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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2698/2022

ATA/21/2024 du 09.01.2024 sur JTAPI/350/2023 ( ICC ) , ADMIS

Recours TF déposé le 12.02.2024, 9C_109/2024
Descripteurs : DROIT FISCAL;IMPÔT;GAIN IMMOBILIER;CALCUL DE L'IMPÔT;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL);PROPRIÉTÉ
Normes : LHID.12; LCP.80 et ss; Cst.5.al1; Cst.36.al1; Cst.127.al1
Résumé : Admission d’un recours de l’administration fiscale cantonale contre un jugement du TAPI rectifiant un bordereau d’impôt sur les bénéfices et les gains immobiliers, prenant en compte une perte réalisée lors de la vente de l’immeuble acquis en remploi. La perte ne peut être déduite du gain immobilier dont l’imposition avait été différée car cette déduction ne repose sur aucune base légale. L’impôt sur les bénéfices et ainsi immobiliers n’appréhende pas les pertes, puisqu’il a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble. Aucune disposition légale ne prévoit la compensation des pertes avec un gain immobilier antérieur ou ultérieur dont l’imposition est différée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2698/2022-ICC ATA/21/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 janvier 2024

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

et

A______ et B______ C______ recourants
représentés par Me Antoine BERTHOUD, avocat

contre

A______ et B______ C______ intimés
représentés par Me Antoine BERTHOUD, avocat

et

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2023 (JTAPI/350/2023)


EN FAIT

A. a. A______ et B______ C______ ont acquis le 12 octobre 1998 un immeuble à Founex dans le canton de Vaud pour un montant de CHF 1'450'000.-.

Ils l’ont revendu le 30 novembre 2012 pour un montant de CHF 3'875'000.-.

b. Les époux C______ ont acquis un appartement à Carouge à Genève le 18 novembre 2011 pour un montant de CHF 2'800'000.-.

Par bordereau du 13 février 2013, l’autorité fiscale vaudoise a établi l’existence d’un gain immobilier différé de CHF 1'366'520.- pour la vente de l’immeuble de Founex, sur la base du calcul suivant (en CHF) :

 

100%

50%

Prix d’achat immeuble

1’450’000.-

725’000.-

Impenses

92’380.-

46’190.-

Total de la valeur d’acquisition immeuble

1’542’380.-

771’190.-

 

Prix de vente immeuble

3’875’000.-

1’937’500.-

Commissions de courtage

62’775.-

31’388.-

Total de la valeur d’aliénation immeuble

3’812’225.-

1’906’113.-

 

Prix d’achat appartement

2’800’000.-

1’400’000.-

Frais d’achat (droits de mutation et frais de notaire)

108’900.-

54’450.-

Total de la valeur d’acquisition appartement

2’908’900.-

1’454’450.-

 

Gain immobilier réalisé

2’269’844.-

1’134’922.-

Non réinvesti et imposable immédiatement

903’324.-

451’662.-

Gain immobilier différé

1’366’520.-

683’260.-

 

c. Le 18 août 2021, les époux C______ ont revendu leur appartement de Carouge, pour un montant de CHF 2'750'000.- en payant une commission de vente de CHF 80'776.-.

Ils ont chacun adressé une « déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (IBGI) » à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) concernant la vente de l’appartement. Compte tenu des commissions de vente qui s’élevaient pour chacune à CHF 40'388.- et des droits de mutation et d’émoluments de CHF 56'000.- chacun, le gain immobilier était de zéro.

d. Le 22 novembre 2021, l’AFC-GE a notifié à chacun des contribuables deux bordereaux et deux avis de taxation IBGI 2021.

Le premier bordereau reprenait les données déclarées le 28 septembre 2021, fixant les dates d’acquisition au 25 novembre 2011 et d’aliénation au 17 août 2021, soit une durée de possession de neuf ans et, par conséquent, un taux de 15%. Il arrêtait l’impôt à CHF 0.-, le total de la valeur d’acquisition étant de CHF 2'912'000.- et celle d’aliénation, inférieure, étant de CHF 2'830’776.-.

Le second bordereau fixait comme dates d’acquisition, respectivement d’aliénation, les 25 novembre 1998 et 17 août 2021, soit une durée de possession de 22 ans, un taux de 10%, et arrêtait l’impôt exigible à CHF 68'326.- (soit 10% de
CHF 638'260.-) selon le calcul suivant :

 

100%

50%

Total du prix d’acquisition

2’908’900.-

1’454’450.-

 

Prix de vente

5’178’744.-

2’589’372.-

Impenses

903’324.-

451’662.-

Total de la valeur d’aliénation

4’275’420.-

2’137’710.-

 

Gain immobilier

1’366’520.-

683’260.-

Gain immobilier différé

0.-

0.-

Gain immobilier imposable

1’366’520.-

683’260.-

e. Le 21 décembre 2021, les contribuables ont élevé réclamation contre ces bordereaux, le gain immobilier devait être soumis au taux vaudois, soit 7%.

f. Le 26 juillet 2022, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

B. a. Le 25 août 2022, les contribuables ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à ce que le gain immobilier imposable soit arrêté, pour chacun d’eux, à CHF 289'922.-.

b. Le 17 octobre 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours. La scission en deux bordereaux était nécessaire pour mettre en pratique le différé d’imposition et en évidence la perte résultant de la vente du bien genevois, qui ne pouvait pas avoir d’impact sur le calcul du gain immobilier imposable.

c. Après un second échange d’écritures, le 27 mars 2023, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour notification de nouveaux bordereaux.

Le calcul de l’IBGI devait se présenter de la manière suivante :

 

100%

50%

Achat immeuble

1’450’000.-

725’000.-

Impenses selon bordereau VD

92’380.-

46’190.-

Total de la valeur d’acquisition

1’542’380.-

771’190.-

 

Prix de vente appartement

2’750’000.-

1’375’000.-

Commission de vente

80’776.-

40’388.-

Total de la valeur d’aliénation

2’669’224.-

1’334’612.-

 

Bénéfice

1’126’844.-

563’422.-

 

IBGI (10% du bénéfice selon l’art. 84 al. 1 let. f LCP)

112’684.-

56’342.-

L’impôt sur les gains immobiliers ne naissait qu’au moment du dernier transfert de propriété ne donnant plus droit à une (nouvelle) imposition différée, hormis pour les gains non réinvestis qui étaient immédiatement imposés, et le « gain total » qui constituait l’objet de l’impôt. L’AFC-GE ne devait établir qu’un seul bordereau traitant de la première acquisition et de la dernière aliénation des habitations des contribuables.

C. a. Le 26 avril 2023, l’AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision sur réclamation.

Le TAPI avait erré en n’appliquant pas sa propre jurisprudence, laquelle ne prévoyait pas qu’une perte immobilière puisse être déduite d’un gain immobilier antérieur ou ultérieur dont l’imposition était différée.

Même si l’imposition séparée ou fractionnée était jugée contraire à la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du
14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) par certains auteurs, cette pratique n’avait jamais été jugée comme telle par le Tribunal fédéral.

Elle persistait à défendre la thèse selon laquelle le fractionnement des deux gains n’était pas contraire à la LHID pour autant que le premier gain immobilier dont l’imposition avait été différée puisse bénéficier d’une durée de possession longue. Quant à la seconde opération immobilière, elle n’appliquait pas la pratique de certains cantons qui distinguait au moment de la fin du différé d’imposition, d’une part, le gain immobilier dont l’imposition avait été différée et, d’autre part, le gain immobilier de l’immeuble de remplacement, puisque cette seconde opération bénéficiait également de la durée de possession longue.

Une éventuelle perte immobilière ne devait pas réduire le seul gain immobilier dont l’imposition avait été différée initialement.

b. En réponse, le 30 mai 2023, les contribuables ont conclu au rejet du recours.

Le droit harmonisé prévoyait différents cas de différé d’imposition, notamment la donation, la liquidation du régime matrimonial ainsi que le remploi. Il n’y avait aucune raison de ne pas taxer de la même manière le gain immobilier au moment de la vente de l’immeuble acquis par une opération justifiant un différé d’imposition en fonction de la nature de celle-ci.

c. Le 8 juin 2023, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de son recours.

d. Le 28 avril 2023, les contribuables ont interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI, concluant à ce que le gain immobilier imposable s’élève pour chacun à CHF 289'922.- et qu’il soit taxé au taux de 10%.

