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Décisions | Chambre civile

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C/7086/2020

ACJC/1349/2021 du 19.10.2021 sur JTPI/14337/2020 ( OO ) , CONFIRME

Descripteurs : NULLITE
Normes : co.20.al1; cc.2.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7086/2020 ACJC/1349/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 19 OCTOBRE 2021

 

Entre

A______ SA, sise ______[GE], appelante d'un jugement rendu par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 novembre 2020, comparant par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, Mangeat Avocats Sàrl, passage des Lions 6, case postale, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

FONDATION E______ - E______, sise ______ Genève, intimée, comparant par Me Mike HORNUNG, avocat, place du Bourg-de-Four 9, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/14337/2020 du 19 novembre 2020, notifié aux parties le 25 novembre 2020, le Tribunal de première instance a débouté A______ SA des fins de son action en libération de dette (ch. 1 du dispositif), condamné A______ SA à verser à la FONDATION E______ – E______ la somme de 92'744 fr. 15 avec intérêts à 5% dès le 3 avril 2019 (ch. 2), dit que la poursuite n°1______ irait sa voie à due concurrence (ch. 3), mis les frais judiciaires – arrêtés à 5'000 fr. – à la charge de A______ SA, compensé ces frais avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci (ch. 4), condamné A______ SA à payer à la E______ la somme de 4'500 fr. TTC à titre de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 11 janvier 2021, A______ SA appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Principalement, elle conclut à ce qu'il soit constaté qu'elle n'est pas débitrice envers la E______ de la somme de de 92'744 fr. 15 plus intérêts faisant l'objet du jugement de mainlevée provisoire JTPI/3012/2020 prononcé le 26 février 2020, à ce que la mainlevée provisoire prononcée par ledit jugement soit annulée et à ce que le commandement de payer dans la poursuite n. 1______ soit également annulé, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans sa réponse, la E______ conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. A______ SA a répliqué, persistant dans les conclusions de son appel. Simultanément, elle a produit deux articles de presse datés du 7 décembre 2017 et deux courriers du Ministère public datés du 9 décembre 2020.

d. La E______ a dupliqué et conclu préalablement à l'irrecevabilité des pièces produites par A______ SA, ainsi que des allégués 50 à 101 de la réplique.

e. A______ SA s'est déterminée sur la duplique par courrier de son conseil du 2 juillet 2021, persistant dans ses conclusions.

f. Par courrier de son conseil du 2 juillet 2021, la E______ s'en est rapportée à justice quant à la recevabilité des déterminations susvisées. Elle a persisté dans ses conclusions pour le surplus.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. La FONDATION E______ –E______ (ci-après : la E______) est une entreprise de droit public, inscrite au Registre du commerce de Genève, ayant pour but de promouvoir de nouvelles entreprises créatrices d'emplois, soutenir et développer des entreprises existantes et stimuler l'innovation en ville de Genève.

b. Le règlement de la E______ prévoit que celle-ci intervient en faveur des entreprises genevoises sous plusieurs formes, notamment le cautionnement, le prêt ou l'aide à la restructuration (art. 2).

S'agissant des conditions d'acceptation des dossiers, le règlement énonce que: "Le requérant, respectivement dans le cas d'une personne morale, les personnes responsables, offrent sur le plan personnel et professionnel les assurances nécessaires à la bonne gestion de leurs affaires. Le paiement des intérêts et de l'amortissement des montants accordés paraît assuré à terme" (art. 14 al. 1).

Au titre des sûretés, il est notamment prévu que "En cas d’intervention de la E______, des garanties et/ou sûretés peuvent être demandées aux requérants. Dans le cas de personnes morales, les personnes responsables doivent s’engager personnellement" (art. 15 al. 1).

Quant au suivi des dossiers, le règlement précise que "La E______ exercera une surveillance appropriée des bénéficiaires de ses interventions (débiteurs) pendant toute la durée du contrat, de façon à pouvoir prendre les mesures nécessaires et éviter des pertes" (art. 21).

c. A______ SA (ci-après : A______ ou la société) est une société anonyme ayant son siège à Genève, dont le but est la gestion d'actifs à destination de fonds d'investissement et de comptes gérés, la gestion de fortune, la fourniture de conseil en placement, le développement de produits financiers et d'investissement, ainsi que la fonction d'intermédiaire commercial.

d. Lors de la constitution de A______ en société anonyme, en ______ 2012, B______ a été nommé administrateur unique de la société et C______ en a été nommé directeur. Tous deux disposaient d'un pouvoir de signature individuel.

Le capital social de A______ a été réparti à raison de 45.25% en mains de B______, de 45.25% en mains de C______ et de 9.5% en mains de la société tierce D______ SAS.

e. B______ et C______ ont également conclu une convention intitulée "Pacte d'associés", dans le but notamment d'"éviter d'éventuels conflits futurs". Cette convention prévoyait notamment qu'aucun actionnaire de A______ne pouvait engager d'actions visant le licenciement de l'autre et qu'aucune demande de prêt ne pouvait être effectuée unilatéralement par un associé.

Les associés reconnaissaient par ailleurs que leur convention revêtait un caractère confidentiel.

f. En automne 2015, des dissensions sont apparues entre C______ et B______.

Le 20 novembre 2015, B______ a tenu un conseil d'administration de A______, auquel il a participé seul, en sa qualité d'administrateur unique de la société. Il a alors décidé de mettre fin au contrat de travail de C______, ce dont celui-ci a été informé le jour même.

Simultanément, A______ a fait parvenir au Registre du commerce une réquisition tendant à la radiation des pouvoirs de C______.

g. Le 3 décembre 2015, C______ a saisi le Tribunal d'une requête de mesures provisionnelles dirigée contre A______, tendant à ce qu'il soit ordonné au Registre du commerce de sursoir à toute demande de modification, notamment relative à sa radiation ou à son statut, jusqu'à droit connu sur la validité de son licenciement.

Informé du dépôt de cette requête, le Registre du commerce a sursis à radier les pouvoirs deC______.

h. Simultanément, C______ et la société D______ SAS ont exigé de B______ qu'il convoque une assemblée générale dans les plus brefs délais, avec pour ordre du jour la révocation du mandat d'administrateur de ce dernier et l'élection de nouveaux administrateurs, dont C______.

i. Avant ces événements, A______ était entrée en contact avec la E______, en vue d'obtenir une avance de fonds.

Le 16 décembre 2015, un contrat de ligne de crédit a ainsi été conclu entre la E______, d'une part, et A______, représentée par B______, ainsi que B______ en personne, d'autre part, en qualité de codébiteurs solidaires, portant sur un prêt d'un montant de 90'000 fr., destiné à financer un besoin en fonds de roulement de la société.

Le contrat prévoyait que le prêt porterait intérêt à 5% l'an sans frais de compte et sans commission trimestrielle (art. 8). Les intérêts conventionnels étaient dus trimestriellement les 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre de chaque année (art. 9).

Le remboursement de la ligne de crédit devait s'effectuer sur 60 mois par mensualités de 1'500 fr., de mars 2016 à février 2021 inclus, chaque mensualité étant due le dernier jour du mois (art. 12).

En cas de retard dans le paiement d'une mensualité ou des intérêts, les codébiteurs solidaires étaient en demeure qualifiée sans que la E______ ait besoin de leur impartir un délai pour régler les montants en retard (art. 10 et 13).

Le contrat prévoyait également qu'en cas de retard de paiement d'une mensualité, le montant dû portait intérêts à 10% l'an dès le premier jour du retard (art. 14).

Dans tous le cas de retard de paiement, la E______ pouvait dénoncer le contrat en tout temps, le prêt, le solde, les intérêts et les frais devenant exigibles immédiatement (art. 15).

j. En date du 23 décembre 2015, la E______ a versé un montant de 90'000 fr. à A______, sur un compte bancaire détenu par celle-ci.

k. Par ordonnance du 10 mars 2016, le Tribunal a fait droit aux mesures provisionnelles requises par C______ le 3 décembre précédent et fait interdiction du Registre du commerce de radier les pouvoirs de celui-ci dans l'inscription relative à A______.

l. L'assemblée générale requise par C______ et D______ SAS s'est tenue le 17 mai 2016.

Elle a décidé de démettre B______ de ses fonctions d'administrateur et de nommer C______, ainsi qu'une tierce personne, comme administrateurs de la société.

Les pouvoirs de B______ ont été radiés du Registre du commerce le ______ 2016.

m. Le 10 juin 2016, A______ a déposé une plainte pénale contre B______ pour gestion déloyale, vol et concurrence déloyale.

L'instruction de cette plainte est à ce jour en cours.

n. A______ a réglé la première mensualité du contrat de prêt du 16 décembre 2015. Par la suite, elle a procédé à six versements entre les mois d'avril et d'octobre 2017, pour un total de 8'755 fr. 10, au titre de remboursement du capital. Elle a également versé une partie des intérêts, à concurrence de 2'332 fr.40.

o. Par courrier du 21 mars 2019, la E______ a dénoncé le prêt en application des articles 10 et 13 du contrat du 16 décembre 2015. Elle a requis le paiement d'un montant total de 92'744 fr. 15 avant le 3 avril 2019.

A______ ne s'est pas acquittée du montant réclamé dans le délai fixé.

p. Le 16 mai 2019, la E______ a fait notifier à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour un montant de 92'744 fr. 15 plus intérêts à 5% l'an dès le 3 avril 2019, auquel A______ a formé opposition le jour même.

Par jugement JTPI/3012/2020 du 26 février 2020, le Tribunal a prononcé la mainlevée provisoire de cette opposition.

q. Par acte expédié au Tribunal le 20 avril 2020, A______ a introduit à l'encontre de la E______ une action en libération de dette. Elle a conclu principalement à ce qu'il soit constaté qu'elle n'était pas débitrice de la E______ de la somme de 92'744 fr. 15 plus intérêts faisant l'objet du jugement de mainlevée provisoire du 26 février 2020, à ce que le prononcé de ladite mainlevée provisoire soit annulé et à ce que le commandement de payer dans la poursuite n. 1______ soit également annulé, avec suite de frais judiciaires et dépens.

En substance, A______ a allégué que le contrat du 16 décembre 2015 était nul, car l'objectif poursuivi par les parties était illicite, le seul but de B______ étant de vider la société de ses actifs de ne laisser à ses successeurs que des dettes. La E______ aurait dû, à tout du moins, reconnaître cet objectif illicite selon les règles de la bonne foi et ses propres règles internes, qui n'avaient pas été respectées. Elle ne pouvait pas se prévaloir de l'inscription figurant au Registre du commerce, car elle avait agi de mauvaise foi en choisissant notamment d'ignorer la situation conflictuelle entre les associés et n'avait pas procédé aux vérifications nécessaires concernant B______.

r. La E______ a conclu au déboutement de A______ des fins de sa demande, à la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 92'744 fr. 15, avec intérêts à 5% dès le 3 avril 2019, à ce qu'il soit dit que la poursuite n°1______ irait sa voie et à la condamnation de A______ en tous les frais judiciaires et dépens.

Selon la E______, le contrat de prêt était valable et opposable à A______. Le prêt n'avait pas de but commun illicite et, s'il devait s'avérer que les intentions de B______ étaient réellement délictueuses, il était manifeste que la E______ ne partageait pas ce but. Le conflit interne entre les associés de A______ n'avait par ailleurs pas été porté à sa connaissance. Lors de la conclusion du contrat, B______ était administrateur unique de la société et disposait d'un pouvoir de signature individuel pour la représenter, ce qui figurait au Registre du commerce. Il pouvait ainsi représenter seul la société. Au surplus, les restrictions prévues dans le pacte des associés étaient confidentielles et ne lui étaient pas opposables.

s. Le Tribunal a ordonné des enquêtes et entendu comme témoin E______, gestionnaire de crédits auprès de la E______.

Selon son souvenir, celle-ci avait rencontré B______ dans les locaux de la E______ une toute première fois le 27 août 2015, afin que ce dernier exprime le besoin de sa société et qu'elle puisse de son côté lui décrire la procédure. Il s'agissait de la première interaction avec A______. A la suite de ce premier rendez-vous, B______ lui avait confirmé qu'il déposerait une demande pour un prêt ou une ligne de crédit de 100'000 fr. Bien que ce dernier ait initié seul le premier rendez-vous, il avait ensuite mis en copie de ses courriels C______, avec lequel elle avait échangé dans la même mesure qu'avec B______. Lors du premier entretien précité, B______ lui avait expliqué rechercher une ligne de crédit, des fonds de roulement pour un montant de 100'000 fr. Par la suite, cette demande avait été ramenée à 90'000 fr. afin d'éviter une procédure plus longue mise en place par la E______ pour tout prêt dès 100'000 fr.

Après le dépôt de la demande de crédit ainsi que des annexes, un entretien dans les locaux de A______ avait été organisé, lors duquel étaient présents C______ et B______ pour A______, ainsi qu'un de ses collègues et elle-même pour la E______. Il ressortait du dossier que A______ était en plein développement, son chiffre d'affaires ayant notablement augmenté entre 2013 et 2014. Selon les explications transmises, A______ n'avait bénéficié d'aucun prêt bancaire; elle s'était financée par ses fonds propres et avait notamment pour projet de déménager. A______ avait également indiqué qu'il lui était difficile de recourir à une banque pour cette ligne de crédit du fait qu'elle déployait son activité dans le domaine financier. Ensuite de ce rendez-vous, la décision d'entrer en matière avait été mise à l'ordre du jour de la séance de la E______ du 29 octobre 2015. Jusqu'à cette date, la demande de A______ n'avait pas été retirée ou modifiée.

Le 29 octobre 2015, la E______ avait accepté de mettre une ligne de crédit de 90'000 fr. à disposition de A______. E______ en avait informé cette dernière par téléphone, sans qu'elle ne se souvienne si elle avait parlé à B______ ou à C______. Par la suite, début décembre 2015, B______ l'avait contactée pour l'informer de ce que C______ ne souhaitait pas être codébiteur solidaire avec lui-même et A______. Elle n'avait pas jugé utile de vérifier auprès de C______ s'il confirmait cette demande. Par décision du 10 décembre 2015, le conseil de la Fondation avait accepté cette demande, considérant qu'elle avait suffisamment de garanties avec A______ et B______, lequel était administrateur unique et responsable LBA vis-à-vis de la FINMA. Elle n'avait jamais été informée qu'il y aurait eu subséquemment au 29 octobre 2015 un retrait de la demande de prêt ou une contestation de celui-ci.

E______ a précisé qu'après l'octroi d'un prêt, la E______ pouvait conseiller le bénéficiaire à sa demande, ou l'orienter pour résoudre des problèmes auxquels il serait confronté. Dans le cas d'espèce, aucune demande de ce type n'avait été transmise à la E______. Elle se souvenait avoir reçu de B______ une copie de requête d'une radiation de signature individuelle concernant C______. Elle avait appris par la suite que cette réquisition avait été bloquée au Registre du commerce. Quand bien même cette information était inconnue lorsque le conseil de la fondation avait statué le 10 décembre 2015, cela n'avait aucune importance car B______ restait administrateur unique avec signature individuelle. Elle n'avait pas été informée d'une modification de l'actionnariat ou du Registre du commerce avant la décision prise par le conseil de la fondation d'accorder une ligne de crédit à A______. Elle n'avait donc aucun motif de procéder à des contrôles supplémentaires à ceux prévus par les procédures internes à la E______.

t. A l'audience du 26 octobre 2020, au terme de l'audition du témoin susvisé, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré qu'il n'était pas établi que le contrat de prêt litigieux ait été conclu dans un but illicite, B______ n'ayant notamment fait l'objet d'aucune condamnation à ce jour. A supposer qu'une telle condamnation soit néanmoins prononcée, aucun élément ne permettait de constater que la E______ connaissait, ou aurait pu reconnaître, l'objectif illicite de B______ selon les règles de la bonne foi et ses propres règles internes. Elle avait procédé aux vérifications usuelles et le prénommé présentait les assurances nécessaires à la bonne gestion des affaires de la société, sur le plan personnel et professionnel, étant notamment inscrit au Registre du commerce comme administrateur de A______.

Il n'était pas non plus établi que la E______ fût informée du conflit interne entre les associés lors de la conclusion du contrat de prêt, ou qu'elle eût pu ou dû avoir des soupçons à ce sujet. La demande de radiation de C______ du Registre du commerce lui était alors inconnue et celle-ci était dénuée de portée, dès lors que B______ demeurait administrateur unique de la société, avec pouvoir de signature individuel. L'absence de C______ dans les négociations et lors de la conclusion du contrat ne constituait pas non plus un élément qui aurait dû alerter la E______. Celle-ci avait suffisamment de garanties avec deux codébiteurs, soit la société et B______ en personne, et la participation de C______ n'était pas indispensable à la conclusion du contrat. Ce dernier n'était donc ni illicite, ni entaché de nullité.

Contrairement à ce que soutenait la société, le contrat de prêt lui était par ailleurs opposable, B______ étant alors inscrit en qualité d'administrateur au Registre du commerce et disposant d'un pouvoir de signature individuel. Ledit registre n'indiquait aucune restriction de ce pouvoir et le pacte d'associés conclu entre les actionnaires, qui limitait leur pouvoir de conclure un prêt, ne réglait que les rapports internes entre les associés. Il ne déployait pas d'effets à l'encontre de la E______, qui n'en avait pas connaissance. Partant, A______ demeurait pleinement liée par le contrat du 16 décembre 2015. La quotité des montants réclamés n'étant par ailleurs pas contestée, A______ devait être déboutée des fins de son action en libération de dette et condamnée à verser à la E______ la somme de 92'744 fr. 15, avec intérêts à 5% dès le 3 avril 2019.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce,le jugement entrepris est une décision finale et la valeur litigieuse devant le Tribunal s'élevait à plus de 90'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours, dans la forme écrite prévue par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3, 145 al. 1 let. c et 311 al. 1 CPC) et auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ) l'appel est recevable.

1.3 S'agissant d'un appel, la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2.             L'appelante produit à l'appui de sa réplique des pièces non soumises au Tribunal. Dans sa duplique, l'intimée conteste la recevabilité desdites pièces, ainsi que celle de nombreux allégués de la réplique.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Il appartient au plaideur qui entend se prévaloir en appel de moyens de preuve déjà existants lors de la fin des débats principaux de première instance de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être invoqué devant l'autorité précédente (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1)

2.2 En l'espèce, les pièces produites par l'appelante à l'appui de sa réplique comprennent notamment deux articles de presse publiés bien avant la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger. L'appelante n'expose pas les raisons pour lesquelles elle n'aurait pas été en mesure de produire ces pièces devant le Tribunal, si elle l'estimait nécessaire. Partant, ces pièces sont irrecevables, de même que les allégués de fait s'y rapportant, qui sont également formulés pour la première fois en appel.

Les autres pièces produites par l'appelante sont des courriers établis postérieurement à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger. Ces pièces sont recevables, contrairement à ce que soutient l'intimée, et le fait auquel elle se rapportent, soit la poursuite de l'instruction pénale dirigée contre l'ex-administrateur de l'appelante, a été intégré dans la mesure utile à l'état de fait ci-dessus.

S'agissant des allégués de la réplique dont l'intimée conteste la recevabilité, la Cour constate que ceux-ci sont essentiellement constitués d'explications relevant de l'argumentation juridique, et non d'allégués de faits proprement dits. Ces allégués sont partant recevables, sans préjuger de leur pertinence, étant observés que les éventuels anciens faits nouveaux (unechete nova) qu'ils contiendraient n'ont au demeurant pas été retenus dans l'état de fait ci-dessus, lequel suffit à la Cour pour statuer. Ce qui précède s'applique mutatis mutandis aux explications contenues dans la réponse de l'intimée, dont l'appelante conteste la recevabilité sans toutefois prendre des conclusions formelles à ce sujet.

3.             Sur le fond, l'appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir admis que le contrat de prêt litigieux poursuivait un but illicite et qu'il était, partant, frappé de nullité. Elle soutient que l'intimée a conclu ledit contrat sans procéder aux vérifications que lui imposaient sa propre réglementation, ni prêter l'attention commandée par les circonstances.

3.1 En vertu de l'art. 20 al. 1 CO, un contrat est nul s'il a pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux mœurs (art. 20 al. 1 CO).

Un contrat est illicite au sens de cette disposition lorsque son objet, sa conclusion avec le contenu proposé ou son but médiat commun est contraire au droit positif suisse, fédéral ou cantonal, plus spécifiquement lorsqu'il contrevient ainsi à la lettre ou au but d'une disposition légale (ATF 134 III 438 consid. 2.2; 119 II 222 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_113/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.3; 4A_263/2019 du 2 décembre 2019 consid. 2.3) Il peut s'agir d’une norme de droit privé – pour autant qu'elle soit impérative ou semi-impérative –, de droit public ou de droit pénal (ATF 134 III 52 consid. 1.1; 117 II 286 consid. 4a).

Les contrats contraires à une règle de droit ne sont nuls que si cette nullité est expressément prévue par la loi ou qu'elle découle de l'esprit et du but de la norme violée, c'est-à-dire si elle est appropriée à l'importance de l'effet combattu (ATF 143 III 600 consid. 2.8.1 134 III 438 consid. 2.2; 134 III 52 consid. 1.1; 119 II 222 consid. 2). La nullité ne doit pas s'étendre au-delà de ce que requiert le but de protection de la norme violée (ATF 134 III 438 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_502/2012 du 22 janvier 2013 consid. 2.1).

S'agissant d'une sanction radicale, avec effet ex tunc, doctrine et jurisprudence en réduisent la portée notamment en ce qui concerne l'objet du contrat, en prenant en compte les intérêts de la partie se trouvant dans la position la moins favorable et aussi de celle n'étant pas destinataire de la norme prohibitive (Guillod/Stephen, Commentaire romand, CO I, 2012, n. 93 ad art. 19-20 CO; Huguenin, Commentaire bâlois, CO I, 2011, n. 55 ad art. 19-20 CO). Il s'agit de ne pas protéger, en déclarant la nullité du contrat, la personne qui profiterait de sa position favorisée, ni celle qui enfreindrait sciemment une norme la concernant directement (ATF 111 II 52; 102 II 401 consid. 2.a; Guillod/Stephen, op. cit., n° 91 à 95 ad art. 19-20 CO).

3.2 En l'espèce, l'objet du contrat litigieux, soit un prêt destiné à permettre à une entreprise de développer ses activités, est parfaitement licite, ce qui n'est pas contesté. L'appelante n'indique pas que le but dudit contrat ou sa conclusion contreviendrait à une norme particulière de droit fédéral ou de droit cantonal.

Il est douteux que les dispositions réglementaires de l'intimée, dont l'appelante soutient qu'elles n'auraient pas été respectées lors de la conclusion du prêt litigieux, relèvent du droit positif suisse, au sens des principes rappelés ci-dessus. A supposer que tel soit le cas, ces dispositions ont manifestement pour but de protéger les intérêts de l'intimée, et non ceux de ses cocontractants tels que l'appelante. Il n'apparaît dès lors pas conforme au but desdites dispositions que leur éventuelle violation puisse entraîner la nullité des actes passés par l'intimée, ce qu'elles ne prévoient pas, en particulier lorsque cette nullité serait contraire aux intérêts de l'intimée. Pour ces motifs déjà, aucun motif de nullité ne saurait être tiré d'une éventuelle violation des dispositions en question.

Au demeurant, l'existence même d'une violation des dispositions réglementaires susvisées, en particulier une violation de l'art. 15 al. 1 telle qu'alléguée par l'appelante, est également douteuse en l'espèce. Notamment, le règlement concerné ne définit pas la notion de "personnes responsables" dont la disposition susvisée exige qu'elles s'engagent personnellement aux côtés de la personne morale requérante. Dans le cas d'une société anonyme, on ne peut notamment pas exclure que cette notion ne vise que les membres du conseil d'administration, à l'exclusion des directeurs et/ou fondés de procuration. Or, en l'espèce, celui qui était alors l'administrateur unique de l'appelante s'est effectivement engagé aux côtés de celle-ci, de sorte que la disposition susvisée apparaît potentiellement respectée. Il n'y a dès lors pas là d'illicéité certaine, ni de motif établi de nullité.

Indépendamment du respect du règlement de l'intimée, le contrat litigieux pourrait néanmoins poursuivre un but illicite s'il était avéré que les représentants des deux parties avaient en réalité pour objectif commun de soustraire les sommes remises ou de les affecter à d'autres fins que celles prévues par le contrat, au préjudice de l'appelante et/ou de l'intimée. Or, si l'absence d'intention dolosive de l'ex-administrateur de l'appelante ne peut être exclue à ce stade, vu notamment la procédure pénale dirigée contre celui-ci, rien n'indique cependant que l'intimée ou ses représentants auraient partagé une telle intention et/ou voulu se rendre d'une quelconque manière complices des actes délictueux potentiellement commis par l'intéressé, ce que l'appelante n'allègue d'ailleurs pas. A elles seules, les allégations de l'appelante selon lesquelles l'intimée aurait manqué de diligence et n'aurait pas procédé aux vérifications nécessaires avant de conclure le contrat litigieux sont ainsi impropres à établir le caractère illicite dudit contrat. De telles allégations tendent en réalité à démontrer qu'il serait pour l'intimée abusif de poursuivre le recouvrement du prêt litigieux, compte tenu des manquements qui lui seraient imputables lors de la conclusion dudit prêt. Il convient dès lors d'examiner cette question.

4.             4.1 A teneur de l'art. 2 CC, chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi (al. 1). L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (al. 2).

L'art. 3 CC prévoit que la bonne foi est présumée, lorsque la loi en fait dépendre la naissance ou les effets d’un droit (al. 1). Nul ne peut invoquer sa bonne foi, si elle est incompatible avec l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui (al. 2).

L'interdiction de l'abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement et l'attitude contradictoire. L'abus de droit doit être admis restrictivement, comme l'exprime l'adjectif "manifeste" utilisé dans le texte légal (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 4A_362/2020 du 22 janvier 2021 consid. 5.1).

4.2 En l'espèce, l'appelante soutient que l'intimée ne pouvait ignorer l'existence d'un conflit entre ses associés lors de la conclusion du contrat litigieux, de sorte qu'elle ne pourrait de bonne foi poursuivre l'exécution dudit contrat à son encontre.

A ce propos, il est établi qu'après avoir mené des pourparlers indifféremment avec chacun des deux animateurs de l'appelante, l'intimée a été informée par l'un d'entre eux, soit B______, que le second, soit C______, ne souhaitait pas s'engager personnellement aux côtés de l'appelante. Ce seul fait ne devait cependant pas nécessairement conduire l'intimée à soupçonner qu'il existait un conflit entre les précités et/ou que les conditions d'octroi du prêt n'étaient pas réalisées. Comme relevé ci-dessus, l'intimée conservait l'engagement de celui des prénommés qui assumait la fonction d'administrateur de l'appelante, ce qui pouvait suffire au regard de sa propre réglementation. Il n'est par ailleurs pas établi, ni allégué, que l'intimée fût informée de l'existence du pacte d'actionnaires par lequel ceux-ci se sont réciproquement engagés à ne pas solliciter d'emprunt pour le compte de l'appelante sans le consentement de l'autre. L'existence d'un conflit pouvant remettre en cause l'octroi du prêt ne pouvait dans ces conditions paraître évidente aux yeux de l'intimée.

Par la suite, l'intimée a certes été informée de la requête de radiation des pouvoirs de C______ au Registre du commerce, ainsi que du blocage de cette radiation. Le seul témoin entendu dans le cadre du présent procès a cependant déclaré que ces informations n'étaient pas connues de l'intimée lorsque son conseil avait formellement approuvé l'octroi du prêt, lors de sa séance du 10 décembre 2015. Rien ne permet de retenir qu'elles l'auraient davantage été lors de la signature du contrat de prêt, le 16 septembre suivant. A ce stade encore, l'intimée pouvait ainsi de bonne foi ignorer le conflit opposant les principaux protagonistes de l'appelante et se dispenser d'effectuer des vérifications supplémentaires, à supposer que de telles vérifications fussent alors nécessaires. Même à admettre que l'intimée fût informée des mesures en cours au Registre du commerce, il convient en effet là encore de relever que la radiation requise portait sur les pouvoirs de celui des associés qui n'était pas administrateur de l'appelante et qui n'était pas appelé à s'engager aux côtés de celle-ci. L'intimée n'avait alors pas de raison de douter de la capacité de ce dernier à représenter valablement l'appelante, étant observé que les pouvoirs de représentation de l'intéressé demeuraient alors entiers, tant sur le plan interne que sur le plan externe. L'appelante ne soutient d'ailleurs plus aujourd'hui qu'elle ne serait pas liée par le contrat litigieux en raison d'un défaut des pouvoirs de celui qui était alors effectivement son administrateur unique, inscrit comme tel au Registre du commerce (cf. art. 936b al. 1 et 3 CO).

Au surplus, le fait que le montant de l'emprunt ait été initialement réduit de 100'000 fr. à 90'000 fr., afin d'éviter des formalités supplémentaires, ne permet pas de retenir que l'intimée aurait dû d'emblée suspecter un éventuel manque de capacité de l'appelante de faire face à ses engagements. Le caractère inhabituel d'une telle démarche, pour les bénéficiaires des prestations de l'intimée, n'est notamment pas établi et les exigences réglementaires de l'intimée paraissent là aussi avoir été respectées.

Au vu des motifs qui précèdent, le Tribunal a considéré à bon droit que l'intimée n'avait pas omis de prêter l'attention commandée par les circonstances à la conclusion du contrat de prêt litigieux. Celle-ci ne commet aujourd'hui aucun abus de droit à poursuivre le recouvrement dudit prêt à l'encontre de l'appelante et les griefs de cette dernière seront écartés.

5.             Pour le reste, l'appelante ne conteste pas la quotité du montant réclamé par l'intimée, en capital et en intérêts, ni le caractère exigible de ce montant. Celui-ci est à l'évidence conforme aux dispositions contractuelles convenues (cf. ég. art. 312 ss CO).

Par conséquent, l'appel sera rejeté et le jugement entrepris, qui a notamment condamné l'appelante à payer à l'intimée la somme de 92'744 fr. 15 plus intérêts, sera confirmé.

6.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 4'500 fr. (art. 15 et 35 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ils seront entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera également condamnée à payer à l'intimée la somme 5'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 105 al. m2 CPC, art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 11 janvier 2021 par A______ SA contre le jugement JTPI/14337/2020 rendu le 19 novembre 2020 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7086/2020.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 4'500 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à payer à la FONDATION E______ – E______ la somme de 5'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 


Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.