compositeur en vue d'une résolution du litige à l'amiable, mais cela n'a pas abouti.

D.           a. Par requête de conciliation du 24 septembre 2021, B______ a conclu à ce que A______ soit condamné à lui payer 16'548 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2021. Elle avait été licenciée à la suite de son refus de signer un document selon lequel son employeur aurait honoré toutes les obligations prévues par le contrat. Elle concluait à une indemnité pour congé abusif.

b. Lors de l'audience de conciliation du 22 novembre 2021, lors de laquelle le défendeur ne s'est pas présenté car son immunité diplomatique n'avait pas été levée, l'autorisation de procéder a été délivrée à B______.

c. Le 10 mars 2022, la demande a été introduite par B______, concluant au paiement de 16'548 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2021. A______ ne l'avait jamais payée pour le salaire dû pour les tâches domestiques effectuées. Ses conditions de travail, ainsi que celles d'autres collègues, avaient été dénoncées auprès de la Mission suisse à Genève. A la suite de l'intervention de cette dernière auprès de la Mission C______, A______ avait demandé à B______ de signer une lettre attestant du respect de ses obligations contractuelles. Vu le refus de signer cette lettre, B______ avait été licenciée. C'était donc un licenciement représailles abusif.

d. Par courrier du 12 août 2022, A______ s'est prévalu de son immunité de juridiction, en application de l'article 31 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, du 18 avril 1961 (CV; 0.191.01).

e. Le 21 octobre 2022, B______ a conclu au rejet de l'exception d'immunité de juridiction.

f. La cause a ensuite été gardée à juger sur cette seule question. Aucune audience, ni débats d'instruction n'ont eu lieu, les échanges ayant été écrits uniquement.

g. Le 24 janvier 2023, la composition du Tribunal a été communiquée aux parties, avec un délai de sept jours pour faire connaître un éventuel motif de récusation.

h. Le jugement du Tribunal a été communiqué à l'appelant par courrier du 24 mars 2023 de la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève.

E.            Dans le jugement querellé, le Tribunal a rappelé la distinction entre les actes de souveraineté (jure imperii) et les actes d'un Etat agissant comme un particulier (jure gestionis). En droit du travail, l'Etat employeur n'est pas touché dans ses tâches relevant de la puissance publique lorsqu'il conclut un contrat avec un employé subalterne. Il a également rappelé les règles de la Loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (Loi sur l'Etat hôte), du 22 juin 2007 (LEH; 192.12), de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats, de la CEDH et de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Dans la situation d'espèce, il a rappelé que la demanderesse, domestique privée, était ressortissante philippine, alors que le défendeur était ressortissant [de] C______, que ce dernier n'agissait nullement comme représentant de la puissance publique [de] C______. Attraire le défendeur dans un litige prud'homal ne serait nullement un obstacle à l'accomplissement des tâches de représentation de la puissance publique de l'Etat qu'il représente. En dehors du Tribunal des prud'hommes genevois, la demanderesse n'aurait aucune autre autorité judiciaire qu'elle pourrait saisir.

EN DROIT

 

1.             1.1 L’appel est dirigé contre une décision incidente de première instance rendue dans le cadre d’un litige portant sur une valeur litigieuse de plus de 10'000 fr. au dernier état des conclusions de première instance (art. 237, 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Il a été déposé dans le délai de 30 jours, suspendu à Pâques, à compter de la notification de la décision et respecte, au surplus, la forme prescrite (art. 130, 131, 142, 143, 145 al. 1 let. a et 311 al. 1 CPC).

L’appel est par conséquent recevable.

1.2 La procédure simplifiée s'applique dès lors que la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 fr. (art. 243 al. 1 CPC).

1.3 Le tribunal amène les parties, par des questions appropriées, à compléter les allégations insuffisantes et à désigner les moyens de preuve (art. 247 al. 1 CPC). De plus, dès lors que la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 fr. dans un litige portant sur un contrat de travail, le tribunal établit les faits d'office (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC). Il s'agit cependant d'une maxime inquisitoire simple et non de la maxime inquisitoire illimitée de l'art. 296 al. 3 CPC (ATF 142 III 336, 343 consid. 5.2.4; ATF 141 III 569, 575 consid. 2.3.1).

1.4 Selon la jurisprudence, le tribunal n'est soumis qu'à une obligation d'interpellation accrue. Comme sous l'empire de la maxime des débats, applicable en procédure ordinaire, les parties doivent recueillir elles-mêmes les éléments du procès. Le tribunal ne leur vient en aide que par des questions adéquates afin que les allégations nécessaires et les moyens de preuve correspondants soient précisément énumérés. Mais il ne se livre à aucune investigation de sa propre initiative. Lorsque les parties sont représentées par un avocat, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire (ATF 141 III 569, 575 consid. 2.3.1).

2.             La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

3.             L'appelant conteste la recevabilité des pièces nouvelles produites par l'intimée à l'appui de sa réponse du 12 juin 2023.

3.1 En appel, selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte qu'aux conditions suivantes: a) ils sont invoqués ou produits sans retard; b) ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s’en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

En premier lieu, il faut rappeler que l'instruction en première instance était limitée à la question de l'immunité de l'appelant, qu'il n'y a eu ni débats d'instruction, ni audiences, ni a fortiori plaidoiries; seule une décision incidente a été rendue. Il n'y a eu qu'un échange écrit sur cette question. Les parties n'ont donc nullement eu l'occasion de mettre en œuvre leur "droit à la deuxième chance" pour la production de pièces nouvelles et d'allégués nouveaux (ATF 146 III 55, 57 consid. 2.3.1; ATF 144 III 67, 69 consid. 2.1). Il convient d'en tenir compte pour la production en appel de pièces "nouvelles".

3.2 L'intimée a tout d'abord produit une ordonnance d'ouverture d'instruction du Ministère public du 28 avril 2022 concernant le prévenu D______ [prénom identique à A______] (pièce 20), sans explication quant à la date à laquelle elle en a eu connaissance. Sa production peut (abstraitement) se justifier par l'argumentation (nouvelle) développée par l'appelant en lien avec la jurisprudence anglaise et la qualité des relations de travail entre les parties au litige. Cela étant, si la Mission [de] C______ est mentionnée dans l'exposé des faits, le nom de l'appelant ne figure pas expressément dans cette pièce nouvelle, de sorte qu'elle n'est pas d'une utilité immédiate pour trancher le présent appel.

L'intimée a ensuite produit la première page d'un courrier de la Direction du droit international public (DDIP) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) du 30 juin 2022 (pièce 21), reçue le 4 juillet 2022. A nouveau, sa production peut se justifier par l'argumentation (nouvelle) développée par l'appelant en lien avec la jurisprudence anglaise. Cette pièce, bien qu'incomplète, est donc recevable. Il en ressort notamment que le DFAE avait décidé de ne plus autoriser les membres de la Mission [de] C______ à engager des domestiques privés en vertu de l'ODPr.