Bien que reconnaissant qu’une durée cumulée de possession de plus de dix ans devait être retenue, avec comme conséquence l’application d’un taux de 10% sur la totalité du gain réalisé, le TAPI avait refusé de majorer de 30% la valeur fiscale de l’immeuble dix ans avant la vente. Cette majoration devait être appliquée dans le cas de remploi comme c’était le cas pour les donations et les successions, aucun arrêt du Tribunal fédéral n’ayant retenu le contraire, celui-ci considérant que les cantons disposaient en la matière d’une marge de manœuvre.

Les frais d’acquisition de l’appartement de Carouge de CHF 112'000.- n’avaient pas été pris en compte par le TAPI pour les mêmes motifs. L’AFC-GE avait retenu un montant forfaitaire de 4% du prix d’acquisition.

Ils renvoyaient à leur calcul, lequel fixait le gain immobilier imposable par vendeur à CHF 249'922.-.

 

 

100%

50%

Achat immeuble

1’450’000.-

725’000.-

Impenses selon bordereau VD

92’380.-

46’190.-

Majoration 30%

435’000.-

217’500.-

Frais d’achat appartement (4% de CHF 1’800’000.-)

112’000.-

56’000.-

Total du prix d’acquisition

2’089’380.-

1’044’690.-

 

Prix de vente appartement

2’750’000.-

1’375’000.-

Commission de vente

80’776.-

40’388.-

Total de la valeur d’aliénation

2’669’224.-

1’334’612.-

 

Bénéfice

579’844.-

289’922.-

 

e. En réponse, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours, exposant la jurisprudence et sa pratique en matière de remploi, notamment intercantonal. La majoration demandée ne pouvait s’appliquer en cas de détermination du gain immobilier par un autre canton. Cette pratique était confirmée par les directives en la matière.

Des frais d’acquisition à hauteur de CHF 108'900.- avaient été pris en compte. Si son propre recours était rejeté, la non prise en compte des frais d’acquisition de l’immeuble de Carouge devrait être confirmée. Il ne serait pas concevable de tenir compte d’impenses inhérentes à un immeuble genevois lors de la détermination de la valeur d’acquisition d’un immeuble vaudois.

f. Le 26 juin 2023, les contribuables ont répliqué. Le refus d’appliquer la majoration demandée au motif qu’il s’agissait d’un remploi intercantonal était contraire au principe d’égalité de traitement.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur le calcul de l’IBGI 2021 des contribuables et plus particulièrement sur trois points. La valeur d’acquisition du bien immobilier aliéné à retenir pour le calcul du remploi et sur la possibilité de réduire le gain immobilier dont l’imposition avait été différée par une perte immobilière. En outre, selon les contribuables, des impenses, constitués des frais d’acquisition et des travaux à plus‑value de l’appartement genevois devaient être pris en compte, ce que le TAPI avait refusé.

Les parties divergent sur le montant à retenir, lors du calcul du remploi, comme prix d’acquisition du bien immobilier soumis à l’IBGI. La valeur d’acquisition devait être fixée, selon les contribuables, à la valeur d’acquisition dix ans avant l’aliénation majorée de 30%. Dix ans avant la vente, réalisée le 17 août 2021, il s’agissait du bien vaudois, il convenait de fixer cette valeur fiscale en fonction du prix d’acquisition, de manière conforme au droit genevois, soit à CHF 1'450'000.-, soit CHF 725'000.- par vendeur avec une majoration de CHF 217'700.- par vendeur. Les contribuables, selon leur calcul, ajouteraient aux impenses selon le bordereau vaudois, outre la majoration de 30%, les frais d’achat de 4% de CHF 1'800'000.- pour obtenir le prix d’acquisition.

Les parties divergent encore sur la prise en compte de la perte réalisée lors de la vente du bien genevois. Selon l’AFC-GE, la perte ne peut avoir d’impact sur le calcul du gain immobilier imposable, alors que pour le TAPI et les contribuables, le calcul du gain immobilier réalisé doit inclure la perte.

3.             Selon l’art. 12 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses ; al. 1). Toute aliénation d’immeubles est imposable (al. 2, 1ère phrase). L’imposition est différée notamment en cas d’aliénation de l’habitation (maison ou appartement) ayant durablement et exclusivement servi au propre usage de l’aliénateur, dans la mesure où le produit ainsi obtenu est affecté, dans un délai approprié, à l’acquisition ou à la construction en Suisse d’une habitation servant au même usage (al. 3 let. e). Les cantons veillent à ce que les bénéfices réalisés à court terme soient imposés plus lourdement (al. 5).

3.1 Dans le canton de Genève, l’impôt sur les gains immobiliers est régi aux
art. 80 ss de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887
(LCP - D 3 05) .

À teneur de l’art. 80 LPC, l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation (al. 1). L’impôt est dû par l’aliénateur ou le bénéficiaire du gain même s’il est domicilié hors du canton. Les époux vivant en ménage commun sont considérés comme contribuables distincts. Le conjoint aliénateur ou bénéficiaire du gain est seul responsable du paiement de l’impôt dû (al. 3).

L’art. 82 LCP indique que le bénéfice ou gain imposable est constitué par la différence entre la valeur d’aliénation et la valeur d’acquisition (al. 1). La valeur d’acquisition est égale au prix payé pour l’acquisition du bien, augmentée des impenses, ou, à défaut de prix, à sa valeur vénale (al. 2). Lors de l’aliénation d’un immeuble acquis par un transfert justifiant la prorogation de l’imposition, le prix d’acquisition est celui de la dernière aliénation soumise à l’impôt qui est aussi déterminante pour fixer la durée de possession (al. 3). Lorsque l’acquisition est intervenue plus de dix ans avant l’aliénation, le contribuable peut demander que soit considérée comme valeur d’acquisition la valeur fiscale cinq ans avant l’aliénation s’il s’agit d’un immeuble locatif au sens de l’art. 50 let. a de la loi sur l’imposition des personnes physiques, du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), et la valeur fiscale dix ans avant l’aliénation majorée de 30% s’il s’agit d’un autre immeuble (al. 5). La valeur d’aliénation est égale au prix de vente diminué des impenses que l’aliénateur a supportées à cette occasion (al. 6). Le prix de vente comprend l’ensemble des prestations de tout genre auxquelles l’acquéreur s’oblige à l’égard de l’aliénateur (al. 7). Sont considérés comme impenses les frais liés à l’acquisition ou à l’aliénation de l’immeuble et les dépenses qui en ont augmenté la valeur (al. 8).

Conformément à l’art. 84 al. 1 let. f LCP, l’impôt est perçu de l’aliénateur ou du bénéficiaire du gain sur le montant global du bénéfice ou du gain nets au taux de 10% lorsqu’il l’a été pendant dix ans au moins, mais moins de 25 ans.

Selon l’art 85 LCP, l’impôt est remboursé en cas de remploi du bénéfice résultant de l’aliénation d’un logement (villa ou appartement) occupé par le propriétaire qui aliène (al. 1 let. a). Il y a remploi au sens de l’alinéa précédent lorsque l’aliénateur utilise le produit de l’aliénation pour acquérir, construire ou transformer un immeuble de même nature, pourvu qu’il ne s’écoule pas plus de cinq ans entre les deux opérations (al. 2). N’est remboursé que l’impôt relatif au bénéfice qui a été effectivement investi, en plus du montant de la valeur d’acquisition du bien aliéné (al. 3). L’impôt remboursé est exigible lors de l’aliénation de l’immeuble de remplacement ; les aliénations dont l’imposition est prorogée n’entrent pas en ligne de compte, mais l’acquéreur reprend l’obligation de l’aliénateur dans les cas de l’art. 81 al. 1 let. a et b.

3.2 L’art. 12 LHID contraint les cantons à percevoir un impôt sur les gains immobiliers. Bien qu’il demeure vague sur l’aménagement de cet impôt, en particulier sur la durée de la possession (ATF 134 II 124 consid. 3.2), il ne leur laisse aucune liberté pour décider des cas dans lesquels l’imposition doit être différée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2019 du 22 janvier 2020 consid. 3.1 et les références citées). Ils sont en revanche libres d’adopter le barème de l’impôt sur les gains immobiliers (art. 1 al. 3 LHID), à condition d’imposer plus lourdement les bénéfices réalisés à court terme (art. 12 al. 5 LHID ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_459/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1).

Le législateur fédéral a décrit de manière exhaustive les états de fait fondant un report d’imposition, lesquels doivent être repris par les cantons dans leur législation sur l’imposition des gains immobiliers. Il a en même temps recherché une harmonisation matérielle des lois cantonales concernant le report d’imposition (ATF 130 II 202 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_569/2016 du 10 février 2017 consid. 3).

La prorogation de l’imposition prévue par l’art. 12 al. 3 LHID signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. La prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive, qui serait d’ailleurs contraire à l’art. 12 LHID. L’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est provisoirement pas taxée ; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable (arrêts du Tribunal fédéral 2C_459/2020 précité consid. 4.3 et 2C_797/2009 du 20 juillet 2010 consid. 2.3).

Les cantons n’ont aucune marge de manœuvre s’agissant du réinvestissement partiel du produit de la vente dans un objet de remplacement au sens de l’art. 12 al. 3 let. e LHID. En présence d’un état de fait permettant le remploi, ils doivent appliquer la méthode absolue. Selon celle-ci, le report de l’imposition n’est accordé que pour la part du gain réinvestie dans l’objet de remplacement, en sus du montant des dépenses d’investissement de l’objet aliéné. Le gain non réinvesti est immédiatement soumis à l’imposition (ATF 137 II 419 consid. 2.2.1). Lors d’une demande de remploi, il faut d’une part déterminer le montant du bénéfice réalisé (bénéfice brut), et donc également celui des frais d’investissement, puisque le bénéfice brut se calcule en déduisant du produit les frais d’investissement. D’autre part, il faut déterminer le montant du réinvestissement, car un report d’impôt est accordé pour le bénéfice brut à hauteur de la différence entre le réinvestissement et les frais d’investissement de l’objet aliéné. Ce n’est que lorsque ces deux valeurs sont connues qu’il est possible d’évaluer, en appliquant la méthode absolue, si et dans quelle mesure un report d’imposition est accordé (ATF 137 II 419 consid. 3.2).

3.3 La plupart des lois cantonales permettent au contribuable de faire valoir comme prix d’acquisition l’estimation fiscale de l’immeuble, s’il a été possédé pendant un certain nombre d’années (Bastien VERREY, L’imposition différée du gain immobilier : harmonisation fédérale et droit cantonal comparé, 2011, p. 235). Le prix de l’immeuble est ainsi déterminé par la différence entre le prix de vente et l’estimation fiscale pertinente. Les impenses postérieures à celle-là sont également déductibles. Cela a pour conséquence que le montant admis en réinvestissement peut également être déterminé en fonction du prix d’acquisition du nouvel immeuble et de l’estimation fiscale ou autre valeur de substitution de l’immeuble qui a été aliéné (Bastien VERREY, op. cit., p. 236). Le fait que le contribuable puisse invoquer une autre valeur (plus élevée) que le prix d’acquisition pour diminuer son gain imposable peut également avoir pour conséquence de réduire le montant dont l’imposition pourrait être différée. En effet, en cas de réinvestissement partiel, selon la méthode absolue, la part qui bénéficie du report est fonction du prix d’acquisition du premier immeuble. Plus celui-ci est haut, moins le gain différé est important. Toutefois, cela ne péjore par la situation du contribuable, le gain imposé immédiatement est soit moindre soit équivalent à ce qui aurait été calculé avec le prix d’acquisition déboursé par le contribuable (Bastien VERREY, op. cit., p. 236).

Le gain dont l’imposition doit être différée est déterminé selon la méthode absolue, imposée par le Tribunal fédéral. Il convient dès lors de considérer les prix de revient de l’immeuble aliéné et de celui acquis en remploi. En effet, dans le cas ci-dessus, le report est partiel, le contribuable achetant un nouveau bien dont le prix est moins élevé que le prix de vente du précédent immeuble. Ainsi, seule la différence entre le prix de revient du nouvel immeuble et celui de l’ancien peut bénéficier du report. Dit autrement, jusqu’au prix d’acquisition du nouvel immeuble, le produit de l’aliénation du précédent est réinvesti dans un bien immobilier. Au-delà, il est à la libre disposition du contribuable et doit être imposé (Bastien VERREY, Report de l’imposition du gain immobilier en cas de remploi : ses fins et sa fin, 2015, p. 518-522).

3.4 Selon les Informations fiscales édictées par la Conférence suisse des impôts
(ci-après : CSI ; Impôts sur les gains immobiliers, mars 2020), le gain immobilier peut être désigné comme étant l’objet de l’impôt au sens propre du terme. Le gain imposable (assiette de l’impôt) est le bénéfice net provenant de l’aliénation d’un bien immobilier. L’impôt n’a donc pas pour objet un accroissement de la valeur de l’immeuble survenu en l’espace d’un certain laps de temps, mais bien l’augmentation de la valeur qui apparaît au moment de l’aliénation de cet immeuble. Cette plus-value résulte de la différence entre les coûts d’investissement (prix d’acquisition augmenté des impenses) et le produit de l’aliénation diminué des déductions autorisées par la loi. En outre, les déductions autorisées peuvent varier selon le canton (ch. 5.1).

Le gain imposable résulte de la différence entre le produit de l’aliénation et les dépenses d’investissement, moins les déductions légales (ch. 7). Est réputé prix d’acquisition le prix auquel l’aliénateur avait acquis l’immeuble. Il s’agit normalement de l’ancien prix d’achat tel qu’il figure dans le contrat d’achat sous la forme d’acte authentique, y compris toutes les autres prestations fournies au vendeur par l’acheteur. Lorsque l’acquisition remonte à une époque assez lointaine, il est souvent difficile, voire impossible, d’établir avec précision quel avait été le prix d’achat. Afin d’éviter d’une part de frapper trop lourdement l’aliénateur d’une ancienne propriété et d’autre part afin d’assurer une perception efficace de l’impôt, la plupart des lois fiscales prévoient dans ces cas des dispositions particulières concernant la détermination du prix d’acquisition. En lieu et place du prix effectivement payé à l’époque, la valeur fiscale que l’immeuble en question possédait à un certain moment est alors souvent prise en considération. La valeur imposable est calculée en prenant considération la valeur de la propriété définie légalement rétroactivement.

À Genève, le contribuable peut invoquer, comme prix d’acquisition, l’estimation fiscale de l’immeuble dix ans avant l’aliénation, majorée de 30%, pour les villas et appartements non locatifs (ch. 7.2.1).

3.5 En matière de répartition intercantonale, c’est au canton d’arrivée, soit celui dans lequel le revenu de l’objet acquis en remploi a lieu, qu’il appartient le droit d’imposer le gain immobilier dans le cas où un report d’imposition a été accordé. L’imposition du substrat fiscal latent revient ainsi au dernier des cantons dans lequel s’est installé le contribuable (ATF 143 II 694, in RDAF 2018 II 94). La méthode unitaire se caractérise par le fait que le substrat fiscal différé, donc latent, est également saisi dans le canton d'arrivée sur le territoire duquel l'aliénation de l'immeuble de remplacement a lieu, sans qu'un nouveau report d'impôt n'entre en ligne de compte. Le substrat fiscal latent résultant de la première aliénation, le cas échéant également d'autres bénéfices bruts différés en raison de transferts de propriété intervenus entre-temps dans des cantons d'arrivée antérieurs, et le bénéfice réalisé lors du dernier transfert de propriété constituent un objet fiscal unique dans ce (dernier) canton d'arrivée (ATF 143 II 233, in RDAF 2017 II 553).

À cet effet, l’art. 5 de l’ordonnance sur l’application de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs dans les rapports intercantonaux du 9 mars 2001 (RS 642.141.) prévoit que le canton qui accorde le remploi immobilier communique sa décision aux autorités de taxation du canton où l’immeuble acquis en remploi est situé.

Le Tribunal fédéral a reconnu que les autorités fiscales avaient un intérêt à fixer définitivement et de façon contraignante le gain immobilier différé à la suite de l’acquisition de remplacement (ATF 137 II 419 consid. 4). L’application de la méthode unitaire, préconisée par le Tribunal fédéral, ne signifie pas que le canton d’arrivée pourrait s’écarter du montant retenu à titre de remploi par le canton du premier bien immobilier aliéné (ATA/1243/2023 du 14 novembre 2023
consid. 4.7).

3.6 Le principe de la légalité gouverne l'ensemble de l'activité de l'État (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101)). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst., qui prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul doivent être définis par la loi (ATF 135 I 130 consid. 7.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_858/2014 du 17 février 2015
consid. 2.1). Il exige non seulement que le cercle des contribuables mais également que les exceptions à l'assujettissement soient définies dans une loi au sens formel (ATF 122 I 305 consid. 6b/dd ; 103 Ia 505 consid. 3a).

Les exonérations, exemptions, restitutions ou les déductions ont un caractère exceptionnel et doivent être expressément prévues par des dispositions appelant une interprétation restrictive des normes applicables (ATA/276/2006 du 16 mai 2006 consid. 5c et les références. Le principe de légalité ne permet donc pas d’introduire des déductions fiscales qui ne sont pas prévues par la loi (ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 4).

4.             En l’espèce, se pose la question de savoir si la méthode unitaire implique, comme le sous-entend le TAPI en procédant à son calcul, de déterminer le gain immobilier imposable en lien avec l’immeuble de remplacement.

4.1 Les contribuables reviennent sur les frais d’acquisition de l’appartement genevois. Dans la mesure où ils n’ont pas remis en cause la taxation de CHF 0.- faite en lien avec l’aliénation de cet appartement, il n’y a pas lieu d’examiner cette question plus avant. De même, la question de la majoration du prix d’acquisition, telle qu’ils la font valoir n’est pas pertinente, comme cela sera vu ci-dessous.

4.2 Comme vu ci-dessus, le Tribunal fédéral a jugé que la méthode dite du partage était contraire à l’art. 12 al. 3 let. 3 LHID (ATF 143 II 694). Les contribuables et le TAPI estiment que l’AFC-GE a procédé à une application de cette méthode, en rendant deux décisions de taxation et en scindant le gain obtenu.

Or, le calcul effectué par l’AFC-GE, même s’il a donné lieu à deux bordereaux, dont l’un de CHF 0.-, aurait pu être rendu par un seul calcul et donc une seule décision.

4.3 En effet, la prise en compte par le TAPI de la perte subie lors de la revente du bien de remplacement dans son calcul du gain imposable, ne repose sur aucune base légale. Bien plus, par définition, l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers n’appréhende pas les pertes, puisqu’il a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble (art. 12 al. 1 LHID) ou, selon la loi genevoise, le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles (art. 80 LCP). Aucune disposition ne prévoit ainsi la compensation des pertes immobilières avec un gain immobilier antérieur ou ultérieur dont l’imposition est différée. Le refus de l’AFC-GE de déduire la perte immobilière invoquée ne prête pas le flanc à la critique, dès lors qu’elle n’est pas prévue par la LHID ni par la LCP. Le principe de la légalité s’oppose donc au raisonnement fait par le TAPI et les contribuables.

Ainsi, seule la première vente a donné lieu à un gain immobilier soumis à l’IGBI, dont la partie ayant bénéficié d’une prorogation n’a pas encore été imposée. Ce gain latent, doit, selon la méthode unitaire être taxé au moment de l’aliénation sans réinvestissement, comme en l’espèce, par le canton dans lequel a eu lieu cette dernière aliénation.

Le montant du gain immobilier différé ayant été fixé définitivement par les autorités vaudoises, il n’est pas possible non plus de procéder à sa diminution par la déduction d’une perte subie ultérieurement, comme cela résulte du calcul fait par le TAPI pour aboutir à un gain imposable de CHF 1'126'844.- ou CHF 563'422.- par contribuable au lieu de CHF 1'366'520 ou CHF 683'260.- par contribuable correspondant au gain immobilier différé. L’ajout du gain immobilier de CHF 0.-, qui résulte de l’aliénation de l’appartement de remplacement, à ce gain différé pour former le « gain total » des opérations, ne change d’ailleurs pas le résultat, en l’occurrence.

En conséquence, le recours des contribuables impliquant de fait une modification des montants pris en compte pour le calcul du gain immobilier différé, sera rejeté et le recours de l’AFC-GE sera admis, le montant d’impôt exigible ressortant de l’avis de taxation du 22 novembre 2021, calculé sur le gain immobilier différé, devant être confirmé.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire de A______ C______ et B______ C______ (art. 87 al. 1 LPA) et, il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 26 avril 2023 par l’administration fiscale cantonale et le 28 avril 2023 par A______ et B______ C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2023 ;

au fond :

admet le recours interjeté le 26 avril 2023 par l’administration fiscale cantonale ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2023 ;

rétablit les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 26 juillet 2022 ;

rejette le recours interjeté le 28 avril 2023 par A______ et B______ C______ ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge conjointe de A______ et B______ C______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine BERTHOUD, avocat de A______ et B______ C______, à l’administration fiscale cantonale ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :