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Décisions | Chambre civile

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C/18857/2021

ACJC/1073/2022 du 23.08.2022 sur DTPI/3855/2022 ( OO ) , RENVOYE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18857/2021 ACJC/1073/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 23 AOÛT 2022

 

Pour

Monsieur A______, domicilié ______, France, recourant contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 26 avril 2022, comparant par Me Jacques EMERY, avocat, ER&A, boulevard Helvétique 19, 1207 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


Vu, EN FAIT, la décision DTPI/3855/2021 du 26 avril 2022, expédiée pour notification le même jour, par laquelle le Tribunal de première instance a imparti à A______ un délai au 30 mai 2022 pour fournir une avance de frais de 30'000 fr. et a porté à sa connaissance qu'en cas de non-paiement de cette avance ou de retrait de la demande en justice, un jugement d'irrecevabilité serait rendu donnant lieu à la perception d'un émolument de 100 à 200 fr., lui rappelant pour le surplus que l'assistance judiciaire pouvait être requise aux conditions prévues par la loi;

Attendu que le Tribunal a retenu qu'A______ avait déposé une demande dirigée contre B______ SA, dont la valeur litigieuse était de 705'632 fr. 65;

Qu'A______ a allégué dans sa demande qu'il avait travaillé au service de B______ SA, qu'il avait été victime, le 28 mars 2018, d'un accident du travail, qu'il en était résulté une chondropathie sévère ayant nécessité une intervention au genou gauche, qu'il avait été licencié, qu'il avait perçu des indemnités journalières de la C______ puis une rente AI;

Qu'il a offert en preuve de ses allégués des pièces, son interrogatoire et l'audition d'un témoin;

Qu'il a fait valoir des prétentions en réparation du dommage (perte de gain, perte d'allocations familiales, atteinte à l'avenir économique, dommage de rente, tort moral, frais d'avocat);

Vu le recours formé le 5 mai 2022 par A______ contre la décision précitée, concluant à l'annulation de celle-ci, cela fait à la réduction de l'avance de frais requise à 20'000 fr., sous suite de frais et dépens;

Attendu qu'A______ a proposé un calcul opéré proportionnellement à la valeur litigieuse d'espèce (705'632 fr. 65), soit 21'168 fr. 98, partant d'une comparaison entre une valeur litigieuse de 100'001 fr. correspondant à un émolument de 5'000 fr. et une valeur litigieuse de 1'000'001 fr. correspondant à une valeur litigieuse de 30'000 fr.;

Vu la conclusion préalable de ce recours, en suspension du caractère exécutoire de la décision attaquée, à laquelle la Cour a fait droit par arrêt du 9 mai 2022;

Attendu qu'à l'appui de cette conclusion préalable, il a évoqué le montant des indemnités journalières AI qu'il perçoit (soit 3'907 fr. 20 nets par mois) ainsi que le montant de la couverture d'assurance de protection juridique dont il bénéficie (20'000 euros), et produit les pièces y relatives;

Attendu que le Tribunal, invité à donner son avis au sens de l'art. 324 CPC, a déclaré s'en rapporter à justice;

Que les parties ont été informées par avis du greffe du 27 mai 2022 que la cause était retenue à juger;

Considérant, EN DROIT, que les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC) et que la décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC;

Que, formé dans le délai requis (cf. également art. 145 al. 1 let. a CPC) et selon la forme prévue par la loi (art. 321 al. 1 CPC), le recours est recevable;

Que le recourant reproche au Tribunal d'avoir fixé le montant de l'avance de frais à la valeur plafond résultant de l'art. 17 RTFMC pour la tranche de valeur litigieuse comprise entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr., sans mention particulière, notamment en lien avec une éventuelle complexité de la cause;

Qu'il soutient, au regard de sa situation personnelle de rentier AI, au bénéfice d'une assurance de protection juridique française garantissant une couverture maximum de 20'000 euros, qu'il serait empêché de faire valoir ses droits en justice;

Considérant qu'aux termes de l'art. 98 CPC, le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés;

Que l'avance a un double but : éviter que le demandeur puisse s'avérer insolvable ou doive être poursuivi si c'est finalement lui qui doit supporter les frais judiciaires en tout ou en partie, dans le cadre de leur répartition finale, d'une part, et assurer que l'Etat n'aura pas de peine à recouvrer les montants mis à la charge du défendeur dans cette même répartition finale, l'avance en question servant dans ce cas de garantie de paiement, d'autre part (TAPPY, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 3 ad. art. 98 CPC);

Que l'art. 98 CPC est une "Kann-Vorschrift", le tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2);

Que, par conséquent, la Cour examine avec une certaine réserve (ACJC/10902/2020 du 15 juin 2021; ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014; TAPPY, op. cit., n. 8 ad. art. 98 CPC) si le juge précédent a exercé son pouvoir d'appréciation de manière contraire au droit, soit s'il a commis un excès positif ("Ermessensüberschreitung") ou négatif ("Ermessensunterschreitung") de son pouvoir d'appréciation ou en a abusé ("Ermessensmissbrauch"), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n'usant pas de critères objectifs (cf. ATF 137 V 71 consid. 5.1);

Que pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévu par le droit cantonal (art. 96 CPC);

Que selon l'art. 19 al. 3 de la Loi du 11 octobre 2012 d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile (LaCC - RS GE E 1 05), les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure. Ils sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le Règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC - RS GE E 1 05. 10);

Que la fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC);

Que l'art. 17 al. 1 RTFMC dispose que l'émolument forfaitaire pour une cause pécuniaire est fixé entre 5'000 fr. et 30'000 fr. lorsque la valeur litigieuse est comprise entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr.;

Que, selon le ch. 3.1.1 du tarif interne des demandes d'avances de frais pour le TPI - adopté par la présidence du Tribunal le 28 janvier 2011 et modifié en dernier lieu le 12 octobre 2018 (ci-après : le tarif interne du Tribunal), disponible sur le site internet du Pouvoir judiciaire -, pour une valeur litigieuse entre 500'001 fr. et 1'000'000 fr., l'émolument est de 30'000 fr.;

Que dans la fixation des frais de justice, la valeur litigieuse joue un rôle déterminant (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4);

Que la valeur litigieuse est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1
première phrase CPC);

Qu'en l'occurrence, le montant fixé par le Tribunal correspond au maximum de la catégorie prévue par l'art. 17 RTFMC pour la valeur litigieuse en cause, ainsi qu'à l'avance visée par le tarif interne de la juridiction;

Qu'il ne résulte pas de la décision attaquée que d'autres critères (énoncés à
l'art. 5 RTFMC) que celui de la valeur litigieuse, certes prépondérant, auraient été pris en considération;

Qu'il ne peut ainsi être retenu que le Tribunal aurait procédé à un examen complet des circonstances pertinentes;

Qu'à ce stade, la procédure ne s'annonce pas exagérément compliquée et les actes d'instruction requis sont limités;

Que, dès lors, il apparaît que l'usage fait par le Tribunal de son pouvoir d'appréciation n'est pas exempt de tout abus;

Qu'il apparaît qu'une avance de frais de 22'000 fr. serait conforme tant au montant des conclusions qu'à la complexité relative de la procédure à conduire, prima facie, étant relevé que tout acte d'instruction requis de façon supplémentaire pourrait en tout état fonder une demande d'avance complémentaire;

Que la situation personnelle du recourant, certes articulée par celui-ci essentiellement en soutien de ses conclusions sur effet suspensif, est sans pertinence;

Qu'en définitive, le recours sera partiellement admis;

Que la décision attaquée sera annulée et la cause renvoyée au Tribunal afin qu'il fixe au recourant un délai pour fournir une avance de frais de 22'000 fr.;

Que compte tenu de l'issue de la procédure (le recourant ayant obtenu gain de cause sur effet suspensif, sur le principe des conclusions de son recours et sur une large partie de la quotité en cause), les frais judiciaires de recours à charge du recourant seront limités à 300 fr. (art. 41 RTFMC; art. 106 al. 2 et 107 al. 2 CPC), montant qui sera compensé avec l'avance de frais de 600 fr. qu'il a fournie, laquelle demeure acquise à due concurrence à l'Etat de Genève. Les Services financiers du Pouvoir judiciaire seront invités à restituer 300 fr. au recourant;

Que l'art. 107 al. 2 CPC ne s'appliquant pas en matière de dépens, le recourant conservera à sa charge l'intégralité de ses dépens de recours (ATF 140 III 385 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ contre la décision DTPI/3855/2022 rendue le 26 avril 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/18857/2021.

Au fond :

Annule cette décision.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance, afin qu'il impartisse à A______ un délai pour fournir une avance de frais de 22'000 fr.

Déboute A______ de toutes autres conclusions de recours.

Sur les frais :

Arrête à 300 fr. les frais judiciaires de recours à charge de A______ et les compense avec l'avance fournie par celui-ci, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève à due concurrence.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 300 fr. à A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.