L'intimée a enfin produit un extrait Internet de E______ [chaine de télévision] du 24 mai 2023, imprimé le 12 juin 2023 (pièce 22). Il n'y a rien à redire à la recevabilité ratione temporis de cette pièce. L'appelant fait valoir que la pièce est en anglais et qu'il faudrait en exiger une traduction. Il aurait certes été préférable que la pièce soit accompagnée d'une traduction (même libre), en français (langue de la procédure, cf art. 129, al. 1 CPC), mais l'appelant n'allègue cependant pas ne pas comprendre cette langue, dans laquelle lui-même s'est adressé à la Mission suisse (cf annexe 1 [du 18 novembre 2021] au courrier du DFAE du 10 mai 2022 au TPH [document 4 de la procédure]) ou a signé le contrat de travail avec l'intimée (pièce 2). Dès lors que l'extrait Internet ne fait que confirmer la thématique qui ressort déjà de la procédure, à savoir la portée (ou non) de l'immunité diplomatique sur des litiges liés aux domestiques privés, une traduction de la pièce pour la procédure d'appel ne sera pas exigée; si la présente procédure devait se poursuivre devant le Tribunal fédéral ou le Tribunal des prud'hommes, une traduction pourrait cas échéant être requise.

4.             L'appelant fait valoir la violation de l'art. 31 par. 1 CV et des art. 2 al. 1 let. d, 2 al. 2 let. a et 3 al. 1 let. b LEH.

4.1 Selon le préambule CV, les Etats parties à la convention sont "convaincus que le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des États" et affirment que "les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la […] Convention".

Selon l'art. 3 al. 1 CV, les fonctions d’une mission diplomatique consistent notamment à: a) représenter l’État accréditant auprès de l’État accréditaire; b) protéger dans l’État accréditaire les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants, dans les limites admises par le droit international; c) négocier avec le gouvernement de l’État accréditaire; d) s’informer par tous les moyens licites des conditions et de l’évolution des événements dans l’État accréditaire et faire rapport à ce sujet au gouvernement de l’État accréditant; e) promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles et scientifiques entre l’État accréditant et l’État accréditaire.

Selon l'art. 31 al. 1 CV, l’agent diplomatique jouit de l’immunité de la juridiction pénale de l’État accréditaire. Il jouit également de l’immunité de sa juridiction civile et administrative, sauf s’il s’agit: a) d’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l’État accréditaire, à moins que l’agent diplomatique ne le possède pour le compte de l’État accréditant aux fins de la mission; b) d’une action concernant une succession, dans laquelle l’agent diplomatique figure comme exécuteur testamentaire, administrateur, héritier ou légataire, à titre privé et non pas au nom de l’État accréditant; c) d’une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu’elle soit, exercée par l’agent diplomatique dans l’État accréditaire en dehors de ses fonctions officielles.

4.2 Selon l'art. 1 al. 1 LEH, la LEH règle, dans le domaine de la politique d'Etat hôte: a) l'octroi de privilèges, d'immunités et de facilités; b) l'octroi d'aides financières et la mise en œuvre d'autres mesures de soutien.

Selon l'art. 2 al. 1 let. d LEH, la Confédération peut accorder des privilèges, des immunités et des facilités aux bénéficiaires institutionnels suivants: d) les missions diplomatiques.

Selon l'art. 2 al. 2 LEH, la Confédération peut accorder des privilèges, des immunités et des facilités aux personnes physiques (personnes bénéficiaires) suivantes: a) les personnes appelées, à titre permanent ou non, en qualité officielle auprès de l’un des bénéficiaires institutionnels mentionnés à l’al. 1; b) les personnalités exerçant un mandat international; c) les personnes autorisées à accompagner les personnes bénéficiaires mentionnées aux let. a et b, y compris les domestiques privés.

Selon l'art. 3 al. 1 LEH, les privilèges et les immunités comprennent: a) l’inviolabilité de la personne, des locaux, des biens, des archives, des documents, de la correspondance et de la valise diplomatique; b) l’immunité de juridiction et d’exécution; c) l’exemption des impôts directs; d) l’exemption des impôts indirects; e) l’exemption des droits de douane et autres redevances à l’importation; f) la libre disposition des fonds, devises, numéraires et autres valeurs mobilières; g) la liberté de communication, de déplacement et de circulation; h) l’exemption du régime de la sécurité sociale suisse; i) l’exemption des prescriptions relatives à l’accès et au séjour en Suisse; j) l’exemption de toute prestation personnelle, de tout service public, ainsi que de toute charge et obligation militaires.

4.3 Selon son art. 1, al. 1, l'ordonnance (fédérale) relative à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’Etat hôte (Ordonnance sur l'Etat hôte), du 7 décembre 2007 (OLEH; 192.121) règle les modalités d'exécution de la LEH. Elle précise en particulier: a) l’étendue des privilèges, des immunités et des facilités qui peuvent être accordés en fonction du type de bénéficiaire institutionnel; b) les conditions d’entrée sur le territoire suisse, de séjour et de travail des personnes bénéficiaires; c) les procédures applicables à l’acquisition d’immeubles par des bénéficiaires institutionnels; d) les modalités d’octroi des aides financières et des autres mesures de soutien.

Selon l'art. 1, al. 2 OLEH, les conditions d’entrée sur le territoire suisse, de séjour et de travail des domestiques privés sont réglées dans l’ODPr.

Le chapitre 2 OLEH (art. 6 à 15) est consacré à l'étendue des privilèges, des immunités et des facilités. Il se divise en deux sections, la première (art. 6 à 8 OLEH) visant les "bénéficiaires institutionnels" et la seconde (art. 9 à 15 OLEH) les "personnes bénéficiaires".

Selon l'art. 9, al. 1 OLEH, "les privilèges, les immunités et les facilités octroyés aux personnes bénéficiaires sont accordés en faveur du bénéficiaire institutionnel concerné et non pas à titre individuel. Ils n'ont pas pour but d'avantager des individus, mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions du bénéficiaire institutionnel".

4.4 Selon son art. 1, al. 1, l'ODPr règle, en complément des dispositions prévues dans l'OLEH, les conditions d’entrée en Suisse, d’admission, de séjour et de travail des domestiques privés au sens de l’art. 2, al. 2, let. c, LEH.

Selon l'art. 41, al. 1 ODPr, conformément au droit international, la signature par l’employeur d’un contrat de travail n’entraîne aucune renonciation à ses privilèges et immunités. Il appartient, le cas échéant, au bénéficiaire institutionnel dont relève l’employeur de décider de la levée de l’immunité de juridiction et d’exécution de l’employeur.

Selon l'art. 41, al. 2 ODPr, si un litige relatif au contrat de travail surgit, les parties recherchent un arrangement à l’amiable. Elles peuvent faire appel à cet effet à toute entité de règlement existant ou mettre elles-mêmes en place des modalités spécifiques de règlement.

Selon l'art. 41, al. 3 ODPr, si le litige ne peut être résolu à l’amiable, la partie qui le souhaite peut porter le litige devant l’autorité judiciaire compétente. Il appartient au demandeur de présenter, le cas échéant, une demande de levée de l’immunité de juridiction et de l’immunité d’exécution de l’employeur par la voie diplomatique usuelle.

5.             La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004 (ci-après "CNUIJE") codifie au niveau international, pour l’essentiel, des principes appliqués par le Tribunal fédéral depuis 1918 (Message du Conseil fédéral concernant l’approbation et la mise en œuvre de la CNUIJE du 25 février 2009, FF 2009 1443-1478, en particulier p. 1444).

La CNUIJE a été ratifiée par la Suisse le 16 avril 2010, mais elle n'est pas encore en vigueur, faute de ratification par un nombre suffisant d'Etats. Son art. 30 ch. 1 requiert en effet trente instruments de ratification et, à ce jour, 28 Etats seulement l'ont signée et 23 Etats sont parties (https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=III-13&chapter=3&clang=_fr – consulté le 27 décembre 2023).

Selon le Tribunal fédéral et la doctrine, la CNUIJE se veut la codification de la coutume internationale en matière d'immunités (ATF 134 III 122, 128 consid. 5.1; Jérôme CANDRIAN, La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens – Introduction à une lecture, SJ 2006 II p. 95-139, en particulier p. 97).

La Convention s'applique à l'immunité de juridiction d'un Etat et de ses biens devant les tribunaux d'un autre Etat (art. 1). Le terme "Etat" désigne non seulement l'Etat et ses divers organes de gouvernement (art. 2, al. 1, lettre b.i)), mais aussi les représentants de l'Etat agissant à ce titre (art. 2, al. 1, lettre b. iv).

A moins que les Etats concernés n'en conviennent autrement, un Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre Etat, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l'Etat et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat (art 11, al. 1).

Selon la doctrine, l'art. 11 s'est attaché à maintenir un difficile équilibre entre les intérêts concurrents de l'Etat employeur et de l'Etat du for à l'application de leur droit du travail respectif (CANDRIAN [2006], p. 109).

6.             6.1 Selon le Tribunal fédéral, de tout temps, la jurisprudence suisse a marqué une tendance à restreindre le domaine de l'immunité des Etats. Le principe de l'immunité de juridiction n'est pas une règle absolue. L'Etat étranger n'en bénéficie que lorsqu'il agit en vertu de sa souveraineté (jure imperii). En revanche, il ne peut pas s'en prévaloir s'il a agi comme titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un particulier (jure gestionis); en ce cas, l'Etat étranger peut être assigné devant les tribunaux suisses, à condition toutefois que le rapport de droit privé auquel il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire suisse (Binnenbeziehung). Les actes accomplis jure imperii (ou actes de souveraineté) se distinguent des actes accomplis jure gestionis (ou actes de gestion) non par leur but, mais par leur nature intrinsèque. Il convient ainsi de déterminer, en recourant si nécessaire à des critères extérieurs à l'acte en cause, si celui-ci relève de la puissance publique ou s'il s'agit d'un rapport juridique qui pourrait, dans une forme identique ou similaire, être conclu entre deux particuliers (ATF 134 III 570, 572-573 consid. 2.2; ATF 124 III 382, 388-389 consid. 4a; ATF 120 II 400, 406-407 consid. 4a-4b et les références citées; voir aussi arrêt TF 4A_308/2022 du 20 septembre 2022, consid. 3.1.2).

En matière de contrat de travail, la jurisprudence admet que, si l'Etat accréditant peut avoir un intérêt important à ce que les litiges qui l'opposent à des membres de l'une de ses ambassades exerçant des fonctions supérieures ne soient pas portés devant des tribunaux étrangers, les circonstances ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit d'employés subalternes. En tout cas, lorsque l'employé n'est pas un ressortissant de l'Etat accréditant et qu'il a été recruté puis engagé au for de l'ambassade, la juridiction du for peut être reconnue dans la règle. L'Etat n'est alors pas touché dans l'exercice des tâches qui lui incombent en sa qualité de titulaire de la puissance publique (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; ATF 120 II 400, 406 consid. 4a).

Pour décider si le travail accompli par une personne qui est au service d'un Etat ressortit ou non à l'exercice de la puissance publique, il faut partir de l'activité en cause. En effet, à défaut de législation déterminant quelles fonctions permettent à l'Etat accréditant de se prévaloir, à l'égard de leurs titulaires, de son immunité, la désignation de la fonction exercée ne saurait être, à elle seule, un critère décisif. Aussi bien, selon les tâches qui lui sont confiées, tel employé apparaîtra comme un instrument de la puissance publique alors que tel autre, censé occuper un poste identique, devra être classé dans la catégorie des employés subalternes (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; ATF 120 II 408, 410 consid. 5b). La qualification d'emploi subalterne a notamment été donnée aux postes de chauffeur, de portier, de jardinier, de cuisinier (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; ATF 120 II 400, 406 consid. 4b), de traducteur-interprète (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; ATF 120 II 408, 410-411 consid. 5c), d'employé de bureau (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; ATF 110 II 255, 261 consid. 4a), de femme de ménage (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; arrêt 4C.338/2002 du 17 janvier 2003, consid. 4.2, publié in Revue de droit du travail et d'assurance-chômage [DTA] 2003 p. 92) et d'employée de maison (ATF 134 III 570, 573 consid. 2.2; arrêt 4C.73/1996 du 16 mai 1997, publié in Jahrbuch des Schweizerischen Arbeitsrechts [JAR] 1998 p. 298); il s'agit de fonctions relevant essentiellement de la logistique, de l'intendance et du soutien, sans influence décisionnelle sur l'activité spécifique de la mission dans la représentation du pays (ATF 134 III 570, 573-574 consid. 2.2).

A l'inverse, un expert-juriste au sein d'une commission des Nations Unies n'est pas un emploi subalterne (ATF 134 III 570, 574-575 consid. 3.2).

6.2 Les considérations qui précèdent résultent de procédures dirigées par une personne physique contre un Etat étranger. A l'inverse, elles ne résultent pas de procédures dirigées contre un employeur personne physique, question qui n'a – sauf erreur – pas encore été tranchée clairement par le Tribunal fédéral.

7.             Les parties se sont abondamment référées à l'arrêt CAPH/142/2014 de la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du 24 septembre 2014. L'état de fait de cet arrêt était particulier, dès lors que c'est la travailleuse qui faisait valoir l'immunité de juridiction de son employeur (personne physique), afin de démontrer que la prescription n'avait pas commencé à courir, respectivement était suspendue en raison de l'impossibilité d'agir en justice (art. 134 al. 1 ch. 6 CO).

7.1 En résumé, le raisonnement de la Cour était le suivant:

La CNUIJE avait été ratifiée par la Suisse, mais n'était pas encore en vigueur: dès lors qu'elle consacrait des principes reconnus par la Suisse, les juridictions prud'homales étaient fondées à examiner le bien-fondé de l'exception d'immunité de juridiction selon son art. 11. L'Etat employeur n'était pas touché dans l'exercice de ses tâches de puissance publique lorsqu'il concluait un contrat avec un employé subalterne; les fonctions subalternes relevaient essentiellement de la logistique, de l'intendance et du soutien, sans influence décisionnelle sur l'activité spécifique de la mission dans la représentation du pays; le poste d'employée de maison entrait dans cette catégorie (CAPH/142/2014 du 24 septembre 2014, consid. 3.1).

Le préambule de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques précisait que le but des privilèges et immunités de juridiction était non pas d'avantager des individus, mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques; l'art. 31 al. 1, 2ème phrase CV prévoyait les exceptions à l'immunité de la juridiction civile (CAPH/142/2014 du 24 septembre 2014, consid. 3.2).

Comme l'immunité de juridiction de l'agent diplomatique découlait de celle dont bénéficiait l'Etat qu'il représentait, il ne se justifiait pas de conférer au représentant d'un Etat des privilèges dont l'Etat qu'il représentait ne bénéficiait pas lui-même, en particulier dans le domaine du droit du travail. Il n'y avait ainsi aucune raison de traiter de manière plus favorable l'agent diplomatique pour des rapports de travail conclus à titre privé avec son employée de maison que pour des rapports de travail conclus au nom de l'Etat. L'art. 31 al. 1 CV, interprété à la lumière de la CNUIJE, impliquait qu'il n'y avait aucune immunité pour un litige découlant d'un contrat de travail conclu à titre privé avec une employée de maison, à savoir une employée subalterne (CAPH/142/2014 du 24 septembre 2014, consid. 3.3).

La Cour de justice en a conclu que, dès lors que l'employeur agent diplomatique ne bénéficiait d'aucune immunité, les prétentions de l'employée de maison étaient tardives et donc prescrites.

7.2 Cet arrêt a été contesté au Tribunal fédéral, qui a admis le recours et considéré que, dans le cas précis, l'employée de maison était fondée à invoquer la suspension de la prescription (arrêt TF 4A_618/2014 du 7 juillet 2015, consid. 4.2). Après avoir constaté qu'en principe l'immunité fondée sur l'art. 31 CV aurait fait échec à une éventuelle action juridique (consid. 3.4), le Tribunal fédéral a néanmoins expliqué que la transposition de la distinction entre actes régaliens et actes de gestion de l'Etat à l'immunité personnelle des agents diplomatiques pouvait rester indécise (consid. 4). Il a écrit qu'il s'agirait d'une "innovation importante dans le contexte juridique actuellement connu des autorités exécutives concernées, des tribunaux et des praticiens" (consid. 4).

7.3 La portée de ces deux arrêts s'est posée en 2023 à l'occasion d'une procédure portant sur le refus de l'assistance judiciaire pour une ressortissante des Philippines, domestique privée, qui souhaitait agir au Tribunal des prud'hommes (genevois) contre des anciens employeurs diplomates de la Mission [de] C______ (DAAJ/10/2023 du 2 février 2023 de la Cour de justice en matière d'assistance judiciaire civile, confirmée par arrêt TF 4A_161/2023 du 7 juillet 2023
[SJ 2023 no 10 p. 822-824]).

7.3.1 La requérante avait obtenu l'assistance juridique pour agir auprès du Bureau de l'Amiable Compositeur. L'assistance juridique lui a cependant été refusée pour introduire une requête de conciliation devant le Tribunal des prud'hommes pour interrompre la prescription de ses prétentions en paiement (salaires, indemnités pour démission immédiate justifiée et tort moral). Ce refus d'assistance juridique se fondait sur le motif que la cause de la requérante paraissait vouée à l'échec, en raison de l'art. 31 CV et de l'art. 41 ODPr.

7.3.2 Après un rappel des règles en matière d'accès à la justice (DAAJ/10/2023 consid. 4.1), la Cour présente les règles en matière d'immunité de juridiction, en distinguant le régime applicable à un Etat (consid. 4.2.1) de celui applicable aux diplomates (consid. 4.2.2), avant de présenter l'arrêt de 2014 déjà mentionné. La Cour retient que l'action du domestique privé à raison des rapports de travail ne fait pas partie des exceptions à l'immunité de juridiction réservées par l'art. 31 al. 1 CV consid. 4.4), de sorte que l'assignation mériterait préalablement l'obtention de la levée des immunités des diplomates. Après avoir rappelé l'arrêt du Tribunal fédéral qui a suivi, la Cour retient qu'une partie qui disposerait des ressources financières nécessaires renoncerait à assigner les diplomates devant le Tribunal des prud'hommes sans avoir préalablement obtenu la levée de leurs immunités de juridictions (consid. 4.4 in fine).

7.3.3 Le Tribunal fédéral explique tout d'abord que la recourante ne peut pas se prévaloir d'un droit à l'assistance judiciaire déduit directement d'un traité international (4A_161/2023, consid. 3.2). Il explique ensuite que les employeurs que la recourante entend actionner en justice sont des agents diplomatiques jouissant de l'immunité de juridiction civile prévue par l'art. 31 al. 1 CV (4A_161/2023, consid. 4.2.1); l'action civile intentée par un domestique privé à raison des rapports de travail, qui ne figure pas dans l'énumération de l'art. 31 CV, est couverte par l'immunité (ibidem). S'agissant de l'assistance judiciaire, le Tribunal fédéral confirme que la Cour de justice a jugé que la thèse de la recourante ne correspondait pas au droit actuel applicable, de sorte que l'action envisagée était dépourvue de chances de succès. L'examen de l'autorité cantonale doit rester sommaire au moment du dépôt de la requête de l'assistance judiciaire; l'autorité cantonale n'a pas à se prononcer sur la pertinence de la position juridique défendue par la recourante, "laquelle n'est certes pas dénuée de tout fondement mais implique un changement important dans l'application du droit" (4A_161/2023, consid. 4.2.3).

8.             Dans un premier grief, l'appelant fait valoir l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 2015 pour en déduire que ce dernier n'aurait pas adopté l'approche de la Cour de justice du 24 septembre 2014. Or, si on peut admettre qu'il n'était pas particulièrement enthousiaste par l'arrêt cantonal de 2014, le Tribunal fédéral n'a pas non plus contredit expressément l'arrêt genevois. Il a certes présenté les bases conventionnelles garantissant l'immunité de juridiction; cela étant, il a expressément laissé "indécise" "la pertinence" de l'approche cantonale visant à appliquer aux agents diplomatiques (et pas seulement aux Etats) la distinction entre actes régaliens et actes de gestion. Il aurait parfaitement été possible pour le Tribunal fédéral de contredire directement et frontalement la position genevoise, mais tel n'a pas été le cas. De ce point de vue, il faut retenir que la position genevoise générale n'a pas été explicitement remise en cause par le Tribunal fédéral. La Cour considère dès lors qu'elle peut se tenir à la jurisprudence cantonale de 2014.

Au surplus, le jugement présentement querellé est parfaitement convainquant. En effet, dans la présente procédure, les parties étaient liées entre elles par un contrat de travail. L'intimée est de nationalité philippine, alors que l'appelant est de nationalité [de] C______; les parties n'ont donc pas de nationalité commune. En tant qu'employée domestique privée, l'intimée exerçait des tâches subalternes; elle n'était nullement impliquée dans l'activité de puissance publique [de] C______. A l'inverse, l'appelant n'était pas non plus limité dans ses activités de représentant de la puissance publique de l'Etat C______ dans ses relations avec sa domestique privée; une procédure prud'homale pour une question d'indemnité de licenciement ne limite pas non plus les pouvoirs ou les compétences de puissance publique de l'appelant. Enfin, si l'intimée avait formellement été l'employée de l'Etat C______, alors ce dernier n'aurait pas pu se fonder sur son immunité de juridiction pour s'opposer à une procédure civile du même type que la présente.

La question à trancher par la Cour consiste donc à savoir si le fait que le contrat ait été conclu par l'appelant en tant que personne physique lui permet de se prévaloir de sa propre immunité de juridiction (qui existe au sens littéral selon l'art. 31 CV, l'art. 2, al. 2, let. a LEH et l'art. 3, al. 1, let. d LEH) et partant si l'intimée peut (du seul fait d'un co-contractant personne physique et non entité étatique) ainsi procéduralement être moins bien protégée. Tel n'est assurément pas le but du droit international de la protection diplomatique, ce qui ressort aussi du texte de l'art. 9, al. 1, 2ème phrase OLEH ("ils n'ont pas pour but d'avantager des individus, mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions du bénéficiaire institutionnel"): l'argument de l'appelant de ne pas être entravé dans sa vie privée par une éventuelle procédure civile d'une employée de maison ne convainc pas. On ne voit pas pour quelle raison en effet l'appelant ne devrait pas être responsable, à Genève, d'un traitement conforme au droit, de son employée de maison privée, alors même que l'Etat C______ aurait pu l'être s'il avait été le co-contractant de l'intimée; il s'agit donc d'une privation du droit d'accès à la justice (art. 6 §1 CEDH; cf aussi art. 29a Cst. féd.). La protection constitutionnelle de la vie privée (art. 13 Cst. féd.) ne saurait fonder le droit d'échapper à tout contrôle judiciaire, justement, pour les relations de travail avec une employée privée. Le préambule de la Convention de Vienne de 1961 mentionne déjà que le but des privilèges et immunités n'est "pas d'avantager des individus", mais "d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats". A part la référence toute générale à sa "vie privée", l'appelant – qui agit ici comme un particulier, en dehors de toutes fonctions officielles – ne donne aucun exemple d'une activité étatique qui serait mise en péril par un procès devant les juridictions des prud'hommes. Autrement dit, non seulement, l'appelant agit complètement à titre privé vis-à-vis de son employée de maison, mais en plus leurs relations n'entravent pas les activités officielles de l'appelant.

La jurisprudence 2023 en matière d'assistance judiciaire n'est pas transposable à la situation d'espèce. En effet, même si le fond du dossier est identique, le pouvoir d'examen du juge de l'assistance juridique était limité à une évaluation sommaire – et fondée sur le droit actuel – des chances de succès de la requête pour laquelle le soutien financier était demandé. La Cour de céans est consciente du texte clair de l'art. 31 CV, mais considère – comme déjà écrit ci-dessus – qu'il ne faut pas se limiter à son interprétation littérale, mais tenir compte du sens de la norme, qui résulte aussi du préambule et de la garantie, qui gagne en importance au fil du temps, de l'accès à la justice (cf art. 6 §1 CEDH; art. 29a Cst. féd.). S'agissant du droit interne, l'art. 9, al. 1, 2ème phrase OLEH limite la portée des immunités et l'art. 41 ODPr a une portée plus programmatique que normative; une lecture attentive de l'art. 41 ODPr prévoit de nombreuses nuances, qui laissent entendre une portée qui ne serait pas absolue (cf "le cas échéant" à l'al. 1 et 3; "peut porter" à l'al. 3).

La CNUIJE n'est certes pas en vigueur, mais son art. 11 relatif à l'inapplicabilité de l'immunité diplomatique pour les litiges de droit du travail donne aussi un indice de l'interprétation générale à confier aux privilèges et immunités diplomatiques. Le fait que la CNUIJE se réfère aux Etats (et non aux individus) ne change rien, s'agissant non pas d'une interprétation littérale d'un texte (non encore en vigueur), mais d'une interprétation téléologique de principes généraux.

L'appréciation concrète du litige par la Cour en 2024 est donc identique à celle de 2014.

9.             L'appelant n'a pas expressément formulé une critique en lien avec l'art. 41 ODPr. Il ressort de l'état de fait, incontesté sur une partie de cette thématique, qu'une procédure devant l'Amiable Compositeur a, en tout état, commencé; les parties divergent sur l'échec ou non de la procédure. Quoi qu'il en soit, il faut en déduire que la tentative de règlement prévue par l'art. 41 al. 2 ODPr a été mise en œuvre. L'art. 41 al. 2 et 3 ODPr n'impose pas un échec de la résolution amiable avant de saisir l'autorité judiciaire compétente; le texte légal de l'art. 41 al. 3, 1ère phrase ODPr mentionne uniquement "si le litige ne peut être résolu à l'amiable", comme élément préalable à la saisine de l'autorité judiciaire.

Selon l'art. 41 al. 3 ODPr, il appartient au demandeur de présenter "le cas échéant" une demande de levée de l'immunité de juridiction. Cette mention "le cas échéant" démontre qu'une telle demande n'est pas obligatoire dans tous les cas et que l'art. 41 al. 3 ODPr n'entend pas réglementer lui-même les notions de jure imperii et de jure gestionis.

Par conséquent, la solution du présent litige n'est pas contraire à l'art. 41 al. 3 ODPr et est conforme à l'art. 9, al. 1, 2ème phrase OLEH.

10.         L'appelant n'a pas non plus critiqué la présentation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'accès à la justice que le Tribunal a effectuée.

10.1 Dans un arrêt Ndayegamiye-Mporamazina c/ Suisse du 5 février 2019 (requête 16874/12, 3ème section), la Cour européenne des droits de l'homme a examiné la question du droit d'accès à un tribunal pour les employés d'ambassades.

10.1.1 Dans ce litige, la requérante, ressortissante de la République du Burundi, était entrée au service de la Mission permanente de la République du Burundi auprès de l'Office des Nations Unies à Genève. Elle était domiciliée en France voisine. A la suite d'une non-reconduction de son contrat, la requérante a introduit une action pour licenciement abusif contre le Burundi devant le Tribunal des prud'hommes genevois. Ce dernier se déclara compétent et statua au fond; sur appel, la Cour de justice considéra que le Burundi pouvait se prévaloir de son immunité, ce qui fut confirmé par le Tribunal fédéral et la Cour européenne.

10.1.2 Le droit d’accès à un tribunal, reconnu par l’art. 6 §1 CEDH, n’est pas absolu: il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient en revanche à la Cour européenne de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle se doit de vérifier que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation du droit d’accès à un tribunal ne se concilie avec l’art. 6 §1 CEDH que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (arrêt Ndayegamiye-Mporamazina c/ Suisse, §51; arrêt Cudak c/ Lituanie du 23 mars 2010 [GC], no 15869/02, §55, avec les références qui y sont citées).

La doctrine de l’immunité absolue des États a subi depuis de nombreuses années une érosion certaine, en particulier avec l’adoption de la Convention sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (arrêt Cudak c/ Lituanie, §64). Notamment, dans le domaine des contrats de travail, l'art. 11 al. 1 CNUIJE dispose que, à moins que les États concernés n’en conviennent autrement (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), le principe qui prévaut est celui selon lequel un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compétent en l’espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l’État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État. L’art. 11 al. 2 let. a) à f) CNUIJE prévoit plusieurs exceptions à ce principe (arrêt Ndayegamiye-Mporamazina c/ Suisse, §53).

Compte tenu du principe par in parem non habet imperium, la Cour européenne estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté d’un autre État (arrêt Ndayegamiye-Mporamazina c/ Suisse, §54; Cudak c/ Lituanie, §60, et Sabeh El Leil c/ France du 29 juin 2011 [GC], no 34869/05, §52).

Enfin, la Cour européenne rappelle que la compatibilité de l’octroi de l’immunité de juridiction à un État avec l'art. 6 §1 CEDH ne dépend pas de l’existence d’alternatives raisonnables pour la résolution du litige (arrêt Ndayegamiye-Mporamazina c/ Suisse, §64 et les références citées).

10.1.3 Dans cet arrêt de la Cour européenne, la requérante était ressortissante de l'Etat employeur au moment où elle a intenté action, de sorte que la contre-exception de l'art. 11 al. 2 let. e CNUIJE s'appliquait. L'immunité de juridiction pouvait être invoquée par l'Etat défendeur.

10.2 Dans l'arrêt Cudak c/ Lituanie du 23 mars 2010, la Cour européenne avait déjà traité de la question de l'immunité de juridiction.

10.2.1 Le 1er novembre 1997, la requérante Alicija CUDAK, ressortissante lituanienne, avait été recrutée comme secrétaire-téléphoniste à l'ambassade de Pologne en Lituanie. Après avoir allégué avoir fait l’objet d’un harcèlement sexuel de la part d’un de ses collègues masculins, ce qui avait été reconnu par le médiateur saisi, Mme CUDAK avait été licenciée pour absence du travail non autorisée. Elle intenta une action civile devant les tribunaux de Lituanie; l'état de fait ne précise pas expressément qui était la partie défenderesse, mais on en déduit que c'était l'Etat de Pologne, dès lors que cette dernière a fait valoir son immunité. Les tribunaux lituaniens se sont tous déclarés incompétents, expliquant notamment qu'elle aurait pu agir en Pologne. La Cour européenne a retenu, à l'unanimité, une violation de l'art. 6 §1 CEDH.

10.2.2 L'art. 6 §1 CEDH était applicable à la procédure de la requérante devant les juridictions lituaniennes (Cudak c/ Lituanie, §42-47).

Le droit à un procès équitable, garanti par l’art. 6 §1 CEDH, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Cudak c/ Lituanie, §54; Běleš et autres c/ République tchèque, no 47273/99, §49, CEDH 2002-IX). Chaque justiciable possède le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’art. 6 §1 consacre le "droit à un tribunal", dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Cudak c/ Lituanie, §54; Golder c/ Royaume-Uni du 21 février 1975, §36, série A no 18, et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c/ Allemagne [GC], no 42527/98, §43, CEDH 2001-VIII).

Toutefois, le droit d’accès à un tribunal, reconnu par l'art. 6 §1 CEDH, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient en revanche à la Cour européenne de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention; elle se doit de vérifier que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation au droit d’accès à un tribunal ne se concilie avec l’art. 6 §1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Cudak c/ Lituanie, §55; Waite et Kennedy c/ Allemagne [GC], no 26083/94, §59, CEDH 1999-I, T.P. et K.M. c/ Royaume-Uni du 10 mai 2001 [GC], no 28945/95, §98, et Fogarty c/ Royaume-Uni du 21 novembre 2001 [GC], no 37112/97, §33).

On ne saurait, de façon générale, considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’art. 6 §1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement reconnues en matière d’immunité des Etats. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des Etats (Cudak c/ Lituanie, §57; Kalogeropoulou et autres c/ Grèce et Allemagne (déc.), no 59021/00, CEDH 2002-X, et Fogarty c/ Royaume-Uni, §36).

La CEDH a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut également pour le droit d’accès aux tribunaux, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Cudak c/ Lituanie, §58; Aït-Mouhoub c/ France, 28 octobre 1998, §52, Recueil 1998-VIII,). Il serait incompatible avec la prééminence du droit dans une société démocratique et avec le principe fondamental qui sous-tend l’art. 6 §1 CEDH, à savoir que les revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un juge, qu’un Etat puisse, sans réserve ou sans contrôle des organes de la CEDH, soustraire à la compétence des tribunaux toute une série d’actions civiles ou exonérer de toute responsabilité des catégories de personnes (Cudak c/ Lituanie, §58; Fayed c/ Royaume-Uni, 21 septembre 1994, §65, série A no 294‑B).

Ainsi, dans les cas où l’application du principe de l’immunité juridictionnelle de l’Etat entrave l’exercice du droit d’accès à la justice, la Cour doit rechercher si les circonstances de la cause justifiaient pareille entrave (Cudak c/ Lituanie, §59).

10.2.3 La Cour européenne doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. L’immunité des Etats, consacrée par le droit international, est issue du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un Etat ne peut être soumis à la juridiction d’un autre Etat. L’octroi de l’immunité à un Etat dans une procédure civile poursuivait le but légitime de respecter le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats par le respect de la souveraineté d’un autre Etat (Cudak c/ Lituanie, §60).

Dans l’arrêt Fogarty déjà, la Cour européenne a noté l’existence d’une tendance en droit international et comparé allant vers une limitation de l’immunité des Etats dans les litiges portant sur des questions liées à l’emploi de personnel, à l’exception toutefois de celles concernant le recrutement du personnel des ambassades (Cudak c/ Lituanie, §63; Fogarty, précité, §§ 37-38). L’immunité absolue des Etats a subi depuis de nombreuses années une érosion certaine (Cudak c/ Lituanie, §64).

La requérante ne remplissait pas de fonctions particulières ressortissant à l’exercice de la puissance publique. De plus, elle n’était ni un agent diplomatique ou consulaire ni une ressortissante de l’Etat employeur. Enfin, l’objet du litige était lié au licenciement de la requérante (Cudak c/ Lituanie, §69). La requérante était standardiste à l’ambassade, chargée notamment d’enregistrer les conversations internationales, de dactylographier des textes, d’envoyer et de réceptionner des télécopies, de photocopier des documents, de fournir des informations et d’aider à organiser certains événements. Ni la Cour suprême de Lituanie, ni le gouvernement défendeur n’avaient pu démontrer en quoi ces fonctions auraient été objectivement liées aux intérêts supérieurs de l’Etat polonais. Si l’annexe au contrat de travail précisait que la requérante aurait pu être appelée à accomplir d’autres travaux à la demande du chef de la représentation, il ne ressortait pas du dossier que celle-ci aurait effectivement exécuté des tâches liées à l’exercice de la souveraineté de l’Etat polonais (Cudak c/ Lituanie, §70). A l’origine du licenciement de la requérante et de la procédure qui s’en était suivie, il y avait des faits constitutifs d’un harcèlement sexuel constaté par le médiateur lituanien pour l’égalité des chances, qui avait été saisi par la requérante. Or, de tels faits ne sauraient guère passer pour mettre en cause les intérêts de l’Etat polonais en matière de sécurité (Cudak c/ Lituanie, §72). Enfin, quant aux difficultés que pourraient rencontrer les autorités lituaniennes lors de la mise à exécution à l’égard de la Pologne d’un éventuel jugement lituanien favorable à la requérante, de telles considérations ne sauraient faire échec à une application correcte de la Convention (Cudak c/ Lituanie, §73).

10.2.4 En conclusion, en accueillant l’exception tirée de l’immunité des Etats et en se déclarant incompétentes pour statuer sur la demande de la requérante, les juridictions lituaniennes, en ayant failli à maintenir un rapport raisonnable de proportionnalité, avaient outrepassé leur marge d’appréciation et avaient ainsi porté atteinte à la substance même du droit de la requérante à accéder à un tribunal. Partant, il y avait eu violation de l’art. 6 §1 de la Convention (Cudak c/ Lituanie, §74-75).

10.3 Les principes de l'arrêt Cudak c/ Lituanie du 23 mars 2010 ont été confirmés dans l'arrêt Sabeh El Leil c/ France du 29 juin 2011.

10.3.1. De 1980 à 2000, le requérant, M. Sabeh El Leil, ressortissant français, a travaillé comme comptable, puis chef comptable de l'ambassade du Koweit à Paris. Après avoir été licencié en mars 2000 pour des raisons économiques, le requérant a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir diverses indemnités en lien avec son licenciement. Après avoir écarté l'objection d'immunité de juridiction formulée par l'Etat du Koweit, le conseil de prud'hommes accorda diverses indemnités au requérant. La Cour d'appel de Paris infirma ensuite ce jugement et déclara les prétentions irrecevables en raison de l'immunité de juridiction du Koweit. La Cour de cassation n'a pas admis le pourvoi. La Cour européenne des droits de l'homme a ensuite admis à l'unanimité une violation de l'art. 6 §1 CEDH.

10.3.2 La Cour européenne confirme tout d'abord l'applicabilité de l'art. 6 §1 CEDH (Sabeh El Leil c/ France, §36-42).

S'agissant de l'observation de l'art. 6 §1 CEDH, la Cour européenne confirme les principes généraux développés dans l'arrêt Cudak (cf Sabeh El Leil c/ France, §46-58). Le requérant n'était ni agent diplomatique ou consulaire du Koweit ni ressortissant de cet Etat et ne relevait d'aucune des exceptions énumérées à l'art. 11 CNUIJE (Sabeh El Leil c/ France, §60). Les "responsabilités supplémentaires" mises en évidence par la Cour d'appel n'ont pas été expliquées dans sa décision (Sabeh El Leil c/ France, §63-64). Ainsi, en accueillant l’exception tirée de l’immunité de juridiction et en rejetant la demande du requérant, sans motivation pertinente et suffisante, et nonobstant les dispositions applicables du droit international, les juridictions françaises ont failli au maintien d’un rapport raisonnable de proportionnalité. Elles ont ainsi porté atteinte à la substance même du droit du requérant à accéder à un tribunal (Sabeh El Leil c/ France, §60).

10.4 Il faut relever que, dans toutes ces affaires, la partie défenderesse était l'Etat souverain lui-même et non pas l'un de ses diplomates personne physique. La position de principe de la Cour européenne en lien avec l'accès à la justice est cependant claire. Elle est en faveur de l'accès aux tribunaux fondé sur l'art. 6 §1 CEDH.

11.         L'appelant se réfère aussi à un arrêt Basfar v Wong de la Cour Suprême du Royaume-Uni du 6 juillet 2022. Selon lui, cette décision contiendrait une interprétation large de la notion d'immunité diplomatique, s'étendant aussi à la protection personnelle des agents diplomatiques et de leur famille; il conviendrait de protéger la liberté des personnes envoyées dans l'Etat hôte pour exercer ces fonctions diplomatiques de vivre et mener leur vie quotidienne ordinaire dans l'Etat hôte sans entrave. Les privilèges et immunités s'appliqueraient même lorsque les agents diplomatiques n'exerceraient pas leur fonction officielle. Dans le domaine de l'économie domestique, l'immunité de juridiction serait justifiée afin que les agents diplomatiques et leur famille puissent vivre dans l'Etat d'accueil sans être gênés par des actions civiles intentées à leur encontre (§34). Il n'y aurait une exception que lorsque les conditions de travail de l'employé domestique seraient de "l'esclavage moderne" (§43).

Pour l'appelant, dans la situation d'espèce, l'immunité de juridiction des diplomates serait plus étendue que celle des Etats, de sorte que l'appelant devrait mener sa vie privée paisiblement, sans craindre des procédures judiciaires à son encontre. L'engagement de domestiques privés rentrerait dans cette vie privée de diplomates, protégée par l'immunité de juridiction. Il faudrait distinguer l'absence d'immunité de l'Etat et l'immunité de l'agent diplomatique. Ici, l'immunité diplomatique de l'agent n'a pas été levée par son pays. De plus, la situation de l'intimée ne correspondrait pas à celle de l'esclavage moderne, de sorte que l'exception selon la juridiction britannique ne s'appliquerait pas.

11.1 En premier lieu, les juridictions suisses ne sont pas liées par les décisions judiciaires du Royaume-Uni. Cela étant, dès lors qu'il s'agit de l'interprétation d'une norme de droit international, il est intéressant d'en présenter le contenu.

11.2 Le jugement de la Cour suprême du Royaume-Uni du 6 juillet 2022 dans la cause Basfar v Wong ([2022] UKSC 20) concerne un litige entre Mme Josephine WONG, ressortissante des Philippines, et M. Khalid BASFAR, un diplomate représentant le Royaume d'Arabie Saoudite au Royaume-Uni. Mme WONG se plaignait d'être victime de traite d'êtres humains et d'avoir été forcée à travailler pour M. BASFAR et sa famille dans une situation d'esclavage moderne, après être arrivée au Royaume-Uni en août 2016. Elle alléguait avoir été confinée au domicile de M. BASFAR, sauf pour sortir les ordures; elle travaillait tous les jours de 7h00 à 23h30, sans congé, ni vacances. Elle avait subi des traitements dégradants. Après son arrivée au Royaume-Uni, elle n'avait pas été payée pendant sept mois, avant d'être partiellement payée. Mme WONG a introduit une procédure, notamment en paiement de salaires, contre M. BASFAR devant un Tribunal des prud'hommes; M. BASFAR a invoqué son immunité diplomatique au sens de l'art. 31 CV.

De manière résumée, la Cour suprême a décidé – par trois juges contre deux – que, si les faits allégués étaient prouvés, alors M. BASFAR ne bénéficiait pas de l'immunité diplomatique.

11.3 La conclusion de la décision britannique étant posée, les parties à la procédure civile genevoise divergent quant à la portée du jugement du 6 juillet 2022. Il s'agit notamment de l'interprétation de considérants différents dudit jugement.

La Cour suprême confirme tout d'abord l'importance de l'immunité diplomatique pour le droit international (§11), avant d'expliquer que l'art. 31 al. 1 let. c CV avec la notion d'activité "commerciale" est le cœur du litige (§13). L'emploi d'un travailleur domestique ne représente pas en tant que tel une "activité commerciale" d'un diplomate (§27), mais cette notion ne doit pas être interprétée uniquement de façon littérale (§28ss), car il faut tenir compte du contexte (§32): ainsi, en matière d'immunité selon le UK State Immunity Act 1978, exercer une "activité commerciale" (pour un Etat) inclut l'emploi d'un domestique privé ou l'achat de marchandises dans un magasin (§32): il s'agit donc pour la Cour suprême de déterminer si les mots ont la même portée selon la CV (§32). Il serait contraire au but de l'immunité diplomatique de ne pas protéger les diplomates dans leur vie quotidienne, par exemple lors de l'achats de biens de consommation courante ou pour des services médicaux, légaux, en matière d'éducation ou de domestiques privés (§34). Bien qu'ils ne soient pas accomplis au nom de l'Etat, mais à titre privé, les achats de services précités relèvent de l'immunité de juridiction en raison de leur caractère accessoire à la vie quotidienne (§37). En revanche, tel n'est pas le cas pour une employée de maison contrainte à travailler dans une situation semblable à de l'esclavage moderne (§43). Il faut distinguer les employés libres de partir selon les dispositions contractuelles et l'esclavage moderne qui, par définition, n'est pas libre: dans ce cas, il s'agit d'exploiter les circonstances (personnelles) de la victime qui la rendent particulièrement vulnérable (§43 et §44-51). Dans le cas d'espèce, l'ampleur du contrôle de M. BASFAR sur Mme WONG fait que cette dernière se trouvait en situation d'esclavage domestique (§51). La Cour s'interroge sur l'ampleur du profit personnel réalisé par M. BASFAR, qui peut dans certaines circonstances, être assimilé à une activité économique selon l'art. 31 CV et donc conduire à une inapplicabilité de l'immunité (§52-57).

Dans une telle situation, l'engagement de Mme WONG ne représente pas un élément accessoire de la vie quotidienne du diplomate BASFAR (§57): il s'agit d'une situation en-dehors des contrats ordinaires conclus par un diplomate (§57). La Cour examine ensuite les travaux préparatoires (§58-61), le niveau de rémunération (§62-63), l'interprétation évolutive de la CV (§64-65) et le principe du développement du droit international (§66-67), y compris en matière d'esclavage moderne (§68-72). Elle persiste dans sa distinction entre, d'une part, le travail domestique ordinaire, accessoire pour la vie d'un diplomate et qui bénéficie de l'immunité et, d'autre part, l'exploitation excessive d'un travailleur domestique, qui n'est pas protégée par l'immunité (§72): elle admet néanmoins que la distinction n'est pas toujours claire. Dans la situation concrète, si les faits allégués sont fondés, la demande de Mme WONG contre M. BASFAR entre dans la catégorie des exceptions à l'immunité, à savoir celle de l'art. 31 al. 1 let. c CV (§107).

Les deux juges dissidents de la Cour suprême approuvent néanmoins certaines parties du raisonnement de la majorité, en particulier s'agissant de la distinction à faire entre les actes des Etats (avec la distinction jure imperii et jure gestionis) et les actes des diplomates (§110). Ils approuvent aussi le résultat de l'interprétation selon laquelle l'engagement ordinaire d'un employé domestique n'est pas une "activité commerciale" (§111 et 114), même si leur motivation est différente. La position de la majorité crée notamment des problèmes pratiques de définition (§155).

11.4 Tout comme la Cour suprême, rattacher un contrat de travail domestique à une "activité professionnelle ou commerciale" au sens de l'art. 31 al. 1 let. c CV est difficilement compatible avec l'interprétation littérale de cette norme. Tout comme la majorité de la Cour suprême, il faut cependant interpréter la CV de manière générale et ne pas se limiter à la seule interprétation littérale. Cela implique selon la Cour de céans de tenir compte de la jurisprudence cantonale de 2014, des considérations du Tribunal des prud'hommes et de l'art. 6 §1 CEDH. Autrement dit, le jugement de la Cour suprême Basfar v Wong ne saurait être interprété comme remettant en cause la jurisprudence cantonale de 2014; d'ailleurs, comme relevé par l'intimée dans la présente procédure, ce jugement implique une évolution de la pratique de la Cour suprême et un assouplissement de l'immunité diplomatique en faveur de certains litiges de droit du travail, même si elle n'est pas encore aussi large que la jurisprudence genevoise. La Cour suprême ne traite d'ailleurs pas d'une manière approfondie de la comparaison entre l'immunité des Etats et celle des diplomates (§30-33), même si c'est pour la rejeter. Elle n'évoque pas l'argument de la Cour de justice de 2014 selon lequel il serait curieux, pour ne pas dire choquant, qu'un employé subalterne soit moins bien protégé s'il est engagé par un diplomate personne physique que par un Etat étranger.

La Cour de céans considère que le jugement de la Cour suprême du Royaume-Uni ne permet pas de modifier la jurisprudence genevoise en matière d'immunité. Ce grief de l'appelant sera donc écarté.

12.         L'appréciation générale par la Cour de céans du jugement du Tribunal des prud'hommes a été développée au considérant 8 ci-dessus et conduit à la confirmation de celui-ci; la jurisprudence de 2023 au sujet du refus de l'assistance judiciaire pour un cas similaire ne modifie pas cette position, car la jurisprudence 2023 concernait l'appréciation sommaire des chances de succès. La position de la Cour n'est pas remise en cause par l'art. 41 ODPr (consid. 9); elle est confortée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme au sujet de l'art. 6 §1 CEDH (consid. 10), nonobstant le fait que les parties défenderesses étaient des Etats et non des diplomates. Enfin, la jurisprudence 2022 de la Cour suprême du Royaume-Uni (consid. 11) n'implique pas un changement de la jurisprudence de la Cour de céans. Les différents griefs de l'appelant étant écartés, son appel sera rejeté.

13.         Il faut encore statuer sur les frais judiciaires et les dépens.

Selon l'art. 19 al. 3 let. c LaCC et l’art. 71 RTFMC, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 50'000 fr. devant la Cour de justice, la procédure est onéreuse. Tel n'est pas le cas en l'espèce, de sorte qu'aucun frais judiciaire ne sera perçu.

Selon l’art. 22 al. 2 LaCC, il n’est pas alloué de dépens ni d’indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes. Aucun dépens ne sera donc alloué.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 8 mai 2023 par A______ contre le jugement JTPH/48/2023 rendu le 20 février 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/19304/2021.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit que la procédure d'appel est gratuite.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur David HOFMANN, président; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, Madame Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.