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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2319/2021

ATA/279/2022 du 15.03.2022 sur JTAPI/19/2022 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2319/2021-ICCIFD ATA/279/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 mars 2022

4ème section

 

dans la cause

 

Madame Monsieur A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 janvier 2022 (JTAPI/19/2022)


EN FAIT

1) Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2019 de Madame A______ et de Monsieur A______.

2) Le 19 mai 2020, les époux ont déposé leur déclaration fiscale 2019.

3) Le 15 mars 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié à chaque époux les bordereaux ICC/IFD 2019.

4) Le 21 mai 2021, Mme A______ a formé réclamation contre ces bordereaux.

5) Par décisions du 10 juin 2021, l’AFC-GE a déclaré la réclamation irrecevable, car tardive.

6) Par acte du 6 juillet 2021, Mme A______ a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Lors de la réception des bordereaux 2019, elle faisait face à de sérieux problèmes familiaux et avait négligé le suivi administratif de ses affaires, oubliant ainsi de donner suite à ces taxations. Son époux avait demandé le divorce et s’était expatrié, l’un de ses deux fils avait fait une tentative de suicide, suivie d’une hospitalisation et d’une prise en charge tant psychiatrique que psychologique, et le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant avait ordonné le placement de ses enfants en foyer. Sa situation financière était difficile, et elle ne disposait pas des moyens de régler les montants requis par l’AFC-GE.

7) Par courrier du 14 juillet 2021, le TAPI a informé le contribuable du dépôt du recours.

8) Le 9 août 2021, ce dernier a écrit au TAPI que son épouse n’était pas consciente du désastre qui les touchait. Lui-même n’en pouvait plus, souffrait, mais il gardait ses facultés. Il avait sollicité une scission auprès de l’AFC-GE, exposant ne plus habiter au domicile conjugal et avoir fait les démarches pour s’expatrier le 3 avril 2021. Il était revenu à Genève du fait qu’il avait appris que son fils s’était suicidé, alors qu’il s’agissait d’une tentative de suicide. Il y était actuellement bloqué en raison de la situation sanitaire, mais envisageait de partir, en septembre 2021, terminer sa vie ailleurs ; à l’âge de 74 ans, il n’avait plus de prétentions.

Jusqu’en mars 2021, il s’était occupé de régler toutes les charges, dont les impôts. Son épouse n’avait jamais porté d’intérêt à ces questions. Il avait effectué un versement de CHF 730.- pour les acomptes 2020, mais s’était trompé – miné par le désespoir – et avait effectué le virement sur le numéro de contribuable de son fils Sidi, qui avait le même prénom que lui et qui ne payait pas encore d’impôts, étant étudiant. Il souhaitait que son épouse paye sa part des impôts et lui la sienne.

9) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il n’existait pas de justes motifs permettant de prolonger le délai de réclamation. La contribuable avait reconnu avoir réclamé tardivement. Elle se prévalait de problèmes familiaux, mais ceux-ci n’étaient pas étayés et elle n’avait pas non plus démontré qu’ils l’aient empêchée de s’occuper de ses affaires fiscales ou de désigner un mandataire pour ce faire. Aucun motif de reconsidération obligatoire n’étant réalisé, l’AFC-GE n’avait pas à entrer en matière sur une demande de réexamen.

10) Par jugement du 10 janvier 2022, notifié le 12 janvier 2022 à chaque époux, le TAPI a rejeté le recours.

Les bordereaux litigieux datant du 15 mars 2021, la réclamation du 21 mai 2021 était manifestement tardive, ce que la contribuable ne contestait pas. Ni les conditions permettant d’entrer en matière sur une réclamation tardive ni celles d’une révision n’étant remplies, la réclamation avait à juste titre été déclarée irrecevable.

11) Par acte expédié le 17 janvier 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre ce jugement.

Il avait sollicité une scission, au sujet de laquelle il n’avait pas eu de retour. Son épouse n’ouvrait pas les courriers qui comportait son nom à lui. Pour elle, les questions fiscales relevaient du ressort du mari, considérant qu’il devait s’acquitter des impôts. Depuis qu’elle avait commencé à travailler, deux à trois ans auparavant, tout s’était « disloqué ». Il n’avait pas les moyens de s’acquitter de la charge fiscale. Il ne voulait payer que sa part et ne voulait pas que ses enfants aient à payer à sa place. Cela faisait 44 ans qu’il avait toujours honoré ses dettes fiscales. Il autorisait le fisc à vendre sa maison pour payer les impôts. La législation avait « failli » dans sa situation.

12) Mme A______ a exposé que jusqu’en 2019, son mari s’était occupé seul des questions fiscales concernant la famille. Jusqu’en 2008, elle s’était exclusivement occupée de leurs huit enfants, dont cinq étaient issus d’une précédente union de son mari. Ensuite, elle avait travaillé auprès de différentes organisations internationales et depuis janvier 2019 aux HUG. En 2019, son mari avait « résilié » leur compte commun, qui servait au paiement des factures relatives aux besoins de la famille. Des événements douloureux avaient suivi. Elle tenait à éviter une saisie de leur maison. Elle demandait que le dossier fiscal soit rouvert, afin qu’un nouveau calcul soit effectué pour qu’elle puisse « répondre à [s]es obligations fiscales ».

13) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

14) Dans sa réplique, le recourant a uniquement produit un courrier adressé par ses soins le 10 février 2022 à l’AFC-GE. Il s’y plaignait de devoir payer des impôts qui ne le concernaient pas.

15) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant ne conteste pas – comme son épouse avant lui devant le TAPI – que la réclamation a été formée hors délai. Il convient ainsi d’examiner si celle-ci pouvait néanmoins être déclarée recevable.

a. La décision de taxation peut faire l’objet d’une réclamation dans les trente jours suivant sa notification (art. 39 al. 1 LPFisc, art. 132 al. 1 LIFD). Passé le délai de trente jours, une réclamation n’est recevable que si le contribuable établit que par suite de service militaire, de service civil, de maladie, d’absence du pays ou pour d’autres motifs sérieux, il a été empêché de présenter son recours en temps utile et qu’il l’a déposé dans les trente jours après la fin de l’empêchement (art. 41 al. 3 LPFisc).

Les cas de force majeure restent réservés (art. 16 al. 1, 2ème phr. LPA, art. 133 al. 3 LIFD et 41 al. 1 LPFisc). À cet égard, il y a lieu de préciser que tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible et sans sa faute (SJ 1999 I 119 ; RDAF 1991 p. 45 ; ATA/1595/2017 du 12 décembre 2017 consid. 3 ; ATA/261/2016 du 22 mars 2016). Les conditions pour admettre un empêchement de procéder à temps sont très strictes. Celui-ci peut résulter d’une impossibilité objective ou subjective. L’empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait impliqué la prise de dispositions que l’on ne peut raisonnablement attendre de la part d’une personne avisée (ATA/1373/2018 du 18 décembre 2018 consid. 8 ; ATA/1595/2017 précité consid. 3).

b. Selon l’art. 113 LIFD, les époux qui vivent en ménage commun exercent les droits et s’acquittent des obligations qu’ils ont de manière conjointe (al. 1). La déclaration d’impôt doit porter les deux signatures (al. 2). Pour que les recours et autres écrits soient réputés introduits en temps utile, il suffit que l’un des époux ait agi dans les délais (al. 3). Toute communication que l’autorité fiscale fait parvenir à des contribuables mariés qui vivent en ménage commun est adressée aux époux conjointement (al. 4). L’art. 16 LPFisc a une teneur similaire.

L’art. 113 al. 3 LIFD institue une forme de représentation réciproque des époux dans la procédure fiscale. Chacun des époux peut en principe exercer ses droits ou s’acquitter de ses obligations de manière indépendante. Peu importe de savoir lequel des époux a exercé seul un droit ou s’est acquitté seul d’une obligation, son acte de procédure déployant également des effets pour l’autre époux (ATA/923/2018 du 11 septembre 2018 consid. 2g et les références citées).

c. À teneur des art. 147 al. 1 LIFD et 55 al. 1 LPFisc, qui instituent un cas de reconsidération obligatoire, une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office : lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts (let. a) ; lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître, ou qu’elle a violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure (let. b) ; lorsqu’un crime ou un délit a influé sur la décision ou le prononcé (let. c).

d. En l’espèce, ni le recourant ni son épouse n’établissent qu’ils auraient été confrontés à des circonstances justifiant la restitution du délai de réclamation. Il n’y a pas lieu de douter, comme ils l’allèguent de manière concordante, qu’ils ont rencontré ces dernières années des difficultés conjugales importantes et que l’un de leur fils a commis une tentative de suicide. Cela étant, ils n’ont pas apporté d’éléments concrets permettant de retenir plus spécifiquement que, entre le 15 mars et le 21 mai 2021, ils auraient l’un et l’autre été empêchés d’agir ou de mandater un tiers à cette fin en vue de former réclamation.

Ainsi, quand bien même la contribuable n’avait pas l’habitude de gérer les aspects fiscaux du couple, elle n’explique pas pourquoi elle n’a pas recouru à l’aide de son mari, comme elle l’avait fait jusqu’alors, voire à l’aide de tiers. Le recourant se plaint surtout du fait qu’il n’aurait pas été donné suite à sa demande de taxation séparée, intervenue en 2021. Cette question relève cependant du fond et n’a pas trait à l’irrecevabilité de la réclamation. En outre, le recourant n’ayant quitté la Suisse qu’en avril 2021, il aurait également pu agir en temps utile, étant relevé qu’il ressort des indications concordantes des contribuables qu’il s’était occupé de régler les impôts jusqu’en mars 2021.

En l’absence d’éléments permettant de retenir que chacun des époux était, entre le 15 mars et le 21 mai 2021, empêché de former réclamation ou de mandater un tiers à cette fin, l’autorité intimée était fondée à refuser de restituer le délai de réclamation et de déclarer celle-ci irrecevable.

Pour le surplus, les contribuables ne font valoir aucun motif de reconsidération ; ils n’invoquent en particulier pas de faits importants ou de preuves découvertes après la décision de taxation, ne font pas valoir que l’autorité intimée aurait omis de tenir compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître ni qu’elle aurait violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure. Aucun élément au dossier ne permet, au demeurant, de retenir que les conditions d’une reconsidération obligatoire seraient réunies.

Au vu de ce qui précède, la décision déclarant irrecevable la réclamation est conforme au droit. Le recours est ainsi infondé et sera, partant, rejeté.

3) Vu l’issue du litige, l’émolument de CHF 700.- sera mis à la charge conjointe des contribuables, qui ne peuvent se voir allouer aucune indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 janvier 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 janvier 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 700.- à la charge solidaire de Monsieur A______ et Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame et Monsieur A_____, à l'administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

 

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :