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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/18930/2012

CAPH/142/2014 (2) du 24.09.2014 sur JTPH/77/2014 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 27.10.2014, rendu le 07.07.2015, ADMIS
Descripteurs : IMMUNITÉ; DOMMAGE
Normes : CO.128.3; CO.134.1; CPC.313
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18930/2012-5 CAPH/142/2014

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 24 septembre 2014

 

Entre

A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 5 mars 2014 (JTPH/77/2014), comparant par Me Pierre BAYENET, avocat, Rue Verdaine 6, Case postale 3215, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

d'une part,

et

B______, domicilié ______, intimé, comparant par Me Michael RUDERMANN, avocat, Avocats Associés, Bd.des Tranchées 36, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

d'autre part.


EN FAIT

A.           a. B______ (ci-après également l'employeur), ressortissant des Philippines, a exercé de fin 2004/début 2005 au 26 juin 2011 les fonctions d'Ambassadeur et représentant permanent des Philippines auprès de l'Organisation mondiale du commerce.

b. En été 2004, aux Philippines, B______ a proposé à A______ (ci-après également l'employée), ressortissante philippine qui travaillait à l'époque pour l'un de ses amis, de venir travailler pour lui à Genève en qualité d'employée de maison, ce qu'elle a accepté. Il a été convenu qu'elle serait nourrie et logée et qu'elle percevrait un salaire de USD 300.- par mois.

c. A______ est arrivée à Genève le 25 septembre 2004 et a immédiatement commencé à travailler en qualité de domestique privée pour B______.

Le 16 décembre 2004, A______ et B______ ont signé respectivement une déclaration de domestique privé et une déclaration de garantie de l'employeur, en faveur du Département fédéral des affaires étrangères.

Le 12 janvier 2005, la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales (ci-après Mission permanente de la Suisse) a indiqué à la Mission permanente des Philippines auprès de l'Organisation mondiale du commerce (ci-après Mission permanente des Philippines) que la carte de légitimation de A______ avait été commandée.

d. Le 9 mars 2005, A______ a quitté son emploi sans préavis, en laissant cette note manuscrite : "I will resume working when my salary is paid. I leave the house" (traduction libre : "Je reprendrai mon travail quand mon salaire sera payé. Je quitte la maison.").

e. Le même jour, le conseil de A______ a adressé un fax à B______, indiquant que si le salaire convenu était inférieur à CHF 1'800.-, l'accord était nul en vertu du droit suisse. Il réclamait la remise des passeports de A______, d'une copie du contrat signé à Manille, de la preuve du paiement des salaires sur le compte bancaire de A______ auprès de la ______, d'une copie de sa police d'assurance maladie ainsi que de son affiliation à l'assurance sociale.

Le 15 mars 2005, le conseil de A______ a envoyé un nouveau fax à B______, indiquant que sa mandante ne pouvait pas reprendre son travail tant qu'elle n'aurait pas sa carte de légitimation et que son salaire ne serait pas payé.

f. B______ a répondu par fax du même jour que son avocat prendrait prochainement contact avec lui. Il l'a informé de ce que l'engagement de A______ était temporaire et à l'essai et qu'elle devait retourner ce mois-ci aux Philippines pour reprendre son activité auprès de son employeur régulier; son emploi était terminé.

g. La Mission permanente des Philippines ayant informé la Mission permanente de la Suisse de la cessation des rapports de travail entre B______ et A______, la carte de légitimation de cette dernière a été annulée avec effet au 15 mars 2005.

h. Des échanges de correspondances ont eu lieu entre les conseils des parties du mois de mars au mois de juin 2005, concernant notamment la restitution de documents bancaires à A______.

i. Par décision de l'Assistance juridique du 22 avril 2005, A______ a été admise au bénéfice de l'assistance juridique avec effet au 10 mars 2005, sous réserve des montants obtenus, pour une procédure par-devant le Tribunal des prud'hommes, pour le dépôt d'une plainte pénale pour usure contre son ex-employeur ainsi que pour des démarches auprès de l'Office cantonal de la population.

j. A______ a saisi le Bureau de l'Amiable Compositeur, qui a confirmé le 3 mai 2005 agir en qualité de médiateur.

k. Le 15 septembre 2005, A______ a déposé une plainte pénale à l'encontre de B______ pour usure et tentative de contrainte ou tentative de chantage.

Le 6 mars 2012, la Mission permanente de la Suisse a fait savoir au Ministère public genevois que B______ était au bénéfice d'une immunité de juridiction dans l'exercice de ses fonctions, mais qu'une procédure pouvait être instruite selon le droit ordinaire, dans la mesure où les griefs soulevés ressortaient du droit privé.

Par ordonnance pénale du 15 mai 2013, B______ a été déclaré coupable d'usure, condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, mis au bénéfice du sursis et condamné à une amende de 400 fr.

l. Par courrier du 8 février 2006, B______ a fait savoir à A______ qu'il lui ferait transférer un montant de 12'887 fr., se décomposant comme suit : 13'200 fr. correspondant à cinq mois et demi de salaire (du 25 septembre 2004 au 9 mars 2005) à 2'400 fr. par mois, 1'800 fr. correspondant à un billet d'avion de retour aux Philippines, soit au total 15'000 fr., sous déduction de 2'113 fr. déjà versés.

m. Le 19 juin 2006, l'Assistance juridique a versé à l'avocat de A______ le montant de 4'734 fr. 40 à titre de rémunération pour l'activité exercée pour la période du 10 mars 2005 au 28 avril 2006.

n. Le 21 juin 2006, le Département genevois des institutions a fait savoir à A______ qu'il avait transmis sa requête de levée de l'immunité de juridiction de B______ à la Mission permanente de la Suisse, sollicitant sa collaboration dans le dossier.

B.            a. Par demande simplifiée motivée déposée au greffe du Tribunal des prud'hommes le 12 décembre 2012, A______ a assigné B______ en paiement de 8'495 fr. 65 brut, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 15 mars 2005 et 6'800 fr. net, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 16 août 2012.

La somme susmentionnée se décompose comme suit : 5'814 fr. brut, à titre de salaire du 10 mars 2005 au 30 avril 2005 ; 642 fr. 45 brut, à titre de salaire pour trois jours fériés ; 2'039 fr. 20 brut, à titre de vacances non prises en nature ; 6'800 fr. net, à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

A l'appui de ses conclusions, elle a en substance indiqué qu'elle était nourrie mais dormait sur un matelas à la cuisine et qu'elle n'avait pas le droit de sortir. Elle préparait à manger, faisait le ménage, la lessive et le repassage et devait prendre soin des deux chiens de son employeur.

Elle travaillait à plein temps et avait effectué des heures supplémentaires, mais n'avait perçu en moyenne que 87 fr. par mois. A Genève, elle n'avait reçu que USD 100.- fin septembre 2004 et USD 300.- en décembre 2004. En mars 2005, B______ avait crédité ses comptes bancaires aux Philippines de USD 800.- et de 22'000.- pesos philippins, montant équivalent à 500 fr.

A______ a précisé que son salaire avait été payé jusqu'au 9 mars 2005. Elle ne réclamait ainsi que le versement d'un salaire pour la période du 10 mars au 30 avril 2005, d'un salaire pour trois jours fériés, d'une indemnité pour vacances non prises en nature et d'une indemnité pour licenciement immédiat et abusif. Ses frais d'avocat seraient réclamés dans une procédure séparée.

Sa créance n'était pas prescrite, même si le contrat de travail avait pris fin le 30 avril 2005. En effet, B______ ayant été au bénéfice d'une immunité de juridiction jusqu'en 2011, elle ne pouvait pas saisir les tribunaux suisses de sorte que la prescription n'avait pas couru jusqu'en 2011.

b. Par mémoire de réponse et demande reconventionnelle déposé au greffe du Tribunal des prud'hommes le 21 mars 2013, B______ a conclu, au fond, sur demande principale, au déboutement de la demanderesse et, sur demande reconventionnelle, à la condamnation de A______ à lui verser 3'400 fr., plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 15 février 2006 et 5'000 fr., plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 4 mars 2013.

La créance de A______ était prescrite car elle n'avait pas prouvé avoir entrepris toutes les démarches que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle pour faire lever son immunité de juridiction. Il avait régulièrement versé à A______ le salaire convenu. Une fois rendu attentif à la teneur du droit suisse, il lui avait versé en février 2006 un montant de 15'000 fr., sous déduction de ce qu'il lui avait déjà remis. Cette somme correspondait à un salaire de 2'400 fr. par mois, supérieure au montant de 1'800 fr. dû selon le Contrat type de travail de l'économie domestique. A______ avait donc perçu 3'300 fr. brut en trop, somme que B______ déclarait, à toutes fins utiles, compenser avec les prétentions infondées de la demanderesse.

Concernant les montants réclamés à titre de jours fériés et de vacances, ils n'étaient pas dus, la demanderesse n'ayant pas prouvé y avoir droit.

Sur demande reconventionnelle, B______ a réclamé le remboursement de ses frais d'avocat avant l'ouverture de la procédure prud'homale, à hauteur de 8'400 fr.

c. Par mémoire de réponse à la demande reconventionnelle déposé à l'office postal le 7 mai 2013, A______ a amplifié sa demande. Elle a conclu à la condamnation de B______ en paiement de  8'495 fr. 65 brut, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 15 mars 2005 et de 16'473 fr. 40 net, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 16 août 2012 ainsi qu'au rejet des conclusions reconventionnelles.

A______ a fait valoir qu'elle avait droit au paiement d'un montant supplémentaire de 4'734 fr. 40 au titre de la rémunération de son avocat versée à celui-ci par l'Assistance juridique et d'un montant de 4'939 fr. qu'elle a dû rembourser à l'Hospice général après avoir reçu la somme de 12'885 fr. à titre d'arriérés de salaire.

La demande reconventionnelle était infondée car elle n'avait pas commis d'acte illicite justifiant l'allocation de dommages-intérêts.

d. Par mémoire du 24 juin 2013, B______ a persisté dans ses précédentes conclusions au fond.

A______ devait être déboutée de ses conclusions additionnelles, n'ayant pas établi avoir subi un dommage.

e. Par ordonnance du 11 novembre 2013, le Tribunal a limité la procédure à la question de la prescription des prétentions de la demanderesse et a imparti aux parties un délai pour se déterminer sur cette question.

f. Dans le délai imparti, A______ a relevé que les faits reprochés à B______ étaient également constitutifs de l'infraction d'usure au sens de l'article 157 du Code pénal (ci-après CP) de sorte que, conformément à l'article 60 al. 2 CO, le délai de prescription était celui prévu par le CP, soit en l'espèce quinze ans.

g. B______ pour sa part relevé que l'art. 60 al. 2 CO n'était pas applicable en matière contractuelle. Il a déposé une pièce complémentaire dont la recevabilité a été contestée par A______.

h. Par jugement du 5 mars 2014, reçu par les parties le lendemain, le Tribunal des prud'hommes (ci-après le Tribunal) a, à titre préalable, déclaré recevable la demande, la demande reconventionnelle, l'amplification de la demande et le bordereau de pièces complémentaire du 12 décembre 2013 de B______ et, cela fait, débouté chacune des parties de toutes ses conclusions (ch. 5 et 6 du dispositif), dit qu'il n'y avait pas lieu à perception de frais ou allocations de dépens (ch. 7) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 8).

Le Tribunal a notamment retenu que le délai de prescription applicable était de cinq ans, et avait commencé à courir au plus tard en février 2006. Le délai n'avait pas été suspendu en raison du fait que A______ était dans l'impossibilité d'agir car B______ ne bénéficiait pas d'une immunité de juridiction. Le délai de prescription pénale de 15 ans n'était pas applicable, car, même si l'employeur s'était rendu initialement coupable de l'infraction d'usure, la somme spontanément versée en février 2006 suffisait à réparer le dommage subi par l'employée, B______ ayant ce faisant satisfait à ses obligations contractuelles. Le salaire finalement perçu n'était ainsi par usuraire. Toutes les prétentions de A______ découlant de son contrat de travail étaient ainsi prescrites.

Celle-ci n'avait par ailleurs pas droit au remboursement des montants facturés par son avocat car d'une part ceux-ci avaient été pris en charge par l'Assistance juridique et, d'autre part, sa réclamation était prescrite. Il en allait de même de sa prétention liée au remboursement des montants versés par l'Hospice général.

Les prétentions de B______ en relation avec la facture de son conseil du 13 février 2006 étaient quant à elle prescrites. Celles relatives à l'activité de l'avocat dès février 2006 étaient prescrites en partie. En outre, la nécessité de l'intervention d'un avocat n'était pas établie.

C. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 7 avril 2014, A______ forme appel contre cette décision concluant, à titre préalable, à ce que la Cour ordonne l'administration des preuves requises en première instance et, au fond, à ce qu'elle admette l'appel, constate que son action n'est pas prescrite et condamne B______ à lui verser 8'495 fr. 65 brut, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 15 mars 2005 et 16'473 fr. 40 net, plus intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 16 août 2012. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal.

b. Le 17 juin 2014, B______ a déposé une réponse à l'appel, concluant au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, et un appel joint tendant, principalement, à la condamnation de celle-ci au paiement de 3'400 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 15 février 2006 et 5'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 4 mars 2013 et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction complémentaire.

c. Par écriture du 3 juillet 2014 A______ a persisté dans ses précédentes conclusions et B______ a fait de même le 11 juillet 2014. Le 20 août 2014, A______ a encore déposé une détermination.

Le 21 août 2014, la Cour a fait savoir aux parties que la cause était gardée à juger.

d. L'argumentation des parties sera examinée en tant que de besoin ci-dessous.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et 2 CPC).

L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

En l'espèce, l'appel respecte les dispositions précitées de sorte qu'il est recevable.

Formé dans la réponse à l'appel, dans le délai imparti pour celle-ci (art. 312 al. 2, 313 al. 1 CPC), l'appel joint l'est également.

Par souci de simplification, A______ sera désignée ci-après comme l'appelante et B______ comme l'intimé.

2. 2.1 Selon l'art. 247 al. 2 CPC, le Tribunal établit les faits d'office dans les litiges portant sur un contrat de travail lorsque la valeur litigieuse ne dépasse pas
30'000 fr. LeTribunal amène les parties, par des questions appropriées, à compléter les allégations insuffisantes et à désigner les moyens de preuve.

La maxime inquisitoire applicable en procédure simplifiée est une maxime inquisitoire « sociale » (arrêt du Tribunal fédéral 4A_7/2012 du 3.4.2012 c. 2.5), qui a avant tout été instituée pour compenser une inégalité de force ou de connaissances juridiques entre les parties. Elle ne modifie en rien la responsabilité des parties quant à la détermination des faits. Les parties ne sont pas dispensées de collaborer activement à l’établissement des faits pertinents pour le sort de la cause ni d’offrir les preuves à administrer cas échéant. Le Tribunal ne doit s’assurer du caractère complet des allégations des parties que lorsque des doutes sérieux existent à cet égard. La maxime inquisitoire sociale n’oblige pas le Tribunal à étendre sans limite la procédure probatoire dans toutes les directions possibles (cf. ATF 125 III 231 c. 4a et réf., JdT 2000 I 194, SJ 1999 I 373). Le Tribunal n’a pas non plus l’obligation de fouiller de lui-même le dossier afin d’y trouver ce qu’il en ressortirait en faveur de la partie qui a présenté un moyen de preuve (cf. arrêt 4A_497/2008 du 10.2.2009 c. 4.2 et réf., n.p. in ATF 135 III 220, JdT 2009 I 486) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_701/2012 du 19.4.2013 c. 1.2).

Si une partie est assistée d’un mandataire professionnel, la maxime doit être appliquée avec retenue : le juge doit attirer l’attention sur les lacunes du dossier et inviter à les combler, mais pas ordonner d’office des mesures d’instruction (arrêt du Tribunal fédéral 4A_519/2010 c. 2.2).

2.2 En l'espèce, l'appelante, assistée d'un avocat, sollicite en premier lieu en appel "l'administration des moyens de preuve requis en première instance", sans préciser à quels moyens de preuve elle fait allusion ni quels faits elle entend prouver. Ses écritures de première instance ne comportent aucune offre de preuve particulière, et elle n'a pas réagi aux différentes ordonnances du Tribunal lui enjoignant de se déterminer sur cette question.

Sur la base du dossier, la Cour constate que l'état de fait est complet et la cause en état d'être jugée, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions préalables de l'appelante visant à l'administration de preuves complémentaires

3. Sur le fond, l'appelante fait en premier lieu grief au Tribunal d'avoir confondu l'immunité de juridiction des Etat étrangers garantie par l'art. 11 de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004 (ci-après CNUIJE) et l'immunité de juridiction des agents diplomatiques, garantie par l'art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Seule cette dernière convention était applicable in casu et elle ne prévoyait pas d'exception à l'immunité de juridiction pour les contrats de travail. L'intimé fait valoir pour sa part que l'engagement à titre privé d'un employé subalterne n'est pas couvert par l'immunité de juridiction. En tout état de cause, l'appelante n'avait pas établi avoir effectué toutes les démarches visant à la levée par l'Etat des Philippines de son éventuelle immunité de juridiction. Au demeurant, l'intimé aurait renoncé à se prévaloir d'une éventuelle immunité, s'agissant d'un litige privé.

3.1 La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004 (ci-après "CNUIJE") codifie au niveau international, pour l’essentiel, des principes appliqués par le Tribunal fédéral depuis 1918 (Message concernant l’approbation et la mise en œuvre de la CNUIJE du 25 février 2009, FF 2009 1443, p. 1444).

La CNUIJE a été ratifiée par la Suisse le 16 avril 2010 mais elle n'est pas encore en vigueur, faute de ratification par un nombre suffisant d'Etats. Son article 30 ch. 1 requiert en effet trente instruments de ratification et seuls quinze ont été déposés à ce jour (https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_ no=III-13&chapter=3&lang=fr).

Selon le Tribunal fédéral, puisque la CNUIJE codifie des principes reconnus par la Suisse, les juridictions prud'homales sont fondées à examiner le bien-fondé de l'exception d'immunité de juridiction à la lumière de son art. 11 (ATF 134 II 122 consid 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.1).

Conformément à cette disposition, à moins que les Etats concernés n'en conviennent autrement, un Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un Tribunal d'un autre Etat, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l'Etat et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat (art. 11 al. 1 CNUIJE).

L'al. 2 de cette disposition prévoit un certain nombre d'exceptions à ce principe.

En matière de contrat de travail, la jurisprudence admet que, si l'Etat accréditant peut avoir un intérêt important à ce que les litiges qui l'opposent à des membres de l'une de ses ambassades exerçant des fonctions supérieures ne soient pas portés devant des tribunaux étrangers, les circonstances ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit d'employés subalternes. Les actes accomplis jure imperii, ou actes de souveraineté, se distinguent des actes accomplis jure gestionis, ou acte de gestion, non par leur but, mais par leur nature. L'Etat étranger ne peut se prévaloir de l'immunité de juridiction lorsqu'il a agi comme titulaire d'un droit privé au même titre qu'un particulier (jure gestionis). Pour distinguer les actes accomplis jure imperii des actes accomplis jure gestionis, il convient de déterminer si l'acte en cause relève de la puissance publique ou s'il s'agit d'un rapport juridique qui pourrait, dans une forme identique ou similaire, être conclu entre deux particuliers (Wyler/ Heinzer, Droit du travail, 2014, p. 767 et réf. citées).

En matière de rapports de travail, notamment de contrat de travail, l'Etat employeur n'est pas touché dans l'exercice de ses tâches relevant de la puissance publique lorsqu'il conclut un contrat avec un employé subalterne; il ne peut donc bénéficier de l'immunité de juridiction si un litige survient avec cet employé. Les fonctions subalternes relèvent essentiellement de la logistique, de l'intendance et du soutien, sans influence décisionnelle sur l'activité spécifique de la mission dans la représentation du pays. Le poste d'employée de maison entre dans cette catégorie (Wyler/ Heinzer, op. cit., p. 768).

Enfin l'art. 2 al. 1 let. b) iv) de la CNUIJE précise que, au sens de la Convention, le terme "Etat" désigne également les représentants de l'Etat agissant à ce titre.

3.2 La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 (Convention de Vienne; RS 0.191.01) concerne l'établissement de relations diplomatiques entre Etats.

Cette convention régit l'immunité de juridiction et d'exécution dont jouissent les membres du personnel des missions permanentes. Son préambule précise que le but des privilèges et immunités de juridiction est non pas d'avantager des individus mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des Etats. Il est également relevé que les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les questions qui n'ont pas été expressément réglées dans les dispositions la Convention.

A teneur de l'art. 3 de la Convention de Vienne, les fonctions d'une mission diplomatique consistent notamment à représenter l'Etat accréditant auprès de l'Etat accréditaire.

Selon l'art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne, l'agent diplomatique jouit de l'immunité de la juridiction pénale de l'Etat accréditaire. Il jouit également de l'immunité de sa juridiction civile et administrative, sauf s'il s'agit: a. d'une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l'Etat accréditaire, à moins que l'agent diplomatique ne le possède pour le compte de l'Etat accréditant aux fins de la mission; b. d'une action concernant une succession, dans laquelle l'agent diplomatique figure comme exécuteur testamentaire, administrateur, héritier ou légataire, à titre privé et non pas au nom de l'Etat accréditant; c. d'une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu'elle soit, exercée par l'agent diplomatique dans l'Etat accréditaire en dehors de ses fonctions officielles.

L'art 32 de la Convention de Vienne prévoit que l'Etat accréditant peut renoncer à l'immunité de juridiction des agents diplomatiques.

Les personnes jouissant d'une immunité de juridiction et d'exécution ne peuvent être astreintes devant un Tribunal suisse sans qu'au préalable leur immunité n'ait été levée. La partie demanderesse doit demander la levée de l'immunité de la partie défenderesse. Pour les membres du personnel des missions permanentes, c'est le Ministère des affaires étrangères qui a la compétence de lever l'immunité de l'un de ses fonctionnaires. Une demande de levée d'immunité, motivée et accompagnée des documents utiles, doit être adressée à la Mission permanente de la Suisse. S'il s'agit d'un membre du personnel d'une mission permanente, la Mission suisse transmettra la demande au Département fédéral des affaires étrangères qui, à son tour, demandera à l'Ambassade suisse sur place de présenter la demande de levée d'immunité au Ministère des affaires étrangères de l'Etat concerné (cf les directives publiée sur le site de internet du Département fédéral des affaires étrangères, sous la rubrique "Mission genève, manuel des privilèges et immunités;http://www.eda.admin.ch/eda/fr/home/topics/ntorg/un/unge/gepri/manimm.html).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'immunité personnelle est le pendant de l'immunité dont jouit l'Etat étranger quand il agit jure imperii c'est-à-dire dans ses attributs de puissance publique; la Convention de Vienne traduit simplement dans un acte normatif un concept issu du droit international public coutumier (ATF 115 Ib 496 cons. 5a).

3.3 En l'espèce, la question de l'existence d'une éventuelle immunité de juridiction de l'intimé doit être examinée tant à la lumière des textes légaux en vigueur, en particulier de la Convention de Vienne, qu'à celle de la CNUIJE, qui est le texte le plus récent qui codifie le droit international coutumier en matière d'immunité de juridiction.

Dans la mesure où l'action est intentée à l'égard de B______ personnellement et non à l'encontre de l'Etat des Philippines, la question de l'éventuelle immunité de juridiction de l'intimé en sa qualité d'Ambassadeur des Philippines doit s'examiner en premier lieu au regard de la Convention de Vienne, laquelle régit l'immunité de juridiction et d'exécution dont jouissent les membres du personnel des missions permanentes. Contrairement à l'art. 11 al. 1 de la CNUIJE, cette convention ne prévoit pas expressément d'exception à l'immunité de juridiction concernant un litige contractuel de droit du travail impliquant un employé subalterne engagé à titre privé. La formulation de l'art. 31 al. 1 let. c de la Convention de Vienne est en effet plus large, puisqu'elle se réfère à une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu'elle soit, exercée par l'agent diplomatique dans l'Etat accréditaire en dehors de ses fonctions officielles.

Afin d'interpréter cette disposition, il convient de tenir compte du but des Conventions concernées. A cet égard, le préambule de la Convention de Vienne précise que le but des immunités de juridiction n'est pas d'avantager les individus, mais d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats.

Le lien entre l'immunité de l'Etat et celle accordée à ses représentants est soulignée par le fait que l'art. 2 al. 1 let. b iv) CNUIJE précise que le terme "Etat" vise également les représentants de l'Etat agissant à ce titre.

Le Tribunal fédéral a de plus retenu que l'immunité personnelle est le pendant de celle dont jouit l'Etat étranger et que la Convention de Vienne est la traduction normative des concepts en la matière issus du droit international public coutumier.

Ainsi, au regard du fait que l'immunité de juridiction de l'agent diplomatique découle de celle dont bénéficie l'Etat qu'il représente, il ne se justifie pas de conférer au représentant d'un Etat des privilèges dont l'Etat qu'il représente ne bénéficie lui-même pas, du moins dans le domaine concerné par la présente cause, à savoir celui du droit du travail. L'on ne voit en effet pas pour quel motif il conviendrait, du point de vue de l'immunité de juridiction, de traiter plus favorablement l'intimé pour les rapports de travail qu'il noue à titre privé avec son employée de maison que pour ceux qu'il noue avec une telle employée au nom de l'Etat qu'il représente.

Les références de droit américain fournies par l'appelante ne sauraient conduire à une autre solution, dans la mesure où les juridictions suisses ne sont liées ni par la jurisprudence des tribunaux américains, ni par les "Statement of Interest" du gouvernement des Etats-Unis.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour retiendra que l'art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne doit être interprété à la lumière de l'art 11 CNUIJE. Aucune des parties ne conteste que cette dernière disposition, qui codifie le droit en vigueur, ne confère aucune immunité à l'intimé en l'espèce, s'agissant d'un litige découlant d'un contrat de travail conclu à titre privé avec une employée de maison, soit une employée subalterne.

C'est par conséquent à juste titre que le Tribunal a considéré que l'intimé ne bénéficiait pas de l'immunité de juridiction.

L'appelante fait encore valoir que l'intimé n'a pas contesté qu'il jouissait d'une immunité. Cela est cependant contredit par la teneur des écritures de celui-ci qui précise en outre que, même s'il avait bénéficié d'une immunité, il aurait renoncé à l'invoquer, s'agissant d'une affaire purement privée, dans le cadre de laquelle il avait d'ailleurs accepté une procédure auprès de l'Amiable compositeur, étant souligné qu'il avait spontanément accepté de verser 12'887 fr. à l'appelante, suite à l'échec des pourparlers transactionnels. En tout état de cause, le seul fait qu'un agent diplomatique estime jouir d'une immunité ne suffit pas à faire naître celle-ci, si elle n'est pas prévue par la loi.

Les griefs de l'appelante sur ce point sont par conséquent infondés.

4. 4.1 Selon l'art. 128 ch. 3 CO, les actions des travailleurs pour leurs services se prescrivent par cinq ans. La prescription court dès que la créance est devenue exigible (art. 130 al. 1 CO).

A teneur de l'art. 134 al. 1 ch. 6 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue, tant qu'il est impossible de faire valoir la créance devant un Tribunal suisse.

La prescription est suspendue au sens de cette disposition uniquement si l'empêchement est dû à des circonstances objectives, indépendantes de la situation personnelle du créancier (ATF 90 II 428, JT 1965 I 243) et que celui-ci ne pouvait écarter (ATF 88 II 283, JT 1963 I 145).

4.2 En l'espèce, l'appelante ne conteste plus en appel que ses prétentions, dans la mesure où elles concernent le paiement de salaire, vacances et indemnité pour licenciement injustifiée, se prescrivent en principe par 5 ans, en application de l'art. 128 ch. 3 CO. Elle estime cependant que le délai a été suspendu pendant toute la durée des fonctions diplomatiques de l'intimé en raison du fait qu'il était impossible de faire valoir la créance devant un Tribunal suisse, puisque l'intimé bénéficiait d'une immunité de juridiction.

Pour les raisons exposées ci-dessus, il convient de retenir que l'intimé ne bénéficiait pas d'une telle immunité.

En tout état de cause, même si cela avait été le cas, l'immunité, celle-ci aurait pu être levée en application de l'art. 32 de la Convention de Vienne. L'appelante, qui était représentée par un conseil expérimenté, ne pouvait dans ce cadre se limiter à adresser une demande de levée de l'immunité à une autorité incompétente, à savoir le Département genevois des institutions – au lieu de la Mission permanente de la Suisse – et ne plus rien faire par la suite. Il lui incombait au contraire d'interpeller les autorités compétentes sur la suite donnée à sa requête, et, cas échéant, de déposer une demande par devant le Tribunal des prud'hommes, laquelle aurait éventuellement pu être suspendue dans l'attente de l'issue de la procédure relative à la levée de l'immunité, comme le suggère l'intimé.

Il ressort d'ailleurs de la décision du Vice-président du Tribunal de première instance du 22 avril 2005 que l'assistance juridique avait à l'époque été demandée par l'appelante non seulement en vue du dépôt d'une plainte pénale, mais également aux fins d'engager une procédure par devant le Tribunal des Prud'hommes. Or le fait que l'intimé puisse, cas échéant, bénéficier d'une immunité de juridiction pénale n'a pas empêché l'appelante de déposer plainte pénale contre lui en septembre 2005.

L'appelante avait ainsi la possibilité de faire valoir sa créance devant un Tribunal suisse, de sorte que la prescription n'a pas cessé de courir en application de l'art. 134 al. 1 ch. 6 CO.

L'appelante allègue que les rapports de travail ont pris fin le 30 avril 2005. Toutes ses créances en relation avec le contrat de travail devenaient ainsi exigibles à partir de cette date de sorte que c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que ses prétentions à titre de salaire, indemnité pour jours fériés, vacances non prises et indemnité pour licenciement abusif étaient prescrites

5. L'appelante fait encore valoir qu'elle détient à l'encontre de l'intimé une créance en dommages-intérêts pour les frais d'avocat engagés durant les pourparlers devant l'Amiable compositeur entre mars 2005 et avril 2006 et que cette créance se prescrit par quinze ans puisqu'elle découle d'une infraction pénale, à savoir l'usure. L'intimé relève pour sa part avoir fait opposition à l'ordonnance pénale dont il a fait l'objet le 15 mai 2013 et conteste l'applicabilité de la prescription pénale.

5.1 Selon l'art. 60 al. 2 CO, si les dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée que celle prévue par l'art. 60 al. 1 CO, cette prescription s'applique à l'action civile.

5.2 En l'espèce, c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que l'appelante n'avait pas subi de dommage en relation avec les frais d'avocats engagés devant l'amiable compositeur, puisque ces frais ont été entièrement pris en charge par l'assistance judiciaire.

Il n'est par conséquent pas nécessaire d'examiner la réalisation des autres conditions relatives à l'existence la créance alléguée par l'appelante ni la question du délai de prescription applicable à cette prétention.

Le grief de l'appelante sur ce point est ainsi également infondé.

6. L'intimé fait pour sa part valoir dans son appel joint qu'il a droit au remboursement de ses frais d'avocat engagés avant l'ouverture du procès par devant le Tribunal des prud'hommes.

Il ne résulte cependant pas du dossier que l'appelante aurait commis une violation contractuelle ou un acte illicite duquel une obligation d'indemniser l'intimé pourrait être déduite. Comme le relève à juste titre l'appelante, l'intimé ne formule d'ailleurs aucune allégation à cet égard.

Le jugement de première instance doit ainsi également être confirmé en tant qu'il a débouté l'intimé de toute ses conclusions reconventionnelles

7. La procédure est gratuite (art. 114 let. c CPC).

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ et l'appel joint formé par B______ contre le jugement rendu le 5 mars 2014 par le Tribunal des prud'hommes.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame Denise BOËX, juge employeur, Madame Béatrice BESSE, juge salariée; Madame Véronique BULUNDWE-LEVY, greffière.















Indication des voies de recours et valeur litigieuse
:

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à
15'000.- fr.