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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/24427/2021

ACJC/512/2024 du 24.04.2024 sur JTBL/614/2023 ( OBL ) , MODIFIE

Normes : CO.255; CO.18
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24427/2021 ACJC/512/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MERCREDI 24 AVRIL 2024

 

Entre

SI A______ SA, c/o B______ SA (Bureau d'Architecture), ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 27 juin 2023, représentée par Me Ksenya DESHUSSES, avocate, chemin Briquet 26, case postale 306,
1211 Genève 19,

et

C______ (SWITZERLAND) AG, sise ______ [ZG], intimée, représentée par
Me Daniel PEREGRINA, avocat, Esplanade Pont-Rouge 2, 1212 Grand-Lancy.



EN FAIT

A. Par jugement JTBL/614/2023 du 27 juin 2023, communiqué pour notification aux parties le 21 juillet 2023, le Tribunal des baux et loyers a constaté que le contrat de bail portant sur la station-service sise no. ______, chemin 1______ à Genève, « conclu entre SI A______ SA et C______ (SWITZERLAND) SA propriétaire », était un contrat de durée indéterminée (ch. 1 du dispositif), déclaré nul le congé notifié à C______ (SWITZERLAND) SA le 15 décembre 2020 pour le 31 décembre 2021 (ch. 2), débouté SI A______ SA de sa demande reconventionnelle (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

En substance, la bailleresse n'avait pas établi que les parties auraient souhaité se lier par un contrat de durée déterminée. Interprété selon le principe de la confiance, le texte contractuel faisait clairement état d'un contrat de durée indéterminée. La clause de reconduction tacite avait été modifiée, certaines parties étant barrées, ce qui donnait à penser qu’il s’agissait d’une clause intentionnellement inscrite dans le contrat. Dès lors que le congé n’avait pas été signifié au moyen d’une formule officielle, il devait être déclaré nul. Le fait que C______ SA n'avait invoqué la nullité qu'après que les négociations entre les parties en vue d'un nouveau contrat avaient échoué ne pouvait être considéré comme contraire à la bonne foi.

B. a. Par acte déposé le 13 septembre 2023 au greffe de la Cour de justice, SI A______ SA appelle de ce jugement, sollicitant qu’il soit annulé et, cela fait, qu’il soit constaté que le contrat de bail a pris fin le 31 décembre 2021 et que C______ (SWITZERLAND) SA occupe illicitement les locaux depuis le 1er janvier 2022, que cette dernière soit condamnée à libérer les locaux de tous biens et de toutes personnes immédiatement ou dans un délai maximal de trois mois si des travaux de démantèlement et de remise en l’état sont nécessaires, qu’elle soit condamnée au paiement d’une indemnité pour occupation illicite de 23'400 fr. par mois, avec intérêts à 5% à partir de chaque échéance, jusqu'à la libération des locaux, que l’exécution immédiate et directe du jugement soit ordonnée, au besoin avec l’aide d’un huissier judiciaire et des forces de l’ordre, sous la menace des peines de l’art. 292 CP, que C______ (SWITZERLAND) SA soit condamnée à payer une amende de 1'000 fr. au plus, ou tout autre montant qui sera adapté aux circonstances, par jour d’inexécution, et qu’il soit
constaté que l’objet de la location n’est pas exploité personnellement par C______ (SWITZERLAND) SA, mais par D______ SA, à tout le moins depuis le 1er janvier 2012.

b. Dans sa réponse du 16 octobre 2023, C______ (SWITZERLAND) SA conclut à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par réplique et duplique des 29 novembre 2023 et 4 janvier 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été avisées par plis du greffe du 2 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. C______ (SWITZERLAND) SA (ci-après : C______ SA) est locataire d’une station-service sise no. ______, chemin 1______ à Genève, depuis une cinquantaine d’années.

