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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3485/2021

ATAS/794/2022 du 09.09.2022 ( LPP ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3485/2021 ATAS/794/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 9 septembre 2022

5ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, à Nyon, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Emilie CONTI MOREL

 

 

demanderesse

 

contre

AXA FONDATION LPP SUISSE ROMANDE, WINTERTHUR, sise c/o AXA VIE SA, General Guisan-Strasse 40, Winterthur, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Didier ELSIG

 

 

défenderesse

 

EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée ou la demanderesse), née en ______ 1970, ressortissante française, a été engagée en qualité de « marketing manager, aircraft operations » par la B______, Bruxelles, succursale de Meyrin (ci-après : la B______), dès le 1er mars 2000.

b. En application de l'Accord entre le Conseil fédéral suisse et la B______ pour régler le statut fiscal de la B______ et de son personnel en Suisse, du 4 juin 1992, l'assurée, pendant la durée de ses fonctions, était exonérée des impôts fédéraux, cantonaux et communaux. Par ailleurs, elle n'était pas soumise au régime de la sécurité sociale suisse, raison pour laquelle la B______ était tenue de lui offrir une protection sociale équivalente.

c. De ce fait, l'assurée a été affiliée, notamment pour le risque invalidité, auprès de AXA Fondation LPP suisse romande, Winterthur (ci-après : AXA ou la Fondation ou la défenderesse), institution de prévoyance enregistrée.

d. À compter du 1er novembre 2018, l'assurée a été en incapacité de travail.

e. Selon le décompte de prestations du 9 novembre 2020, AXA, à l'échéance d'un délai d'attente de vingt-quatre mois (1er novembre 2020), a mis l'assurée au bénéfice d'une rente d'invalidité entière, à hauteur de CHF 8'240.50 par mois, assortie de deux rentes d'enfant d'invalide de CHF 2'354.30 par mois pour chacun des deux fils de l'assurée, nés le ______ 2000. Il y était indiqué que « les rentes dues ont été déterminées sur la base du calcul de la surindemnisation : conformément aux dispositions réglementaires, les prestations d'invalidité sont réduites lorsque, additionnées aux autres revenus à prendre en compte, elles dépassent 90 % du revenu dont on peut supposer que la personne assurée est privée ».

f. Par courrier du 21 mai 2021, l'assurée, sous la plume de son conseil, a contesté la réduction de sa rente d'invalidité et de celle de ses enfants en raison d'un cas de surindemnisation, au motif, en particulier, qu'elle ne touchait pas de prestations d'autres assurances vu l'absence de son assujettissement au système suisse de sécurité sociale.

g. Le 8 juin 2021, AXA a maintenu sa position.

B. a. Par acte du 12 octobre 2021, l'assurée, représentée par son avocate, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d'une demande en paiement à l'encontre d'AXA, en concluant, sous suite de frais et dépens, à la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de CHF 34'532.- avec intérêts à 1 % l'an dès le 12 octobre 2021, correspondant au montant supplémentaire des prestations d'invalidité qu'elle aurait perçu pour la période du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021 si elles n'avaient pas été réduites pour cause de surindemnisation.

b. Dans sa réponse du 17 janvier 2022, la défenderesse a conclu au rejet de la demande en paiement.

c. Par réplique du 28 février 2022 et duplique du 16 mars 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

e. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220] ; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

1.1 Selon l'art. 73 LPP, chaque canton désigne un tribunal qui connaît, en dernière instance cantonale, des contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit (al. 1).

1.1.1 Cette disposition s'applique, d'une part, aux institutions de prévoyance enregistrées de droit privé ou de droit public - aussi bien en ce qui concerne les prestations minimales que les prestations plus étendues (art. 49 al. 2 LPP) - et, d'autre part, aux fondations de prévoyance en faveur du personnel non enregistrées (art. 89bis al. 6 CC - art. 89a al. 6 depuis le 1er janvier 2013 ; ATF 122 V 320 consid. 2a).

1.1.2 La compétence des autorités visées par l'art. 73 LPP est doublement définie.

Elle l'est, tout d'abord, quant à la nature du litige : il faut que la contestation entre les parties porte sur des questions spécifiques de la prévoyance professionnelle, au sens étroit ou au sens large. Ce sont donc principalement des litiges qui portent sur des prestations d'assurance, des prestations de libre passage (actuellement prestations d'entrée ou de sortie) et des cotisations. En revanche, les voies de droit de l'art. 73 LPP ne sont pas ouvertes lorsque la contestation a un fondement juridique autre que le droit de la prévoyance professionnelle, même si elle devait avoir des effets relevant du droit de ladite prévoyance (ATF 122 V 320 consid. 2b).

