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Décisions | Chambre civile

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C/19766/2020

ACJC/1629/2023 du 06.12.2023 sur ORTPI/837/2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19766/2020 ACJC/1629/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2023


Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (VS), recourant contre une ordonnance rendue par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 juillet 2023, représenté par Me Hervé CRAUSAZ, avocat, CHABRIER AVOCATS SA, rue
du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

et

1) B______ SA, sise ______ [GE], intimée,

2) C______ SA, sise ______ [GE], autre intimée,

représentées toutes deux par Me Alain TRIPOD, avocat, CANONICA & ASSOCIÉS,
rue François-Bellot 2, 1206 Genève.



EN FAIT

A.           Par ordonnance de preuve ORTPI/837/2023 du 13 juillet 2023, notifiée aux parties le 17 juillet 2023, le Tribunal de première instance a modifié une précédente ordonnance de preuve ORTPI/941/2022 du 24 août 2022 (ch. 1 du dispositif) en ce sens qu'il a ordonné l'audition en qualité de témoin de D______ et indiqué les allégués sur lesquels celle-ci allait être auditionnée (ch. 2), imparti aux parties un délai au 31 août 2023 pour indiquer, parmi les allégués visés sous chiffre 2 du dispositif, sur quels allégués elles souhaitaient encore entendre D______ (ch. 3), ordonné l'audition en qualité de témoin de E______ (ch. 4), de F______ (ch. 5 et 11), de G______ (ch. 6), de H______ (ch. 7), de I______ (ch. 8), de J______ (ch. 9) et de K______ (ch. 10), en indiquant pour chaque témoin les allégués sur lesquels il allait être auditionné, confirmé l'ordonnance de preuve ORTPI/941/2022 du 24 août 2022 pour le surplus (ch. 12) et réservé la modification de cette ordonnance sur expertise (ch. 13).

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour civile le 25 août 2023, A______ recourt contre cette ordonnance, dont il sollicite principalement l'annulation.

b. A titre préalable, A______ a sollicité l'octroi de l'effet suspensif au recours.

Par arrêt ACJC/1171/2023 du 12 septembre 2023, la Chambre civile a rejeté la requête tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance entreprise et dit qu'il serait statué sur les frais dans le cadre de l'arrêt à rendre sur le fond.

c. Dans leur réponse, B______ SA et C______ SA concluent principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.

d. Les parties n'ont pas spontanément répliqué, ni dupliqué.

Elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 6 octobre 2023.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Par acte du 7 octobre 2020, B______ SA et C______ SA ont saisi le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) d'une demande dirigée contre A______, tendant au paiement de diverses sommes totalisant 690'497 fr. 85 au titre de solde du prix de travaux effectués sur un chalet dont A______ est propriétaire à L______ (VS).

b. Cette demande compte plus de 250 allégués de fait, que les parties demanderesses ont offert de prouver notamment par l'audition des témoins D______, architecte, et E______, assistante administrative.

c. Dans sa réponse du 30 avril 2021, A______ a conclu à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de s'acquitter de la somme de 47'057 fr. à titre de solde du prix des travaux, et au déboutement des parties demanderesses pour le surplus.

d. La réponse compte plus de 340 allégués de fait, que A______ a offert de prouver notamment par l'audition de D______ et E______, ainsi que par celle de neuf autres témoins, dont F______, G______, H______, I______, J______ et K______. Il a également sollicité une expertise.

Simultanément, A______ s'est déterminé sur les faits allégués par B______ SA et C______ SA, en indiquant pour plusieurs d'entre eux "Rapport aux pièces".

e. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

Dans leurs déterminations sur les faits allégués par A______ dans sa réponse, B______ SA et C______ SA ont indiqué à plusieurs reprises "Rapport soit à la pièce".

f. Par ordonnance de preuve ORTPI/941/2022 du 24 août 2022, le Tribunal a admis l'audition de tous les témoins cités par les parties, en indiquant pour chacun d'eux les allégués sur lesquels il allait être entendu, et admis le principe d'une expertise sur un certain nombre d'autres allégués, en précisant que ladite expertise ferait l'objet d'une ordonnance séparée.

g. Le 21 novembre 2022, considérant que cinq des témoins susvisés étaient domiciliés en France et qu'ils devaient par conséquent être entendus par la voie de l'entraide judiciaire en matière civile, le Tribunal a imparti aux parties un délai pour présenter les questions devant être adressées aux témoins aux concernés.

Par ordonnance du 21 décembre 2022, le Tribunal a partiellement révoqué cette ordonnance concernant trois témoins, qui pouvaient être entendus directement. Il a réservé leur convocation en temps utile.

h. A l'audience de débats principaux du 20 janvier 2023, le Tribunal a entendu le témoin D______ pendant près d'une heure trente.

A l'issue de l'audience, il a remis la cause à plaider sur la question des mesures probatoires et fixé une nouvelle audience à cette fin.

i. A l'audience de plaidoiries du 15 février 2023, B______ SA et C______ SA ont sollicité que l'expertise ne porte que sur certains travaux complémentaires.

Par le biais de son conseil, A______ a persisté dans son offre de preuves et proposé que le Tribunal ordonne dans un premier temps l'expertise relative à ses allégués de fait, avant de poursuivre l'audition des témoins.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger sur la question des mesures probatoires.

j. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré que les parties ne s'étaient déterminées que par la mention "Rapport soit aux pièces" sur plusieurs allégués de fait de leur partie adverse, ce qui ne constituait pas une contestation suffisante et ne justifiait pas d'entendre des témoins sur ces faits. Par ailleurs, plusieurs allégués ne portaient vraisemblablement pas sur des faits pertinents pour la solution du litige, tandis que d'autres allégués ne portaient pas sur un fait, mais sur une appréciation juridique. Il n'était dès lors pas nécessaire d'entendre des témoins sur ces faits et l'ordonnance de preuve ORTPI/941/2022 du 24 août 2022 devait être modifiée en conséquence.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a notamment écarté des moyens de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction, par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. b et 321 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2.             Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant, ce qui est contesté.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2021 du 8 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_248/2014 du 27 juin 2014; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie: ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, le recourant soutient que l'ordonnance entreprise serait de nature à lui causer un préjudice difficilement réparable, dès lors que la limitation du nombre de témoins et des questions de fait sur lesquelles lesdits témoins seront entendus aurait pour conséquence que le Tribunal devrait ensuite reprendre l'ensemble des mesures probatoires, notamment en procédant à de nouvelles auditions de témoins déjà entendus, s'il devait estimer que l'état de fait sur lequel ont porté les premières mesures probatoires est insuffisant ou incomplet. Il en résulterait une perte de temps et des coûts supplémentaires importants, dès lors notamment que plusieurs témoins sont domiciliés à l'étranger.

Ce faisant, le recourant ne fait cependant que dénoncer un possible allongement de la procédure et un éventuel accroissement des frais, qui ne constituent pas un préjudice difficilement réparable, au sens des principes rappelés ci-dessus. A supposer qu'elles soient nécessaires, le recourant ne soutient notamment pas que l'audition ou la ré-audition de témoins dans un second temps ne serait plus possible. Ses allégations selon lesquelles celles-ci entraîneraient des pertes de souvenirs ou des confusions dans l'esprit des témoins ne sont pas rendues vraisemblables et ne sont en tout état pas suffisantes au regard des exigences susvisées. Le fait de devoir éventuellement décerner de nouvelles commissions rogatoires pour entendre, ou réentendre sur d'autres faits, des témoins domiciliés en France n'apparaît pas davantage comme une difficulté insurmontable.

On ne voit par ailleurs pas quel préjudice subirait le recourant au cas où un jugement favorable à ses intérêts, soit un jugement déboutant ses parties adverses de leurs prétentions, serait rendu sur le fond, malgré la limitation par le Tribunal du nombre de témoins entendus et des allégués sur lesquels ceux-ci sont entendus. A supposer que tel ne soit pas le cas, soit que le Tribunal fasse en tout ou en partie droit aux prétentions des intimées sur le fond, et ce parce qu'il n'aurait à tort pas donné suite à la totalité de l'offre de preuve du recourant, ce dernier aurait alors la possibilité de s'en plaindre dans le cadre d'un appel sur le fond. Si ses griefs s'avéraient fondés, les témoins indument écartés pourraient alors effectivement être entendus, soit par l'instance de recours elle-même (cf. art. 316 al. 3 CPC), soit par le Tribunal sur renvoi (cf. art. 318 al. 1 let. c CPC).

L'ordonnance entreprise n'est dans ces conditions pas susceptible de causer au recourant un préjudice difficilement réparable et le recours sera par conséquent déclaré irrecevable.

3.             Les frais judicaires du recours, comprenant les frais de la décision rendue sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 23 et 41 RTFMC) et mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 105 al. 1, 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par celui-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Le recourant sera condamné à payer aux intimées, prises conjointement et solidairement, la somme de 2'000 fr. à titre dépens de recours (art. 105 al. 2 CPC; art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevable le recours interjeté le 25 août 2023 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/837/2023 rendue le 13 juillet 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19766/2020.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celui-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à payer à B______ SA et C______ SA, prises conjointement et solidairement, la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.