La station-service est, depuis à tout le moins une vingtaine d'années, exploitée en franchise par D______ SA.

b. En 1986, E______, alors propriétaire, et C______ SA ont conclu un nouveau contrat de bail portant sur la station-service pour une durée de 10 ans, du 1er janvier 1986 au 31 décembre 1995. Le contenu de cet accord, non versé à la procédure, et les circonstances ayant entouré sa conclusion sont inconnus.

c. En 1987, la propriétaire et la locataire ont eu des pourparlers concernant la prise en charge d’importants travaux imposés par la Département des Travaux Publics pour l’exploitation de la station-service.

d. En 1992, les parties ont conclu un nouveau contrat de bail portant sur le même objet, d’une durée de 13 ans, du 1er juillet 1992 au 31 décembre 2005. Le loyer annuel a été fixé à 102'984 fr, montant réputé adapté à l'ISPC.

Le contrat prévoyait, à son article 3, paragraphe 1, que six mois au moins avant la fin du bail, les parties devaient s'avertir par écrit de leurs intentions au sujet de sa résiliation ou de son renouvellement. Leur silence à cet égard servait d'acquiescement à sa continuation pour une durée d’une année, toutes les conditions du bail restant en vigueur, et ainsi de suite, d’année en année. En complément à cette clause, l’art. 33 des clauses particulières du contrat stipulait que le propriétaire accordait d’ores et déjà à la locataire une option de cinq ans dès la fin du contrat, soit du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2010. Sans avis de la locataire douze mois au moins avant la fin du bail, cette prolongation était effective.

e. Le 1er mai 2005, C______ SA a sous-loué une partie des locaux – adjacents à la station-service en tant que telle – à F______ et G______, pour une durée déterminée du 1er mai 2005 au 31 décembre 2010. L'attention des sous-locataires a été attirée sur le fait que le bail principal avait été conclu pour une durée fixe jusqu'à cette dernière date.

f. Durant l’été 2011, C______ SA, qui occupait toujours les locaux, a fait part à la propriétaire de ce qu’elle devait effectuer d’importants travaux avant le 31 décembre 2014, pour la mise en conformité des citernes avec la loi fédérale sur la protection des eaux. Elle a également relevé que les conditions de vente de la station-service étaient très restreintes par rapport à d’autres sites de stations-service en raison de servitudes sur le magasin qui ne pouvaient être levées. Par courrier du 30 août 2011, elle a ainsi proposé de verser un loyer annuel de 95'000 fr., précisant qu’un loyer supérieur était impossible au vu des importants frais d’investissement et des restrictions dans les ventes de la boutique.

g. Le 5 décembre 2011, E______ et C______ SA ont conclu un nouveau contrat de bail portant sur la location de la station-service, pour un loyer annuel de 95'004 fr, montant réputé adapté à l'ISPC.

Le bail a été conclu pour une durée de 10 ans, du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2021.

Le contrat contient la clause suivante, intitulée « renouvellement et résiliation »:

« Douze mois (six mois au minimum) au moins avant la fin du bail, les parties doivent s'avertir par écrit de leurs intentions au sujet de sa résiliation ou de son renouvellement; leur silence à cet égard sert d'acquiescement à sa continuation pour une durée de dix années (minimum six mois), toutes les conditions du présent bail restant en vigueur, et ainsi de suite, de cinq années ou mois en cinq années ou mois (biffez les mentions qui ne conviennent pas). »

En complément à cette disposition, l’art. 52 des clauses particulières jointes au contrat accordait la faculté à la locataire de résilier unilatéralement le bail pour le 31 décembre 2021 et pour le 31 décembre 2026, moyennant un préavis de 12 mois.

A teneur de l'art. 44 des clauses particulières, en dérogation aux Conditions générales pour locaux commerciaux appliquées dans le canton de Genève, la locataire était autorisée, sous sa propre responsabilité, à faire exploiter les locaux loués par un gérant de son choix.

Une clause de non-concurrence avec les activités d'un centre commercial voisin, interdisant à la locataire la vente d'objets n'étant pas en rapport avec l'activité automobile, était par ailleurs prévue à l'art. 47 des clauses particulières.

h. Par contrat du 6 juin 2012, C______ SA a sous-loué une partie des locaux – adjacents à la station-service en tant que telle – à H______ SARL, pour une durée déterminée du 1er août 2012 au 31 décembre 2021. L'attention de la sous-locataire a été attirée sur le fait que le bail principal avait été conclu pour une durée fixe jusqu'à cette dernière date.

i. Par pli recommandé du 15 décembre 2020, SI A______ SA, devenue propriétaire de la station-service à une date indéterminée, a informé C______ SA qu'elle n'avait pas l'intention de renouveler le bail après son échéance du 31 décembre 2021. Elle entendait en effet réaliser dès cette date un projet de construction de logements sur la parcelle en question. La bailleresse demandait à C______ SA de prendre contact avec son gestionnaire immobilier, B______ SA en vue de la restitution des locaux, impliquant un certain nombre d'obligations contractuelles pour la locataire.

j. La propriétaire, essentiellement par l'intermédiaire de B______ SA, et la locataire, souvent représentée par son gestionnaire immobilier, I______ SA, ont par la suite échangé une correspondance au sujet d'une possibilité d'intégration d'une station-service au sein du projet de construction de SI A______ SA.

k. Le 14 septembre 2021, B______ a informé I______ SA que le projet de construction était suspendu, en raison de la mise en consultation par l’Etat de Genève d’un nouveau plan du site. Elle proposait de faire parvenir à C______ SA un nouveau contrat de bail.

l. Un projet de bail pour une durée d'une année a été élaboré par B______ SA et envoyé à C______ SA le 11 octobre 2021. Cette dernière a souhaité y ajouter notamment une clause d'autorisation d'exploitation de la station-service par un tiers.

m. Par courrier du 18 novembre 2021, le conseil de la bailleresse a fait parvenir à J______, directeur adjoint de I______ SA, une proposition de conditions pour la location des surfaces exploitées comme station-service, moyennant un loyer fixé à hauteur de 30% du chiffre d'affaires de celle-ci. A défaut d'acceptation de ces conditions, le contrat de C______ SA serait arrivé à échéance le 31 décembre 2021. Il était relevé que la résiliation du bail du 15 décembre 2020 n'avait pas été contestée.

n. J______ a répondu le 19 novembre 2021 que la résiliation du contrat de bail entre C______ SA et SI A______ SA n'avait pas été contestée en raison de discussions entre ces deux entités au sujet d'un projet de construction commun et la conclusion d'un nouveau contrat à cette fin. Pour la prolongation du contrat, il s'est référé au projet qui lui avait été transmis par B______ SA le 11 octobre 2021.

o. La bailleresse a indiqué le 22 novembre 2021 qu'elle avait renoncé audit projet après avoir appris que la locataire entendait faire exploiter les locaux par un tiers, ce qui n'était pas acceptable pour elle.

p. La locataire n'a pas donné suite à la proposition du 18 novembre 2021. Selon elle, le pourcentage du chiffre d'affaires demandé à titre de loyer représentait un montant bien plus élevé que le précédent loyer et elle n'était pas en mesure de l'assumer.

q. Par requête du 10 décembre 2021, déclarée non conciliée à l'audience de la Commission de conciliation du 4 février 2022 et portée devant le Tribunal le 8 mars 2022, C______ SA a conclu principalement à ce que le Tribunal constate la nullité de la résiliation du bail du 15 décembre 2020 et à ce qu'il soit dit en conséquence que le contrat de bail liait les parties jusqu'au 31 décembre 2031.

Le contrat de bail avait été conclu pour une durée indéterminée. Dès lors, en l'absence de notification du formulaire officiel de résiliation de bail, le congé était nul.

r. H______ SARL a quitté les locaux sous-loués le 31 décembre 2021.

s. Dans sa réponse du 9 juin 2022, la SI A______ SA a conclu au déboutement de la locataire de l'ensemble de ses conclusions.

Elle n'acceptait plus le versement de loyers de la part de la locataire depuis le 1er janvier 2022, afin qu'il ne puisse pas être considéré qu'elle consentait à une prolongation du bail. Elle n’avait découvert que durant les discussions en vue d'un nouveau contrat de bail que la station-service n'était en réalité pas exploitée par C______ SA. En tout état de cause, la poursuite envisagée d'une relation contractuelle avait été subordonnée à la façon dont le projet de construction de la propriétaire avancerait. Enfin, s’il était admis que le bail était de durée indéterminée, C______ SA devrait être déchue de son droit à invoquer la nullité à la fin du contrat de bail, en raison de la mauvaise foi dont elle aurait fait preuve.

SI A______ SA a formé une demande reconventionnelle, concluant à l’exécution de travaux de remise en état au cas où le pré-état des lieux en révélerait la nécessité, au paiement d’une indemnité pour occupation illicite de 23'400 fr. par mois, avec intérêts à 5% à partir de chaque échéance, jusqu'à la libération des locaux, et à l’évacuation de la locataire, avec exécution directe.

Le loyer contractuel avait, selon elle, été adapté à la baisse en raison d'un investissement de la locataire, qui se trouvait amorti à l'échéance du contrat. Le montant mensuel réclamé de 23'400 fr. résultait d'une estimation de loyer effectuée par une régie immobilière de la place.

t. Dans sa réponse à la demande reconventionnelle du 16 août 2022, C______ SA a conclu au rejet de celle-ci. Elle a persisté dans la thèse de la nullité du congé et, pour le cas où celle-ci ne serait pas retenue, elle s'est opposée à une augmentation de loyer. Elle a relevé que loyer contractuel tenait également compte du fait que son activité commerciale était amplement limitée par la clause de non-concurrence avec les autres activités du centre commercial.

u. A l'audience du Tribunal du 20 octobre 2022, SI A______ SA a pris une conclusion supplémentaire, demandant au Tribunal de constater que l'objet de la location n'était pas exploité personnellement par C______ SA, à tout le moins depuis le début du contrat de bail litigieux.

C______ SA a conclu au rejet de cette conclusion, l'exploitation des locaux par un tiers étant selon elle autorisée par le contrat entre les parties.

v. A l'audience du Tribunal du 16 mars 2023, le représentant de C______ SA a déclaré que celle-ci avait consulté pour la première fois un avocat, dans le cadre du congé signifié, après avoir reçu la proposition de la bailleresse du 18 novembre 2021.

L’administrateur de la bailleresse a déclaré que le projet de construction devait être revu, un nouveau plan de site étant entré en vigueur.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).

En l'espèce, le loyer annuel de l'objet litigieux, charges comprises, s'élève à 95'004 fr., de sorte que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2 En vertu de l'art. 311 al. 1 CPC, il incombe à l'appelant de motiver son appel. Selon la jurisprudence, il doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique. Ainsi, si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts du Tribunal fédéral 4A_621/2021 du 30 août 2022 consid. 3.1, 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2).

En l’espèce, bien que l’argumentation juridique de l’appelante mélange les principes d’interprétation du contrat, en invoquant tantôt le principe de la confiance tantôt la volonté réelle des parties, on comprend qu’elle reproche au Tribunal de pas avoir pris en considération les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat pour retenir la volonté commune des parties de conclure un contrat de durée déterminée.

Déposé dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al.1 CPC, en tenant compte de la suspension de délai de l'art. 145 al. 1 let. b CPC), l’appel est donc recevable.

Il ne sera néanmoins pas tenu compte des différents renvois aux écritures de première instance, cette manière de faire ne répondant pas aux exigences de motivation de l’art. 311 al. 1 CPC.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit ou constatation inexacte des faits (art. 310 CPC).

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; Retornaz, Procédure civile suisse, les grands thèmes pour les praticiens. Neuchâtel 2010, p. 349 ss, n° 121).

2. 2.1 C’est en vain que l’appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir traité l’abus de droit invoqué en première instance, le Tribunal ayant clairement rejeté cet argument en retenant la bonne foi de l’intimée.

2.2 L’appelante reproche également au premier juge d’avoir écarté des moyens de preuve sans explication.

Il sera à cet égard rappelé que le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1).

En l’espèce, l'argumentation développée par le Tribunal est suffisante pour comprendre son raisonnement. L’appelante l’a d'ailleurs suffisamment comprise pour la critiquer.

3. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir interprété le contrat en se fondant uniquement sur le texte d’une de ses clauses, faisant ainsi abstraction des circonstances ayant entouré la conclusion du bail en 2011. Les parties étaient au bénéfice d’une succession de contrats de durée déterminée qui s’étaient parfois transformés en contrats de durée indéterminée par l’effet de leur renouvellement tacite. Dans ces situations, la locataire résiliait le contrat de bail de durée indéterminée pour convenir avec la bailleresse d’une nouvelle relation tenant compte de l’investissement pris en charge par elle dans le cadre de travaux d’emménagement ou de mise en conformité d’envergure, dans le domaine de l’exploitation et de l’entretien de la station-service. Le contrat du 5 décembre 2011 avait été conclu pour une durée ferme de 10 ans, car il s'agissait de rembourser l’intimée pour les travaux qu'elle avait pris à sa charge, moyennant un loyer réduit durant cette période. La formulation contractuelle, reprise par la régie d'un formulaire type, ne correspondait dès lors pas à la volonté des parties.

3.1.
3.1.1
Le contrat de bail à loyer peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Il est de durée déterminée lorsqu'il doit prendre fin, sans congé, à l'expiration de la durée convenue (art. 255 al. 1 et 2 et art. 266 al. 1 CO). Les autres baux sont réputés conclus pour une durée indéterminée (art. 255 al. 3 CO).

Doit en particulier être qualifié de contrat à durée indéterminée au sens de l'art. 255 al. 3 CO le bail dit « congéable » conclu initialement pour une certaine durée, mais reconductible si aucune partie ne donne son congé (comportant une clause de tacite reconduction) (ATF 121 III 397 consid. 2b/bb; 114 II 165 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.1; 4C_61/2005 du 27 mai 2005 consid. 3; Lachat, in Commentaire Romand CO I, 3ème éd. 2021, n. 7 ad art. 255 CO).

Un tel contrat revêt le caractère de bail à durée indéterminée ab ovo et non pas seulement lorsqu'il est reconduit (arrêt du Tribunal fédéral 4C_61/2005 du 27 mai 2005 consid. 3).

3.1.2 Le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d'une manière concordante, manifesté leur volonté (art. 1 al. 1 CO). Cette manifestation peut être expresse ou tacite (art. 1 al. 2 CO).

A teneur de l'art. 18 al. 1 CO, pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention.

Le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. S'il ne parvient pas à déterminer cette volonté, ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté manifestée par l'autre - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves - il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective). Le juge doit rechercher, par l'interprétation selon la théorie de la confiance, quel sens les parties pouvaient ou devaient donner, de bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques (principe de la confiance). Le principe de la confiance permet ainsi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même s'il ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 142 III 671 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; 136 III 186 consid. 3.2.1; 135 III 295 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2017 du 12 mars 2018 consid. 5.1).

Constituent des indices permettant de déterminer la réelle et commune intention des parties non seulement la teneur des déclarations de volonté, écrites ou orales, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_643/2020 du 22 octobre 2021 consid. 4.2).

3.2 En l’espèce, l’intimée loue l’immeuble litigieux depuis de très nombreuses années. Un nouveau contrat de bail a été négocié en 1992 et 2011 pour tenir notamment compte de travaux nécessaires à la continuation de l’exploitation d’une station-service. La continuité du bail au travers des décennies et son adaptation à de nouvelles circonstances plaident en faveur d’une volonté commune des parties d'une relation durable. Les contrats de bail produits, soit celui de 1992 et celui du 5 décembre 2011, contiennent au demeurant une clause de reconduction tacite. En effet, ces accords prévoient clairement qu'en l'absence de résiliation intervenue dans un délai déterminé avant le terme prévu, les rapports continuent aux mêmes conditions pour une durée d’une année et ainsi de suite s’agissant du contrat de 1992 et pour une durée de dix ans et ainsi de suite de cinq ans en cinq ans pour celui du 5 décembre 2011. Les parties ont ainsi voulu la poursuite de leur relation contractuelle en l'absence de résiliation de leur part. Dans ce contexte, la notification d'un congé s'avère nécessaire pour mettre un terme au contrat, de sorte que ces contrats doivent être qualifiés de contrats à durée indéterminée. Le fait que les parties doivent, selon les contrats, s'avertir par écrit de leurs intentions au sujet de la résiliation ou de son renouvellement n'y change rien, puisque leur silence à cet égard vaut acquiescement à leur renouvellement.

S’agissant plus particulièrement du contrat du 5 décembre 2011, objet de la présente cause, la clause de reconduction tacite a été modifiée, certaines mentions étant barrées, ce qui vient conforter la thèse selon laquelle cette disposition a été discutée par les parties lors de la conclusion du bail, et partant insérée intentionnellement dans le contrat. La faculté donnée à la locataire de résilier unilatéralement le bail pour le 31 décembre 2026, soit pour une date allant au-delà de la durée initiale du contrat, atteste également de l’intention des parties de poursuivre la relation contractuelle au-delà du 31 décembre 2021 aux mêmes conditions.

Si l’intimée a conclu des contrats de sous-location de durée déterminée en 2005 et 2012 attirant l’attention des sous-locataires respectifs sur le fait que le bail principal était à terme fixe, cet élément ne suffit pas à remettre en cause la volonté réelle des parties au contrat principal de conclure un contrat à durée indéterminée. L’insertion de cette mention peut s’expliquer par une volonté de l’intimée de s’assurer que le sous-locataire ne remettrait pas en cause le terme fixe du contrat de sous-location, étant rappelé que ces contrats de sous-location constituent une res inter alios acta.

Par conséquent, il y a lieu de retenir que les parties ont eu la réelle et commune intention de conclure, le 5 décembre 2011, un contrat de bail de durée indéterminée.

4. 4.1 Lorsque le bail est de durée indéterminée, une partie peut le résilier en observant les délais de congé et les termes légaux, sauf si un délai plus long ou un autre terme ont été convenus (art. 266a al. 1 CO).

A teneur de l'art. 266l CO, le congé des baux de locaux commerciaux doit être donné par écrit et en utilisant une formule agréée par le canton (formule officielle), qui indique au locataire la manière dont il doit procéder s'il entend contester le congé ou demander la prolongation du bail.

Le congé qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux art. 266l à 266n est nul (cf. art. 266o CO). Cette informalité peut être soulevée en tout temps (ATF
121 III 156 consid. 1c/bb; arrêts du Tribunal fédéral 4A_351/2015 du 5 août 2015 consid. 3.2 et 4C_124/2005 du 26 juillet 2005 consid. 3.2).

4.2 En l’espèce, l’appelante n’a pas notifié le congé au moyen de la formule officielle, de sorte que celui-ci est nul.

5. L’appelante se prévaut de l’abus de droit, l’intimée, entourée de personnes avisées, ne s’étant pas opposée à l’annonce du congé et s’étant empressée de tenter de se placer comme partenaire dans le projet immobilier envisagé par la bailleresse. La locataire avait attendu une année avant de déposer son action en nullité. Dans ses dernières écritures, l’appelante soutient que l’intimée aurait par son comportement acquiescé au congé.

5.1 L'invocation de la nullité de la résiliation peut constituer un abus de droit (ATF 121 III 156 consid. 1c/bb; arrêts du Tribunal fédéral 4A_351/2015 du 5 août 2015 consid. 3.2 et 4C_124/2005 du 26 juillet 2005 consid. 3.2), notamment lorsque le locataire utilise une institution juridique contrairement à son but, pour satisfaire des intérêts qui ne sont pas protégés par la norme, ou lorsqu'il se rend compte du vice de forme mais s'abstient de protester dans le dessein d'en tirer ultérieurement profit (ATF 140 III 583 consid. 3.2.4; 138 III 401 consid. 2, SJ 2012 I 446; 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1).

5.2 En l’espèce, les éléments au dossier ne permettent pas de retenir que l’intimée aurait volontairement gardé le silence sur l’inefficacité du congé. Au vu de l’écoulement du temps depuis la conclusion du contrat de bail et compte tenu du fait que la locataire est une personne morale, on ne saurait reprocher à ses représentants actuels d’avoir de bonne foi tenté de conserver l’exploitation de la station-service en entamant des négociations en vue de la conclusion d’un nouveau contrat de bail. L’action en nullité a été introduite après que la bailleresse a signifié son refus de conclure un nouveau contrat de bail aux conditions similaires à l’ancien. En tout état de cause, même à supposer que la locataire ait invoqué plus tôt la nullité du congé, la situation serait inchangée, dès lors que le congé a été annoncé quinze jours avant la fin du délai de résiliation et que la notification d’un congé valable n’aurait vraisemblablement pas pu intervenir avant le 31 décembre 2020. Le contrat se serait ainsi renouvelé dans cette hypothèse également. Au surplus, l’appelante n’allègue, ni ne prouve, l’avantage qu’aurait tiré l’intimée à garder le silence pendant un an. Enfin, il ne peut être déduit de l’attitude de l’intimée, qui a tenté d’obtenir tout au long des négociations un nouveau contrat de bail, qu’elle aurait été d’accord avec le congé annoncé par l’appelante le 15 décembre 2020.

Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que le congé était nul.

Les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement attaqué seront donc confirmés.

Par souci de clarté, le chiffre 1 - constatant que le contrat de bail est de durée indéterminée - sera rectifié en tant qu’il désigne par inadvertance l’intimée comme étant la propriétaire du bien loué.

6. L’appelante fait enfin grief au Tribunal de ne pas avoir donné suite à ses conclusions tendant au constat que la station-service n’était pas exploitée personnellement par l’intimée à tout le moins depuis janvier 2012.

6.1 Conformément à l'art. 59 al. 1 et al. 2 let. a CPC, le tribunal n'entre en matière sur les demandes et les requêtes que lorsque le demandeur ou le requérant a un intérêt digne de protection.

Selon un principe général de procédure, les conclusions en constatation de droit ne sont recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues; sauf situations particulières, les conclusions constatatoires ont donc un caractère subsidiaire (ATF 141 II 113 consid. 1.7; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1060/2016 du 13 juin 2017 consid. 1.2).

6.2 En l’espèce, le premier juge a considéré que la recevabilité de la conclusion tendant à la constatation que la locataire n’exploitait pas elle-même la station-service était douteuse faute d'intérêt juridique à une telle constatation. En tout état de cause, il n’y avait pas lieu d’y donner suite, dans la mesure où la locataire ne contestait pas ce point.

En appel, la bailleresse soutient que l’exploitation par un tiers franchisé constitue une sous-location à laquelle elle n’aurait pas consenti. Il s’agirait ainsi de la preuve du comportement abusif de la locataire dans leur relation contractuelle. Le Tribunal aurait ainsi dû admettre le lien juridique entre cette conclusion en constatation et la présente cause, et partant également examiner toute l’étendue de l’abus de droit commis par l’intimée.

Ces explications ne convainquent pas. L’intimée ne conteste pas qu’elle n’exploite pas personnellement la station-service. Elle considère être en droit de le faire, se fondant sur l'art. 44 des clauses particulières du contrat de bail. La présente cause ne traite pas de cette question, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce point.

Dans ces circonstances, l’appelante n’a aucun intérêt actuel à la constatation sollicitée. Le Tribunal n’avait donc pas à entrer en matière.

L’appel est donc infondé sur ce point également de sorte que le jugement entrepris entièrement confirmé.

7. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 13 septembre 2023 par SI A______ SA contre le jugement JTBL/614/2023 rendu le 27 juin 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/24427/2021.

Au fond :

Rectifie de la manière suivante le chiffre 1 du dispositif de ce jugement :

Constate que le contrat de bail portant sur la station-service sise no. ______,
chemin 1______ à Genève, conclu entre SI A______ SA, propriétaire, et C______ (SWITZERLAND) SA, locataire, est un contrat de durée indéterminée.

Confirme le jugement pour le surplus.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Serge PATEK, Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.