Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/580/2023

ATA/1382/2023 du 20.12.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/580/2023-EXPLOI ATA/1382/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl et B______ recourants
représentés par Me Guy ZWAHLEN, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______) est une société à responsabilité limitée inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) genevois depuis le 19 novembre 2015, dont le but est l'exploitation de cafés, restaurants et kiosques, y compris la vente à l'emporter ainsi que le commerce et la vente de marchandises en tout genre, notamment les produits alimentaires et autres en relation avec la restauration.

b. B______, né le ______ 1979, de nationalité afghane et titulaire d'une autorisation de séjour B, a été l'unique associé gérant de A______ du 17 novembre 2015 au 23 mai 2023.

c. Par contrat du 28 mars 2023, B______ a cédé une partie des parts sociales (sept) de A______ à C______, né le ______ 1991, de nationalité afghane et détenteur d'une autorisation de séjour C.

d. À teneur du RC, B______ et C______ sont inscrits respectivement comme associé gérant président avec signature individuelle et associé gérant avec signature individuelle de A______.

e. D______a été associé gérant avec signature individuelle de A______ entre le 19 novembre 2015 et 8 mars 2018.

f. Par contrat de gérance libre du 12 avril 2017 (ci-après : contrat), E______, propriétaire de l'entreprise individuelle à la raison de commerce « F______ » (ci-après : commerce) a concédé l'exploitation ainsi que la location de son fonds de commerce sis rue ______ à D______, gérant et représentant de A______, qui en a accepté la gérance dès le 16 avril 2017 pour une durée d'une année, reconductible de manière tacite sauf volonté expresse exprimée par l'une des parties de vouloir y mettre un terme moyennant un délai de préavis de minimum trois mois avant l'expiration de la période du bail en cours.

Selon l'art. 1 3e phr. du contrat, les locaux sont mis à la disposition du nouvel exploitant, lequel doit en contrepartie s'acquitter d'une somme de CHF 2'500.- par mois à titre de redevance de gérance et la somme de CHF 2'600.- par mois à titre de loyer (art. 3 1re phr. du contrat).

g. Par requête du 18 novembre 2022, B______ a sollicité, pour le compte de A______, au moyen du formulaire idoine dûment rempli, auprès du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci‑après : PCTN), la délivrance d'une autorisation de vente à emporter des produits du tabac et des produits assimilés au tabac dans son commerce, conformément à l'art. 7 de la loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 17 janvier 2020 (LTGVEAT - I 2 25).

h. Par requête parallèle du 18 novembre 2022 auprès du PCTN, B______ a également annoncé, pour le compte de A______, la vente des produits finis conditionnés de cannabis légal dans le commerce.

i. Par requête parallèle du 18 novembre 2022 auprès du PCTN, B______ a enfin requis, pour le compte de A______, au moyen du formulaire idoine dûment rempli, la délivrance d'une autorisation de vente à emporter de boissons alcooliques dans son commerce, conformément à l'art. 7 LTGVEAT.

B. a. Par décision du 20 janvier 2023, le PCTN a refusé de délivrer l'autorisation de vente à emporter des produits du tabac et des produits assimilés au tabac et interdit, en conséquence, la vente de produits la vente de produits finis conditionnés de cannabis légal.

La requête était incomplète puisqu'elle ne comprenait pas le certificat de bonne vie et mœurs et l'extrait du casier judiciaire de B______ dans leurs versions originales, ni une attestation démontrant que A______ était à jour dans le paiement des cotisations relative au 2e pilier LPP.

Au sujet du contrat de gérance, celui-ci désignait comme cocontractant un ancien représentant de A______ qui ne figurait plus au registre du commerce en tant que gérant du commerce, ce qui prêtait à confusion car le cocontractant n'était pas clairement identifié. Ce contrat pouvait être compris comme comprenant, en sus de la gestion du commerce, la sous-location des locaux commerciaux. Or, ni l'accord du propriétaire des locaux commerciaux pour la sous-location, ni le contrat de bail principal n'avaient pas été produits.

Enfin, en tant que ressortissant d'un pays tiers, soit en l'occurrence l'Afghanistan, et au bénéfice d'une autorisation de séjour B, B______ ne remplissait pas les conditions personnelles posées par l'art. 8 al. 1 let. a LTGVEAT.

b. Par décision parallèle du 20 janvier 2023, le PCTN a également refusé de délivrer une autorisation de vente à emporter des boissons alcooliques, les motifs de refus de l'autorisation requise étant identiques.

Procédure A/580/2023

C. a. Par acte remis à la poste le 20 février 2023, A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : chambre administrative) contre la première des deux décisions précitées. Ils ont conclu à son annulation et à ce qu'ils soient autorisés à vendre à emporter des produits de tabac et de produits assimilés au tabac, ainsi que des produits finis conditionnés de cannabis légal. Une indemnité de procédure équitable devrait leur être octroyée.

La décision contestée violait la liberté du commerce et de l'industrie garantie par l'art. 27 Cst., laquelle protégeait non seulement le libre choix de l'activité économique mais imposait également une égalité de traitement entre les acteurs de la même branche économique. En particulier, imposer un permis C pour pouvoir vendre du tabac, tel que prévu à l'art. 8 al. 1 let. a LGTVEA, constituait une atteinte inadmissible à la liberté économique, car cette exigence n'obéissait à aucun intérêt public prépondérant et n'était pas conforme au principe de proportionnalité. Pour le reste, A______ disposait de locaux conformes aux exigences de l'art. 8 al. 2 LTGVEAT et était au bénéfice d'un contrat de gérance, ce qui constituait l'une des quatre conditions alternatives prévues pour ce qui concernait la situation de droit de l'usage des locaux par la RTGVEAT.

b. Le 23 mars 2023, l'intimé a conclu au rejet du recours. Les exigences pour la délivrance de l'autorisation sollicitée n'étaient pas remplies : au bénéfice d'un permis B et ressortissant d'un pays tiers, B______ ne satisfaisait pas la condition personnelle prévue par les dispositions de l'art. 8 al. 1 let. a LTGVEAT selon lesquelles le requérant ressortissant d'un pays tiers devait être titulaire d'un permis C, tout en précisant que dites dispositions ne lui laissaient aucune marge d'appréciation. N'avaient été par ailleurs versés à l'appui du dossier de requête d'autorisation ni le contrat de bail principal, ni l'accord du bailleur principal pour la sous-location contenue dans le contrat de gérance, conformément aux art. 8 al. 1 let. d LTGVEAT et art. 4  al. 1 let. i à k du règlement d'exécution de la loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l'emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 3 février 2021 (RTGVEAT - I 2 25.01).

c. Le 10 mai 2023, les recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions. Le nommé C______, détenteur d'un permis d'établissement, avait acquis sept parts sociales de A______ et était devenu co-gérant de cette dernière avec signature individuelle, de sorte que la condition personnelle prévue à l'art. 8 al. 1 let. a LTGVEAT était remplie. Quant aux exigences relatives aux locaux commerciaux, les recourants n'étaient pas au bénéfice d'un contrat de sous-location, mais d'un contrat de gérance, lequel suffisait, à teneur de l'art. 4 al. 1 let.  j et k RTGVEAT, pour l'octroi de l'autorisation sollicitée. Enfin, la loi ne fixait aucune exigence en ce qui concernait le contrat entre le propriétaire des locaux et l'exploitant, de sorte que le règlement outrepassait les exigences de la loi.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties avaient été préalablement informées.

 

 

Procédure A/583/2023

D. a. Par acte remis à la poste le 20 février 2023, A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci- après : chambre administrative) contre la seconde décision de refus du 20 janvier 2023, concluant à son annulation, à ce qu'ils soient autorisés à vendre à emporter des boissons alcooliques et à l'octroi d'une indemnité de procédure. Ils reprenaient les griefs invoqués dans leur recours dans la procédure parallèle.

b. Le 23 mars 2023, l'intimé a conclu au rejet du recours, persistant dans sa décision et reprenant la motivation juridique développée dans sa réponse dans la procédure parallèle.

c. Le 10 mai 2023, les recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions. Pour le reste, ils reprenaient les mêmes allégations de fait et de droit que dans leur réplique dans la procédure parallèle.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties avaient été préalablement informées.

EN DROIT

1.             Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Se pose la question d'une éventuelle jonction des deux procédures.

2.1 Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune. La jonction n'est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d'être jugée alors que la ou les autres viennent d'être introduites.

2.2 En l'espèce, les procédures A/580/2023 et A/583/2023 concernent deux recours émanant des mêmes recourants, à savoir B______ et A______, portés contre deux décisions prises le même jour par la même autorité intimée, soit le PCTN, soulevant des questions juridiques similaires. Les deux causes ont par ailleurs été gardées à juger.

2.3 Les conditions de la jonction sont ainsi réunies, de sorte qu'il se justifie de joindre les deux causes sous le numéro A/580/2023.

3.             Aux termes de l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure ayant abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les deux lettres de cette disposition doivent se lire en parallèle.

3.1 Selon la jurisprudence, un intérêt seulement indirect à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée n'est pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4). La qualité pour recourir d'un tiers, qui n'est pas le destinataire de la décision attaquée, ne peut être admise que de façon très limitée. Elle suppose que le tiers soit lui-même atteint de manière particulière par le prononcé litigieux (ATF 139 II 279 consid. 2.2) ; il doit être touché directement, et non de manière indirecte ou médiate (ATF 135 I 43 consid. 1.4 ; 133 V 239 consid. 6.2). N'a ainsi pas la qualité pour agir l'actionnaire unique en cas de décision concernant une société anonyme (ATF  131 II 306 consid. 1.2.2 ; 125 II 65 consid. 1). La qualité pour agir a été admise pour une enseigne exploitée sous forme de société pour une décision notifiée en mains de l'exploitant (ATA/241/2019 consid. 1).

3.2 En espèce, il est constant que la décision litigieuse fait suite à une requête formulée par B______ pour le compte de A______. En tant que cette société exploite le commerce pour lequel l'autorisation refusée a été requise, elle est directement touchée par la décision querellée, étant donné qu'elle a par ailleurs un intérêt digne de protection à ce que l'autorisation d'exploiter sollicitée soit délivrée à B______. L'admission de la qualité pour recourir de A______ suffit à la recevabilité des deux recours. Pour le surplus, l'autorisation d'exploiter étant strictement personnelle, intransmissible et réservée à une personne physique (art. 7 al. 4 LTGVEAT), B______ a un intérêt propre à l'annulation de la décision querellée, ce d'autant plus que la décision litigieuse lui a été adressée et notifiée personnellement. Il dispose également de la qualité pour recourir en son propre nom.

Partant, les deux recours sont recevables.

4.             L'objet du présent litige porte sur la conformité au droit des deux décisions du PCTN de refuser de délivrer aux recourants des autorisations de vente à emporter des produits du tabac et des produits assimilés ainsi que des boissons alcooliques dans leur commerce.

4.1 La LTGVEAT a pour buts d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation. Elle vise également à protéger la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction (art.  1 al. 1 LTGVEAT). Toute autorisation prévue par cette loi ne peut être délivrée que si les buts énoncés à l’al. 1 sont susceptibles d’être atteints (al. 2).

4.2 En sus de la vente à l’emporter de boissons alcooliques, la vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac, y compris l’exploitation d’appareils automatiques délivrant ces produits est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par le PCTN (art. 7 al. 1 LTGVEAT). Une autorisation est nécessaire pour chacune des activités (al. 2). Elle doit être requise lors de chaque création ou reprise d’un commerce existant (al. 3). L’autorisation, strictement personnelle et intransmissible, ne peut être accordée qu’à une personne physique, soit pour son propre compte, soit pour le compte d’une société commerciale ou d’une personne morale qu’elle a, en fait et en droit, le pouvoir de diriger, d’engager et de représenter. L’autorisation est délivrée pour un établissement et des locaux déterminés (al. 4). Elle est valable pour une période de 4 ans renouvelable (al. 5). L’autorisation réserve expressément les autorisations d’autres départements ou services de l’administration prescrites par d’autres textes législatifs ou réglementaires (al. 5).

4.3 Les conditions de délivrance de l'autorisation sont fixées à l'art. 8 LTGVEAT. À titre de conditions personnelles, l’autorisation est délivrée à condition que le requérant (al. 1) soit de nationalité suisse, ou au bénéfice d’un permis d’établissement, ou visé par l’accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999, ou par l’accord amendant la Convention du 4 janvier 1960 instituant l’Association européenne de libre-échange, du 21 juin 2001 (let. a) ; ait l’exercice des droits civils (let. b) ; offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l’établissement soit exploité conformément aux dispositions de la présente loi et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail (let. c) ; dispose des locaux nécessaires (let. d).

Pour les conditions relatives aux locaux, l’autorisation d’exploiter est délivrée à condition que les locaux (al. 2) ne soient pas susceptibles de troubler concrètement l’ordre public, en particulier la tranquillité publique, du fait de leur construction, de leur aménagement et de leur implantation manifestement inappropriés (let. a) ; ne permettent pas à des mineurs d’accéder sans surveillance aux produits qui leur sont interdits (let. b) ; fassent l’objet, le cas échéant, d’un préavis favorable du service de la consommation et des affaires vétérinaires (let. c).

Selon l'art. 4 al. 1 RTGVEAT, les documents nécessaires à la vérification des conditions relatives aux locaux de vente et stockage comprennent un extrait original du registre foncier relatif aux locaux, si le requérant est propriétaire des locaux (let. h) ; une copie du contrat de bail relatif aux locaux, si le requérant n'est pas propriétaire des locaux (let. i) ; une copie du contrat de sous-location et document original attestant que le propriétaire des locaux autorise la sous-location, si le requérant est sous-locataire (let. j) ; une copie du contrat de gérance, si le requérant dispose des locaux par contrat de gérance (let. k).

Ni les travaux préparatoires de la LTGVEAT, ni ceux de la loi sur la vente à l’emporter des boissons alcooliques du 22 janvier 2004 (LVEBA - I 2 24) qui a été abrogée et remplacée par la LTGVEAT n'apportent aucun éclairage particulier sur les conditions relatives aux locaux nécessaires inscrites dans la loi. En revanche, à l'instar de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), la LTGVEAT vise à préserver l'ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques par le propriétaire ou l'exploitant. C'est dans ce cadre que le législateur a soumis l'autorisation d'exploiter à un certain nombre de conditions, parmi elles figurent la nécessité pour l'exploitant de disposer des locaux nécessaires et celle de distinguer le propriétaire de l'exploitant du commerce.

La LRDBHD prévoit, en effet aussi bien dans son ancienne version que dans la nouvelle version, des exigences similaires à celles de la LTGVEAT concernant les documents nécessaires à l'autorisation d'exploiter. Il ressort plus précisément de l'art. 20 al. 2 let. g du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), dont les dispositions concrétisent l'art.  9 let. g LRDBHD relatif à l'accord du bailleur des locaux de l'entreprise, que le requérant de l'autorisation d'exploiter doit fournir des copies des contrats de bail principal, de sous-location et de l’attestation du bailleur principal et, le cas échéant, de l'accord du sous-bailleur autorisant la sous-location (si le propriétaire de l’entreprise est sous-locataire).

Selon l'exposé des motifs présenté à l'appui du projet de loi relatif à la LRDBH – qui a précédé la LRDBHD –, l'autorité ne saurait délivrer une autorisation d'exploiter pour un établissement que le requérant ne serait pas en droit de gérer au sens du droit civil. Elle doit donc s'assurer, si le requérant n'est pas lui-même propriétaire de l'établissement, qu'il dispose de l'accord de celui-ci, de même, s'il n'est pas lui-même propriétaire des locaux, qu'il dispose de l'accord du bailleur. Il n'appartient en revanche pas à l'autorité de trancher les litiges quant à la propriété de l'établissement ou à l'existence et au contenu d'un bail portant sur les locaux de l'établissement ; les intéressés devront être, dans de tels cas, invités à se mettre d'accord et au besoin renvoyés à agir devant les tribunaux compétents (MGC 1985/III 4241).

En particulier, il est fait référence au contrat de gérance, à l'instar des dispositions des art. 20 al. 3 let. f et art. 39 al. 2 RRDBHD, lorsque le propriétaire du commerce et l'exploitant ne sont pas réunis en la même personne (art. 3 let. n et o LRDBH). Il ressort des travaux préparatoires du projet de LRDBH que lorsqu'un établissement n'est pas exploité par son propriétaire, l’exploitant est ainsi responsable de la gestion et de l'exploitation de l'entreprise et il n'est pas question de faire reposer cette responsabilité sur une autre personne, quel que soit le titre ou le rôle de cette dernière dans l'organisation de l'entreprise, afin d'éviter toute forme de dilution des responsabilités (PL 11282 61/84). Le contrat de gérance permet ainsi à l'autorité d'identifier et de prendre des sanctions ou mesures lorsque le gérant responsable de la gestion et de l'exploitation manque à ses devoirs. Compte tenu de ces développements, la chambre de céans s'inspirera du régime prévu par la LRDBH dans son examen de l'application de la LTGVEAT et son règlement d'exécution.

4.4 L'art. 10 LTGVEAT mentionne les obligations à la charge du titulaire d’une autorisation. Les titulaires d’une autorisation prévue par la présente loi sont tenus d’informer sans délai le service de tous les faits qui peuvent affecter les conditions de l’une ou l’autre des autorisations (al. 1). Ils sont tenus de respecter les dispositions de la présente loi et celles de la législation fédérale (al. 2). Ils doivent en particulier veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients. À cette fin, une pièce d’identité peut être exigée (al. 3). Ils doivent exploiter leur commerce de manière à ne pas engendrer d’inconvénients graves ni de troubles de l’ordre public tant à l’intérieur du commerce que dans ses environs immédiats (al.  4). Si l’ordre est sérieusement troublé ou menacé de l’être, que ce soit à l’intérieur du commerce ou dans ses environs immédiats, l’exploitant doit faire appel à la police (al. 5).

4.5 Les exploitants de points de vente de produits finis conditionnés de cannabis légal ont l’obligation de procéder à une annonce de l’établissement auprès du service.

5.             Dans les deux procédures, les recourants ont invoqué la violation de la liberté économique, sous l'angle du critère de la proportionnalité. Ils estiment que l'exigence légale d'un permis d'établissement comme condition de délivrance d'une autorisation de vente à emporter des produits du tabac et des produits assimilés ainsi que des boissons alcooliques dans leur commerce n'est conforme à aucun intérêt public prépondérant et viole le principe de proportionnalité au sens général. Dans leurs conclusions ultérieures, ils semblent abandonner ce grief en arguant que, dès lors que C______, qui est titulaire d'un permis d'établissement, est devenu dans l'intervalle co-gérant de A______ avec signature individuelle, rien ne s'oppose plus à la délivrance de l'autorisation sollicitée. Quand bien même il apparaît que C______ peut se prévaloir de satisfaire les conditions personnelles de délivrance de l'autorisation d'exploiter, la chambre de céans n'examinera pas plus avant cette question qui peut rester ouverte, vu que le sort du litige est scellé par l'examen du grief qui suit.

6.             Dans les deux procédures, les recourants se plaignent de la violation du principe de la séparation des pouvoirs. Le Conseil d'État avait outrepassé ses pouvoirs en énonçant dans le RTGVEAT la production du contrat principal, de l'accord du bailleur pour la sous-location ainsi que le contrat de sous-location en vue de l'obtention de l'autorisation sollicitée.

6.1 Selon l'art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit est la base et la limite de l'activité de l'État. Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l'exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l'ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l'autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 621s, 624 et 650 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 448, 467 ss et 476 ss).

6.2 Au niveau fédéral, le principe de la séparation des pouvoirs est implicitement contenu dans la Constitution fédérale (Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 458). Il s'agit d'un droit constitutionnel dont peut se prévaloir le citoyen (ATF 130 I 1 consid. 3.1). Le principe de la séparation des pouvoirs interdit à un organe de l'État d'empiéter sur les compétences d'un autre organe ; en particulier, il interdit au pouvoir exécutif d'édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n'est dans le cadre d'une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; 138 I 196 consid. 4.1 ; 134 I 322 consid. 2.2).

6.3 Dans le canton de Genève, l'art. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) consacre expressément le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 80 Cst-GE). Le Conseil d'État est chargé de l'exécution des lois et adopte à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE). À moins d'une délégation expresse, le Conseil d'État ne peut pas poser de nouvelles règles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations, même si ces règles étaient conformes au but de la loi (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. I : L'État, 4ème éd., 2021, p. 670 ; ATF 134 I 313 consid. 5.3 ; 133 II 331 consid. 7.2.2 ; 130 I 140 consid. 5.1 ; ATA/914/2019 du 21 mai 2019 consid. 6 ; ATA/52/2015 du 13 janvier 2015 consid.  2 ; ACST/28/2018 du 12 décembre 2018 consid. 8b).

Pour déterminer l'étendue du pouvoir réglementaire, il faut interpréter la loi quelle que soit la nature de la norme (Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 244 ss).

6.4 En l'espèce, l'art. 4 let. i et j RTGVEAT prévoit que le requérant produise avec la requête d'autorisation d'exploiter une copie du contrat de bail relatif aux locaux lorsque le requérant n'est pas le propriétaire des locaux ainsi qu'une copie du contrat de sous-location et un document original attestant que le propriétaire des locaux autorise la sous-location, si le requérant est sous-locataire. Les recourants prétendent que ces exigences ne résultent pas de l'art. 8 al. 1 let. d LTGVEAT, de sorte que le Conseil d'État s'est mis en porte-à-faux avec la loi. Selon eux, la fourniture d'une copie d'un contrat de gérance devait en revanche suffire. Cette argumentation ne peut être suivie : lorsque le requérant n'est pas propriétaire des locaux, la liste des documents visés par l'art.  4 let. i et j RTGVEAT est uniquement destinée, à l'instar de ce que prévoyaient les dispositions de l'art. 9 let. g LRDBH, à permettre à l'autorité de vérifier qu'il est en droit de gérer le commerce ou l'établissement conformément au droit civil. En d'autres termes, il s'agit pour le PCTN de s'assurer non seulement que la destination des locaux est conforme à l'exploitation envisagée dans l'autorisation requise, mais aussi que le requérant dispose de l'accord du propriétaire des locaux, selon les règles applicables au bail des locaux. Au-delà de leur conformité au but de la LTGVEAT et dès que les exigences contenues dans le règlement d'exécution de cette loi se limitent à mettre en œuvre ce qu'il faut entendre par la notion de « locaux nécessaires » prévue par l'art.  8 al. 1 let. d LTGVEAT, on doit considérer qu'elles sont conformes à la loi. Les recourants ne sauraient faire valoir que la loi ne fixe aucune exigence en ce qui concerne le contrat entre le propriétaire des locaux et l'exploitant.

En outre, l'exigence de la production de la copie du contrat de gérance prévue à l'art.  4 let.  k RTGVEAT procède également, à l'instar de l'art. 3 let. n et o LRDBH, de la nécessité de distinguer le propriétaire de l'exploitant lorsque le propriétaire a cédé la gestion de son commerce ou de son établissement à une tierce personne qui en est devenue le gérant. Il en va ainsi lorsque le requérant n'est pas lui-même propriétaire de l'entreprise, mais exerce effectivement toutes les activités relevant de la gestion de celle-ci avec l'accord dudit propriétaire, conformément aux règles applicables à la propriété. Partant, de telles dispositions sont conformes à la LTGVEAT. N'étant pas propriétaires du commerce, c'est à juste titre que les recourants devaient fournir, en plus du contrat de bail principal et l'accord du bailleur principal pour la sous-location, une copie du contrat de gérance.

En toute hypothèse, l'autorité intimée ne pouvait, sous prétexte que D______ne figurait plus au registre du commerce en tant que représentant et gérant A______, enjoindre aux recourants de mettre à jour le contrat de gérance. En vertu du mécanisme de la représentation des personnes morales ancré en droit privé, les actes accomplis par un représentant autorisé passent en effet à celles-ci et lient leurs dirigeants successifs (art. 32 ss CO). Ainsi, quel que soit le gérant inscrit au registre du commerce postérieurement à la signature du contrat de gérance par l'ancien gérant dûment autorisé, A______ demeure la partie cocontractante dudit contrat.

Lorsque le contrat de gérance contient en sus des clauses relatives à la mise à disposition des locaux au bénéfice du gérant, on peut raisonnablement en inférer, sauf à se rendre coupable de formalisme excessif, qu'il établit, à tout le moins, l'existence d'un contrat de sous-location lorsque le propriétaire du commerce n'est pas propriétaire des locaux commerciaux. Cela ne saurait toutefois dispenser le gérant requérant de produire les autres documents requis à l'art. 4 let. i et j RTGVEAT.

Dès lors que A______ et B______ ne sont ni propriétaires des locaux, ni propriétaires du commerce « F______», c'est à bon droit que l'autorité intimée a considéré qu'en l'absence du contrat de bail principal et de l'accord du bailleur principal pour la sous-location, il ne pouvait être constaté que A______ disposait des locaux commerciaux selon les règles du droit privé. Autrement dit, compte tenu du fait que le contrat de gérance se limitait à prouver une cession de la gestion au A______, cela ne dispensait pas les recourants de produire en sus le contrat de bail principal et l'accord du bailleur principal pour la sous-location en vue de l'obtention des autorisations sollicitées.

Dans ces conditions et contrairement à ce que soutiennent les recourants, le pouvoir exécutif n'a pas empiété sur le pouvoir législatif en mettant en œuvre l'art. 8 al. 1 let.  d LTGVEAT dans le règlement d'exécution de cette loi, soit en particulier l'art. 4 let. i, j et k RTGVEAT.

Partant, le grief, mal fondé, sera écarté.

Au vu de ce qui précède, les deux décisions du 20 janvier 2023 sont conformes au droit et les recours, infondés, seront rejetés.

7.             Vu l'issue du litige, un émolument de CH 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art.  87 al.  2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/580/2023 et A/583/2023 sous le no A/580/2023 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 20 février 2023 par A______ Sàrl et B______ contre les décisions du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 20 janvier 2023 ;

 

au fond :

les rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de A______ Sàrl et B______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivant sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat des recourants, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :