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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/472/2022

JTAPI/710/2023 du 26.06.2023 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

REJETE par ATA/182/2024

Descripteurs : TAXATION CONSÉCUTIVE À UNE PROCÉDURE;SOUSTRACTION D'IMPÔT
Normes : LIFD.151.al1; LPFisc.59.al1; LIFD.175; LPFisc.69
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/472/2022 ICCIFD

JTAPI/710/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Mes Xavier OBERSON et Lysandre PAPADOPOULOS, avocats, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

 

EN FAIT

1.             Le groupe de sociétés B______ (ci-après : le groupe) est actif dans la conception, la fabrication et la distribution de montres de luxe. En font partie notamment les sociétés C______ SA (Genève), D______ (E______) et F______ (G______). Jusqu’en 2012, le groupe a été détenu par ses deux actionnaires majoritaires, Messieurs H______ et I______.

2.             Le groupe fabrique ses montres par sa société genevoise C______ SA.

3.             De 1999 à 2006, le groupe ayant comptabilisé l’essentiel de son chiffre d'affaires auprès de ses deux sociétés étrangères, D______ et F______, les administrations fiscales cantonale (ci-après : AFC-GE) et fédérale (ci-après : AFC-CH) ont assujetti ces dernières aux impôts à Genève, respectivement en Suisse, et leur avaient notifié des bordereaux de rappel d’impôt et d’amende.

4.             Afin de mettre un terme à leur litige, le groupe, par l’intermédiaires de ses conseils, et l'AFC-GE ont notamment convenu, par accord du 22 décembre 2006 (complété par un second accord du 28 octobre 2009), que ce premier crée à Genève, dès la période fiscale 2007, une société principale afin de pérenniser dans ce canton l’imposition de son chiffre d’affaire. Les parties avaient en particulier stipulé que cette nouvelle société devait comptabiliser l’intégralité des ventes effectuées par le groupe et que l’entier du stock de montres existant auprès des autres sociétés du groupe et/ou distributeurs devait lui être transféré. Par ailleurs, la contribuable a été mise au bénéfice d’un statut de société principale, à compter du 1er janvier 2007 et restant valable tant qu’elle en remplissait les conditions, selon lequel :

-          le bénéfice réalisé sur la vente des produits aux distributeurs était imposé à concurrence de 50 % ;

-          les autres produits étaient imposés pleinement ;

-          la contribuable pouvait verser à D______ une redevance correspondant à 14 % du total des ventes contre l'octroi par cette dernière d'une licence exclusive pour la distribution des montres « B______ » ;

-          la contribuable supportait des charges liées au marketing de la marque.

5.             Ainsi, en janvier 2007, le groupe a crée A______ SA (ci-après : la contribuable ou la recourante) qui - à teneur du registre du commerce à Genève - a pour but « création, fabrication et commercialisation de produits d'horlogerie, de bijouterie, d'orfèvrerie et de composants horlogers et industriels ; commerce de composants horlogers, de diamants et de métaux précieux ; dessin et assistance technique pour l'horlogerie de haut de gamme ; achat, vente, promotion, administration, gestion, exploitation, location, édification et investissements dans le domaine immobilier, à l'exception des opérations proscrites par la LFAIE ; opérations de maître d'ouvrage, de développement et de gestion de projets immobiliers dans le cadre du développement de ses activités et de celles de ses sous-traitants ; participation à d'autres entreprises, établissement de filiales et succursales ».

6.             Dans les courriers qu’ils ont adressés à l'AFC-GE dans le cadre du litige susmentionné, les représentants du groupe ont notamment indiqué que :

-          la contribuable supporterait les risques liés à la distribution des montres de la marque « B______ » ;

-          les fonctions et responsabilités assumées par D______ étaient la détention, le développement, la protection ainsi que le maintien de la valeur de la marque, des designs et des logos « B______ » ;

-          au moment de la constitution de la contribuable, des stocks de montres lui avaient été transférés par F______, pour une valeur comptable de CHF 24'409'685.-, et par C______ SA, pour une valeur comptable de CHF 50'732'582.- ;

-          ledit prix de transfert de CHF 24'409'685.- correspondait à la valeur vénale, soit à la valeur qui aurait été convenu entre tiers indépendants ;

-          entre 2007 et 2014, D______ employait 4 personnes (une directrice, un juriste, un comptable et une assistante administrative à temps partiel), disposait de locaux à l’E______ (d’environ 320 m2) et à J______ (260 m2), déployait des activités de gestion de la propriété intellectuelle « B______ » (comprenant enregistrement et renouvellement des droits à travers le monde, contrôle et surveillance des droits afin d'assurer l’absence d'infraction et lutte contre la contrefaçon en collaboration avec des services douaniers à travers le monde), de recherche et distribution (sous-traitée par la contribuable) et de gestion des licences et de la trésorerie ;

-          les dettes fiscales de D______, F______ et C______ SA envers l'AFC-GE et l'AFC-CH totalisaient CHF 200'008'776.-.

7.             Pour les années fiscales 2010 et 2011, l'AFC-GE a taxé la contribuable sur un bénéfice imposable de respectivement CHF 0.- et CHF 106'052'400.- et sur un capital propre imposable de CHF 500'000.-, respectivement CHF 124'266'731.-.

8.             Ces taxations sont entrées en force.

9.             Les 26 juin et 19 décembre 2017, l'AFC-GE a informé la contribuable de l’ouverture à son encontre des procédures en rappel et en soustraction d’impôt pour les années 2007 à 2011 et d’une procédure en tentative de soustraction pour les années 2012 à 2015, au motif que, contrairement aux arrangements fiscaux susmentionnés, elle n’avait pas récupéré l'entier du stock détenu auparavant par D______, celle-ci l’ayant gardé en partie et enregistré des ventes y relatives. L'AFC-GE a par ailleurs précisé qu'elle procéderait à un contrôle sur place, ainsi que les informations et pièces qui devaient lui être fournies à cette occasion.

10.         Dans le cadre de l’instruction desdites procédures (contrôles sur place, six entretiens, nombreux échanges de correspondances et documents comptables récoltés), l'AFC-GE a établi que :

-          avant le 31 décembre 2006, D______ avait acquis de C______ SA des montres fabriquées par cette dernière, puis les avait revendus aux sociétés distributrices et comptabilisé leur vente ;

-          à la fin de l'exercice commercial 2006, les montants des créances du groupe envers les distributeurs étaient supérieurs à son chiffre d'affaires annuel ;

-          en 2006, D______ avait constitué des provisions sur débiteurs et, dès 2007, avait décidé, dans le but de réduire les soldes des débiteurs ouverts, de reprendre la propriété d'une partie des produits déjà vendus aux distributeurs, tout en leur laissant les stocks de montres invendues (stocks en consignation) ;

-          la valeur desdits stocks s’élevait à plus de CHF 169 millions ;

-          des notes de crédits avaient été émises auprès des distributeurs ;

-          les provisions sur débiteurs avaient été converties en celles sur les stocks consignés (pour les mêmes montants) ;

-          les distributeurs s’étaient engagés à informer D______ s'ils parvenaient à vendre les stocks de montres et à lui verser les recettes ;

-          dès 2007, dite société créditait son stock en consignation, puis enregistrait une créance envers le distributeur, la compensait dès le paiement par ce dernier et extournait la provision y relative, ce qui générait un produit ;

-          la contribuable avait pris à sa charge des honoraires de consultant versés à M. H______, pour les services que celui-ci rendait à D______.

11.         Les 1er mars et 26 avril 2021, l'AFC-GE a notifié à la contribuable :

-          des bordereaux de rappel d’impôt pour les années 2010 et 2011, faisant état de suppléments d’impôt de CHF 1'440'991.- (ICC 2010), CHF 564’102,50 (IFD 2010), CHF 3'586’863,40 (ICC 2011) et CHF 1'410’974,50 (IFD 2011) ;

-          des bordereaux d’amende ICC et IFD 2010 et 2011 correspondant à une fois les montants précités ;

-          des bordereaux de taxation ICC et IFD 2012 à 2015 ;

-          des bordereaux d’amende pour tentative de soustraction des ICC et IFD 2012 à 2015 correspondant à deux tiers des impôts soustraits.

Les reprises sur le bénéfice - opérées pour honoraires de consultant injustifiés et prestations à des tiers proches - s’élevaient respectivement à :

2010

2011

2012

2013

2014

2015

1'250'000.-

0.-

15'250'000.-

0.-

0.-

0.-

24'929'960.-

5'347'400.-

3'370'220.-

3'409'515.-

1'825'225.-

1'859'773.-

Les amendes étaient infligées au motif que la contribuable, en sa qualité de société principale du groupe, avait choisi de racheter des montres à des distributeurs puis de les revendre à travers D______ située dans une juridiction offshore, ce qui avait abouti à une taxation insuffisante. De plus, la contribuable avait passé en charge des frais liés à la marque B______, alors qu’ils auraient dû être supportés par cette même entité offshore, parce que son but au sein du groupe était la détention et la protection des droits de propriété intellectuelle, dont la marque. Les honoraires de consultant y relatifs ne constituait ainsi pas des charges justifiées par l'usage commercial.

Pour la fixation de la quotité des amendes, il était tenu compte de l’importance des montants soustraits, au titre de circonstance aggravante, et de la bonne collaboration de la contribuable, comme circonstance atténuante.

Les procédures s’étaient terminées sans reprises et amendes pour les années 2007 à 2009.

12.         Les 30 mars et 25 mai 2021, la contribuable, sous la plume de son conseil, a formé réclamations contre ces bordereaux.

Elle était responsable des décisions stratégiques concernant la distribution des produits du groupe, le développement et la supervision du réseau international de distribution. Elle déployait par ailleurs les activités de gestion des stocks, de la logistique et du marketing. Elle encaissait les revenus des ventes qui étaient effectuées par des grossistes et détaillants.

D______ assumait quant à elle la détention, le développement, la protection et le maintien de la valeur de la marque, des designs et des logos du groupe. Elle n’avait aucune présence en Suisse, que ce soit sous la forme d’une direction effective ou d’un établissement stable.

Conformément au principe de déterminance, l'AFC-GE aurait dû s’en tenir à ses comptes commerciaux. Les produits repris n’ayant pas été comptabilisés par elle-même, mais par D______, les reprises ne pouvaient être opérées auprès d’elle. De plus, il s’agissait des ventes effectuées avant le 31 décembre 2006 par cette société et c’était celle-ci qui avait repris la propriété des montres, tout en les laissant physiquement en consignation chez les distributeurs tiers et en émettant des notes de crédit auprès de ces derniers. C’était encore envers cette société que les distributeurs s’étaient engagés s'ils parvenaient à vendre les montres, en ce sens qu’ils l’informaient rapidement de leur vente, suite à quoi cette dernière procédait à une facturation, un encaissement et à l'extourne de la provision sur stock en consignation correspondante. Les provisions ayant été constituées dans les comptes de cette société, l’on ne pouvait admettre que leur extourne devait avoir un effet chez un sujet fiscal distinct. D______ n'avait procédé à aucune vente après 2007, « sous réserve de l'encaissement des produits en consignation ». De surcroît, cette opération s'était effectuée « sans intervention de la Suisse ». De son côté, elle n’avait réalisé ni formellement ni matériellement les opérations en cause. N'ayant pas procédé aux ventes initiales des montres, ni n’ayant acquis une quelconque propriété sur eux, elle n'était donc pas créancière des distributeurs tiers et ne pouvait avoir fait une attribution au titre d'une prestation appréciable en argent.

Les accords qu’elle avait conclus avec l'AFC-GE ne prévoyait aucunement qu’elle devait racheter les montres en question.

Dès le 1er janvier 2007 et afin de permettre aux distributeurs tiers de revenir à des « niveaux débiteurs acceptables » et d’éviter des risques résultant des activités antérieures à 2007, D______ n'avait eu d'autre choix, conformément à l'usage commercial, que de constituer des provisions sur débiteurs. Ce « plan de règlement, comme nouvelle politique générale de paiement », avait été mis en œuvre par la conclusion d'accords de consignation entre D______ et distributeurs concernés, en vertu desquels celle-ci avait repris la propriété des montres - tout en les laissant physiquement en consignation chez les distributeurs - et décidé d'émettre des notes de crédit auprès de ces derniers, ce qui leur avait permis de revenir à des « niveaux débiteurs acceptables ». Les distributeurs s’étaient quant à eux engagés à payer D______ s'ils parvenaient malgré tout à vendre les montres. A ce jour toutefois, une partie importante (environ 2/3) des stocks en consignation chez les distributeurs était toujours invendue, ce qui démontrait que les provisions étaient pleinement justifiées. La probabilité que ces stocks soient finalement vendus par les distributeurs diminuait d'ailleurs d'autant plus avec le temps, dès lors que les montres concernées avaient été fabriquées avant 2007.

Le « plan de règlement » précité avait permis aux distributeurs d'acheter de nouveaux produits auprès d’elle, ce qui n'aurait pas été possible dans la même mesure si les soldes débiteurs étaient restés à leur niveau de fin 2006. D______ avait pris des risques importants, en reprenant des stocks invendus, ce afin justement de lui permettre de démarrer son activité de distribution grâce au fait que les distributeurs avaient pu revenir à des « niveaux débiteurs acceptables » et donc acquérir de nouvelles montres distribuées par elle-même.

Au vu de ce qui précède, D______ n’avait pas procédé à des ventes après 2006, et les revenus y relatifs ne pouvaient donc être imposés après cette date, puisqu’ils avaient déjà fait l’objet des reprises ayant mené aux accords du 6 octobre 2009, qui liaient l'AFC-GE conformément au principe de la bonne foi.

En tout état, si les produits litigieux devaient lui être attribués, les charges commerciales y relatives devraient alors l’être également. Pour pouvoir vendre les montres en question, elle avait nécessairement dû les racheter à D______ à leur valeur de marché, équivalant par ailleurs au prix de vente aux tiers, ce qui ne lui aurait laissé qu'une très faible marge, voire aucune marge. Autrement dit, si elle avait procédé de la sorte, une marge n'aurait pu lui être attribuée « qu'artificiellement », tant elle aurait été faible. Dès lors, seul un pourcentage « extrêmement réduit pour ne pas dire nul » des produits litigieux pourrait, en tout état de cause, faire l'objet de taxations, respectivement de rappels d'impôts. De plus, les ventes des produits en consignation chez les distributeurs, qui avaient été effectivement encaissées en 2010 par D______, se montaient à CHF 9'977'670.-, soit sans aucune mesure avec celui de CHF 24'929'960.- retenu par l'AFC-GE.

S’agissant des honoraires de consultant, il était vrai que par contrats de 2006 et 2012, M. H______ s’était engagé à assister le groupe dans le domaine de la représentation et promotion de la marque. Toutefois, ses honoraires ne se rattachaient pas à la promotion de la marque proprement dite, mais bien à ses activités à elle, soit la distribution et la promotion de la vente des produits. Subsidiairement, l'AFC-GE ne pouvait reprendre une partie « limitée » des honoraires. En effet, dans la mesure où elle les avait comptabilisés et qu’ils avaient une « connexité objective » avec son activité commerciale, ils étaient justifiés par l’usage commercial dans une mesure « prépondérante ».

Les produits repris par l'AFC-GE n’étant aucunement imposables, les amendes y relatives devaient être annulées. Subsidiairement, elles devaient être annulées parce que les conditions de la soustraction fiscale n’étaient pas remplies.

13.         Par décision sur réclamation du 7 janvier 2022, l'AFC-GE a admis partiellement la réclamation, en ce sens que les amendes ICC et IFD 2010 étaient annulées pour cause de prescription, la rejetant pour le surplus.

Le groupe avait convenu avec M. H______ de lui verser annuellement des honoraires de CHF 2'500'000.- pour des conseils. Les honoraires que D______ avait comptabilisés jusqu’à fin 2011 avaient été repris par la contribuable en 2012. Celle-ci avait par ailleurs comptabilisé des honoraires de CHF 2'500'000.- en 2010. Dans la mesure où M. H______ avait rendu au groupe des services de conception et de fabrication, les honoraires y relatifs auraient alors dû être supportés par C______ SA, et non pas par la contribuable. De même, les honoraires liés à des services de représentation et de promotion de la marque devaient être supportés par D______. Les reprises y relatives devaient donc être maintenues. En tout état, la déduction, en 2012, des honoraires de CHF 12'750'000.- devrait être refusée en application du principe de l'étanchéité des exercices, puisque seul un montant CHF 2'500'000.- concernait cette période fiscale, tandis que cette première somme représentait des honoraires dus pour les exercices antérieurs.

Pour le surplus, l'un des objets des accords était que D______ cesse de comptabiliser du chiffre d'affaires, puisque c’était la contribuable, constituée à cet effet, qui devait le faire. Le fait qu’il s’agissait des ventes d’avant 2006 n’était pas déterminant, puisque D______ savait déjà lors de la clôture de ses comptes 2006 que ces ventes seraient annulées en 2007, si elles n’étaient pas payées, et feraient l'objet de notes de crédit. Or, aucune subsistance de stocks de montre auprès de cette société offshore n’avait été prévue par les accords de 2006 et 2009 et cette dernière ne pouvait les écouler en parallèle de la structure principale, soit la contribuable. L'idée de ces accords était justement de rapatrier le chiffre d'affaires en Suisse, moyennant la constitution de la contribuable, et de mettre fin à des années pendant lesquelles les bénéfices avaient été indûment déplacés vers des sites offshores afin d'éviter leur imposition à Genève. Or, en procédant, après 2007, à des ventes pour des montants substantiels dans D______, le groupe avait, de facto, continué ses pratiques consistant à défiscaliser des revenus qui devaient revenir au canton de Genève, où étaient gérées les fonctions importantes du groupe et où se situaient les actifs et le personnel permettant de déployer les activités de la société principale. Ce procédé, violant le principe de la bonne foi, allait totalement à l'encontre des engagements pris lorsque le groupe avait demandé les rulings pour la mise en place de la structure de principale.

Enfin, les conditions objectives et subjective de la soustraction fiscale et de tentative étaient réunies. La faute était intentionnelle. En effet, en comptabilisant des charges indues et en ne comptant pas le chiffre d'affaires litigieux, la contribuable ne pouvait pas ignorer qu'il en résulterait un bénéfice imposable trop bas et donc une imposition insuffisante. Ainsi, elle avait manifesté une intention de soustraire des montants d'impôt au fisc. La quotité des amendes tenait compte tant de circonstances aggravantes, soit l’importance des montants soustraits au sein d’un un groupe comprenant de nombreuses sociétés situées dans plusieurs juridictions dont l'une offshore, que d’une circonstance atténuante, soit la bonne collaboration de la contribuable durant la procédure.

14.         Par jugement du Tribunal de première instance (TPI) du 17 août 2022, la recourante a été dissoutes par suite de faillite. Le 29 août suivant elle a recouru contre ce jugement, invoquant notamment sa solvabilité. Par décision du 31 août 2022, la chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile) a suspendu l’effet exécutoire attaché à ce jugement, ainsi que les effets juridiques de l’ouverture de la faillite de la recourante.

15.         Par acte du 8 février 2022, sous la plume de ses conseils, la contribuable a recouru contre la décision sur réclamation du 7 janvier 2022 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation et à celle des bordereaux y relatifs, le tout avec suite de dépens.

Son droit d’être entendue avait été violé en raison de la non-prise en compte par l'AFC-GE de tous ses allégués et moyens de preuve pertinents qu’elle avait produits. En ne se prononçant pas sur tous ses arguments, l'AFC-GE n’avait visiblement pas examiné toutes les pièces y relatives. L'AFC-GE avait ainsi voilé son devoir de motiver sa décision et de donner suite aux offres de preuves pertinentes.

Pour le surplus, reprenant en substance son argumentation et explications précédentes - dont notamment celle que D______ avait repris dès 2007 « la propriété » des stocks litigieux (cf. p. 14 let. b du recours) -, la recourante a ajouté que le chiffre d’affaires en cause ne pouvait lui être attribué, dès lors qu’elle ne l’avait pas comptabilisé, d’une part. D’autre part, en tant que tel, ce chiffre d’affaires ne pouvait être considéré comme un bénéfice imposable, puisqu’il découlait des ventes « initiales enregistrées » avant fin 2006. Il provenait d’une dissolution de provision, la vente de produits initiale ayant déjà été réalisée et comptabilisée auprès de cette société offshore avant le 31 décembre 2006. Il résultait ainsi d’une « activité d’encaissement » qui ne la concernait pas. Les ventes de montres antérieures à cette date ne pouvaient faire l'objet d'une imposition dès lors qu'elles avaient déjà fait l'objet des reprises ayant mené aux accords du 6 octobre 2009. L’interprétation par l'AFC-GE de ces accords violait le principe de la bonne foi. Dans les faits, cette dernière envisageait, à tort, de revenir sur des « assurances données », ce qui était inadmissible.

M. H______ lui ayant fournie divers services, les honoraires y relatifs se justifiaient commercialement « dans une mesure prépondérante ».

Les conditions objectives d’une soustraction fiscale n’étaient pas remplies dès lors que le chiffre d’affaires en cause ne constituait pas un bénéfice devant être déclaré par elle. S’agissant de la condition subjective, soit la faute, elle ne voyait pas comment une faute intentionnelle pourrait lui être reprochée, dès lors que ses comptes étaient conformes au droit civil, avaient été approuvés par l'organe de révision et que la justification des charges litigieuses, par l'usage commercial, était aussi une question d'appréciation. En tout état de cause, l'existence même d'un « groupe comprenant de nombreuses sociétés présentes dans plusieurs juridictions dont l'une offshore » ne représentait pas une circonstance aggravante devant être prise en compte pour fixer la quotité de l'amende. En outre, le montant de l'impôt soustrait ne pouvait être pris en compte comme élément pour fixer la quotité de l’amende, puisque précisément celle-ci dépendait déjà d'une « fraction », respectivement d'un « multiple » de l’impôt soustrait, ce qui reviendrait à une double peine. Il fallait également prendre en compte l’ancienneté de l’infraction pour fixer la quotité de l’amende. Compte tenu de ces éléments, cette quotité devait être réduite à 1/3 des impôts soustraits (minimum légal).

Enfin, la poursuite fiscale pour l’année 2011 était prescrite dès lors que, sous l’angle de lex mitior, le prononcé des amendes du 1er mars 2021 ne pouvait pas être considéré comme un jugement de première instance rendu dans le délai de 10 ans à compter de la fin de la période fiscale. En tout état, les amendes ICC et IFD 2011 du 1er mars 2021 n’étaient pas motivées de manière suffisamment circonstanciée pour équivaloir à un jugement de première instance. Eventuellement, la décision sur réclamation contestée « pourrait être suffisamment motivée », mais était prononcée après le délai de 10 ans et ne pouvait plus interrompre valablement la prescription des amendes ICC et IFD 2011. L'AFC-GE ne pouvait infliger une amende qu'une fois l'instruction terminée, celle-ci comprenant également l'exercice du droit d'être entendu, y compris la consultation du dossier. Or, en l'espèce, les décisions du 1er mars 2021 avaient été rendues avant la clôture de l'instruction, puisque, par exemple, l'accès au dossier n'était pas autorisé. Seule la décision du 7 janvier 2022 pouvait être considérée comme ayant été rendue une fois l'instruction terminée. Avant cette date, le délai de prescription n’était pas interrompu, de sorte que les amendes 2011 ICC et IFD étaient définitivement prescrites dès le 1er janvier 2022.

16.         Dans sa réponse du 13 juin 2022, l'AFC-GE a conclu à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu'elle annulait, à hauteur de CHF 2’500'000.-, le redressement des honoraires de consultant 2012. Pour le surplus, elle a conclu au rejet du recours.

Elle n'avait pas violé le droit d'être entendu de la recourante. Tout au long de la procédure, celle-ci avait pu s'exprimer, assister aux séances avec les taxateurs et se déterminer sur tous les éléments lui étant reprochés. Par ailleurs, elle avait participé activement à la procédure en fournissant les éléments de preuves et les explications requises.

Quant à la motivation de la décision contestée, elle y avait exposait en détail, sur 12 pages, les motifs l’ayant conduite à maintenir sa position. Le fait qu’elle n'avait pas retenu comme probants les pièces et allégués de la recourante ne signifiait pas qu’elle ne les avait pas été examinés, bien au contraire. L'ampleur des échanges et la longueur de la motivation de la décision sur réclamation en attestait.

Les procédures de rappel et de soustraction d’impôt n’étaient prescrites pour aucune des années fiscales en cause. En matière fiscale, le prononcé d’une amende valait un jugement de première instance, dans la mesure où, dans le cadre de la procédure en soustraction d'impôt, il était rendue au terme de l'instruction, ce qui était confirmé tant par la doctrine que par le Tribunal fédéral. En l’occurrence, les bordereaux d’amende du 1er mars 2021 avait été notifié après une longue procédure de contrôle, qui s'était déroulée entre 2017 et 2019, avait donné lieu à de nombreux échanges ayant permis une instruction contradictoire du dossier et s’était clôturée après un sixième entretien entre les parties du 26 février 2020. Ainsi, lesdits bordereaux avaient été prononcés suite à une procédure contradictoire et une instruction menée de manière diligente, si bien qu’ils devaient être considérés comme des jugements de première instance.

Les accords qu’elle avait conclus avec la recourante impliquaient que dès 2007, l'ensemble des ventes du groupe devait être comptabilisé exclusivement au sein de cette dernière, qui agissait en tant que société principale du groupe. Les marchandises étaient vendues par des sociétés du groupe (sociétés de distribution). Leur vente s'effectuait au nom des sociétés du groupe, mais pour le compte exclusif de la recourante. Celle-ci était ainsi propriétaire de la marchandise. Lors de la signature de ces accords, le groupe savait pertinemment qu'il existait en son sein un sur-stockage de composants et de montres très important, ce dont elle aurait dû être informée, ainsi que du fait que le montant de CHF 24'409'685.-, articulé dans les accords, ne tenait précisément pas compte des stocks d'invendus laissés en consignation auprès des distributeurs du groupe. En tant que partie prenante à ces accords, elle n'aurait jamais accepté de valider le principe selon lequel certains stocks de montres n'allaient pas faire l'objet d'un transfert de D______ à la recourante. Celle-ci n’avait pas agi de manière transparente. Le « mode opératoire » adopté par la recourante existait bien avant sa constitution en 2007. La mise en place d’une structure de société principale, soit la recourante, impliquait par essence le transfert de l'intégralité des stocks de montres à cette dernière, y compris les stocks de montres invendues laissés en consignation auprès des distributeurs. Elle n’avait aucunement confirmé que ces stocks ne devaient pas être fiscalisés auprès de la recourante. L'on voyait d'ailleurs mal comment les autorités fiscales suisses auraient pu donner à la recourante de quelconques garanties à ce sujet, puisque ces faits avaient été volontairement dissimulés à ces autorités. Dans ces conditions, la recourante ne pouvait, de bonne foi, lui reprocher une interprétation erronée de ces accords. Elle persistait à soutenir, en se fondant sur les accords, que les stocks de montres en consignation auraient dû être transférés à la recourante, au moment de sa mise en place, afin que les ventes ultérieures y relatives puissent être comptabilisées et fiscalisées en Suisse.

Le principe comptable de déterminance invoqué par la recourante devait céder le pas à une règle correctrice de droit fiscal relative à des produits non comptabilisés. Les stocks d'invendus avaient été rachetés dès 2007 et les ventes antérieures avaient été annulées. Il ne s’agissait donc pas de ventes antérieures à 2007. Ces aspects n’avaient pas pu être réglés dans les différents accords puisque les ventes antérieures à 2007 avaient été annulées à l'occasion de l'émission des notes de crédits. Dès 2007, les ventes avaient été réalisées par D______ à la place de la recourante, qui aurait dû les comptabiliser indépendamment des controverses au sujet de l'interprétation des différents accords conclus. Elle ne fiscalisait pas une extourne de provisions, prétendument dévolue à D______, mais bien la vente des montres par la recourante. Peu importait le fait que la recourante n’avait réalisé ni formellement ni matériellement les opérations en cause, ce qui était d’ailleurs également le cas de D______, puisque les ventes étaient du ressort exclusif des distributeurs. Si la recourante avait racheté les stocks de montres invendues au prix du marché auprès de D______, elle aurait également repris les provisions comptabilisées par cette dernière. Dans ce cas, les extournes de provisions auraient été entièrement comptabilisées et fiscalisées auprès de la recourante.

S’agissant des charges liées aux produits repris, elle les avait déjà prises en compte après D______ à l'époque où celle-ci était imposée dans le canton de Genève au titre de son administration effective.

Concernant les honoraires de consultant, les services rendus par M. H______ relevaient de la marque et non pas de la publicité et du marketing, de sorte que les charges y relatives devaient être supportées par D______. En effet, pour la période de 2006 à 2010, une convention avait été conclue, le 20 novembre 2006, entre la holding K_______ et M. H______, précisant que l’activité de représentation et de promotion de la marque et du groupe serait couverte par un contrat de consultant avec D______. Les honoraires y relatifs avait été provisionnés par cette dernière jusqu’à fin 2011. Le 5 novembre 2012, une autre convention avait été conclue avec la recourante, pour la période de 2012 à 2018. Or, cette dernière avait comptabilisé en 2010 des honoraires de 2006 (CHF 1'250'000.-) et en 2012 ceux de 2007 à 2012 (CHF 15'250'000.-, y compris des intérêts de CHF 1'500'000.-). En vertu du principe de la périodicité, les redressements fiscaux de CHF 1'250'000 pour l'année 2010 et de CHF 12'750'000.- pour l'année 2012 ne pouvaient qu'être maintenus. En revanche, elle annulait le redressement des honoraires relatifs à l’exercice 2012 (CHF 2’500'000.-), la convention du 5 novembre 2012 ayant été conclue entre la recourante et M. H______.

Elle avait été légitimée à ouvrir une procédure de rappel d'impôt dès la découverte de nouveaux éléments. Les conditions objectives d'une soustraction fiscale étaient réunies. L'élément subjectif de l'infraction, soit la faute, était également donné, les organes de la recourante n’ayant pu ignorer que leurs agissements allaient engendrer un appauvrissement de la collectivité, le bénéfice net déclaré ne reflétant pas la réalité. Leur faute ne pouvait être qualifiée que d'intentionnelle. Au vu des circonstances, la quotité des amendes correspondant à une fois les impôts éludés s'inscrivait dans le large pouvoir d'appréciation dont elle disposait en la matière et ne pouvait pas être qualifiée d’excessive.

17.         Par réplique du 30 août 2022, respectivement duplique du 22 novembre 2022, les parties ont maintenu leurs conclusions respectives. La recourante a en particulier requis la production de l’intégralité de son dossier en possession de l'AFC-GE.

18.         Par écritures du 29 décembre 2022, sous la plume de ses conseils, la recourante s’est déterminée sur la duplique de l'AFC-GE.

19.         Par arrêt du 6 mars 2023, la chambre civile a annulé le jugement du TPI du 17 août 2022, en tant qu’il prononçait la faillite de la recourante.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Dans sa réponse, l'AFC-GE s’est engagée à rectifier les taxations querellées en faveur de la recourante, en ce sens qu’elle réduira de CHF 2'500'000.- la reprise pour honoraires de consultant en 2012, ce qui impliquerait une réduction des déductions accordées en lien avec cette somme (intérêt sur rappel d’impôts et provision pour impôt), ainsi qu’une réduction correspondante du montant des amendes ICC et IFD 2012. Il lui en sera donné acte, compte tenu de l’issue de la présente procédure.

Pour le surplus, les arguments formulés par les parties à l'appui de leurs conclusions respectives ainsi que le contenu des pièces qu’elles ont versées aux dossiers seront repris et discutés dans la mesure utile (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1 ; 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 5.1 ; 1C_304/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.1 et les arrêts cités).

4.             L'objet du litige porte uniquement sur les bordereaux de rappel des ICC et IFD 2010 et 2011, les bordereaux d’amende pour soustraction des ICC et IFD 2011 (étant rappelé que l'AFC-GE a annulé les bordereaux d’amende ICC et IFD 2010 pour cause de prescription), les bordereaux de taxation pour les ICC et IFD 2012 à 2015 et les bordereaux d’amende pour tentative de soustraction de ces derniers impôts.

5.             Tout d’abord, se pose la question de la prescription et de la péremption.

L'art. 152 al. 1 LIFD prévoit que le droit d'introduire une procédure de rappel d'impôt s'éteint dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n'a pas été effectuée, alors qu'elle aurait dû l'être, ou pour laquelle la taxation entrée en force était incomplète. Le droit de procéder au rappel d'impôt s'éteint quinze ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte (art. 152 al. 3 LIFD ; ATF 140 I 68 consid. 6.1). Les art. 61 al. 1 et 3 LPFisc et 53 al. 2 et 3 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) posent les mêmes principes. La problématique peut donc être examinée conjointement pour l'IFD et l’ICC.

L'art. 120 al. 1 LIFD, respectivement les art. 47 al. 1 LHID et 22 al. 1 LPFisc, disposent que le droit de procéder à la taxation se prescrit par cinq ans à compter de la fin de la période fiscale. Selon les art. 120 al. 3 let. a et d LIFD et 22 al. 3 let. a et d LPFisc, un nouveau délai de prescription commence à courir (a) lorsque l'autorité prend une mesure tendant à fixer ou faire valoir la créance d'impôt et en informe le contribuable ou une personne solidairement responsable avec lui du paiement de l'impôt, ainsi que (d) lorsqu'une poursuite pénale est introduite ensuite de soustraction d'impôt consommée ou de délit fiscal. La prescription du droit de procéder à la taxation est acquise dans tous les cas quinze ans après la fin de la période fiscale (art. 120 al. 4 LIFD et 22 al. 4 LPFisc). Ces dispositions s'appliquent également à la tentative de soustraction, l'information de l'ouverture d'une procédure pour tentative de soustraction d'impôt constituant une mesure par laquelle l'autorité fiscale signale au contribuable sa volonté de procéder par la suite à sa taxation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_874/2018 du 19 avril 2019 consid. 5.2 et les références citées).

En l'occurrence, les 26 juin et 19 décembre 2017, des avis d'ouverture des procédures de rappel d’impôt 2010 et 2011, respectivement de tentative de soustraction d’impôt 2012 à 2015, ont été notifiés à la recourante. Le délai de péremption de dix ans des art. 152 al. 1 LIFD, 61 al. 1 LPFisc et 53 al. 2 LHID a ainsi été respecté. De même, le délai de quinze ans n'étant pas écoulé, le droit de procéder aux rappels d’impôt 2010 et 2011, respectivement à la taxation 2013 à 2015, n'est pas périmé.

6.             Avant le 1er janvier 2017, la poursuite pénale pour soustraction consommée se prescrivait dans tous les cas par quinze ans à compter de la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n'avait pas été effectuée ou l'avait été de façon incomplète, ce délai ne pouvant être prolongé (art. 184 al. 1 let. b aLIFD cum art. 333 al. 6 let. b du code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0, en relation avec l'ATF 134 IV 328 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_444/2018 du 31 mai 2019 consid. 4). La prescription était en outre interrompue par tout acte de procédure tendant à la poursuite du contribuable (art. 184 al. 2 aLIFD).

Depuis le 1er janvier 2017, la poursuite pénale se prescrit, en cas de soustraction d'impôt consommée, au plus tôt, par dix ans à compter de la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n'a pas été effectuée ou l'a été de façon incomplète (art. 184 al. 1 let. b ch. 1 LIFD). Selon l'art. 184 al. 2 LIFD actuellement en vigueur, la prescription ne court plus si une décision a été rendue par l'autorité cantonale compétente (art. 182 al. 1 LIFD) avant l'échéance du délai de prescription. L'art. 58 al. 1, 2 let. a et 3 LHID, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a un contenu identique à celui de l'art. 184 LIFD ; il est directement applicable si les cantons n'ont pas adapté leur législation au 1er janvier 2017 (art. 72s LHID). Tel est le cas à Genève. En vertu des art. 205f LIFD et 78f LHID, le nouveau droit est applicable au jugement des infractions commises au cours des périodes fiscales précédant le 1er janvier 2017 s'il est plus favorable que le droit en vigueur au cours de ces périodes fiscales (arrêts du Tribunal fédéral 2C_333/2017 du 12 avril 2018 consid. 8.2; 2C_12/2017 du 23 mars 2018 consid. 4.3, non publié in ATF 144 IV 136). Dans la mesure où il empêche la prescription de courir, en particulier durant la procédure devant le Tribunal fédéral, le nouveau droit se révèle être en principe moins favorable aux contribuables que l'ancien droit. Il est en revanche plus favorable si aucune décision n'a été rendue dans les dix ans à compter de la fin de la période fiscale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_333/2017 du 12 avril 2018 consid. 8.2), étant précisé que par dite notion de « décision », l’on entend les prononcés de condamnation des autorités fiscales cantonales (cf. ATF 134 IV 328).

En cas de tentative de soustraction d'impôt, la poursuite pénale se prescrit par six ans à compter de la clôture définitive de la procédure au cours de laquelle la tentative de soustraction a été commise (art. 58 al. 1 LHID et 184 al. 1 let. a LIFD). Selon les art. 58 al. 3 LHID et 184 al. 2 LIFD, la prescription ne court plus si une décision a été rendue par l'autorité cantonale compétente (art. 57bis LHID et 182 al. 1 LIFD) avant l'échéance du délai de prescription.

7.             En l'occurrence, en application du nouveau droit, la poursuite pénale de la soustraction d'impôt consommée reprochée à la recourante pour l’année fiscale 2011 n'est pas prescrite, dès lors que l'AFC-GE lui a notifié les bordereaux d'amende y relatifs le 1er mars 2021, soit avant l’échéance du délai de dix ans après la fin de cette période fiscale. En vertu de la jurisprudence susmentionnée, et contrairement à ce que soutient la recourante, le prononcé de ces amendes doit être considéré comme une « décision » empêchant la prescription de courir. L'application de l'ancien droit, rappelé plus haut, n’est pas plus favorable à la recourante.

Enfin, le délai de prescription de la poursuite pénale pour tentative de soustraction des ICC et IFD 2012 à 2015 n'a pas encore commencé à courir, puisque la procédure de taxation au cours de laquelle la tentative de soustraction aurait été commise n'est pas encore clôturée, étant donné qu'elle fait précisément l'objet du présent litige.

8.             Dans un premier grief d’ordre formel, la recourante se plaint de la violation de son droit d'être entendue, en raison du fait que la décision contestée ne serait pas suffisamment motivée et que l’autorité intimée n’aurait pas donné suite à ses offres de preuves pertinentes et n’aurait pas examiné toutes les pièces qu’elle lui a remises.

9.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références). Il implique notamment, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision. Selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver n'impose pas à l'autorité d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1). Il suffit, au regard de ce droit, qu'elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que les intéressés puissent se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1). La portée de l'obligation de motiver dépend des circonstances concrètes, telles que la nature de la procédure, la complexité des questions de fait ou de droit, ainsi que la gravité de l'atteinte portée à la situation juridique des parties. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. En outre, la motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 IV consid. 3.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités ; 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1). Il n'y a ainsi violation du droit d'être entendu que si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner les problèmes pertinents (ATF 134 I 83 consid. 4.1 ; 133 III 439 consid. 3.3 ; 130 II 530 consid. 4.3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_56/2015 du 13 mai 2015 consid. 2.1).

Un défaut de motivation peut être réparé par la prise de position de l’autorité intimée, suite à un recours, si l’administré se voit offrir la possibilité de s’exprimer à son sujet et que l’autorité de recours peut examiner librement les questions de fait et de droit (cf. ATF 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_272/2010 du 16 mars 2011 consid. 2.6.2).

Le droit d'être entendu inclut également le droit, pour le justiciable, de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas l'autorité (ou le juge) de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes, de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières ou de mettre un terme à l'instruction, lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C_1125/2018 du 7 janvier 2019 consid. 5.1 ; 1C_212/2018 du 24 avril 2019 consid. 4.1).

10.         En l’espèce, en ses 12 pages, la décision litigieuse comporte manifestement suffisamment d’explications en fait et en droit, de sorte que la recourante a très bien saisi sa portée, ce qui lui a permis d'exercer de manière complète son droit de recours. L’autorité intimée ne peut donc se voir reprocher un manque de motivation en tant qu’elle a décrit les différents modes opératoires utilisés par la recourante, les a analysés et a exposé en quoi leur reprise fiscale se justifiait. Ainsi, rien ne justifie que la cause lui soit renvoyée. Au demeurant, l'AFC-GE s'est expliquée plus en détails depuis lors, de sorte qu'un tel renvoi entraînerait une procédure purement formelle et un retard inutile (cf. not. ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), étant rappelé qu'un défaut de motivation peut être réparé par la prise de position de l'autorité intimée, suite à un recours, si l'administré se voit ensuite offrir la possibilité de s'exprimer à son sujet et que l'autorité de recours peut examiner librement les questions de fait et de droit, comme en l'occurrence (cf. art. 143 al. 1 LIFD et 51 al. 1 LPFisc).

Pour le surplus, la recourante n’expose pas quelles preuves ou pièces en particulier l’autorité intimée n’aurait pas prises en compte ou aurait refusées d’examiner. Ses affirmations générales ne permettent ainsi pas au tribunal de céans d’examiner son grief.

Enfin, force est de constater que la recourante a eu un accès non limité à toutes les pièces sur lesquelles l'AFC-GE s’est effectivement fondée pour opérer les reprises et amendes litigieuses. Le dossier qu’elle a transmis au tribunal ne contient en effet que ces pièces et il était loisible à la recourante de les consulter auprès de ce dernier.

Mal fondé, ce grief sera écarté.

11.         La recourante ne conteste pas spécifiquement l’ouverture même des procédures en rappel et en soustraction d’impôt. Il incombe néanmoins au tribunal d’examiner si les conditions en sont réunies (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_60/2020 du 27 avril 2021 consid. 8.4).

Aux termes des art. 151 al. 1 LIFD et 59 al. 1 LPFisc, lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus de l’autorité fiscale lui permettent d’établir qu’une taxation n’a pas été effectuée, alors qu’elle aurait dû l’être, ou qu’une taxation entrée en force est incomplète ou qu’une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l’autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l’impôt qui n’a pas été perçu, y compris les intérêts.

Selon les art. 151 al. 2 LIFD 59 al. 2 LPFisc, lorsque le contribuable a déposé une déclaration complète et précise concernant ses éléments imposables et que le département en a admis l’évaluation, un rappel d’impôt est exclu, même si cette évaluation était insuffisante.

Un motif de rappel d'impôt peut résider dans la découverte de faits ou de moyens de preuve inconnus jusque-là, soit des faits ou moyens de preuves qui ne ressortaient pas du dossier dont disposait l'autorité fiscale au moment de la taxation. Le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte. Il doit ainsi remplir la formule de déclaration d'impôt de manière conforme à la vérité et complète. Lorsqu’il se heurte à une incertitude quant à un élément de fait, il ne doit pas la dissimuler, mais bien la signaler dans sa déclaration. Dans tous les cas, il doit décrire les faits de manière complète et objective (arrêt du Tribunal fédéral 2C_81/2022, 2C_102/2022 du 25 novembre 2022 consid. 7.1 et les références).

Selon la jurisprudence, l'autorité fiscale peut, en principe, considérer que la déclaration d'impôt est exacte et complète et elle n'est pas tenue, à défaut d'indices correspondants, de rechercher des informations complémentaires. En d'autres termes, l'autorité fiscale ne doit se livrer à des investigations complémentaires au moment de procéder à la taxation que si la déclaration contient indiscutablement des inexactitudes flagrantes. Des inexactitudes qui ne sont que décelables, sans être flagrantes, ne permettent pas de considérer que certains faits ou moyens de preuve étaient déjà connus des autorités au moment de la taxation. Lorsque l'autorité fiscale aurait dû se rendre compte de l'état de fait incomplet ou inexact, le rapport de causalité adéquate entre la déclaration lacunaire et la taxation insuffisante ou incomplète est interrompu et les conditions pour procéder ultérieurement à un rappel d'impôt font défaut. Cette rupture du lien de causalité est soumise à des exigences sévères, à savoir une négligence grave imputable à l'autorité fiscale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_81/2022, 2C_102/2022 du 25 novembre 2022 consid. 7.1 et les arrêts cités).

12.         En l’espèce, les déclaration fiscales 2010 et 2011 de la recourante ne contenant en soi aucune inexactitude flagrante, l'AFC-GE pouvait, au moment de la taxation, partir du principe qu’elles étaient conformes à la vérité et taxer la recourante sur la base des éléments y figurant, sans rechercher des informations complémentaires. L’on ne voit ainsi pas en quoi le rapport de causalité adéquate entre la déclaration lacunaire et la taxation insuffisante serait interrompu. Pour ce qui est de la procédure de tentative de soustraction des ICC et IFD 2012 à 2015, l'AFC-GE a été également légitimée à l’ouvrir dès la découverte du caractère incomplet et inexact des déclarations y relatives.

13.         Au fond, la recourante conteste tant les reprises opérées sur ses recettes, au titre de prestations appréciables en argent, que celles effectuées sur les charges pour des honoraires de consultant.

14.         Selon les art. 58 al. 1 LIFD et 12 al. 1 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), le bénéfice net imposable d’une société est celui qui résulte de ses comptes de résultats, ainsi que tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial. Au nombre de ces prélèvements figurent les distributions dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial.

Ces dispositions légales énoncent le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L'autorité fiscale peut donc s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent. Selon ce principe, le contribuable est lié à la situation patrimoniale de la période fiscale, telle qu'elle ressort des livres de compte régulièrement établis. En revanche, si la comptabilisation se fait de manière contraire au droit commercial, une correction de bilan est possible jusqu'à l'entrée en force de la déclaration d'impôt. La correction de bilan peut intervenir en faveur ou en défaveur du contribuable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_857/2020 du 11 février 2021 consid. 4.1 et les références).

Le défaut de comptabilisation d'un élément nécessaire revient ainsi, en principe, à violer une norme impérative du droit commercial et justifie une correction du bilan par les autorités fiscales. Cette correction ne devra toutefois pas « récompenser » les omissions comptables qui sont imputables au contribuable. Le principe de la capacité économique ne saurait s'interpréter comme autorisant un contribuable à déterminer son bénéfice imposable à sa guise (arrêt du Tribunal fédéral 2C_687/2018 du 15 février 2019 consid. 4.3).

15.         Les opérations entre sociétés d'un même groupe doivent intervenir comme si elles étaient effectuées avec des tiers dans un environnement de libre concurrence. En conséquence, il n'est pas pertinent que la disproportion d'une prestation soit justifiée par l'intérêt du groupe (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_181/2020 du 10 août 2020 consid. 5.2 et les arrêts cités). En particulier, les transactions internationales entre sociétés du même groupe doivent correspondre à ce qui se ferait entre tiers. Même s'il n'est pas toujours facile de déterminer les prix de transfert pour ces opérations au sein d'un groupe, ceux-ci ne peuvent être fixés de manière à déplacer un bénéfice d'un État dans un autre ou à égaliser les résultats des sociétés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_788/2010 du 18 mai 2011 consid. 4.1). Il est évident qu'un groupe a, du point de vue fiscal, intérêt à reporter autant que possible les charges de la holding qui le chapeaute (celle-ci ne payant pas d'impôt sur le bénéfice) sur les sociétés-filles, dont l'augmentation des charges aura un effet réflexe de diminution du bénéfice imposable (cf. ATA/433/2016 du 24 mai 2016 consid. 6c ; ATA/291/2016 du 5 avril 2016 consid. 6c).

Le droit suisse traite chaque société comme une entité juridiquement indépendante disposant de ses propres organes, lesquels doivent effectuer des opérations dans l'intérêt de la société concernée (art. 717 al. 1 CO) et non pas dans celui du groupe, d'autres sociétés ou de son détenteur majoritaire de parts. Dans ces limites, la société anonyme peut en principe conclure librement tous contrats civils ou commerciaux avec ses actionnaires, peu importe qu'il en résulte un bénéfice ou une perte. Dans un groupe, toutefois, les opérations entre sociétés doivent intervenir comme si elles avaient lieu avec des tiers dans un environnement de libre concurrence (principe du « dealing at arm's length » ou du « Drittvergleich »). Cette règle trouve son point d'ancrage dans celle de la « justification commerciale » de la loi fiscale qui veut qu'une société se comporte vis-à-vis de ses actionnaires ou de toute personne la ou les touchant de près, comme le ferait un commerçant prudent qui, dans ses relations d'affaires avec des tiers, adopte une position adéquate dans l'intérêt de la société. En d'autres termes, la société qui passe des actes juridiques avec ses actionnaires ou toute personne la ou les touchant de près doit le faire dans les mêmes conditions que celles auxquelles elle aurait accepté de traiter avec des tiers dans les mêmes circonstances, faute de quoi l'opération est contraire au principe du « dealing at arm's length » et ne s'explique que par les relations privilégiées entre les parties. Elle n'est dans ce cas pas reconnue par le droit fiscal et les dépenses consenties, dépourvues de justification commerciale, seront réintégrées au bénéfice net imposable de la société. Cela vaut tant pour le choix des formes juridiques que revêtent ces actes que pour la fixation des montants objets des transactions (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_985/2012, 2C_986/2012 du 4 avril 2014 consid. 2.3).

16.         De jurisprudence constante, il y a avantage appréciable en argent si 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée à de telles conditions à un tiers ; 4) les organes de la société savaient ou auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1; 138 II 57 consid. 2.2).

Les formes d'apparition des prestations appréciables en argent sont multiples : elles peuvent être réalisées par un accroissement injustifié des frais généraux (salaire excessif, paiement d'intérêts disproportionnés pour un prêt de l'actionnaire, rémunération trop importante d'un service rendu par l'actionnaire) ou par une comptabilisation insuffisante d'un produit (la société n'exige pas une contre-prestation appropriée pour un service rendu au proche ; cf. Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 276 n. 52). Une prestation appréciable en argent peut prendre la forme d'une renonciation à un produit, qui conduit à une diminution correspondante du résultat chez la société. Tel est par exemple le cas lorsqu'une société renonce totalement ou en partie à un revenu qui lui revient en faveur d'un détenteur de part ou d'un proche, ou qu'elle n'obtient pas, pour la prestation qu'elle a effectuée, la contre-prestation qu'elle aurait exigée d'un tiers (ATF 138 II 57 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_377/2014 du 26 mai 2015 consid. 9.4.1).

Le caractère reconnaissable de la prestation appréciable en argent est présumé si la disproportion entre les prestations est manifeste (ATF 140 II 88 consid. 8).

17.         Selon la jurisprudence constante, une dépense dûment comptabilisée est justifiée par l'usage commercial lorsqu'il existe entre celle-ci et l'activité commerciale exercée par l'entreprise une connexité objective, en ce sens qu'il doit s'agir de frais qui sont en relation immédiate et directe (organique) avec le bénéfice réalisé par cette dernière. Cette connexité existe lorsque la dépense aurait été consentie par un gestionnaire ordinaire faisant preuve de la diligence objective requise par le droit commercial (arrêts du Tribunal fédéral 2C_521/2016 du 16 juin 2016 consid. 4.1 ; 2C_916/2014 du 26 septembre 2016 consid. 3 ; 2C_589/2013 du 17 janvier 2014 consid. 7.2 ; 2C_985/2012 du 4 avril 2012 consid. 7.2).

Le renvoi du législateur à l'usage commercial ou professionnel donne à l'autorité de taxation un pouvoir d'appréciation important, renforcé par le fait qu'elle ne supporte pas le fardeau de la preuve du refus de déduction (arrêt du Tribunal fédéral 2C_658/2007 du 13 février 2008 consid. 2.1). Si l'énumération par la loi des frais justifiés par l'usage commercial ou professionnel n'est qu'exemplative, leur déductibilité est conditionnée par la preuve de leur montant et de leur nécessité au regard de l'activité poursuivie. Cette preuve incombe au contribuable, puisqu'elle tend à la diminution de la charge fiscale. Des explications générales et non étayées ne suffisent pas à établir que l'usage commercial justifie les frais en cause. En effet, conformément à la répartition du fardeau de la preuve, il incombe au contribuable d'apporter la preuve que la totalité des dépenses comptabilisées est en relation directe avec l'acquisition ou le maintien du chiffre d'affaires (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_760/2017 du 15 juin 2018 consid. 7.1 ; 2C_146/2013 du 4 septembre 2013 consid. 4.2 ; 2C_132/2010 du 17 août 2010 consid. 3.2 ; ATA/1060/2017 du 4 juillet 2017 consid. 7b ; ATA/17/2016 du 12 janvier 2016 consid. 6f ; ATA/562/2015 du 2 juin 2015 consid. 9b ; ATA/294/2014 du 29 avril 2014 consid. 6 et les références citées).

Dans la taxation des sociétés, s’agissant de charges représentant des prestations insolites, il appartient à la société contribuable d’établir leur caractère de charge justifiée par l’usage commercial, afin que les autorités fiscales puissent s’assurer que seules des raisons commerciales, et non les étroites relations personnelles et économiques entre la société et le bénéficiaire de la prestation, ont conduit à la prestation insolite (ATF 119 Ib 431 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_275/2010 du 24 août 2010 ; 2A.355/2004 du 20 juin 2005 ; ATA/17/2016 du 12 janvier 2016 consid. 6e ; ATA/995/2014 du 16 décembre 2014 consid. 6d).

18.         Un ruling est une approbation anticipée par l'autorité fiscale compétente d'un traitement proposé par le contribuable en référence à une opération envisagée à l'avenir (arrêt du Tribunal fédéral 2C_842/2013 du 28 avril 2014 consid. 4.2 et les références citées). Cette « procédure » a pour but de garantir la sécurité juridique pour le contribuable en rapport avec la mise en œuvre d'un état de fait. Dans la majorité des cas, le contribuable soumet à l'autorité concernée un document décrivant l'opération prévue de façon circonstanciée et les conséquences fiscales devant en découler ; le fisc signe ce document « pour accord », s'il estime que le traitement fiscal exposé correspond au droit applicable. Le fisc renseigne alors le contribuable sur cette issue ou, plus généralement, confirme que l'opération envisagée sera imposée de la façon décrite dans la demande de ruling. Il est donc primordial que le contribuable y mentionne tous les faits pertinents, y compris ceux qui lui sont défavorables. L'état de fait décrit dans la demande revêt une importance particulière puisque le fisc ne sera tenu par un ruling, lors de la taxation, que si l'état de fait anticipé correspond à ce qui est effectivement réalisé par la suite. Si tel n'est pas le cas et si les éléments qui divergent de ceux prévus initialement ont joué un rôle causal dans l'accord signé par le fisc, le ruling ne sera pas contraignant (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_664/2013 du 28 avril 2014 consid. 4.2 et les références).

Durant cette « procédure » et à l'instar de toute relation qui s'inscrit dans le cadre de l'activité étatique, les parties ont le devoir de se comporter réciproquement de manière loyale et conformément au principe de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral IC 269/2013 du 10 décembre 2013, cons. 42). Le principe de la bonne foi régit aussi les rapports entre les autorités fiscales et les contribuables ; le droit fiscal est toutefois dominé par le principe de la légalité, de telle sorte que le principe de la bonne foi ne saurait avoir qu'une influence limitée, surtout s'il vient à entrer en conflit avec le principe de la légalité (ATF 131 Il 627consid. 6.1 et les références)

19.         En matière fiscale, les règles générales relatives à la répartition du fardeau de la preuve ancrées à l'art. 8 CC, destinées à déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un fait, impliquent que l'autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, il appartient au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (ATF 146 II 6 consid. 4.2 et les références; 144 II 427 consid. 8.3.1; 140 II 248 consid. 3.5; 133 II 153 consid. 4.3). Dans le domaine des prestations appréciables en argent, les autorités fiscales doivent apporter la preuve que la société a fourni une prestation et qu'elle n'a pas obtenu de contre-prestation ou une contre-prestation insuffisante. Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale fournissent suffisamment d'indices révélant l'existence d'un revenu non déclaré, il appartient alors au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations contraires (ATF 138 II 57 consid. 7.1 p. 66; 133 II 153 consid. 4.3 p. 158 précité; arrêts 2C_927/2013 21 mai 2014 consid. 5.4, in RDAF 2014 II 463). Ce dernier devra justifier l'origine des montants non déclarés et il pourra même être obligé de fournir des renseignements supplémentaires sur les rapports contractuels mis à jour par l'autorité fiscale et sur les prestations qui en découlent. L'omission ou l'échec de ces preuves contraires peut être considéré comme un indice suffisant de la véracité des allégations de la partie adverse si ces dernières paraissent vraisemblables. Ces règles s'appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2).

Selon la jurisprudence, le devoir de collaboration du contribuable (art. 124 LIFD et 31 LPFisc) est particulièrement qualifié dans les relations internationales, notamment en présence de prestations réalisées depuis la Suisse vers un pays étranger sans convention de double imposition ou dont la clause d'échange de renseignements ne correspond pas aux standards actuels de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d'échange de renseignements, et en particulier lorsque ce pays favorise la création de domiciles fictifs (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1073/2018 et 2C_1089/2018 précités consid. 11.4 ; 2C_16/2015 du 6 août 2015 consid. 2.5.2 et les nombreuses références, in RF 70/2015 p. 811, traduit in RDAF 2016 II 110 ; ATF 144 II 427 consid. 2.3.2).

20.         En l’espèce, il ressort clairement des pièces produites qu’il incombait à la recourante, dès sa constitution en janvier 2007, de comptabiliser l’intégralité du commerce de montres du groupe, puisqu’elle a été constituée précisément dans ce but, comme cela est formellement stipulé dans ses statuts et confirmé dans ses écritures versées au dossier. Il apparait en effet clairement qu’afin de mettre un terme au litige l’opposant à l’autorité intimée, le groupe a lui-même décidé de répartir ses activités de la sorte que la recourante s’occupe - en sa qualité de société principale - du commerce de produits, C______ SA de leur fabrication et D______ de la protection de la propriété intellectuelle du groupe. Cette répartition impliquait pour la recourante qu’elle comptabilise, dès sa constitution en 2007, les recettes découlant du commerce de montres, ce à quoi elle s’est engagée envers l'AFC-GE par un ruling au contenu qu’elle a elle-même proposé. Dans ses écritures, elle semble perdre de vue le fait qu’elle a été mise, à sa demande, au bénéfice du statut de société principale, selon lequel son bénéfice résultant de vente de produits aux distributeurs n’était imposé qu’à concurrence de 50 %, précisément parce que ce bénéfice devait être imposé en Suisse. Pour ce motif déjà, elle ne saurait se prévaloir du principe de la bonne foi.

Sur la base des pièces comptables qu’elle a récoltées au cours des procédures, l’autorité intimée a établi que, courant les années fiscales en cause, les recettes découlant de ventes de stocks ont été comptabilisées par D______. Or, la validité des accords de 2006 et 2009 était clairement conditionnée par le transfert à la recourante de la valeur de tous les stocks invendus, afin que l'AFC-GE et l'AFC-CH s’assurent de l’imposition y relative et renoncent donc à l’effectuer auprès de D______. La recourante a elle-même informé l'AFC-GE que depuis sa constitution, F______ et C______ SA lui avaient transféré leurs stocks de montres. Dès lors, si ces deux sociétés ont pu effectuer ce transfert, ce en vertu desdits accords, on ne comprend alors pas pourquoi D______ ne pouvait réaliser celui des stocks litigieux (en consignation chez les distributeurs), puisqu’elle en a repris la propriété après 2006, comme le précise clairement la recourante. Celle-ci précise également que le but de cette société offshore se limitait à la gestion de la propriété intellectuelle du groupe, tandis que son rôle à elle était de gérer les stocks et d’encaisser les revenus en découlant. D______ n’avait donc plus, dès 2007, à détenir et à commercialiser les stocks de montres du groupe. L’on ne perçoit ainsi pas pourquoi les recettes litigieuses devaient nécessairement être comptabilisées par cette société offshore, si n’est que de persister dans le comportement ayant fait l’objet du litige qui a conduit auxdits accords. Dès sa constitution en janvier 2007, la recourante était en droit de lui réclamer ces recettes, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a ainsi renoncé à des produits au profit d’un proche, sans contreprestations correspondantes.

Les arguments comptables avancés par la recourante n’emportent pas la conviction. En effet, les distributeurs tiers auraient pu tout aussi efficacement « revenir à des niveaux débiteurs acceptables », si la recourante avait elle-même comptabilisé et dissout les provisions y relatives, ce qu’elle pouvait faire si elle avait repris les stocks concernés. Elle n’explique pas pour quels motifs elle ne pouvait reprendre à son compte « les soldes débiteurs » comptabilisés par la société sœur offshore. Le fait qu’il est question des stocks que cette société aurait détenus pour elle-même avant 2007 est irrelevant, puisqu’il n’empêchait en rien la recourante de comptabiliser leur vente intervenue postérieurement. En effet, selon son « plan de règlement » avec des distributeurs, mis en place dès 2007, dite société offshore avait « repris la propriété des montres » stockés avant 2007. Leur vente effective ne pouvait donc intervenir que postérieurement à 2006. Il est dès lors erroné d’affirmer - comme le fait la recourante - que D______ n’avait pas procédé à des ventes après 2006, d’une part. D’autre part, il ne s’agit manifestement pas du même chiffre d’affaires que celui qui a fait l’objet des reprises menant aux accords du 6 octobre 2009, puisque - comme précisé par la recourante - c’est après 2007 que les recettes des ventes ont été comptablement encaissées par cette société offshore. Or, comme l’indique la recourante, l’activité d’encaissement au sein du groupe relevait de son but social à elle. C’est donc précisément parce qu’elles résultent d’une « activité d’encaissement » que les recettes litigieuses la concernent. Par ailleurs, insistant sur l’application du principe comptable de déterminance, la recourante semble perdre de vue que c’est précisément en vertu du droit commercial qu’il lui incombait de comptabiliser le chiffre d’affaire en question, ce qu’elle n’a pas fait. L’autorité intimée était dès lors à plus forte raison légitimée à appliquer les règles correctrices du droit fiscal. L’on ne discerne ainsi pas en quoi cette dernière serait revenue sur ses prétendues « assurances », la recourante ne précisant au demeurant pas en quoi celles-ci consisteraient exactement, d’autant que l'AFC-GE n’a fait que valider ce à quoi elle s’était elle-même engagée.

Au vu de ce qui précède, force est d’admettre qu’en ne comptabilisant pas les recettes lui revenant, sans avoir obtenu de contreprestations correspondantes, la recourante a consenti à D______ des prestations appréciables en argent au sens défini plus haut. Il en résulte que les reprises sur les recettes doivent être confirmées tant dans leur principe que dans leur quotité, la recourante se limitant à faire valoir en déduction des charges y relatives, sans toutefois préciser leur montant exact et sans démontrer leur justification commerciale.

Il en va de même des reprises des honoraires de consultant. En effet, dans la mesure où pour la période de 2007 à 2011, la recourante n’a conclu aucun contrat avec M. H______, permettant de déterminer de manière claire et précise les services qu’il devait lui fournir ainsi que leur prix, on ne saurait admettre qu’elle était autorisée à comptabiliser à ce titre CHF 1'250'000.- en 2010 et CHF 15'250'000.- en 2012. Ses simples allégations quant aux activités que M. H______ aurait déployées exclusivement pour elle sont manifestement insuffisantes, étant relevé qu’elle ne chiffre même pas les charges y relatives, se limitant à prétendre qu’elles se justifieraient commercialement après d’elle « dans une mesure prépondérante ». De plus, au vu des pièces comptables figurant au dossier, ce n’est pas la recourante qui a comptabilisées les honoraires 2006 à 2011, puisqu’elle les a repris en 2012 de D______. Cela démontre non seulement l’absence de leur lien avec ses activités à elle, mais également avec son exercice commercial 2012. Dans ces conditions, le tribunal ne peut que confirmer le montant que l'AFC-GE a finalement admis au stade de la réponse (CHF 2'500'000.- à déduire en 2012), sur la base du contrat que la recourante a conclu avec M. H______ lors de cette année.

Au vu de ce qui précède, les reprises liées aux périodes fiscales 2010, 2011 et 2013 à 2015 seront confirmées. Celle concernant l’année 2012 sera réduite de CHF 2'500'000.-.

Ce grief est ainsi admis partiellement.

21.         Enfin, la recourante s'en prend tant au principe qu’à la quotité des amendes, soutenant en particulier que sa faute n’est pas intentionnelle et que cette quotité doit être réduite au minimum légal (un tiers des impôts soustraits) compte tenu notamment de l’ancienneté de l’infraction. Elle prétend ne pas avoir commis une faute intentionnelle dès lors que ses comptes sont conformes au droit civil et approuvés par son organe de révision et que la justification des charges litigieuses est une question d'appréciation. Enfin, elle soutient que le montant de l'impôt soustrait ne peut pas être pris en compte comme élément déterminant pour fixer la quotité des amendes.

22.         Est notamment puni d'une amende le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu'une taxation ne soit pas effectuée, alors qu'elle devrait l'être, ou qu'une taxation entrée en force soit incomplète (art. 69 al. 1 LPFisc et 175 al. 1 LIFD).

Pour que cette infraction soit retenue, il faut qu'il y ait soustraction d'un montant d'impôt, en violation d'une obligation légale incombant au contribuable, une faute de ce dernier, ainsi qu'un lien de causalité entre le comportement illicite et la perte fiscale subie par la collectivité (arrêts du Tribunal fédéral 2C_553/2018 du 17 juin 2019 consid. 4.2.1 ; 2C_444/2018 du 31 mai 2019 consid. 7 ; 2C_11/2018 du 10 décembre 2018 consid. 10.1 ; 2C_1018/2015 du 2 novembre 2017 consid. 9.2 et les arrêts cités).

23.         Selon les art. 74 al. 1 LPFisc et 181 al. 1 LIFD, lorsque des obligations de procédure ont été violées ou qu'une soustraction ou une tentative de soustraction d'impôt a été commise au profit d'une personne morale, celle-ci est punie d'une amende.

Lorsque la soustraction d'impôt est commise par une personne morale, la faute au sens des art. 69 al. 1 LPFisc et 175 al. 1 LIFD ne peut être qu'un attribut de la personne physique, soit d'un organe de la personne morale, dont le comportement doit être imputé à celle-ci (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_11/2018 du 10 décembre 2018 consid. 10.2 et l'arrêt cité).

24.         Le bien juridiquement protégé par les dispositions précitées est le patrimoine de la collectivité publique, qui est lésé dès lors que les ressources financières n'augmentent pas conformément à ce que prévoit la loi fiscale. Ces dispositions protègent la créance fiscale en tant que fortune de la collectivité publique (cf. ATF 121 II 257 consid. 5b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_907/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.3). La soustraction fiscale suppose tout d'abord objectivement une insuffisance, totale ou partielle, dans le montant de l'impôt qui résulte d'une taxation. Le dommage porté aux intérêts pécuniaires de la collectivité correspond à la différence entre le montant de l'impôt fixé dans la décision définitive de taxation et le montant qui aurait été dû si le contribuable n'avait pas violé ses obligations. Dans ce contexte, le principe de périodicité prend une importance déterminante en raison du besoin de l'Etat d'assurer une source régulière de rentrées fiscales, afin de financer les tâches qui lui sont dévolues (arrêt du Tribunal fédéral 2C_907/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.3.1 ; ATA/203/2014 du 1er avril 2014 consid. 5).

La conformité du comportement du contribuable à ses obligations légales s'examine de manière objective, et non suivant la représentation subjective que celui-ci avait des événements à l'époque (ATA/203/2014 du 1er avril 2014 consid. 6c).

Pour retenir l'intention, à tout le moins par dol éventuel, il faut toutefois que le contribuable eût été en mesure de reconnaître le caractère erroné de la déclaration fiscale s'il avait agi avec la diligence requise et qu'il eût ainsi été en mesure de la faire corriger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.3 et les arrêts cités).

25.         Les personnes morales peuvent commettre la soustraction fiscale par des irrégularités dans la tenue de la comptabilité, le revenu imposable se déterminant à partir du solde de pertes et profits (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 2C_802/2011 du 22 mars 2012 ; 2C_724/2010 du 27 juillet 2011).

Ainsi, en règle générale et pour autant que toutes les autres conditions soient remplies, une soustraction est commise dès qu’il y a irrégularité dans la comptabilité (ATF 135 II 86 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_508/2014, 2C_509/2014 du 20 février 2015 consid. 5.3.1 ; 2C_907/2012, 2C_908/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.2.1).

26.         En l'espèce, il a été constaté que la comptabilité et les déclarations d'impôt de la recourante pour les années 2010 à 2015 étaient irrégulières et incomplètes, car, d’une part, elles ne mentionnaient pas les recettes correspondant aux prestations appréciables en argent totalisant CHF 40'742'093.- et, d’autre part, elles tenaient compte des charges injustifiées s’élevant à CHF 14'000'000.-. Le dommage subi par la collectivité est équivalent au montant du rappel d'impôt dont le bien-fondé doit être confirmé. Il est par ailleurs établi que, en ne déclarant pas ces recettes et en comptabilisant les charges indues, les organes de la recourante ont violé leur obligation de remplir la déclaration fiscale de manière complète et conforme à la vérité (cf. art. 124 al. 2 LIFD et 26 al. 2 LPFisc). Enfin, l'élément subjectif de la soustraction fiscale, soit la faute, apparaît également donné. Contrairement à ce qu’elle avance, ses comptes ne sont précisément pas conformes au droit civil, puisque n’incluant pas les recettes en cause. Elle ne saurait par ailleurs se soustraire à sa responsabilité en se retranchant derrière son organe de révision, d’autant qu’elle ne démontre pas - ni d’ailleurs n’allègue - que ce dernier aurait contrôlé et confirmé également la justification commerciale des charges en cause, ni qu’il aurait approuvé l’absence des recettes litigieuses de sa comptabilité. Le fait que la justification commerciale d’une charge relèverait d’une question d’appréciation est sans portée déterminante à l’égard de la faute commise par les administrateurs de la recourante, dès lors que les charges concernées ne sont en soi pas justifiées, ce qu’ils ne pouvaient pas ignorer. Il apparaît que ces derniers ont décidé de l'octroi des prestations en cause, dans des conditions s'écartant manifestement de celles qui prévaudraient entre tiers, parce qu'il s'agissait de sociétés appartenant au même groupe. Rompus aux affaires, ils ne pouvaient pas ignorer les conséquences fiscales de tels procédés. En ne déclarant pas les prestations appréciables en argent, fondées sur des rapports entre les deux sociétés sœurs concernées, ils ont agi fautivement, à tout le moins par dol éventuel. Partant, le prononcé des amendes est fondé dans son principe.

27.         La quotité de l’amende est fixée, en règle générale, au montant de l'impôt soustrait ; si la faute est légère, l'amende peut être réduite jusqu'au tiers de ce montant ; si la faute est grave, elle peut au plus être triplée (art. 69 al. 2 LPFisc et 175 al. 2 LIFD).

En cas de tentative de soustraction fiscale, l'amende est fixée aux deux tiers de la peine qui serait infligée si la soustraction avait été commise intentionnellement et consommée (art. 176 al. 2 LIFD et 70 al. 2 LPFisc).

28.         Le montant de l'impôt soustrait constitue le premier élément de fixation de la peine. Celle-ci doit ensuite être fixée selon le degré de la faute de l'auteur (cf. ATF 143 IV 130 consid. 3.3). En présence d'une infraction intentionnelle sans circonstances particulières, l'amende équivaut en règle générale au montant de l'impôt soustrait (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_476/2014 du 21 novembre 2014 consid. 10.1 ; 2C_777/2014 du 13 octobre 2014 consid. 6.2 ; 2C_480/2009 du 16 mars 2010 consid. 6.2).

En cas de faute grave, l'amende doit en principe être supérieure à une fois l'impôt soustrait et peut être au plus triplée (cf. art. 175 al. 2 in fine LIFD et 69 al. 2 in fine LPFisc ; ATF 144 IV 136 consid. 7.2.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2019 du 26 septembre 2019 consid. 8.1). Par faute grave, il faut comprendre, entre autres, la récidive, de même que l'attitude continuellement récalcitrante du contribuable vis-à-vis des autorités fiscales. Il y a en particulier circonstance aggravante, lorsque la soustraction d'impôt s'étend sur plusieurs années et s'effectue selon différents procédés, en cas d'existence d'un compte bancaire non déclaré ou, par exemple, en cas de présentation planifiée et erronée de bilans, par une personne morale, sur plusieurs exercices (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, n. 54 ad art. 175).

En droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération sont le montant de l'impôt éludé, la manière de procéder, les motivations, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de l'auteur (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_180/2013 du 5 novembre 2013 consid. 9.1 ; 2C_851/2011 du 15 août 2012 consid. 3.3 et les références citées).

La bonne collaboration du contribuable dans la procédure en soustraction d'impôt constitue l'un des éléments permettant de réduire la peine (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1007/2012 du 15 mars 2013). Entrent également en considération le repentir actif (réglé par l'art. 175 al. 3 LIFD) ou encore l'écoulement d'un temps relativement long entre l'acte et sa découverte, durant lequel le contribuable s'est comporté correctement à l'égard du fisc (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 47 ad art. 175 et les références citées).

Lorsque le contribuable cache un élément de sa fortune et omet de signaler les revenus qui en découlent dans plusieurs déclarations, on est en présence d'un concours réel : le contribuable commet une nouvelle soustraction fiscale à chaque déclaration (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 46 s., 54 et 56 s. ad art. 175).

29.         Dans la mesure où elles respectent le cadre légal, les autorités fiscales cantonales, qui doivent faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi, disposent d'un large pouvoir d'appréciation lors de la fixation de l'amende, l'autorité de recours ne censurant que l'abus du pouvoir d'appréciation (cf. ATF 144 IV 136 consid. 9.1 ; ATA/1002/2020 du 6 octobre 2020 consid. 9b et les références citées).

Par ailleurs, selon la jurisprudence, l'importance des montants soustraits et donc des rappels d'impôts ne constitue pas une sorte de double sanction et n'est donc pas un critère devant jouer en faveur du contribuable, le critère légal des art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc étant celui de la gravité de la faute. Une telle approche serait contraire à la lettre et à l'esprit de ces dispositions légales. Elles prévoient que l'amende doit être fixée dans une fourchette qui peut aller jusqu'au triple de l'impôt soustrait dans les cas les plus graves. Le législateur a accepté par-là qu'un contribuable coupable d'une soustraction d'impôt doive verser à la collectivité publique une somme totale correspondant finalement à quatre fois le montant de l'impôt (rappel d'impôt + amende correspondant au triple de cet impôt), ce même en cas de soustraction de montants importants, la loi ne prévoyant aucun traitement privilégié en pareilles circonstances. Il n'appartient pas aux administrations fiscales de s'écarter des règles des art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc en cas de grave soustraction au motif que ce système aboutirait dans un cas d'espèce à un résultat jugé trop sévère et qu'une amende réduite constituerait déjà, selon elles, une peine suffisante, une correction (reformatio in peius) par le juge dans le cadre d'un recours pouvant d'ailleurs s'avérer nécessaire (ATF 144 IV 136 consid. 7.3.2).

30.         En l’espèce, tout d’abord, la recourante ne saurait être suivie lorsqu’elle prétend, sans l’étayer, que la comptabilisation indue en 2010 et 2012 de charges s’élevant à CHF 14'000'000.- et l’octroi à une société offshore proche des prestations totalisant CHF 40'742'093.- procèderaient d’une faute légère. En effet, au vu de l’importance et de la nature de ces montants ainsi que des principes comptables susmentionnés, que les organes de la recourante ne pouvaient ignorer, force est d’admettre qu’une telle comptabilité erronée découle d’une faute grave de ces derniers. Pour le surplus, les organes de la recourante ont commis (en 2011) et tenté de commettre (en 2012 à 2015) - à tous le moins par dol éventuel - une soustraction fiscale importante s'étant déroulée sur plusieurs années et consistant en la prise à sa charge des frais des sociétés du groupe, la comptabilisation de charges injustifiées et l’octroi des prestations indues à une société proche, dissimulant ainsi des montants considérables des bénéfices imposables (CHF 54'742’093.-). Pareilles soustraction et tentatives procèdent assurément d'une faute grave, qui doit être sanctionnée, conformément à ce que prévoient les art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc, par une amende supérieure à une fois le montant de l'impôt soustrait.

Dans ce cadre, tenant compte de la bonne collaboration de la recourante, l'AFC-GE a fixé la quotité des amendes à une fois les impôts soustraits, ce qui apparaît tout à fait proportionné aux circonstances et à l’intensité de la faute imputable à la recourante, étant précisé que pour les années 2012 à 2015 concernées par la tentative de la soustraction, elle a réduit cette quotité à 2/3, conformément aux art. 176 al. 2 LIFD et 70 al. 2 LPFisc. Force est en effet d’admettre que les circonstances aggravantes imputables à la recourante (résidant notamment dans le fait que les infractions ont été commises par faute grave sur six périodes fiscales et en lien avec des montants d’impôt très importants), auxquelles l'autorité intimée devait accorder une importance particulière, ne sont contrebalancées par aucune autre circonstance atténuante que celle de sa bonne collaboration. Si selon la jurisprudence, il doit certes également être tenu compte de l'ancienneté de l'infraction, celle-ci remontant à plus de dix ans en l’occurrence (en ce qui concerne les années 2010 à 2012), il n'est pas démontré - ni soutenu par la recourante d’ailleurs - que depuis 2015, elle se serait comporté correctement vis-à-vis de l’autorité intimée. En tout état, ce seul élément est insuffisant pour contrebalancer ceux énoncés plus haut, prévalant en défaveur de la recourante. En outre, le fait que les amendes relatives à la soustraction des ICC et IFD 2010 ont été annulées pour cause de prescription n’atténue en rien le caractère de récidive des soustractions fiscales commises ou tentées. Dans ces conditions, appliquer à la recourante, comme elle le demande, une quotité d'amende d'un tiers, correspondant à la peine la plus clémente prévue par les art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc, alors que ses organes ont commis intentionnellement et de manière durable une grave soustraction fiscale reviendrait à la traiter de manière privilégiée par rapport aux contribuables qui ne commettent qu'une faute moyenne ou légère.

Pour le surplus, selon la jurisprudence précitée, et contrairement à ce que semble soutenir la recourante, l'importance des montants soustraits et donc des rappels d'impôts ne constitue pas une sorte de double sanction et n'est donc pas un critère devant jouer en sa faveur.

Force est ainsi d’admettre que la quotité des amendes retenue par l’autorité intimée apparaît proportionnée à l’intensité de la faute et aux circonstances, sans que l’on puisse lui reprocher un abus du pouvoir d’appréciation. Il n'y a donc pas lieu de s'en écarter.

31.         Au vu de ce qui précède, le recours est admis très partiellement, dans la mesure reconnue par l'AFC-GE. Il est rejeté pour le surplus, les bordereaux de rappel d’impôt 2010 et 2011, de taxation 2013 à 2015 et d’amende 2011 et 2013 à 2015 étant confirmés.

En conséquence, le dossier sera renvoyé à l'AFC-GE pour nouveaux bordereaux de rappel d’impôt et d’amende ICC et IFD 2012 tenant compte des rectifications qu’elle a admises dans le cadre de la présente procédure, y compris celles en défaveur de la recourante.

32.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe dans une très large mesure, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 2’500.-, lequel tient compte en particulier de l'importance et de la complexité de la procédure, ainsi que de l'ampleur du présent jugement ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 1'000.- versée à la suite du dépôt du recours.

33.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 8 février 2022 par A______ SA contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 7 janvier 2022 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions de rappel d’impôt et d’amende ICC et IFD 2012, dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 2’500.-, lequel est partiellement couvert par son avance de frais de CHF 1'000.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière