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Décisions | Chambre civile

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C/4443/2023

ACJC/77/2024 du 16.01.2024 sur DTPI/8692/2023 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4443/2023 ACJC/77/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 16 JANVIER 2024

 

Pour

Madame A______, domiciliée ______, et B______ SA, sise ______, recourantes contre une ordonnance rendue par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 août 2023, représentées par Me Jacqueline MOTTARD, avocate, Kooger & Mottard, rue Pedro-Meylan 1, case postale 6203, 1211 Genève 6.

 


EN FAIT

A. a. B______ SA est une société sise à Genève qui a pour but la gestion, le management et l'exploitation de lieux publics tels que restaurants, bars, cafés et buvettes. A______ en est l'actionnaire et l'administratrice unique.

A une date non spécifiée, B______ SA et A______ ont conclu un contrat de bail à loyer avec la COMMUNE DE C______ portant sur la location de locaux sis rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, dans lesquels la société exploite le café-restaurant "B______" dont A______ est la gérante.

D______ travaille dans la restauration et exploite depuis plusieurs années divers établissements publics dans les cantons de Genève et Vaud.

b. A______ allègue avoir été contactée, au début de l'année 2022, par E______, lequel était intéressé à reprendre l'exploitation du café-restaurant "B______" et à effectuer des travaux dans les locaux loués, cela avec le soutien financier de D______. S'en étaient suivis des pourparlers portant sur la vente du capital-actions de B______ SA à D______ et le transfert du contrat de bail au nouvel exploitant du café-restaurant.

Le 17 mai 2022, D______, A______, B______ SA et E______ ont signé une "Convention de vente à terme", aux termes de laquelle A______ s'est engagée, notamment, (i) à céder les actions de B______ SA à D______ pour 650'000 fr. et à requérir l'inscription de la précitée au registre du commerce d'ici le 31 août 2022 au plus tard, (ii) à démissionner du conseil d'administration de B______ SA "dès le renouvellement (prolongation) du bail", en désignant E______ comme nouvel administrateur, (iii) à signer la demande de changement de la patente en faveur de D______ et (iv) à transférer le contrat de bail à E______, la société demeurant co-titulaire du bail à ses côtés. En contrepartie, D______ s'est engagée, notamment, à payer le prix convenu pour les actions, à reprendre les dettes de la société (notamment le remboursement d'un prêt COVID) à hauteur d'un montant maximum de 800'000 fr., à réaliser des "réfections intérieures" et à prendre en charge divers coûts d'exploitation.

Le 26 juillet 2022, D______ et A______ ont conclu une deuxième convention, par laquelle la première s'engageait à prêter à la seconde la somme de 300'000 fr. aux fins de financer une augmentation du capital-actions de B______ SA. Aux termes de cette convention, A______ s'engageait, notamment, à ne pas utiliser la somme prêtée de 300'000 fr. sans l'accord écrit et la signature de D______. La convention stipulait, par ailleurs, qu'en cas de refus par la COMMUNE DE C______ "d'octroyer le bail [du restaurant] B______" aux conditions prévues, A______ s'engageait à tenir une assemblée générale afin de procéder à la réduction du capital-actions de B______ SA et de rembourser à D______ la somme prêtée. En revanche, "si le bail était octroyé" par la COMMUNE DE C______ aux conditions prévues, A______ s'engageait à céder à D______ les 30 nouvelles actions émises suite à l'augmentation du capital-actions, moyennant la compensation du prêt consenti, ainsi que 100% du "capital-actions originel" aux conditions stipulées dans la convention du 17 mai 2022.

Suite à la signature de cette deuxième convention, D______ a versé 300'000 fr. sur le compte de consignation désigné à cet effet par les parties.

c. Le 19 décembre 2022, D______ a saisi le Tribunal de première instance d'une requête de mesures provisionnelles à l'encontre de A______ et de B______ SA. Elle a conclu, notamment, à ce qu'il soit fait interdiction aux précitées d'utiliser la somme prêtée de 300'000 fr. sans son accord écrit et sa signature, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

D______ a allégué que les relations entre les parties s'étaient subitement détériorées, A______ ne lui donnant plus aucune nouvelle sur l'avancée du projet. En octobre 2022, suite à la parution d'un article dans la presse, elle avait découvert - ce qui lui avait été dissimulé - qu'un litige opposait la COMMUNE DE C______ à A______ depuis plusieurs mois et que le bail du café-restaurant avait été résilié une première fois au printemps 2022 pour le 31 mars 2024, puis une deuxième fois de façon anticipée. Des procédures étaient pendantes devant la juridiction des baux et loyers. En outre, D______ avait appris que l'argent prêté avait été utilisé sans son accord, notamment pour payer des fournisseurs du café-restaurant, en violation de la convention signée en juillet 2022. Elle ignorait ce qu'il était advenu de la somme de 300'000 fr., A______ ayant refusé de la renseigner à ce sujet, en dépit de ses nombreuses relances.

d. Par ordonnance OTPI/84/2023 du 3 février 2023, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a fait interdiction à A______ et à B______ SA d'utiliser la somme de 300'000 fr. versée par D______ dans le cadre de l'augmentation de capital-actions de la société sans l'accord écrit et la signature de la précitée, assorti cette interdiction à l'endroit de A______ de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, rejeté la requête de mesures provisionnelles pour le surplus et imparti à D______ un délai de 30 jours pour faire valoir son droit en justice.

e. Par acte du 9 mars 2023, D______ a déposé devant le Tribunal une action en exécution des conventions des 17 mai et 26 juillet 2022 dirigée contre A______ et B______ SA. Elle a conclu, notamment, à la validation des mesures prononcées par l'ordonnance OTPI/84/2023 du 3 février 2023 et, en particulier, à ce qu'il soit fait interdiction aux précitées - sous la menace des peines de droit - d'utiliser la somme de 300'000 fr. sans l'accord écrit et la signature de D______. La valeur litigieuse de la demande était estimée à 40'000 fr.

f. Dans leur réponse du 23 août 2023, A______ et B______ SA ont conclu au déboutement de D______ de l'entier de ses conclusions. Sur demande reconventionnelle, elles ont conclu à ce que le Tribunal ordonne l'exécution par D______ de la convention signée le 17 mai 2022 et condamne la précitée verser à B______ SA la somme de 211'086 fr., sous réserve d'amplification.

Elles ont allégué avoir respecté leurs engagements tels que stipulés dans les conventions, contrairement à D______. La précitée, qui avait été informée du litige en cours avec la COMMUNE DE C______, n'avait pas procédé aux travaux de réfection dans le café-restaurant, ni assumé les dettes et charges d'exploitation de B______ SA comme prévu par la convention du 17 mai 2022. S'agissant de la deuxième convention, la somme prêtée de 300'000 fr. avait été affectée à l'augmentation du capital-actions de B______ SA, comme convenu par les parties, dans le but de fournir à la COMMUNE DE C______ des garanties sur la solidité financière du nouvel exploitant et d'obtenir la reconduction du bail. D______ n'ayant pas honoré ses obligations, B______ SA avait dû assumer à sa place de nombreux frais (remboursement du prêt COVID, paiement des salaires et du loyer des locaux, etc.) dont elle réclamait le remboursement.

B. Par ordonnance DTPI/8692/2023 du 28 août 2023, reçue par A______ et B______ SA le 30 août 2023, le Tribunal a imparti aux précitées un délai au 29 septembre 2023 pour fournir une avance de frais de 10'000 fr. s'agissant de leur demande reconventionnelle du 23 août 2023.

C. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 11 septembre 2023, A______ et B______ SA ont formé recours contre cette ordonnance, concluant principalement à son annulation et, cela fait, à ce que la Cour fixe l'avance de frais à 6'500 fr., subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, le tout sous suite de frais et dépens. Préalablement, elles ont sollicité la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise.

b. Par décision du 15 septembre 2023, la Cour a accordé la suspension de l'effet exécutoire attaché à ladite ordonnance.

c. Invité à se déterminer sur le recours, le Tribunal a, par courrier du 28 septembre 2023, conclu à son rejet et relevé que l'avance de frais requise se situait dans la fourchette prévue par l'art. 17 RTFMC.

d. La cause a été gardée à juger le 20 octobre 2023, ce dont A______ et B______ SA ont été informées le jour même.


 

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC). La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC.

Interjeté dans le délai requis et selon la forme prévue par la loi (art. 321 CPC), le recours est recevable.

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. Les recourantes reprochent au Tribunal d'avoir fixé la quotité de l'avance de frais de façon schématique, sur la base de son tarif interne, sans s'être livré à "aucune autre appréciation".

2.1.1 Les frais comprennent les frais judiciaires (art. 95 al. 1 let. a CPC), lesquels comprennent notamment l'émolument forfaitaire de conciliation et de décision, les frais d'administration des preuves et de traduction (art. 95 al. 2 let. a à d CPC). Les cantons fixent le tarif des frais (art. 96 CPC) et le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés (art. 98 CPC). Les frais sont mis à la charge de la partie succombante (art. 106 al. 1 CPC) et sont compensés avec les avances fournies par les parties (art. 111 al. 1 CPC).

2.1.2 Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure. Ils sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC).

La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC). Lorsque le règlement fixe un barème-cadre, les émoluments sont arrêtés compte tenu, notamment, des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure ou de l'importance du travail qu'elle a impliqué (art. 5 RTFMC). Si des circonstances particulières le justifient, l'émolument peut être majoré jusqu'à concurrence du double du montant maximal. Tel est notamment le cas lorsque la cause a impliqué un travail particulièrement important, lorsque la valeur litigieuse est très élevée, lorsqu'une partie a formé des prétentions ou usé de moyens de défense manifestement excessifs ou encore lorsqu'elle a, de par son attitude, compliqué la procédure (art. 6 RTFMC).

En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, les émoluments sont majorés de 20% (art. 13 RTFMC).

Une demande reconventionnelle donne lieu à un émolument au même titre qu'une demande principale (art. 14 RTFMC).

L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour une action en justice dont la valeur litigieuse porte sur un montant compris entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr.

Selon le chiffre 3.1.1 du tarif interne des demandes d'avances de frais pour le Tribunal de première instance - adopté par la présidence du Tribunal le 28 janvier 2011 et modifié en dernier lieu le 12 octobre 2018, disponible sur le site internet du Pouvoir judiciaire -, pour une valeur litigieuse entre 100'001 fr. et 250'000 fr., le montant de l'avance de frais est de 10'000 fr.

2.1.3 Faisant partie des contributions causales, les émoluments de justice obéissent au principe de l'équivalence (ATF 133 V 402 consid. 3.1). Leur montant doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et rester dans des limites raisonnables. La valeur de la prestation se mesure soit à son utilité pour le justiciable, soit à son coût par rapport à l'ensemble des dépenses de l'activité judiciaire en cause (ATF 130 III 225 consid. 2.3). Pour que le principe de l'équivalence soit respecté, il faut que l'émolument soit raisonnablement proportionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut cependant pas un certain schématisme. Il n'est pas nécessaire que, dans chaque cas, l'émolument corresponde exactement au coût de l'opération administrative (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Les émoluments doivent toutefois être établis selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Le taux de l'émolument ne doit pas, en particulier, empêcher ou rendre difficile à l'excès l'accès à la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_513/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1).

2.1.4 L'art. 98 CPC est une "Kann-Vorschrift", le tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2).

Par conséquent, la Cour examine la cause avec une certaine réserve; ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du premier juge constitue une violation de la loi (parmi d'autres : ACJC/624/2023 du 11 mai 2023; ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014).

2.2 En l'espèce, les recourantes ne contestent pas que le montant de l'avance requise a été fixé conformément au règlement applicable et se trouve dans la fourchette prévue pour une cause dont la valeur litigieuse s'élève à 211'086 fr.

Elles font valoir que si l'avance de frais s'élève au maximum à 30'000 fr. pour une valeur litigieuse de 1'000'000 fr., alors l'avance requise pour une valeur litigieuse de 211'086 fr. devrait s'élever - en faisant application de la règle de trois - à 6'329 fr., montant que l'on pouvait arrondir à 6'500 fr.

Ce raisonnement ne peut être suivi.

En effet, si le règlement applicable prévoit que l'émolument de décision doit être fixé entre 5'000 fr. et 30'000 fr. lorsque la valeur litigieuse est comprise entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr., c'est précisément pour écarter tout schématisme et laisser au Tribunal une large marge d'appréciation.

Au demeurant, les recourantes perdent de vue qu'en appliquant la règle de trois au seuil minimum prévu par l'art. 17 RTFMC (i.e. 5'000 fr. d'avance de frais pour une valeur litigieuse de 100'001 fr.), l'avance requise devrait s'élever à 10'554 fr. pour une valeur litigieuse de 211'086 fr. - sans compter la majoration de 20% prévue à l'art. 13 RTFMC -, soit un montant supérieur à celui fixé par le premier juge.

En tout état, la quotité de l'avance de frais arrêtée par le Tribunal n'apparaît pas excessive par rapport à la nature de l'affaire, sa complexité, sa valeur litigieuse et l'ampleur prévisible de la procédure. A cela s'ajoute que les recourantes n'ont pas allégué - ni a fortiori rendu vraisemblable - que le paiement de l'avance requise les empêcherait d'accéder à la justice ou leur rendrait cet accès excessivement difficile.

Il suit de là que le Tribunal n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en arrêtant l'avance de frais à 10'000 fr.

Le recours, infondé, sera rejeté.

3. Les frais judicaires de recours, arrêtés à 400 fr., seront mis à la charge des recourantes, qui succombent (art. 106 al. 1 CC), et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 11 septembre 2023 par A______ et B______ SA contre l'ordonnance DTPI/8692/2023 rendue le 28 août 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/4443/2023.

Au fond :

Le rejette.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires du recours à 400 fr., les met à la charge de A______ et B______ SA, solidairement entre elles, et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.