Cette compétence est également limitée par le fait que la loi désigne de manière non équivoque les parties pouvant être liées à une contestation, à savoir les institutions de prévoyance, les employeurs et les ayants droit. Il s'agit des institutions de prévoyance enregistrées qui participent au régime de l'assurance obligatoire (art. 48 al. 1 LPP), avec la possibilité d'étendre la prévoyance au-delà des prestations minimales (institutions de prévoyance dites « enveloppantes » ; art. 49 al. 2 LPP). Ces institutions doivent revêtir la forme d'une fondation ou d'une société coopérative, ou être une institution de droit public (art. 48 al. 2 LPP et art. 331 al. 1 CO ; ATF 122 V 320 consid. 2b).

1.2 Selon l'art. 73 al. 3 LPP, le for est au siège ou domicile suisse du défendeur ou au lieu de l'exploitation dans laquelle l'assuré a été engagé.

1.3 Les institutions de prévoyance ne sont pas habilitées à rendre des décisions à l'égard de leurs affiliés. Les prétentions émises en matière de prévoyance professionnelle - que ce soit par les institutions de prévoyance elles-mêmes, les ayants droit ou les employeurs - doivent l'être par voie d'action (ATF 115 V 224 consid. 2). L'ouverture de l'action prévue à l'art. 73 al. 1 LPP n'est soumise, comme telle, à l'observation d'aucun délai (ATAS/708/2015 consid. 2 ; Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, RJN 1984, p. 19).

1.4 En l'espèce, la défenderesse est une institution de prévoyance enregistrée de droit privé au sens de l'art. 48 LPP, sise à Winterthur, qui pratique le régime obligatoire (2a) et sur-obligatoire (2b), selon les informations ressortant du registre du commerce du canton de Zurich. Elle admet avoir conclu en faveur de la demanderesse un contrat de prévoyance professionnelle plus étendue. Celle-ci lui réclame le montant supplémentaire des prestations d'invalidité (rente principale et rentes d'enfant) qu'elle aurait perçu en l'absence de réduction pour cause de surindemnisation. La contestation porte dès lors sur une question spécifique de la prévoyance professionnelle. Par ailleurs, la demanderesse a travaillé pour une succursale d'une société étrangère, située dans le canton de Genève.

La chambre de céans est par conséquent compétente ratione materiae et loci pour connaître du contentieux.

La demande respecte en outre la forme prévue à l'art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Partant, la demande du 12 octobre 2021 est recevable.

2.             La LPP ne prévoit pas l’application de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), en dehors des cas visés par l'art. 34a LPP (et le renvoi des art. 18 let. c et 23 let. c LPP à l'art. 8 al. 2 LPGA ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.128/05 du 25 juillet 2006 consid. 1). L'art. 69 LPGA, qui règle la question de la surindemnisation, n'est pas applicable à la prévoyance professionnelle (ATF 130 V 78 consid. 1.2).

3.             Le litige porte sur le montant des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle plus étendue (rente principale et rentes d'enfant) dont peut se prévaloir la demanderesse pour la période du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021, singulièrement sur la question de savoir si la défenderesse était fondée à réduire lesdites prestations en raison d'une surindemnisation.

4.             Selon l'art. 34a al. 1 LPP (dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017), l’institution de prévoyance peut réduire les prestations de survivants et d’invalidité dans la mesure où celles-ci, ajoutées à d’autres prestations d’un type et d’un but analogues ainsi qu’à d’autres revenus à prendre en compte, dépassent 90 % du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé.

4.1 En cas de concours de prestations prévues par la LPP avec des prestations prévues par d’autres assurances sociales, l’art. 66 al. 2 LPGA est applicable (art. 34a al. 2 1ère phrase LPP), disposition à teneur de laquelle les rentes et indemnités en capital sont, selon les dispositions de la loi spéciale concernée et dans l’ordre suivant, versées par : l’AVS ou l’AI (let. a) ; l’assurance militaire ou l’assurance-accidents (let. b) ; la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité au sens de la LPP (let. c).

4.2 Les règles en matière de surindemnisation tendent à éviter que la personne assurée puisse jouir, en raison d'un cumul de prestations d'assurances, d'un niveau de vie plus élevé que celui dont elle bénéficiait avant la survenance de l'événement assuré (ATF 135 V 33 consid. 4.2). Selon le principe de la concordance des droits (« Kongruenzgrundsatz »), qui trouvait son expression à l'art. 24 al. 2 aOPP 2 jusqu'au 31 décembre 2016 (actuellement à l'art. 34a al. 1 LPP), seules sont susceptibles de conduire à une surindemnisation les prestations d'un type et d'un but analogue accordées à l'ayant droit en raison de l'événement dommageable. En d'autres termes, il faut qu'il existe non seulement une concordance au niveau de l'événement dommageable, mais aussi une concordance fonctionnelle (ou matérielle) (ATF 135 V 29 consid. 4.1). Selon la jurisprudence, une telle concordance est réalisée lorsque les prestations ont, d'un point de vue économique, une nature et une fonction correspondantes (ATF 134 III 489 consid. 4.5.1).

4.3 Le Conseil fédéral règle les prestations et revenus à prendre en compte ainsi que le gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé (art. 34a al. 5 let. a LPP).

4.3.1 D'après l'art. 24 de l'ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 18 avril 1984 (OPP 2 - RS 831.441.1) dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017, édicté par le Conseil fédéral en vertu de la délégation de compétence de l'art. 34a al. 5 LPP, lorsqu’elle réduit des prestations d’invalidité avant l’âge ordinaire de la retraite ou des prestations de survivants, l’institution de prévoyance peut prendre en compte les prestations et revenus suivants (al. 1) : les prestations de survivants et d’invalidité servies à l’ayant droit par d’autres assurances sociales et institutions de prévoyance suisses et étrangères en raison de l’événement dommageable, les prestations en capital étant prises à leur valeur de rentes (let. a) ; les indemnités journalières servies par des assurances obligatoires (let. b) ; les indemnités journalières servies par des assurances facultatives, lorsque ces dernières sont financées pour moitié au moins par l’employeur (let. c) ; lorsque l’assuré perçoit des prestations d’invalidité : le revenu provenant d’une activité lucrative ou le revenu de remplacement ainsi que le revenu ou le revenu de remplacement que l’assuré pourrait encore raisonnablement réaliser (let. d). Elle ne peut pas prendre en compte les prestations et revenus suivants (al. 2) : les allocations pour impotent, les indemnités pour atteinte à l’intégrité, les indemnités uniques, les contributions d’assistance et autres prestations similaires (let. a) ; le revenu supplémentaire réalisé pendant l’exécution d’une mesure de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (let. b ; LAI - RS 831.20).

4.3.2 Les prestations AI priment toujours sur celles qui ressortent du domaine de la prévoyance professionnelle (art. 66 al. 2 LPGA ; consid. 4.1 ci-dessus). Ces dernières sont soumises à la réduction en cas de surindemnisation, pour autant que les prestations AI cumulées à celles de la prévoyance professionnelle dépassent 90 % du gain présumé perdu. Dans le calcul de surindemnisation, il y a lieu de prendre en compte les rentes de base AI ainsi que les éventuelles rentes pour enfant, puisque le droit à ces rentes pour enfant appartient à l'assuré lui-même (Marc HÜRZELER, in SCHNEIDER, GEISER, GÄCHTER [éd.], LPP et LFLP, 2020, n. 43 ad art. 34a LPP ; ATF 122 V 316 consid. 3d).

4.3.3 Selon l'art. 24 al. 1 let. a OPP2, font explicitement aussi partie des revenus à prendre en compte les prestations des institutions de prévoyance ; de ce fait, le champ d'application de cette disposition s'étend à la coordination intrasystémique des institutions de prévoyance. Même si, sur la base de l'art. 18 et de de l'art. 23 LPP, le système de coordination intrasystémique au sein de la prévoyance professionnelle s'effectue en grande partie au niveau de la compétence pour allouer des prestations, il est tout à fait possible d'imaginer des constellations où différentes rentes d'invalidité ou de survivants seraient versées par plusieurs institutions de prévoyance (par ex. dans le cas d'un assuré affilié à deux institutions de prévoyance en raison de deux activités à temps partiel, et qui devient invalide à 100 % ; HÜRZELER, op cit., n. 53 ad art. 34a LPP).

4.4 La réglementation ainsi décrite ne vaut toutefois que pour les prestations de la prévoyance professionnelle obligatoire, auxquelles s'applique la LPP ; pour ce qui est de la prévoyance plus étendue, dite pré-obligatoire, sous-obligatoire ou sur-obligatoire (ATF 114 V 37 consid. 1a), les institutions de prévoyance restent libres de régler différemment la coordination avec d'autres assurances sociales (art. 49 al. 2 LPP ; ATF 122 V 155 consid. 3d et les références citées).

4.5 Dans le domaine de la prévoyance professionnelle étendue, les institutions de prévoyance sont donc libres de reprendre les dispositions de la loi et de l'ordonnance ou, sous respect des exigences constitutionnelles minimales les principes d'égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 140 V 145 consid. 3.1) , de prévoir d'autres solutions, en particulier une autre limite de surindemnisation (par ex. 100 % du gain annuel dont on peut présumer que l'intéressé est privé) qui peut être plus basse ou plus élevée que celle de l'art. 34a al. 1 LPP (HÜRZELER, op cit., n. 10 ad art. 34a LPP). HÜRZELER se demande si les dispositions légales en matière de surindemnisation doivent être appliquées subsidiairement à la prévoyance professionnelle étendue, en l'absence de disposition réglementaire pertinente. Il y répond par la positive, au motif que, dans ce domaine, les prestations de prévoyance revêtent également un caractère compensatoire, si bien que les cas de surindemnisation doivent, d'après lui, être obligatoirement corrigés. Il relève toutefois que, dans la mesure où les institutions de prévoyance disposent, dans la prévoyance professionnelle étendue, de la compétence d'introduire dans le règlement de prévoyance des dispositions de surindemnisation plus restrictives, l'absence de telles dispositions devrait, à l'inverse, avoir pour conséquence un cumul des prestations. Cette conclusion se laissait également déduire, dit-il, des explications figurant dans le Message du Conseil fédéral relatif à la LPP du 2 février 1976 selon lequel les prestations réduites conformément aux dispositions légales et réglementaires constituent des prestations minimales et que les institutions de prévoyance sont, d'une manière tout à fait général, libres d'allouer des prestations plus étendues qui relèvent du domaine sur-obligatoire de la prévoyance (HÜRZELER, ibidem, FF 1976 I 117, p. 216).

5.             Dans le système de la prévoyance professionnelle, la LPP (pour le régime obligatoire de la prévoyance professionnelle), respectivement le règlement de prévoyance (lorsque l’institution de prévoyance a décidé d’étendre la prévoyance au-delà des exigences minimales fixées dans la loi) détermine les conditions auxquelles les différentes prestations sont allouées (ATF 138 V 409 consid. 3.1).

Dans le cadre de la prévoyance plus étendue, les employés assurés sont liés à l'institution par un contrat innommé (sui generis) dit de prévoyance. Le règlement de prévoyance constitue le contenu préformé de ce contrat, à savoir ses conditions générales, auxquelles l'assuré se soumet expressément ou par actes concluants. Il doit ainsi être interprété selon les règles générales sur l'interprétation des contrats. Il y a lieu de rechercher, tout d'abord, la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO), ce qui en matière de prévoyance professionnelle vaut avant tout pour les conventions contractuelles particulières. Lorsque cette intention ne peut être établie, il faut tenter de découvrir la volonté présumée des parties en interprétant leurs déclarations selon le sens que le destinataire de celles-ci pouvait et devait raisonnablement leur donner selon les règles de la bonne foi (principe de la confiance). L'interprétation en application de ce principe, dite objective ou normative, consiste à établir le sens que chacune des parties pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Pour ce faire, il convient de partir du texte du contrat (ou du règlement) avant de l'examiner dans son contexte ; dans ce dernier cas, toutes les circonstances ayant précédé ou accompagné sa conclusion doivent être prises en considération (arrêt du Tribunal fédéral 9C_500/2014 du 18 décembre 2014 consid. 4.1). Le principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même s'il ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 136 III 186 consid. 3.2.1, ATF 135 III 295 consid. 5.2).

6.             En l’occurrence, avant la survenance de son invalidité, la recourante réalisait un salaire annuel de CHF 172'657.-, supérieur au montant maximum du salaire coordonné prévu à l'art. 8 al. 1 LPP, en corrélation avec l'art. 5 OPP2 (ce montant était de CHF 84'600.- du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, puis de CHF 85'320.- jusqu'au 31 décembre 2020). En tant que la défenderesse assure la part de salaire dépassant le plafond du salaire coordonné, le rapport d'assurance relève bel et bien de la prévoyance professionnelle plus étendue.

6.1 Le contrat de prévoyance en faveur de la demanderesse est régi par le règlement pour la prévoyance de base LPP dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017 (ci-après : le règlement de prévoyance), ainsi que par le plan de prévoyance pour la prévoyance professionnelle de base « plan à choix Maxi non-taxables » dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2020 (ci-après : le plan de prévoyance), lequel fait partie intégrante du règlement de prévoyance (chiffre 1.2 du plan de prévoyance).

6.1.1 Selon le chiffre 14.1 du règlement de prévoyance (intitulé « salaire assuré en cas d'invalidité »), en cas d'incapacité de travail totale d'une personne assurée, le salaire en vigueur immédiatement avant le début de l'incapacité de travail reste constant pour sa prévoyance.

Selon le chiffre 20.3 du règlement de prévoyance (relatif aux prestations d'invalidité), est réputée délai d'attente la période minimale qui sépare le début de l'incapacité de travail ou de l'invalidité de la naissance du droit aux prestations. Cette période est fixée dans le plan de prévoyance. Le chiffre 20.5 dispose qu'un degré d'incapacité de travail ou d'invalidité, dès 70 %, donne droit à une rente d'invalidité de 100 %.

En vertu du chiffre 22.1 1ère phrase du règlement de prévoyance, le droit à la rente d'invalidité prend naissance dès l'expiration du délai d'attente selon le chiffre 20.3. Le montant de la rente d'invalidité annuelle est fixé par le plan de prévoyance (chiffre 22.3), de même que le montant de la rente d'enfant d'invalide annuelle (chiffre 23.3).

D'après le chiffre 35.1 du règlement de prévoyance (intitulé « rapports avec les autres prestations d'assurance »), la Fondation réduit les prestations d'invalidité et de survivants dans la mesure où, ajoutées aux autres revenus à prendre en compte selon le chiffre 35.2, elles dépassent 90 % du gain dont on peut supposer que la personne assurée est privée.

Le chiffre 35.2 du règlement de prévoyance stipule que, sont prises en compte les prestations d'un genre et d'un but analogues versées à l'ayant droit en raison de l'événement assuré, telles que des prestations en rente ou en capital à leur valeur de rente, par les assurances sociales et les institutions de prévoyance suisses et étrangères, à l'exception des allocations pour impotents, des indemnités pour atteinte à l'intégrité et de toutes autres prestations semblables. Les rentes d'orphelin versées pour les enfants de la personne ayant droit sont également prises en considération. Est aussi pris en compte le revenu provenant d'une activité lucrative exercée par un assuré invalide ou le revenu de remplacement, ainsi que le revenu ou le revenu de remplacement que celui-ci pourrait encore raisonnablement réaliser, à l'exception du revenu supplémentaire perçu pendant la participation à des mesures de nouvelle réadaptation selon l'art. 8a LAI.

6.1.2 Aux termes du chiffre 2.2.1 du plan de prévoyance, la rente entière annuelle d'invalidité est égale à 70 % du salaire assuré (lui-même égal au salaire annuel [chiffre 1.7]). Le délai d'attente est de vingt-quatre mois.

En vertu du chiffre 2.2.2 du plan de prévoyance, la rente entière annuelle d'enfant d'invalide est égale à la rente d'orphelin. Le délai d'attente est de vingt-quatre mois. L'âge-terme relatif au droit à la rente est de 18 ans. Si l'enfant a atteint ou dépassé l'âge-terme, le droit à la rente subsiste aussi longtemps que l'enfant suit une formation ou est invalide à 70 % au moins, et ne perçoit pas de revenu mensuel moyen qui soit supérieur au montant maximal de la rente mensuelle de vieillesse complète de l'AVS. Ce droit à la rente ne subsiste cependant que jusqu'à l'âge de 25 ans révolus (le chiffre 2.3.2 du plan de prévoyance pose les mêmes conditions pour le versement de la rente d'orphelin).

Selon le chiffre 2.3.2 du plan de prévoyance, la rente annuelle d'orphelin est égale, en cas de décès de la personne assurée avant l'âge de la retraite, à 20 % du salaire assuré.

6.2 Le certificat de prévoyance au 1er janvier 2020 fait état d'un salaire annuel de CHF 172'657.-, d'un salaire assuré d'un même montant, d'une rente d'invalidité annuelle de CHF 120'860.- (soit 70 % de CHF 172'657.-) et d'une rente d'enfant d'invalide annuelle de CHF 34'531.- (soit 20 % de CHF 172'657.-).

Dans son décompte de prestations du 9 novembre 2020, la défenderesse a réduit la rente d'invalidité annuelle à CHF 98'886.- et la rente d'enfant d'invalide annuelle à CHF 28'252.- (pour chaque enfant), motif pris que le montant total des rentes d'invalidité non réduites (CHF 189'922.- [CHF 120'860 + CHF 34'531 × 2]) est supérieur au plafond de CHF 155'391.- (correspondant à 90 % de CHF 172'657.-), étant précisé que les parties ne contestent pas que le gain annuel dont on peut présumer que la demanderesse est privée s'élève à CHF 172'657.-. Aux yeux de la défenderesse, la rente de base et les rentes d'enfant d'invalide se montent ainsi au maximum à CHF 155'391.- par an (CHF 98'886.- + CHF 28'252.- × 2).

6.3 La demanderesse fait valoir que l'art. 35 du règlement de prévoyance correspond à une règle de coordination intersystémique qui ne s'applique que si différentes assurances interviennent pour le même cas d'assurance. Or, dans son cas, seule la défenderesse lui verse des prestations d'invalidité. Ainsi, il n'y pas lieu d'appliquer les règles de déduction pour cause de surindemnisation. Elle considère que la rente d'orphelin, visée à l'art. 35.2 du règlement de prévoyance, qui est accessoire à la rente du bénéficiaire (elle précise que le risque assuré, soit le décès, ne s'est pas réalisé), ne peut être intégrée dans le calcul de la surindemnisation que si l'ayant droit reçoit d'autres prestations d'une autre assurance, ce qu'elle ne perçoit pas.

La défenderesse expose, quant à elle, que les dispositions légales en matière de surindemnisation s'appliquent de manière subsidiaire au règlement de prévoyance. Elle ajoute que les prestations de prévoyance revêtent un caractère compensatoire, de sorte que les cas de surindemnisation doivent être systématiquement et obligatoirement corrigés. Les rentes d'enfant d'invalide, qui suivent les mêmes règles que les rentes d'orphelin, doivent être intégrées dans le calcul de la surindemnisation.

6.4 La chambre de céans constate que, à l'art. 35 du règlement de prévoyance, la défenderesse a, en substance, repris les prescriptions légales (art. 34a al. 1 LPP) ainsi que celles de l'ordonnance (art. 24 al. 1 et 2 OPP 2) concernant le seuil de surindemnisation de 90 % et les prestations pouvant être réduites ou devant être prises en compte dans le calcul de surindemnisation.

6.4.1 Il est admis par la défenderesse que la demanderesse ne perçoit pas d'autres prestations d'invalidité d'une assurance sociale, ni d'une autre institution de prévoyance suisse ou étrangère (réponse du 17 janvier 2022, p. 21).

Si, comme l'indique la défenderesse, les rentes d'enfant d'invalide doivent être incluses dans le calcul de surindemnisation à l'instar des rentes d'orphelin octroyées pour les enfants de l'ayant droit encore faut-il que ces rentes soient versées à l'ayant droit par une assurance sociale et/ou une autre institution de prévoyance suisse ou étrangère. En effet, le chiffre 35.1 du règlement de prévoyance est clair : les prestations d'invalidité allouées par la défenderesse (rente de base et rentes d'enfants d'invalide [chiffres 22 et 23 du règlement de prévoyance]) sont réduites lorsque leur montant additionné à ceux des « autres » revenus à prendre en compte selon le chiffre 35.2 dépasse la limite de surindemnisation. Or, dans la mesure où la rente d'invalidité principale n'entre en ligne de compte dans le calcul de surindemnisation que si elle est versée par une assurance sociale et/ou une autre institution de prévoyance suisse ou étrangère (chiffre 35.2 1ère phrase du règlement de prévoyance), et que les rentes pour enfant d'invalide dépendent du droit à la rente d'invalidité principale (ATF 121 V 104 consid. 4c, il s'agit d'une prestation accessoire du droit principal à la rente), l'expression les « rentes d'orphelin versées pour les enfants de l'ayant droit » (chiffre 35.2 2ème phrase du règlement de prévoyance) auxquelles devraient être assimilées les « rentes d'enfants d'invalide » ne peut pas viser celles octroyées à l'ayant droit par la défenderesse. En d'autres termes, il ne peut être question d'un versement d'une rente pour enfant d'invalide pouvant être intégré dans le calcul de surindemnisation en l'absence d'une rente d'invalidité principale octroyée à l'ayant droit par le ou les organismes précité(s).

Si la défenderesse entendait réduire ses prestations d'invalidité (rente d'invalidité et rentes d'enfants d'invalide) lorsque, à elles seules ou ajoutées aux autres prestations énumérées au chiffre 35.2 de son règlement de prévoyance, elles dépassent la limite de surindemnisation, cette possibilité aurait dû être prévue expressément et clairement dans le règlement, ce qui n'est pas le cas à teneur du chiffre 35.1 dudit règlement.

C'est le lieu de rappeler que le Tribunal fédéral a toujours rejeté l'existence d'une interdiction générale de la surindemnisation dans l'ensemble du droit des assurances sociales (ATF 107 V 211 consid. 2b ; HÜRZELER, op cit., n. 1 ad art. 34a LPP). Aussi, contrairement à ce que prétend la défenderesse, en l'absence de disposition réglementaire permettant, dans le domaine de la prévoyance professionnelle plus étendue, la réduction des prestations d'assurances allouées exclusivement par la défenderesse afin d'éviter une surindemnisation, il convient de donner raison à la demanderesse et de constater que la défenderesse ne pouvait pas réduire les prestations d'invalidité en cause.

6.4.2 En conséquence, pour la période du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021, la demanderesse a droit au versement de la somme supplémentaire de CHF 21'974.- (CHF 120'860.- [prestations non réduites] - CHF 98'886.- [prestations réduites déjà versées]) au titre de la rente d'invalidité de base, ainsi que de CHF 12'558.- (CHF 34'531.- × 2 [prestations non réduites] - CHF 28'252.- × 2 [prestations réduites déjà versées]) au titre des deux rentes d'enfants d'invalide, soit un montant total de CHF 34'532.- (CHF 21'974.- + CHF 12'558.-).

6.5 En matière de prévoyance professionnelle, il est admis que des intérêts moratoires sont dus par le débiteur en demeure. À défaut de disposition réglementaire topique, le taux intérêt moratoire est de 5 %, conformément à l’art. 104 al. 1 CO. En matière de rentes, l’intérêt moratoire n’est dû qu’à partir du jour de la poursuite ou de la demande en justice (art. 105 al. 1 CO par analogie, ATF 119 V 131 consid 4 et les références, arrêt du Tribunal fédéral 9C_35/2011 consid. 6.6).

6.5.1 Selon le chiffre 37.4 du règlement de prévoyance, si la Fondation présente un retard dans le versement d'une prestation de prévoyance, elle sera soumise à des intérêts moratoires basés sur le taux d'intérêt minimal LPP actuel.

Le taux d'intérêt minimal LPP défini par le Conseil fédéral est de 1 % à partir du 1er janvier 2017 (art. 15 al. 2 LPP et art. 12 let. j OPP2), comme le relève la demanderesse.

La défenderesse est donc tenue de verser un intérêt moratoire de 1 % l’an sur le montant supplémentaire des rentes arriérées, dès le 12 octobre 2021, date de la demande en justice.

7.             Au vu de ce qui précède, la demande en paiement est admise et la défenderesse condamnée à verser à la demanderesse le montant supplémentaire des rentes d'invalidité arriérées à hauteur de CHF 34'532.-, avec intérêt moratoire de 1 % l’an à partir du 12 octobre 2021.

8.             La demanderesse, représentée par une avocate, qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité à titre de participation à ses frais et dépens que la chambre de céans fixera en l'espèce à CHF 2'000.- (art. 89H al. 3 LPA et art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

9.             Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP, art. 89H al. 1 LPA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme:

1.        Déclare la demande du 12 octobre 2021 recevable.

Au fond:

2.        L'admet.

3.        Condamne la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de CHF 34'532.-, correspondant au montant supplémentaire de la rente d'invalidité principale et des deux rentes d'enfants d'invalide dû depuis le 1er novembre 2020 jusqu’au 31 octobre 2021, avec intérêt moratoire de 1 % l’an, dès le 12 octobre 2021.

4.        Alloue à la demanderesse une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens, à la charge de la défenderesse.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le