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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3177/2012

ATA/839/2012 du 18.12.2012 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3177/2012-FPUBL ATA/839/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 décembre 2012

 

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Suzette Chevalier, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT

_________



EN FAIT

1. Monsieur X______ a été engagé dès le 1er juillet 2004 en qualité de chef de section à l'office cantonal de la population (ci-après : OCP), avec le statut d'employé. Il a été nommé fonctionnaire dès le 1er juillet 2007.

2. Le 1er novembre 2009, M. X______ a changé de fonction avec rétrogradation, devenant examinateur à la section asile et aide au départ (ci-après : SAAD) de l'OCP.

3. Le 13 mars 2012, la directrice des ressources et de la planification de l'OCP a établi une note de service destinée au directeur général de cet office, à la suite d'un entretien avec une collaboratrice du SAAD, dont il ressortait les éléments suivants : une personne nommée G______, usant également de l'alias L______, aurait tenté de manipuler Monsieur A______, né en 1932 et faisant l'objet d’une procédure de mise sous mesures tutélaires, en vue de s'accaparer ses biens mobiliers et immobiliers. Mme G______ était depuis janvier 2012 l'épouse de M. X______, absent pour raison de maladie depuis plusieurs semaines. Durant cette absence, des documents concernant M. A______ avaient été découverts fortuitement dans le bureau de ce collaborateur. Il était nécessaire de s'assurer de l'intégrité de ce dernier.

4. Monsieur E_______, fils de M. A______, ayant déposé plainte pénale contre Mme G______, les investigations de la police ont abouti à ce que, le 11 mai 2012, M. X______ soit prévenu d'escroquerie (art. 146 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), d'abus de confiance (art. 138 CP), de contrainte (art. 181 CP) et d'abus de pouvoir (art. 312 CP), pour avoir, avec Mme G______, convaincu ou accepté pleinement et sans réserve que celle-ci convainque, par ruse et par contrainte, M. A______, atteint de troubles du type Alzheimer, d'effectuer, à leur bénéfice, de nombreux actes de disposition de ses avoirs ou biens immobiliers, M. X______ se voyant reprocher plus particulièrement d'avoir localisé, par des moyens illicites, en usant de ses fonctions à l'OCP, l'épouse dont M. A______ était séparé depuis plusieurs années et d'avoir fait établir, par son propre médecin traitant, des attestations constatant faussement que M. A______ ne présentait aucun trouble mental, aux fins d'en faire usage devant des autorités.

Mme G______, dont M. X______ avait fait la connaissance dans l'exercice de ses fonctions, a également été prévenue d'escroquerie, d'abus de confiance, de contrainte et d'instigation à abus de pouvoir pour les faits précités.

M. X______ a été placé en détention provisoire du 11 mai au 11 septembre 2012 dans le cadre de cette procédure pénale.

5. Le 16 mai 2012, dans le cadre d'une procédure initiée en janvier 2012 par un signalement de M. E______, le Tribunal tutélaire a privé provisoirement M. A______ de l'exercice de ses droits civils et lui a désigné comme tuteur "un avocat rompu aux procédures tutélaires et spécialisé néanmoins dans les affaires commerciales".

6. Le 18 juin 2012, le directeur du SAAD a adressé à M. X______ un courrier d'entretien de service par écrit. Il lui était reproché une mauvaise tenue des ses dossiers tout au long de l'année 2011 ainsi que de s'être servi d'une part des connaissances liées à sa fonction et, d'autre part, du matériel mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de ses tâches, pour se procurer illicitement ou procurer illicitement à son épouse, notamment, des informations ayant permis de commettre les infractions dont lui-même et son épouse étaient prévenus. Ces éléments constituaient de graves manquements aux devoirs de service. Le directeur du SAAD envisageait de demander l'ouverture d'une enquête administrative au Conseil d'Etat. S'il était donné suite à cette demande, M. X______ pourrait faire l'objet d'une suspension provisoire de fonction, cas échéant sans traitement.

7. Le 10 juillet 2012, M. X______ a contesté les reproches qui lui étaient adressés. Il était désireux de faire l'objet d'une enquête administrative afin de pouvoir s'expliquer.

8. Le 10 octobre 2012, le Conseil d'Etat a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. X______, assortie d'une suspension provisoire avec suppression des prestations à charge de l'Etat. Cette décision était exécutoire nonobstant recours.

S'ils se vérifiaient, les manquements reprochés à l'intéressé pourraient justifier une révocation, ou toute autre sanction disciplinaire prévues par la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). Ces manquements étant graves et de nature à compromettre la confiance et l'autorité qu'impliquait l'exercice de sa fonction, la suspension provisoire de fonction assortie de la suppression des prestations à charge de l'Etat était justifiée.

9. Par acte du 22 octobre 2012, M. X______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée. Il a conclu principalement à l'annulation de la mesure de suspension provisoire avec suppression des prestations à charge de l'Etat. Au cas où la suspension provisoire était confirmée, il a conclu subsidiairement à l'annulation de la suppression des prestations à la charge de l'Etat. Il a en outre requis la restitution de l'effet suspensif à son recours.

Son épouse avait été depuis l'automne 2011 jusqu'à son arrestation, le 11 mai 2012, la gouvernante de M. A______ qui, « d'après l'enquête pénale », avait des pertes de mémoire. Elle avait été peu rémunérée, soit CHF 300.- par mois, pour ses services, ce monsieur disposant de peu de liquidités. Son épouse ayant redonné goût à la vie à cette personne âgée, cette dernière était "prête à vouloir vendre" un bien immobilier dont elle était propriétaire et à "récompenser" sa gouvernante pour les services qu’elle lui rendait en lui donnant une partie du produit de la vente. Accompagné de celle-ci, ce monsieur avait fait établir, par un notaire, un projet de testament réduisant à leur réserve ses héritiers légaux - soit sa conjointe suédoise avec laquelle il n'avait plus eu de contacts depuis 15 ans et M. E_______ avec lequel il s'était fâché pour des questions d'héritage - et léguant la quotité disponible à sa gouvernante. Cette dernière l'avait également accompagné dans ses démarches auprès d'un avocat pour l'établissement d’un testament olographe allant dans le même sens et auprès d'un médecin en vue d'obtenir un certificat médical attestant que le testataire était capable de discernement.

Lui-même s'était servi de son ordinateur professionnel pour écrire, au nom de l'OCP, à l'ambassade de Suisse en Suède afin de localiser la conjointe de la personne âgée. Il avait également fourni à son épouse les coordonnées du médecin et de l'avocat dont les interventions susmentionnées avaient été sollicitées.

Il n'avait eu qu'un seul contact avec M. A______, afin de préparer un courrier pour l'autorité tutélaire, et tout ce qu'il avait pu savoir à son sujet et sur les agissements de son épouse était ce que cette dernière lui avait rapporté. Il n'était pas en mesure de savoir si celle-ci nourrissait des intentions délictuelles. Il contestait avoir pu avoir conscience et volonté de commettre une escroquerie et un abus de confiance. Il devait bénéficier de la présomption d'innocence.

L'utilisation à titre privé de son ordinateur professionnel était « minime ». Il n'avait pas obtenu le renseignement demandé. Il n'aurait certes pas dû le faire au nom de l'OCP. Cette démarche anodine ne revêtait pas la gravité nécessaire pour compromettre la confiance de l'administration envers lui, de sorte que la suspension était injustifiée. La prolongation de son absence au travail le discréditerait envers ses collègues de travail et son entourage. La suppression de son traitement lui causerait un très grave préjudice car il n'était pas certain qu'il pourrait obtenir des prestations de chômage. Il n'avait causé aucun préjudice matériel à l'Etat. Il souffrait, par ailleurs, de troubles bipolaires.

10. Le 5 novembre 2012, le Conseil d'Etat, soit pour lui le département de la sécurité, a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet, ainsi qu’au rejet de la requête de restitution d'effet suspensif.

L'ouverture d'une enquête administrative était une décision incidente qui n'était pas susceptible de recours. La décision de suspension provisoire de fonction assortie de la suppression des prestations à charge de l'Etat ne causait pas de préjudice irréparable à l'intéressé. Le fait de ne pas recevoir de traitement pendant la durée de la suspension provisoire n'en causait pas car, si la procédure administrative ne débouchait pas sur une révocation avec effet au jour de la suspension provisoire, l'Etat devrait et serait en mesure de verser le salaire dû. En revanche, si l'Etat devait continuer à le rémunérer durant la procédure administrative et que celle-ci débouche sur une révocation avec effet rétroactif, il existait un risque élevé qu'il ne puisse récupérer les prestations versées. En l'espèce, les faits reprochés à M. X______ étaient graves et de nature à rompre irrémédiablement le rapport de confiance avec son employeur. Le fait que l'intéressé soutienne avoir pris conscience qu'il n'aurait pas dû utiliser sa fonction et son ordinateur à l'OCP n'y changeait rien. Il pourrait percevoir, cas échéant, des indemnités de chômage, voire des prestations de l'aide sociale s'il en remplissait les conditions. Enfin, la restitution de l'effet suspensif au recours reviendrait à accorder, au recourant, le plein de ses conclusions au fond, ce qui n'était pas possible.

11. Le 11 décembre 2012, la détermination du Conseil d'Etat a été transmise à M. X______ et les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Selon la jurisprudence constante rendue par la chambre de céans, une décision de suspension provisoire d’un fonctionnaire est une décision incidente contre laquelle un recours est ouvert dans les dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/415/2012 du 3 juillet 2012 ; ATA/458/2011 du 26 juillet 2011).

Le recours a ainsi été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2. Selon l’art. 57 let. c LPA, sont seules susceptibles de recours les décisions incidentes qui peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATA/227/2009 du 5 mai 2009).

a. Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure (ATF 127 II 132 consid. 2a p. 126 ; 126 V 244 consid. 2c p. 247ss ; 125 II 613 consid. 2a p. 619ss ; ATA/668/2010 du 28 septembre 2010 ; ATA/136/2010 du 2 mars 2010).

En l’espèce, le recourant allègue qu'il subirait un tel préjudice du fait qu’il ne peut plus exercer son activité professionnelle et ne perçoit plus son traitement sans être certain de pouvoir être mis au bénéfice d'indemnités de chômage. Il n'établit pas en quoi le fait de ne pas continuer à exercer son activité professionnelle serait de nature à le discréditer auprès de ses collègues et de son entourage. Si le fait de ne plus recevoir de traitement constitue une baisse de revenus pouvant être importante, cela n'est toutefois pas suffisant pour retenir l'existence d'un préjudice irréparable. Ainsi, en cas d'issue de la procédure administrative autre que la révocation, le recourant se verrait verser les prestations suspendues, de sorte que le préjudice financier serait alors arithmétiquement réparé. Par ailleurs, le recourant se contente d'alléguer n'être pas certain de pouvoir être mis au bénéfice de prestations de chômage, sans démontrer que tel serait le cas. Il ne fournit, en définitive, aucun élément ni n'apporte de justificatif permettant d'apprécier les effets concrets des mesures contestées sur sa situation personnelle ou financière, d'en estimer le caractère concrètement préjudiciable et déterminer si et en quoi il serait irréparable.

b. L’admission du recours ne mettrait pas fin au litige, puisque l’enquête administrative, qui n'est elle-même pas contestée, suivra son cours quel que soit le sort des mesures de suspension querellées. La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est ainsi pas réalisée (ATA/ 415/2012 précité ; ATA/240/2012 du 24 avril 2012 ; ATA/458/2011 précité).

3. Au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable, sans autre instruction (art. 72 LPA).

L’adoption du présent arrêt rend sans objet la demande de restitution de l’effet suspensif.

4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe. Aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 22 octobre 2012 par Monsieur X______ contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 10 octobre 2012 ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

-  par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

-  par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

-  par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 et suivants LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Suzette Chevalier, avocate du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :