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Décisions | Chambre civile

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C/18000/2023

ACJC/1487/2023 du 07.11.2023 ( IUS ) , ADMIS

Normes : LCD.3.al1.leta; CPC.261
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18000/2023 ACJC/1487/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 7 NOVEMBRE 2023

 

1) A______ SA, sise ______ [BS],

et

2) B______ SA, sise ______ [SG], requérantes représentées toutes deux par Me Raphaël DESSEMONTET, avocat, avenue de Rumine 25, case postale 5871, 1005 Lausanne,

et

C______ SA, sise ______ [GE], citée.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA, inscrite au Registre du commerce de Bâle-Ville, a notamment pour but social l'exploitation d'une assurance-vie.

B______ SA, inscrite au Registre du commerce de Saint-Gall, a notamment comme but social la commercialisation d'assurances.

C______ SA (anciennement D______ SA), inscrite au Registre du commerce de Genève, a notamment pour but social toutes activités dans le domaine des assurances.

b.a Le 21 mai 2019, A______ SA et B______ SA (ci-après les requérantes), d'une part, et C______ SA, d'autre part, ont conclu un "contrat d'intermédiaire", par lequel cette dernière s'engageait à négocier pour le compte des premières un nombre aussi important que possible de contrats d'assurance et de prêts hypothécaires (art. 1 du contrat).

L'intermédiaire était autorisé à collaborer également avec d'autres compagnies d'assurance et agissait ainsi à titre d'intermédiaire non lié au sens de l'art. 43 de la loi sur la surveillance des assurances (art. 2).

Selon l'art. 3 du contrat, C______ SA s'engageait à respecter les dispositions contractuelles sur les répertoires de clients et les données d'acquisition, ainsi que l'interdiction de détourner la clientèle.

Les répertoires de clients et les données d'acquisition étaient soumis au secret professionnel et ne pouvaient être utilisés que dans l'intérêt des requérantes. Tous les répertoires de clients et données d'acquisition ne pouvaient être gérés que par le système d'administration mis à disposition par celles-ci. Aucune copie n'était autorisée sans leur accord express. Les répertoires et données précités devaient être remis aux requérantes à la fin du contrat et ne pouvaient pas être utilisés par l'intermédiaire à des fins personnelles ou dans l'intérêt de tiers (art. 3.1).

A teneur de l'art. 3.2, après la fin du contrat, la connaissance de C______ SA du portefeuille de clients des requérantes était soumise au secret professionnel et ne pouvait être révélée à des tiers ni utilisée à des fins personnelles. L'intermédiaire n'était ainsi pas autorisé à détourner les clients des requérantes après la fin du contrat. C______ SA était uniquement autorisée à reprendre à titre personnel les clients appartenant à son cercle intime d'amis et de parents qu'elle avait amenés aux requérantes. La prise de contact tant orale qu'écrite avec des clients de celles-ci, par exemple par une lettre de départ, était interdite, en particulier dans le contexte de la fin du contrat.

Le contrat était conclu pour une durée indéterminée. Le délai de résiliation était d'un mois pour la fin d'un mois (art. 9).

Les arts. 418a ss CO étaient applicables au contrat, à l'exception des art. 418g, m, q et u CO (art. 10.1).

Le tribunal compétent pour connaître de tout litige découlant de la convention était le tribunal ordinaire du canton de Bâle-Ville (art. 10. 2).

b.b La rétribution de C______ SA était fixée par un règlement annexé au contrat d'intermédiaire.

Selon l'art. 1 de ce règlement, l'intermédiaire pouvait prétendre au versement d'une indemnité lors de l'intermédiation de propositions et/ou de contacts avec des clients aboutissant à la conclusion d'un contrat avec A______. L'une des conditions posée pour le versement d'une rémunération à l'intermédiaire était notamment le paiement par le client de la première prime.

La restitution des indemnités versées à l'intermédiaire pouvait être exigée durant les 24 mois suivant la dissolution du contrat, si l'affaire donnant droit à rémunération avait été annulée ou réduite pendant le délai d'annulation (art. 5).

c. Le 23 juin 2023, trois anciens employés de C______ SA, à savoir E______, F______ et G______ ont écrit aux requérantes pour dénoncer des dysfonctionnements au sein de leur ancien employeur. Etaient notamment mentionnés la consommation de drogue dans les locaux de l'entreprise, des locaux commerciaux sis en France, des contrats de travail dont certaines dispositions auraient été simulées, des pressions exercées sur les prospects, des employés et des salaires non déclarés.

Il ressort du dossier que C______ SA est actuellement en litige avec les trois personnes précitées et conteste leurs affirmations. Selon elle, plusieurs de ses anciens employés, y compris les trois précités, se sont rendus coupables de diffamation à son encontre et ont tenté de détourner sa clientèle à leur profit.

d. Par courrier du 26 juin 2023, les requérantes ont résilié le contrat d'intermédiaire conclu avec C______ SA pour le 31 juillet 2023.

e. Le 11 juillet 2023, faisant suite à un courriel de C______ SA, l'agence générale A______ de Genève a fait savoir à celle-ci que le décompte de commissionnement pour le mois de juin 2023 avait pris du retard en raison de questions encore en suspens en lien avec la résiliation de la convention. A______ avait l'intention de respecter toutes ses obligations. Elle attirait par ailleurs l'attention de C______ SA sur ses devoirs découlant des ch. 3.1 et 3.2 du contrat d'intermédiaire.

f. Le décompte pour juin 2023 a été transmis à C______ SA le 24 juillet 2023.

g. Par la suite, un litige a surgi entre les parties concernant le paiement des commissions dues à C______ SA. Ce litige ne semble à ce jour pas être réglé.

h. Les requérantes allèguent que, dès fin juin 2023, C______ SA a contacté les clients assurés auprès d'elles et ceux qui avaient reçu des propositions de polices d'assurance de leur part, pour les inciter à rompre leur contrat avec elles, respectivement ne pas le conclure et conclure en lieu et place un contrat avec une autre assurance.

Selon les explications fournies par les clients concernés, C______ SA leur avait dit que les requérantes leur avaient menti sur le rendement des produit vie et donné de fausses informations. Elle leur avait ensuite proposé de signer un nouveau contrat auprès d’une autre société d’assurance, précisant qu’elle prendrait en charge les primes éventuellement payées à perte chez A______.

A l’appui de ces allégations, les requérantes ont produit deux courriels rédigés les 17 et 29 août 2023 par H______, employé de leur agence générale de Genève, chargé de la gestion de la relation ave C______ SA. Celui-ci explique dans ce courriel que des clients ayant annulé leur police depuis le 30 juin 2023 ont été contactés pour connaître les raisons de l’annulation. Les informations suivantes avaient notamment été obtenues :

i.a I______, ayant contracté une assurance auprès des requérantes avec effet au 1er juillet 2023, l’avait annulée le 14 août 2023. C______ SA l’avait contacté pour lui expliquer que A______ avait menti sur le rendement des produits vie et que de fausses informations lui avaient été communiquées. Ce client avait, sur les conseils de C______ SA, signé un nouveau contrat auprès de J______. La courtière lui avait proposé de rembourser les primes versées à A______.

i.b K______, ayant contracté une assurance avec effet au 1er août 2023, l’avait l’annulée le 8 août 2023 après discussion avec C______ SA. Elle n’avait pas fourni de précision à l'employé de A______ qui l'avait interrogée sur la teneur de cette conversation.

Le courriel de résiliation envoyé à A______ par cette cliente indique expressément que l'annulation de la police faisait suite à une discussion avec C______ SA.

i.c L______, ayant contracté une assurance avec effet au 1er juin 2023, l’avait l’annulée le 14 août 2023, au motif que C______ SA l’avait contactée pour lui proposer d’annuler son contrat avec A______. Cette démarche l’avait indisposée, avec la conséquence qu’elle avait préféré tout annuler.

i.d M______, ayant contracté deux assurances avec effet au 1er juin 2023, les avait annulées le 15 août 2023 après discussion avec C______ SA, au motif qu’il faisait confiance à cette société et voulait poursuivre avec elle.

i.e N______ ayant contracté une assurance avec effet au 1er août 2023, l’avait l’annulée le 14 août 2023. C______ SA l’avait contacté pour lui expliquer que A______ avait menti sur le rendement des produits vie et que de fausses informations lui avaient été communiquées. Ce client avait, sur les conseils de C______ SA, signé un nouveau contrat auprès d’une autre société dont il n’a pas voulu révéler le nom.

Le courriel de résiliation envoyé par ce client mentionne expressément que l'annulation était faite suite aux conseils de son courtier en assurance.

i.f O______, avait signé une proposition pour le 1er juillet 2023 qu’il a révoquée le 18 août 2023, après avoir été contacté par C______ SA qui lui avait fait signer un nouveau contrat, plus avantageux selon elle, avec un concurrent.

Ces indications sont confirmées par le courriel envoyé par le précité aux requérantes le 18 août 2023.

i.g Les clients P______, Q______, R______, S______, T______, U______ et V______ avaient tous annulé leurs contrats entre le 21 et le 25 août 2023 au motif que C______ SA leur avait expliqué que A______ avait menti sur le rendement des produits vie et que de fausses informations leur avaient été communiquées. Ces clients avaient, sur les conseils de C______ SA, signé de nouveaux contrats auprès d’autres compagnies. C______ SA avait promis par ailleurs à S______ de lui rembourser le montant des primes payées à A______.

j. C______ SA ne conteste pas avoir contacté les clients précités. Elle explique dans sa réponse qu’elle les a informés de la situation et que ceux-ci ont préféré se diriger vers d’autres contrats d’assurance. En tant qu’intermédiaire, elle avait « un rôle envers ses clients et un devoir de transparence ». Il s’agissait de clients « faisant partie de son répertoire qui par ailleurs » n’avaient pas « été rémunérés ».  Elle avait le droit et le devoir de les contacter. Elle ajoute que « les faits relatés dans » les courriels de H______ « ne sont pas recevables, car il s’agit d’une interprétation d’un agent A______, Mr H______ qui est là pour défendre la compagnie A______, son employeur. Il y a un conflit d’intérêts ».

k.a Le 28 août 2023, W______, client des requérantes, a demandé par courriel à celles-ci de mettre en attente son contrat. Dans le courriel qu’il a utilisé pour ce faire, il a transféré, sans l’avoir édité, un autre courriel reçu de la part de C______ SA le même jour.

Ce courriel avait la teneur suivante : « Bonjour, suite à votre conversation avec Monsieur X______, voici ce qu’il faudrait répondre à A______ (…) N’hésitez pas à revenir vers Monsieur X______ ou toute autre personne de notre société si vous avez la moindre question complémentaire (…) :

Madame, Monsieur,

Je souhaite exercer mon droit de résiliation compte tenu du fait que la valeur de rachat de ma police troisième pilier est inférieure au montant d’une prime annuelle de celui-ci. Ce qui rend ma demande parfaitement légale et légitime (…). Il ne m’a été stipulé nulle part que la première année de cotisation vous était due. Dans le cas contraire, je n’aurais pas souscrit à cette offre en sachant que ma situation était susceptible d’évoluer (…). Il m’est ensuite remonté que vous étiez en grave défaut de tenue de vos obligations envers la société qui m’a fourni les conseils (...) il n’est pas acceptable de vouloir me forcer à tenir des soi-disant obligations envers vous lorsque vous n’êtes pas irréprochables de votre côté et ne tenez pas les vôtres envers vos collaborateurs. Je compte tenir l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) informée de cette situation que je trouve absolument inadmissible et leur porter une plainte concernant vous méthodes (…). Je vous demande (…) d’accepter la demande de résiliation (…), ainsi que de vous acquitter du commissionnement envers votre collaborateur que j’ai mandaté pour la gestion de mon troisième pilier et qui a été apte à me fournir les conseils dont j’avais besoin lorsque je n’ai pas eu le moindre contact avec vous, hormis cette demande agressive et non fondée qui visait à refuser ma résiliation. Si elle n’était pas acceptée dans les plus brefs délais, sachez que cette affaire serait rendue publique et qu’elle pourrait nuire à votre image, si ce n’est plus grâce à l’intervention de la FINMA ».

k.b C______ SA ne conteste pas avoir transmis ce courriel au client W______ mais explique que celui-ci s’était confié à Monsieur X______ « sur la pression subie et que la réponse n’était que proportionnelle à la demande de ce client ». Il s’agissait de « l’un de ses clients malheureusement commun avec les requérantes ».

B. a.a Par acte expédié à la Cour de justice le 4 septembre 2023, les requérantes ont formé à l'encontre de C______ SA une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles

Sur mesures superprovisionnelles, elles ont conclu à ce que la Cour interdise à C______ SA avec effet immédiat, directement par ses employés ou organes et représentants de fait ou de droit, ainsi qu'indirectement par tout mandataire ou partenaire de quelque nature que ce soit, de contacter ou d'effectuer toute démarche de quelque nature que ce soit auprès de leurs clients, notamment des démarches tendant à les inciter à modifier de quelque manière que ce soit leurs relations commerciales ou contractuelles avec elles, sous menace de la peine prévue par l'art. 292 CP.

Elles ont pris des conclusions identiques sur mesures provisionnelles, sollicitant en outre l’octroi d’un délai de trois mois pour ouvrir action au fond en validation des mesures provisoires, le tout avec suite de frais et dépens.

a.b Les requérantes ont allégué que C______ SA avait contrevenu à l’art 3 al 1 let. a LCD en les dénigrant et à l’art. 4 al. 1 let. a LCD en incitant des assurés à rompre le contrat passé avec elles. Ces faits constituaient en outre une violation de ses obligations contractuelles. Il y avait urgence à statuer car ces agissements lui causaient un dommage du fait des primes perdues, auquel s'ajoutait un préjudice en termes d’image et de perte de crédibilité envers ses assurés.

Elle a notamment produit sous pièce 9 req. un listing de 42 clients ayant résilié leur police d’assurance ou n’ayant pas payé les primes, ce qui provoquait l’annulation de la police, depuis le 30 juin 2023. Les primes relatives à ces contrats représentaient un chiffre d’affaires annuel de 108'533 fr.

Les requérantes relèvent notamment que, dans leurs propositions d'assurance, elles présentent plusieurs scénarios fondés sur différents rendement possibles en précisant expressément que ces différents rendements sont des suppositions fondées sur des hypothèses et qu'ils ne sont pas garantis, de sorte que C______ SA a menti aux assurés en prétendant qu'ils ont mal été renseignés à ce sujet.

b. Par ordonnance du 6 septembre 2023, la Cour a fait droit à la requête de mesures superprovisionnelles.

c. Le 3 octobre 2023, C______ SA a répondu à la requête, concluant à ce que la Cour déboute sa partie adverse de toutes ses conclusions.

Elle fait notamment valoir que les requérantes ont résilié sans justification la convention d’intermédiaire et qu’elles refusent de manière indue de lui verser le solde de commissions auquel elle a droit. Après les avoir mis en demeure de payer, elle avait "repris ses clients non rémunérés, car la majorité d’entre eux préféraient travailler avec un courtier défendant leurs intérêts". Les répertoires de clients visé à l’art. 3.1 du contrat lui appartenaient car elle les avait acquis grâce à ses efforts. Sur les 42 polices résiliées figurant sur la pièce 9 req., une quinzaine de résiliations étaient « spontanées » et n’avaient aucun rapport avec elle. Les résiliations pour défaut de paiement étaient usuelles, il y en avait entre 15 et 20 tous les mois.

d. Les parties ont été informées le 31 octobre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1.1 La Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle ou relevant de la loi contre la concurrence déloyale lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. a et d CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

Si le litige porte sur une seule prétention ayant plusieurs fondements, l'un de ces derniers relevant de l'instance cantonale unique, celle-ci pourra être saisie pour l'intégralité de la prétention (Haldy, Commentaire romand, 2019, n. 5 ad art. 5 CPC).

1.1.2 En l'espèce, les requérantes fondent leurs prétentions tant sur la loi contre la concurrence déloyale que sur les dispositions du contrat qui les liait. La valeur litigieuse est, selon leurs indications non contestées par la partie citée, supérieure à 30'000 fr. La compétence à raison de la matière de la Cour est ainsi donnée pour l'intégralité des prétentions des requérantes.

1.2.1 En matière provisionnelle, est impérativement compétent le tribunal compétent pour statuer sur l'action principale ou le tribunal du lieu où la mesure doit être exécutée (art. 13 CPC).

Le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou du défendeur ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite (art. 36 CPC). La notion d'acte illicite doit être interprétée de manière large, ce qui signifie que le for de l'art. 36 CPC est notamment ouvert en ce qui concerne les actions fondées sur la LCD (Haldy, op. cit., n. 2 ad art. 36 CPC).

En cas d'élection de for, l'action ne peut, sauf convention contraire, être intentée que devant le for élu (art. 17 al. 1 CPC).

Une élection de for ne fait pas obstacle à des mesures provisionnelles ordonnées hors du for élu, au lieu d’exécution, lorsque le tribunal saisi correspond à celui du lieu où la mesure doit être exécutée (Haldy, op. cit., n. 5 ad art. 17 CPC).

1.2.2 En l'espèce, la citée a son siège à Genève, qui est dès lors le lieu d'exécution de la mesure. La Cour est ainsi compétente à raison du lieu en application de l'art. 36 CPC.

1.3 Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), dans le cadre de laquelle, sauf exceptions, la maxime des débats s'applique (art. 55 al. 1 CPC; Bohnet, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel 2010, ch. 23 et 26, p. 201 et 202). La maxime de disposition est par ailleurs applicable (art. 58 al. 1 CPC).

2. 2.1.1 Aux termes de l'art. 261 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires, lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.

Dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3). L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). La preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3 = JdT 2005 I 618).

La vraisemblance requise doit en outre porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel (Bohnet, op. cit., n. 11
ad art. 261 CPC; Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 3ème éd., 2017, n. 20 ad art. 261 CPC). Cette condition vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2).
Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. La mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962; arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

2.1.2 Selon l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.

2.1.3 Selon l'art. 3 al. 1 let. a LCD, agit de façon déloyale notamment celui qui dénigre autrui, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses et inutilement blessantes.

Le terme "dénigrer" au sens de la let. a signifie s'efforcer de noircir, de faire mépriser (quelqu'un ou quelque chose) en attaquant, en niant ses qualités. Tout propos négatif ne suffit toutefois pas; il doit revêtir un certain degré de gravité (arrêt du Tribunal fédéral 4C.169/2006 du 16 mai 2007 consid. 6). L'image négative doit être pertinente du point de vue de la concurrence, en ce sens qu'elle doit être dirigée contre le jeu normal de cette dernière et propre à influencer le marché (Kuonen, Loi contre la concurrence déloyale, Commentaire romand, 2017, n. 1 ad art. 3 al. 1 let. a LCD et les réf. citées).

En soi, une allégation est inexacte lorsqu'elle est contraire à la vérité. Nécessaire, la contravention à la vérité n'est cependant pas encore suffisante. L'inexactitude ne s'apprécie en effet ni de manière isolée, ni de manière absolue, mais bien au regard de son contexte et, plus généralement, des circonstances dans lesquelles s'inscrit l'allégation. En d'autres termes, l'inexactitude est relative en ce sens que le degré de vérité qui lui sert de mesure varie selon les circonstances. L'inexactitude de l'allégation dépend ainsi de la possibilité effective de connaître la vérité, et ce, au moment où l'allégation est faite (Kuonen, op. cit., n. 31 ad art., 3 al. 1 let. a LCD).

2.1.4 Celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général peut demander au juge de l'interdire, la faire cesser et en constater le caractère illicite (art. 9 al. 1 LCD).

2.2 En l'espèce, la citée ne conteste pas avoir pris contact avec plusieurs clients des requérantes après la résiliation du contrat d'intermédiaire qui les liait. Elle estime cependant avoir été en doit de le faire car elle avait acquis elle-même lesdits clients. En tant que courtier, elle n'avait pas d'obligation particulière envers les requérantes; son objectif principal était de satisfaire les besoins du client et de défendre ses intérêts plutôt que de vendre une police spécifique.

Cette argumentation ne saurait être suivie. Une fois un contrat d'assurance conclu entre les requérantes et une personne prospectée par la citée, il doit être considéré que celle-ci devient cliente des requérantes et est inclue dans les répertoires visés à l'art. 3 du contrat d'intermédiaire.

A teneur de l'art. 3.2 dudit contrat, la citée n'était ainsi pas autorisée à prendre contact avec lesdits clients dans le contexte de la fin du contrat d'intermédiaire.

Les clients I______, K______, L______, M______, N______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______ et V______ avaient tous conclu un contrat d'assurance avec les requérantes, de sorte qu'ils faisaient parties des répertoires clients de celle-ci. En prenant contact avec eux après la résiliation du contrat d'intermédiaire, la citée a ainsi contrevenu à l'art. 3.2 dudit contrat.

Le fait que ces clients aient été trouvés par les soins de la citée n'est pas déterminant à cet égard. En effet, à teneur de l'art. 3.2 du contrat, celle-ci n'était autorisée à conserver que les clients faisant partie de son cercle intime d'amis et de parents. Or elle n'allègue pas que les personnes susmentionnées faisaient partie de ce cercle.

Il ressort par ailleurs des courriels de H______ des 17 et 29 août 2023, que, lors des contacts avec ces clients appartenant aux requérantes, la citée a œuvré pour les convaincre de rompre leur contrat avec celles-ci pour un conclure un autre avec une autre compagnie. Au stade de la vraisemblance, le fait que ces courriels émanent d'un employé des requérantes ne suffit pas à leur dénier toute force probante. Les indications figurant sur ces courriels sont crédibles. Elles sont en outre partiellement corroborées par la teneur de certains courriels de résiliation émanant des clients en question figurant au dossier, notamment les clients K______ et N______.

Ce comportement constitue une infraction à l'interdiction de détourner la clientèle prévue par l'art. 3.2 du contrat. Il s'agit également d'une infraction à l'art. 3.1 du contrat qui prévoit que les répertoires de clients ne doivent pas être utilisés à des fins personnelles ou dans l'intérêt de tiers.

Il est en outre rendu vraisemblable que la citée a dénigré les requérantes par des allégations inexactes auprès d'à tout le moins une partie de ladite clientèle. Les clients I______, N______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______ et V______ ont en effet confirmé à l'employé des requérantes que la citée leur avait dit que celles-ci leur avaient menti sur le rendement des produits vie et que de fausses informations leur avaient été communiquées.

Les propositions d'assurances des requérantes mentionnent expressément que les montants des rendements indiqués pour les produits vie sont fournis à titre informatif et ne sont pas garantis. Les allégations de la citée selon lesquelles les requérantes auraient menti aux assurés sur lesdits rendements sont ainsi vraisemblablement inexactes, puisque les requérantes n'ont pas formulé de promesses aux assurés sur ce point. Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de considérer, à ce stade, que la requérante aurait dans ce cadre fait état de projections qu'elle savait inexactes.

Il faut donc en conclure que l'infraction prévue par l'art. 3 al. 1 let. a LCD est réalisée puisque la citée a vraisemblablement dénigré les requérantes par des allégations inexactes auprès des personnes susmentionnées.

La citée a en outre vraisemblablement dénigré les requérantes auprès du client W______ comme l'attestent les pièces produites. Le courriel qu'elle a adressé à ce client, en le priant de le faire suivre aux requérantes, établit que la citée a affirmé à l'intéressé que les requérantes avaient omis de lui fournir des informations importantes sur les cotisations de sa police d'assurance, qu'elles ne respectaient pas leurs obligations et qu'elles formulaient des demandes agressives et non fondées.

A teneur des pièces produites, ces affirmations de la citée sont vraisemblablement inexactes.

Le fait que, selon la citée, ce client subissait de la pression de la part des requérantes n'est pas rendu vraisemblable. Même si tel avait été le cas, cela ne justifierait pas les propos susmentionnés.

Il ressort de ce qui précède que la citée a vraisemblablement contrevenu tant à l'art. 3 al. 1 let. a LCD qu'aux dispositions du contrat d'intermédiaire du 20 mai 2019.

Les questions de savoir si les requérantes ont résilié à tort ou non ledit contrat et si des montants lui sont encore dus à ce titre ne sont quant à elles pas pertinentes pour l'issue du présent litige.

Les agissements de la citée contraires à ses obligations sont susceptibles de causer un dommage au requérantes au sens de l'art. 261 CPC.

Ce dommage consiste en la perte des primes relatives aux polices annulées en raison de l'intervention de la citée. A teneur des pièces produites, les primes annuelles relatives auxdites polices pour les clients susmentionnés sont de 31'500 fr.

Les affirmations dénigrantes de la citée à l'égard des requérantes, relevées plus haut, sont en outre de nature à leur causer un dommage supplémentaire en terme de réputation et d'image.

La mesure sollicitée respecte le principe de proportionnalité. Elle n'apparaît par ailleurs pas de nature à causer un préjudice particulier à la citée, ce que celle-ci n'allègue pas. Partant, il n'y a pas lieu d'astreindre la requérante à fournir des sûretés (art. 264 al. 1 CPC).

Par conséquent, les mesures susvisées, déjà prononcées à titre superprovisionnel, seront reconduites à titre provisionnel, jusqu'à droit jugé au fond ou accord entre les parties (cf. art. 268 al. 1 CPC).

Un délai de soixante jours sera au surplus imparti aux requérantes pour agir au fond contre la citée, sous peine de caducité des mesures présentement ordonnées (art. 263 CPC).

3. Les frais judiciaires de la procédure, comprenant les frais de la décision rendue sur mesures superprovisionnelles, seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 13, 26 et 37 RTFMC). Ils seront mis à la charge de la citée, qui succombe (art. 95 al. 2, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC), et partiellement compensés avec l'avance de frais de 1'500 fr. fournie par les requérantes, qui reste acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). La partie citée sera condamnée à rembourser aux requérantes le montant de cette avance et à s'acquitter du solde dû en 1'000 fr. (art. 111 al. 2 CPC).

Elle sera également condamnée à leur payer 4'000 fr. à titre de dépens, débours et TVA inclus (art. 95 al. 3, 105 al. 2 CPC; art. 85, 87 et 88 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile

Statuant par voie de mesures provisionnelles :

Fait interdiction à C______ SA, avec effet immédiat, directement par ses employés ou organes et représentants de fait ou de droit, ainsi qu'indirectement par tout mandataire ou partenaire de quelque nature que ce soit, de contacter ou d'effectuer toute démarche de quelque nature que ce soit auprès des clients de A______ SA et de B______ SA, notamment des démarches tendant à les inciter à modifier de quelque manière que ce soit leurs relations commerciales ou contractuelles avec elles.

Prononce l'injonction précitée sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 du Code pénal, lequel prévoit ce qui suit : "Celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité (…) compétente, sera puni d'une amende".

Impartit à A______ SA et B______ SA un délai de 60 jours, à compter de la réception de la présente décision, pour valider les mesures provisionnelles par le dépôt d'une action au fond, sous peine de caducité desdites mesures.

Dit que, sous réserve de leur modification ou révocation, les présentes mesures provisionnelles demeureront en vigueur jusqu'à droit jugé sur l'action au fond ou accord entre les parties.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 2'500 fr., les met à la charge de C______ SA et les compense partiellement avec l'avance de frais fournie par A______ SA et B______ SA qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne C______ SA à payer à A______ SA et B______ SA, prises solidairement, 1'500 fr. à titre de remboursement de son avance de frais.

Condamne C______ SA à payer à l’Etat de Genève, 1'000 fr. au titre des frais judiciaires.

Condamne C______ SA à payer à A______ SA et B______ SA, prises solidairement, 4'000 fr. à titre de dépens.

 

 

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.