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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3511/2014

ATA/991/2014 du 15.12.2014 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3511/2014-FPUBL

" ATA/991/2014

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 15 décembre 2014

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Joanna Bürgisser-Bueche, avocate

contre

ÉTABLISSEMENTS PUBLICS POUR L'INTÉGRATION (EPI)



Vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010 ;

Attendu, en fait, que :

1) M. A______ a été engagé le 1er mars 2000 en qualité de socio-éducateur, à un taux de 80 %, au sein des Établissements publics pour l’intégration (ci-après : les EPI), avec statut de fonctionnaire dès le mois de mars 2013.

2) Le 17 août 2010, M. A______ s’est vu notifier par le chef de secteur un avertissement en raison d’une utilisation d’internet à des fins privées, d’appels téléphoniques privés, d’une absence de surveillance de collaborateurs en emplois adaptés ainsi que de pointages horaires inadmissibles.

Une décision de suspension d’augmentation de son traitement durant les années 2012 et 2013 lui a été notifiée le 20 avril 2012, en raison notamment d’une infraction grave aux devoirs de sa fonction ayant consisté à se servir de nourriture sur les plateaux-repas des travailleurs sans payer ses repas.

Lors des entretiens d’évaluation de son travail en tant que socio-éducateur dans l’appartement D______ - auquel il avait été transféré le 13 février 2012 - effectués les 23 octobre 2012 et 15 octobre 2013, l’employeur a fait part à M. A______ de sa satisfaction. Selon l’évaluation de son responsable hiérarchique le 23 octobre 2012, il « [effectuait] son travail avec compétence et diligence et [avait] de bonnes relations avec les résidents, ses collègues et sa hiérarchie ». Le 15 octobre 2013, il lui a été fixé notamment comme objectif de « compléter son programme de formation en lien avec les besoins du secteur et du service, particulièrement celles (sic) concernant les personnes autistes », avec des formations à suivre en matière de « gestion des situations difficiles et des conflits », d’« évaluation personnes avec autisme » et d’« enseignement structuré pour adultes autistes ».

3) En date du 20 juin 2014 a eu lieu un entretien entre M. A______ et ses responsables hiérarchiques, à savoir Mme B______, cheffe du service socio-éducatif, et Mme C______, cheffe du secteur, lors duquel il lui a été reproché d’avoir eu le 30 mai 2014 des gestes de contrainte physique sur une résidente autiste. M. A______ a reconnu que « sa posture professionnelle [n’avait] pas été correcte si elle [avait] été perçue négativement » ; « il [n’avait] pas apprécié ce qu’il était en train de faire » et « il [s’interrogeait] si la saturation des hurlements ou autres choses [l’avaient] fait agir comme cela » ; il « [demandait] pardon concernant cette situation » et « [pensait] s’être laissé gagner par l’impatience des personnes présentes sur la terrasse ».

4) Par courrier remis en mains propres le 10 juillet 2014, M. A______ a été convoqué à un entretien de service fixé le 25 juillet 2014, avec la précision que si les faits qui lui étaient rapportés étaient avérés, ils seraient considérés comme grave.

Il a informé les EPI par téléphone le matin même du 25 juillet 2014 de ce qu’il ne pourrait pas se rendre à l’entretien, et il leur a adressé un certificat médical certifiant que son état de santé nécessitait un arrêt de travail du 25 juillet au 31 août 2014 inclus. Le même médecin lui a permis de partir en vacances en Bretagne pour trois semaines, à compter du 1er août 2014.

Par lettre du 7 août 2014, les EPI ont convoqué M. A______ à un second entretien de service pour le 1er septembre 2014, le rendant attentif au fait que celui-ci était obligatoire sauf en cas d’incapacité de se déplacer et qu’en cas d’absence audit entretien, la procédure se poursuivrait sous formé écrite.

Le 29 août 2014, l’intéressé a fait parvenir à son employeur un certificat médical prolongeant son arrêt de travail jusqu’au 30 septembre 2014 inclus.

5) Par lettre du 3 septembre 2014 de la cheffe du secteur et de la cheffe du secteur des ressources humaines, les EPI ont reproché à M. A______ d’avoir eu le 30 mai 2014 des gestes inappropriés envers la résidente, notamment d’avoir forcé celle-ci à se lever de sa chaise malgré ses refus déterminés, de l’avoir ensuite poussée avec son ventre afin de la faire avancer, de l’avoir, après qu’elle se soit jetée d’elle-même par terre, prise par le bras, traînée et tirée, alors qu’elle était toujours au sol et se cognait contre divers obstacles, jusque dans sa chambre, enfin de l’y avoir laissée une vingtaine de minutes, la porte fermée mais non verrouillée, jusqu’à ce qu’elle se calme. Ce faisant, M. A______ avait enfreint, par une faute grave, plusieurs règles et devoirs professionnels.

Selon les EPI, « cette manière d’agir [dénotait] de [sa] part une incapacité à maintenir, de manière constante, un recul professionnel, ce qui [laissait] supposer que ce type d’attitude irrespectueuse [avait] pu se manifester à d’autres occasions » ; « dans le passé, [ses] manquements touchaient également au non-respect de [sa] mission du socio-éducateur », de sorte que « l’attitude décrite ci-dessus [était] d’autant plus grave qu’elle [répétait] une manière d’agir pour laquelle [il avait] été sanctionné ».

Ces faits étaient susceptibles de justifier une révocation, voire toute autre sanction disciplinaire utile. Un délai lui a été imparti au 7 octobre pour formuler ses observations.

6) Par courriel du 4 septembre 2014, M. A______ a informé les EPI de ce qu’étant en déplacement jusqu’au 15 septembre suivant avec l’accord de son médecin, il ne pourrait se présenter au rendez-vous fixé chez leur médecin-conseil le 8 septembre 2014.

Par courrier du 8 septembre 2014, l’employeur a considéré son absence du
1er au 15 septembre 2014 comme des jours de vacances et lui a déduit neuf jours de son salaire de septembre 2014.

7) Par lettre du 8 octobre 2014, la cheffe du secteur des ressources humaines a informé l’intéressé de ce qu’en l’absence d’observations de sa part, son dossier avait été transmis à la direction générale, qui prendrait une décision relative à la suite de la procédure.

8) Par décision incidente du 5 novembre 2014 signée par le directeur général et le président du conseil d’administration, les EPI, considérant que M. A______ avait violé ses devoirs de service au sens des art. 20 et 21 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) ainsi que du non-respect des règles concernant l’encadrement socio-éducatif et la protection des personnes en situation de handicap, ont ordonné l’ouverture d’une enquête administrative afin de faire la lumière sur les faits reprochés et sur tous les autres faits répréhensibles qui pourraient apparaître, et prononcé la suspension provisoire de M. A______ dans l’exercice de la fonction pendant la durée de l’enquête, avec suppression de toute prestation à leur charge, ces deux dernières mesures étant exécutoires nonobstant recours.

9) Par acte expédié le 17 novembre 2014 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre cette décision, concluant à la restitution de l’effet suspensif, ainsi qu’à l’annulation de ladite décision en tant qu’elle prononçait la suppression de toute prestation des EPI en sa faveur.

À l’appui de certains de ses allégués, il offrait la preuve par témoin.

Il faisait notamment valoir, en présentant des montants de budget et des pièces, que cette suppression de traitement placerait lui-même, son épouse - qui travaillait aussi en Suisse - et leurs quatre enfants mineurs dans « une situation de précarité extrême ». Sans son salaire, la famille - domiciliée en Haute-Savoie - « ne pourrait plus faire face à ses dettes liées notamment à l’achat de l’habitation qu’elle [occupait], ni subvenir à ses besoins fondamentaux tels que la nourriture ou le chauffage de leur maison, alors que l’on se [trouvait] aux portes de l’hiver ».

Au regard notamment d’un courrier que les EPI lui avait adressé le
11 novembre 2014 et qui l’informait des conséquences de l’interruption du versement de son salaire, la perte de toutes les assurances sociales du côté suisse et la conclusion des contrats adéquats du côté français constitueraient une perte de temps et d’argent et impliqueraient, vu la brièveté des délais, une période de risque non couverte par l’assurance. Il s’agirait d’un dommage irrécupérable même en cas de gain de cause en fin de procédure. De surcroît, le recourant ne pourrait pas bénéficier des prestations de l’assurance-chômage car il n’avait pas été licencié et était en incapacité de travail, donc inapte au placement.

Sur le fond, les faits qui lui étaient reprochés ne portaient pas atteinte aux intérêts économiques des EPI intimés et, si à l’issue de l’enquête ils devaient justifier une cessation des rapports de service, celle-ci ne se ferait nullement avec effet immédiat. En effet, même si son comportement du 30 mai 2014 à l’égard de la pensionnaire autiste pouvait être qualifié d’inadéquat, les EPI ne l’avait pas informé de ce que devait être le comportement adéquat dans une telle situation et ne lui avaient pas encore fourni toute la formation nécessaire pour s’occuper des personnes autistes. Le 30 mai 2014, il s’était trouvé, seul, dans une situation particulièrement difficile à gérer. De par son expérience, il savait que les cris de la résidente en question inquiétaient d’autres pensionnaires et il lui était déjà arrivé dans le passé de devoir ramener un pensionnaire de force dans sa chambre en compagnie de
Mme B______, devenue entretemps sa supérieure hiérarchique. Le 30 mai 2014, il avait fait ce qu’il pensait être le mieux pour tout le monde dans un moment de stress et sous pression des regards des autres pensionnaires et d’une mère d’un pensionnaire. Il contestait le caractère grave des faits reprochés.

10) Dans leur réponse du 28 novembre 2014, les EPI ont conclu à l’irrecevabilité, respectivement au rejet de la requête de restitution de l’effet suspensif, ainsi qu’à la confirmation de la suppression de toute prestation à leur charge selon leur décision du 5 novembre 2014.

L’enquêtrice administrative nommée le 5 novembre 2014 prévoyait d’auditionner les témoins les 12 et 19 décembre 2014 et, en cas de besoin, le
9 janvier 2015.

11) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

12) Un délai au 19 décembre 2014 a été imparti au recourant pour formuler d’éventuelles observations sur le fond, après quoi la cause serait gardée à juger au fond.

Attendu, en droit, que :

1) Selon la jurisprudence constante rendue par la chambre de céans, une décision de suspension provisoire d’un fonctionnaire est une décision incidente contre laquelle un recours est ouvert dans les dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 1 ; ATA/839/2012 du 18 décembre 2012 ; ATA/415/2012 du 3 juillet
2012 ; ATA/458/2011 du 26 juillet 2011).

Toutefois, en vertu de l'art. 57 let. c LPA, sont susceptibles d’un recours les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

2) Le présent recours pose un problème de recevabilité, dès lors que, selon la jurisprudence actuelle de la chambre de céans, les décisions de suspension provisoire d'un membre de la fonction publique, avec ou sans suspension de traitement, sont des décisions incidentes n'entraînant généralement pas de préjudice irréparable pour le recourant (ATA/415/2012 du 3 juillet 2012 ; ATA/309/2012 du 15 mai 2012 ; ATA/240/2012 du 24 avril 2012 ; ATA/458/2011 du 26 juillet 2011 ; cf. toutefois ATA/735/2013 du 5 novembre 2013).

En l'occurrence, le recourant, allègue, en présentant des montants de budget et des pièces, que sans son salaire, sa famille ne peut plus faire face aux charges de son habitation ainsi qu’à ses besoins vitaux, de sorte qu’elle se retrouverait dans une grande précarité.

Cette question sera toutefois réservée en l'état, dès lors qu'elle doit être tranchée par la chambre de céans hors du cadre d'une décision présidentielle.

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

Selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/248/2011 du 13 avril 2011 consid. 4 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; ATA/248/2009 du 19 mai 2009 consid. 3 ; ATA/213/2009 du 29 avril 2009 consid. 2).

Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

4) En l'espèce, la décision attaquée a un contenu positif, en ce sens qu'elle supprime des prestations - le traitement en particulier - précédemment accordées au recourant, et ne se contente pas de rejeter une prétention ou une demande.

La restitution de l'effet suspensif reviendrait à admettre le droit du recourant à continuer de percevoir son traitement et correspondrait ainsi à ce qu'il demande au fond, ce qui est en principe prohibé.

Contrairement à ce que semble soutenir le recourant, il ne peut en l’état pas être exclu qu’après la remise du rapport d’enquête administrative, une faute grave du recourant soit retenue, ni que celui-ci soit révoqué avec effet rétroactif au jour de l’ouverture de ladite enquête, comme le permet expressément l’art. 28 al. 4 2ème phr. de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), ce que paraissent du reste envisager les intimés (réponse, p. 7 ss). L’examen de ce point comme de celui afférent à la suspension provisoire avec suppression de traitement
- objet de la présente procédure -, qui porterait notamment sur la proportionnalité desdites mesures, ne peut en tout état de cause pas être effectué dans le cadre de la présente décision.

5) Par surabondance, l’intérêt public à la préservation des finances de la collectivité publique intimée, au vu de l’incertitude de la capacité du recourant à rembourser les mois de traitement qui lui seraient versés en cas de confirmation de la décision querellée, est important (ATA/206/2013 du 2 avril 2013 ; ATA/519/2012 du 10 août 2012) et prime les difficultés financières qu'il pourrait rencontrer du fait de la cessation du versement de son traitement.

Au demeurant, une telle obligation de remboursement pourrait placer le recourant dans une situation financière plus difficile que si la restitution de l’effet suspensif lui était refusée mais qu’il obtenait gain de cause au fond.

6) Au vu de ce qui précède, la demande de restitution de l’effet suspensif sera refusée, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse la restitution de l’effet suspensif au recours de M. A______ ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Joanna Bürgisser-Bueche, avocate du recourant, ainsi qu'aux Établissements publics pour l'intégration (EPI).

 

 

Le président :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :