Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/805/2003

ATA/144/2004 du 10.02.2004 ( TPE ) , ADMIS

Recours TF déposé le 24.03.2004, rendu le 11.08.2004, REJETE, 1A.69/2004
Descripteurs : POUVOIR D'APPRECIATION; PREAVIS; PLAN D'AFFECTATION; AMENAGEMENT DU TERRITOIRE; PERMIS DE CONTRUIRE; CONSTRUCTION ET INSTALLATION; ZONE AGRICOLE; AUTORISATION(NULLITE); TPE
Normes : LAT.24; LALAT.27
Résumé : La commission de recours a fait preuve d'arbitraire en écartant le préavis de la commission des monuments de la nature et des sites s'opposant à la démolition d'une ferme et de ses dépendances sises sur un site qualifié d'importance nationale. Autorisation de démolir annulée. L'autorisation de construire le groupe scolaire projeté est également annulée dès lors que la procédure préalable de planification n'a pas été ordonnée et qu'une dérogation à l'art. 24 LAT n'est pas possible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 février 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

SOCIÉTÉ D'ART PUBLIC

section genevoise de la Ligue du patrimoine national Heimatschutz, M. Patrick Malek-Asghar

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

COMMUNE DE BARDONNEX

représentée par Me François Bolsterli, avocat

 

et

 

SOCIÉTÉ CATHOLIQUE ROMAINE DE SAINT-SYLVESTRE

 



EN FAIT

 

 

1. La commune de Bardonnex (ci-après : la commune/les propriétaires) et la société catholique romaine de Saint-Sylvestre (ci-après : la société/les propriétaires) sont propriétaires des parcelles 13'854, 13'857 et 13'859 pour la première et 13'855 et 13'858 pour la seconde, feuille 33 de la commune de Bardonnex, à l'adresse route de Cugny, Compesières. Ces parcelles sont situées en zone agricole au sens de l'article 16 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) et 20 alinéa 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30) et représentent une surface de 34'639 m2.

 

Sur la parcelle 13'859 s'élève la Commanderie de Compesières (ci-après : la Commanderie), classée monument historique. Le site de Compesières est qualifié d'importance nationale par l'inventaire ISOS. C'est l'un des deux seuls pour le canton de Genève.

 

2. Au début des années 1990, la commune - ayant acquis la ferme de Compesières, dite ferme Garin (ci-après : la ferme) et ses dépendances - a étudié l'aménagement du site de Compesières et son changement de zone en vue d'y construire notamment une nouvelle école.

 

Approchée sur ce projet, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS) du département des travaux publics et de l'énergie devenu depuis lors le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : le département) a émis, le 14 février 1996, un préavis approuvé en séance plénière, aux termes duquel elle pourrait admettre une solution d'utilisation, voire de démolition/reconstruction de la ferme existante, moyennant un certain nombre de cautèles relatives à la masse, au volume et au gabarit du bâtiment projeté. Fin 1996, la commune a lancé un concours d'architecture, dont le prix a été attribué, en mai 1997, au projet "Carrefour" de MM. François et Jean Bouvier (ci-après : les architectes).

 

3. Le 2 février 1998, les propriétaires ont déposé auprès du département une demande définitive d'autorisation de démolir la ferme (bâtiment 226) et les dépendances (bâtiments 225 et 424) se trouvant respectivement sur les parcelles 13'854 et 13'858, ainsi que trois autres bâtiments provisoires (clapier, boxes à voitures et pavillon scolaire provisoire). Cette demande a été enregistrée par le département sous no M 4570.

 

4. Le 7 février 2000, les propriétaires ont déposé auprès du département une demande définitive d'autorisation de construire une école et des locaux communaux sur les parcelles 1854, 1855 et 1858. Cette demande a été enregistrée par le département sous no DD 96'520.

 

5. Dans le cadre de l'instruction des deux demandes précitées, le département a recueilli des préavis favorables, notamment ceux du service de l'agriculture (M 4570, préavis du 24 février 1998; DD 96520, préavis des 7 mars 2000 et 23 janvier 2001) et du service de la nature et du paysage (M 4570, préavis du 5 mars 1998; DD 96520, préavis du 2 mars 2000).

 

6. La réalisation du projet primé a fait l'objet de discussions approfondies avec les services du département, notamment la CMNS. A la demande de celle-ci, le projet a été plusieurs fois modifié et finalement, la direction du patrimoine et des sites du département a déclaré n'avoir plus d'observations à formuler pour la délivrance de l'autorisation de construire, sous réserve de détails de réalisation (préavis du 3 octobre 2001).

 

7. L'enquête publique ouverte par le département le 21 février 2000, en raison d'une dérogation fondée sur l'article 26 LALAT, n'a soulevé aucune observation.

 

8. Par courrier du 9 mai 2000, la Société d'art public, section genevoise de la Ligue du patrimoine national "Heimatschutz" (SAP), a adressé des observations au département.

 

En substance et en résumé, le projet était incompatible avec le site de Compesières.

 

9. Par décision du 9 octobre 2001, publiée dans la Feuille d'avis officielle (FAO) du 12 octobre 2001, le département a accordé l'autorisation définitive de construire sollicitée.

 

10. Par décision du 14 novembre 2001, publiée dans la FAO du 19 novembre 2001, le département a délivré l'autorisation de démolir sollicitée.

 

11. Agissant pour elle-même ainsi qu'au nom du "Heimatschutz", la SAP a saisi la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) de deux recours, dirigés respectivement contre l'autorisation de construire (acte du 9 novembre 2001) et contre la décision de démolir (acte du 14 décembre 2001).

 

La SAP a noté l'absence de consultation de la commission fédérale des monuments et des sites, considérant que la procédure était de ce fait incomplète. Elle a relevé l'incompatibilité du projet avec le site, en remettant en cause notamment les options architecturales du projet.

 

Elle a conclu à l'annulation des deux autorisations querellées.

 

12. Après avoir invité la commune à se déterminer et entendu les parties, la commission a retourné le dossier au département afin que celui-ci sollicite le préavis de la CMNS relativement à l'autorisation de démolir.

 

La sous-commission monuments et antiquités (SCMA) de la CMNS s'est prononcée le 19 juin 2002. Après avoir entendu les explications de l'archéologue cantonal et celles du conservateur des monuments quant à l'analyse et à l'intérêt historique et architectural des objets concernés, la commission a demandé explicitement la conservation de la ferme (bâtiment 226) qui plongeait ses racines dans le médiéval tardif et auquel le recensement architectural effectué en 1979 avait attribué une valeur 5 (attente de jugement) mais dont la valeur et l'importance qu'il jouait dans un site d'importance nationale était révélé, aux termes de l'étude menée en 1995 par le "collectif d'architectes" en collaboration avec le service cantonal d'archéologie. Ces bâtiments avaient subi au cours des siècles des interventions ponctuelles liées aux transformations du monde rural mais qui n'avaient toutefois pas porté atteinte à son caractère d'origine. Quant à la grange/écurie, dont la construction actuelle remontait au premier tiers du XXème siècle, et qui avait reçu une valeur 5 lors du recensement architectural précité, la commission estimait qu'il pourrait entrer en matière avec une opération qui procéderait à la démolition de ce bâtiment, à l'exception toutefois du mur sud datant de l'époque du bâtiment 226 qui devait être conservé. La conservation du corps 226 devait être maintenue dans le programme d'affectation, au même titre que les autres objets d'intérêt caractéristique, soit la Commanderie, la grange aux dîmes, l'église ou encore l'école.

 

13. La commission a procédé à un transport sur place le 27 février 2003. Elle a constaté que la ferme était en très mauvais état et, l'intérieur, dans un état d'abandon. Les parties ont eu l'occasion de s'exprimer après transport sur place.

 

14. Statuant le 9 avril 2003, la commission a rejeté les recours.

 

La commission fédérale des monuments et des sites n'avait pas à être légalement consultée. La CMNS avait été largement associée à l'évolution du projet. Elle avait toujours admis l'implantation choisie en lieu et place de la ferme et ainsi la démolition du bâtiment en question devait être considérée comme acquise. Par conséquent, le préavis divergeant requis par la commission et délivré le 19 juin 2002 par la SCMA ne justifiait pas l'annulation des décisions prises.

 

Le bâtiment projeté ne lésait aucun intérêt prépondérant, ni du point de vue de la protection de la nature et des sites ni de celui de l'agriculture.

 

La construction de l'école était imposée par sa destination.

 

En fin de compte, la réalisation du projet permettrait l'assainissement d'un site d'importance nationale, actuellement dans un état pitoyable, alors même qu'il contenait un bâtiment classé monument historique.

 

15. Par acte du 12 mai 2003, la SAP a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée.

 

La commission n'avait pas la compétence de solliciter et de discuter le préavis de la CMNS dans le cadre de l'autorisation de démolir. Au surplus, elle avait fait preuve d'arbitraire en s'écartant de celui-ci.

 

La construction d'une école n'était pas imposée par sa destination et une dérogation à la zone agricole au sens de l'article 26 alinéa 2 LALAT ne se justifiait pas.

 

Elle a conclu à l'annulation de la décision de la commission ainsi qu'à celle des deux autorisations délivrées par le département, avec suite de dépens à charge de la commune.

 

16. Dans sa réponse du 15 juin 2003, la commune s'est opposée au recours.

 

Le préavis du 19 juin 2002 de la SCMA était choquant. Le maintien de la ferme ne se justifiait pas, eu égard à l'objectif d'utilité publique poursuivi par la commune. Les conditions de dérogation pour une construction en zone agricole au sens des article 24 LAT et 26 alinéa 2 LALAT étaient remplies. De surcroît, la construction était imposée par sa destination, une école étant déjà sur place d'une part et les lieux choisis se trouvant au centre du territoire de la commune, plus particulièrement à mi-chemin entre les villages de Bardonnex et de Croix-de-Rozon d'autre part. De plus, l'enquête publique n'avait soulevé aucune contestation.

 

17. Le département s'est déterminé le 16 juin 2003 et il a conclu au rejet du recours.

 

Dans le cadre de l'instruction des demandes, les préavis recueillis par le département étaient purement consultatifs. Les bâtiments objet des autorisations n'étaient ni classés ni inscrits à l'inventaire, de telle sorte que la protection particulière instituée par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin l976 (LPMNS - L 4 05) ne s'appliquait pas. En tout état, même si un préavis formel de la CMNS ne figurait pas au dossier de la demande d'autorisation de démolir, un tel préavis avait été rendu dans le cadre de l'instruction de la requête en autorisation de construire, les deux objets étant intimement liés, voire même indissociables. La commission, formée de spécialistes, s'était rendue sur place et avait constaté l'état de délabrement de l'ensemble. C'est donc sans arbitraire qu'elle avait écarté le préavis du 19 juin 2002 de la SCMA.

 

Le maintien des bâtiments était contraire au principe de proportionnalité, la nécessité d'une école primait.

 

La dérogation accordée remplissait les conditions légales et était justifiée. L'enquête publique n'avait d'ailleurs suscité aucune observation.

 

18. Le Tribunal administratif a invité la société à se déterminer.

 

Dans ses observations du 26 septembre 2003, celle-ci a déclaré appuyer le projet de la commune et se rallier à la position du département. La construction d'une école complémentaire à cet endroit était une nécessité. La ferme était dans un regrettable état d'abandon, préjudiciable à l'ensemble du site.

 

19. Le 30 octobre 2003, le tribunal s'est rendu sur place, toutes les parties étant présentes, y compris les représentants de la SCMA ainsi que le conservateur des monuments.

 

La juge déléguée a constaté que les bâtiments 225 et 226 formaient un tout. Le bâtiment 225 (grange/écurie) est en briques dans sa partie inférieure et en bardeaux dans sa partie supérieure. Il a été surélevé probablement dans les années 1940. Sur le mur sud, le dessin de l'ancienne silhouette du bâtiment médiéval apparaît clairement.

 

Le bâtiment 226 est une maison d'habitation en pierre, directement accolé à la grange. La façade nord porte la trace de l'ancien mas médiéval. Le bâtiment a été rehaussé, probablement également dans les années 1940. Cette façade comporte des fenêtres en accolade datant du XVIème siècle. L'intérieur du bâtiment est complètement délabré et partiellement cassé. Il porte la trace des interventions pratiquées au cours des années.

 

Les architectes ont précisé que l'implantation de la nouvelle école était pratiquement identique à celle de la ferme et de la grange/écurie, mais le bâtiment remplaçant cette dernière serait moins important et plus bas. La CMNS a relevé que les différentes modifications apportées à la ferme n'avaient pas porté atteinte à la structure même du bâtiment. Elle avait conscience de ce que ce bâtiment devrait trouver une affectation correspondant notamment aux besoins de la commune et c'est la raison pour laquelle elle demandait le maintien des structures porteuses et des ouvertures uniquement.

 

La commune a relevé que l'exploitation agricole avait été utilisée comme telle jusqu'en 1987. Elle avait acheté les différents bâtiments en 1992. Depuis lors, il n'y avait plus eu d'activités agricoles.

 

La juge déléguée a encore constaté la présence d'un petit bâtiment (424) accolé à la grange/écurie. Il s'agit de la salle de catéchisme dont la démolition est prévue dans le projet.

 

La SAP a déclaré être opposée à cette démolition. Elle a ajouté que eu égard au patrimoine bâti, elle pourrait rejoindre le préavis de la SCMA du 19 juin 2002.

 

20. Suite au transport sur place, les parties se sont déterminées une nouvelle fois.

 

a. Le 4 novembre 2003, la SAP a sollicité un complément d'instruction en ce sens que le dossier devait être soumis à la commission fédérale des monuments historiques.

 

b. Le 28 novembre 2003, le département a persisté dans ses précédentes explications et conclusions.

 

c. Le 3 décembre 2003, la commune s'est insurgée contre le préavis de la SCMA du 19 juin 2002 qui constituait une volte-face de la CMNS. Elle s'est opposée au complément d'instruction sollicité par la SAP, mesure purement dilatoire. Pour le surplus, elle a persisté dans ses précédentes explications et conclusions.

 

d. La société ne s'est pas déterminée.

 

21. Pour être complet, il convient d'ajouter que le 24 juin 2003, le conseil municipal de la commune a pris une résolution demandant au maire et aux adjoints de confirmer la volonté du conseil municipal de construire une école sur le site de Compesières en lieu et place de la ferme Garin, de dénoncer l'attitude et l'acharnement de la recourante face à un projet et aux besoins urgents de la commune, de relever les difficultés engendrées par la situation actuelle pour les enfants de la commune et des enseignants et de tenter d'accélérer la procédure de traitement de ce dossier d'intérêt général et urgent pour la commune.

 

Cette résolution a été portée à la connaissance du Tribunal administratif par courrier du 1er juillet 2003.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, la SAP a la qualité pour recourir, en application de l'article 63 LPMNS (ATA SAP contre A. du 15 septembre 1998 et les références citées). La qualité pour agir eu égard à l'article 145 alinéa 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) - dont la teneur est quasiment identique à celle de l'article 63 LPMNS - doit également lui être reconnue.

 

3. Il est constant que dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de démolir, le département n'a pas requis expressément le préavis de la CMNS. Cette lacune a été comblée par la commission. Quoi qu'en pense la recourante, ce mode de pratiquer est parfaitement légal. L'instruction devant la commission est celle de la maxime d'office (art. 19 LPA). Celle-ci est donc habilitée à ordonner tout acte d'instruction qu'elle juge utile pour trancher le litige. Ainsi, peut-elle solliciter l'apport de préavis supplémentaires.

 

4. a. De jurisprudence constante et récemment confirmée par le tribunal de céans (ATA G. et N.-L. du 20 janvier 2004), ce dernier observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci (ATA C.-M. du 15 octobre 1996 et les arrêts cités).

 

b. Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA SAP du 15 septembre 1998 et les jurisprudences citées). En revanche, le Tribunal administratif ne s'impose pas de réserves face à un préavis négatif de la CMNS lorsque ce dernier a été requis sans nécessité et que l'objet architectural litigieux n'est pas complexe (SJ 1995 p. 596).

 

c. Enfin, et toujours selon une jurisprudence constante, le Tribunal administratif, lorsqu'il est confronté à des préavis divergents, a d'autant moins de raisons de s'imposer une certaine restriction de son propre pouvoir d'examen qu'il a procédé à un transport sur place (ATA A.P.V. du 6 février 2001 et les réf. cit.).

 

5. La commission s'étant écartée du préavis du 19 juin 2002 de la SCMA, le tribunal dispose de son entière liberté d'appréciation.

 

a. En l'espèce, dans une position de principe émise le 12 mars 1996, en dehors de tout projet concret, la CMNS était d'avis qu'elle "pourrait admettre une solution d'utilisation, voire de démolition-reconstruction de la ferme existante. Toutefois, cette solution devrait être vérifiée en masse et en volume avec le programme complet demandé par les autorités, d'autant plus que la commission demandait que ce bâtiment retrouve ses gabarits initiaux, ceci afin de renforcer la verticalité de la Commanderie de Compesières". Il est constant que dans le cadre de l'instruction de l'autorisation de démolir, le département n'a pas soumis le dossier à la CMNS. Cette lacune a été réparée à juste titre par la commission comme on vient de le voir.

 

Cela étant, peut-on inférer, comme le fait cette dernière, que l'accord de la CMNS sur la question de la démolition était implicitement acquis ? Pour répondre à cette question, il convient de déterminer la valeur du préavis de la CMNS. Pour le département, il s'agit là d'un préavis comme les autres, soit purement consultatif. En particulier, l'article 9 LPMNS ne s'appliquerait pas à la présente espèce.

 

La thèse du département est pour le moins spécieuse. Certes, la ferme et ses dépendances ne sont ni classées ni portées à l'inventaire. En revanche, elles appartiennent au site de Compesières constitué de plusieurs bâtiments construits "sur un lieu remarquable, occupés très certainement depuis de nombreux siècles" (La ferme de Compesières, relevé critique, collectif d'architectes Bartassat/Brun/Butty et Menoud, décembre 1995). Selon ce document, les dépendances rurales du site datent pour les plus anciennes du XVIIème siècle au moins. Elles sont composées principalement d'un bâtiment principal de ferme et de constructions annexes : petites écuries, pressoir, porcherie et forge (op. cit. p. 5).

 

On trouve dans l'inventaire ISOS des suggestions particulières à observer, outre les objectifs généraux de la sauvegarde du site, en particulier la protection stricte des terrains agricoles environnants, assurant de toute part la vue sur les silhouettes de l'ensemble, ce qui requiert l'interdiction absolue de toute construction, même utilitaire.

 

Eu égard à l'importance nationale du site de Compesières, l'on ne saurait suivre l'avis du département lorsqu'il estime que l'un des objets le composant ne mérite pas la protection particulière de la LPMNS. A n'en pas douter, le site de Compesières répond à la définition qu'en donne l'article 35 alinéa 2 lettre b LPMNS et, à ce titre, il bénéficie de la protection générale instituée par ladite loi.

 

Ainsi, même si en l'espèce le préavis de la CMNS n'est pas imposé par la loi et qu'il a une valeur purement consultative, il faut lui reconnaître une importance certaine.

 

b. Il résulte du dossier que la CMNS a effectivement été largement consultée dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de construire et que l'évolution du projet primé a suivi les injonctions de celle-là. Dans son préavis du 27 juin 2000, la CMNS a rappelé : "Compesières est un site d'importance nationale et seule une intégration satisfaisante du bâtiment projeté peut justifier la démolition de l'ancien bâtiment rural". Et la CMNS de préciser : "En ce qui concerne les parties anciennes de la ferme, il est rappelé que quel que soit le projet autorisé, des investigations archéologiques devront être réalisées par les services compétents en coordination avec la direction des travaux".

 

A ce stade, et sauf à faire dire à la CMNS ce qu'elle ne dit pas, on ne saurait en conclure que la démolition de la ferme était acquise.

 

Le 9 avril 2001, le directeur du patrimoine et des sites a requis une ultime modification, "considérant que le projet en l'état [avait] atteint un stade ne permettant plus d'améliorations notables au niveau architectural, hormis certains choix en rapport avec les détails de construction et le choix des matériaux".

 

Or, le préavis discuté du 19 juin 2002 a été émis par la SCMA après que celle-ci eut entendu les explications de l'archéologue cantonal et celles du conservateur des monuments - soit celui-là même qui avait émis et signé le préavis du 9 avril 2001 précité - quant à l'analyse et à l'intérêt historique et architectural des objets concernés (la ferme et ses dépendances). Compte tenu desdites explications, la SCMA a demandé explicitement la conservation de la ferme et celle du mur sud de la grange/écurie. Ce préavis fait de plus expressément référence à l'étude du collectif d'architectes précité et à l'inventaire ISOS. Il est signé par le secrétaire de la CMNS.

 

Le Tribunal administratif pour sa part retiendra les éléments suivants :

 


- Il s'agit d'un préavis qui, en l'espèce, revêt une valeur essentielle;

 

- Contrairement à ce qu'allègue la commune, il est motivé historiquement et scientifiquement;

 

- Il est défavorable en tant qu'il s'oppose à la démolition totale ou partielle des bâtiments projetés;

 

- L'autorisation de démolir a été délivrée par le département sans consultation de la CMNS;

 

- Cette lacune est d'autant plus regrettable que le libellé du préavis du 27 juin 2000 de la CMNS établissait clairement que la démolition de la ferme en tous les cas n'était pas acquise.

 


c. A l'occasion du transport sur place, le tribunal a pu constater l'homogénéité dans les volumes de l'ensemble du site de Compesières, la silhouette particulière du site à laquelle la ferme notamment n'est pas étrangère. En effet, lorsqu'on arrive sur le site par le nord, l'imposante façade de la ferme constitue l'une des assises essentielles de l'ensemble. Contrairement à ce qu'a retenu l'autorité inférieure, l'état d'abandon de la ferme - aussi bien extérieur qu'intérieur - ne joue aucun rôle pour apprécier la valeur de l'ensemble, le bâtiment lui-même et sa toiture sont intacts. La façade de la ferme est ornée de baies avec encadrements en grès, chanfrein et accolade datant du XVIème, voire du XVIIème siècle. Quant au mur pignon sud de la grange/écurie, sa valeur historique ne saurait être ignorée. En effet, la partie ancienne formée par le mur en boulets dessine parfaitement le gabarit du bâtiment d'origine avec une toiture à deux pans. En revanche, le petit bâtiment qui lui est accolé et qui sert actuellement de salle de catéchisme n'a aucune valeur historique ni esthétique et son maintien ne se justifie pas. La SCMA ne le demande d'ailleurs pas.

 

d. C'est donc à tort que la commission a écarté purement et simplement ledit préavis et en cela le grief d'arbitraire soulevé par la recourante est fondé.

 

Sur la base du dossier en possession du tribunal, il apparaît que c'est à tort que l'autorisation de démolir a été délivrée. Elle sera donc annulée pour ce qui est de la démolition de la ferme et de la totalité du bâtiment grange/écurie. En revanche, elle peut être confirmée pour le bâtiment 424.

 

6. a. L'aménagement du territoire est régi par la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et ses dispositions cantonales d'application, notamment la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30). La LAT a subi diverses modifications qui sont entrées en vigueur le 1er septembre 2000 et sont applicables aux procédures en cours, en vertu de l'article 52 de l'ordonnance sur l'aménagement du territoire du 2 octobre 1989 (OAT - RS 700.1.), en tant qu'elles sont plus favorables au requérant.

 

b. La zone agricole est régie par les articles 16 et 16a LAT ainsi que par les articles 20 et 21 LALAT. Ces dispositions définissent notamment les constructions qui sont conformes à la zone, soit qu'elles sont nécessaires à l'exploitation agricole soit qu'elles servent au développement interne d'une activité conforme.

 

c. L'autorisation de construire ne peut être délivrée qu'à la condition que la construction soit conforme à la zone (art. 22 al. 2 lit. a LAT) ou qu'elle puisse bénéficier d'une dérogation.

 

d. Les conditions de dérogation pour des constructions hors de la zone à bâtir sont prévues par le droit fédéral (art. 24 à 24d LAT). Ces dispositions sont complétées ou reprises par les articles 26, 26A et 27, 27A, 27B, 27C et 27D LALAT.

 

e. Dans la mesure où les exceptions spéciales ne trouvent pas application, c'est l'article 24 LAT qui sera déterminant. La révision de 1999 n'a apporté aucune modification à ce propos et seules les constructions et installations dont l'implantation est imposée par leur destination peuvent être autorisées hors de la zone à bâtir si elles ne sont pas conformes à la zone dans laquelle elles se trouvent (F. MEYER-STAUFFER, "La zone agricole" in Journée du droit de la construction, 2001, p. 48).

 

f. En vertu de l'article 24 LAT, en dérogation à l'article 22 alinéa 2 lettre a LAT, des autorisations peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d'affectation si l'implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination (let. a) et si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (let. b). Ces conditions cumulatives sont reprises par l'article 27 LALAT.

 

7. Selon la jurisprudence en matière d'aménagement du territoire, les projets dont les dimensions ou les incidences sur la planification locale ou l'environnement sont importants, doivent être prévus dans les plans d'aménagement (cf. art. 2 al. 1, 6 ss, 14 ss LAT, une dérogation selon les articles 24 ss LAT n'entrant alors plus en considération. Il faut donc en principe délimiter, dans les plans d'affectation, les zones nécessaires à la réalisation de ces projets, qu'il s'agisse de zones à bâtir au sens de l'article 15 LAT ou d'autres zones selon l'article 18 alinéa 1 LAT (ATF 129 II 63 consid. 2.1 p. 65; 124 II 252 consid. 3 p. 255, 391 consid. 2a p. 393; 120 Ib 207 consid. 5 p. 212; 119 Ib 439 consid. 4a p. 440; 117 Ib 270 consid. 2 p. 278 et les arrêts cités). Les autorités ont ainsi une "obligation d'aménager le territoire" (cf. titre de l'article 2 LAT) en concrétisant dans les plans d'affectation, de manière contraignante pour chacun, les buts et principes de la loi fédérale (cf. notamment ATF 118 Ib 503 consid. 5b p. 506; P. TSCHANNEN, Commentaire LAT, Zurich 1999, art. 2 n. 32). La question de la nécessité d'adopter un plan d'affectation - si aucune zone existante ne se prête à la réalisation du projet litigieux - doit être examinée avant celle de l'application des articles 24 ss LAT, qui est par nature exceptionnelle (cf. ATF 117 Ib 270 consid. 2, 502 consid. 3; ATF B. du 28 mars 2003, cause 1A.205/2002).

 

8. Le projet des propriétaires est d'élever sur le site de Compesières un nouveau bâtiment abritant une école et divers locaux communaux. Apprécié globalement tel qu'il est décrit dans le dossier de la demande d'autorisation de construire, le projet apparaît relativement important. Le groupe scolaire et communal sur trois niveaux (sous-sol, rez-de-chaussée et premier étage) abritera six salles de classe, une salle des maîtres, une salle de rythmique et divers locaux administratifs liés à l'enseignement ainsi qu'une salle polyvalente, une salle de sociétés et divers locaux dévolus à l'administration communale. La réalisation du projet implique également des aménagements extérieurs, notamment un préau couvert et des surfaces d'enrobé perméable ou traditionnel.

 

On doit donc en conclure conformément à la jurisprudence rappelée plus haut, qu'une procédure préalable de planification est nécessaire pour sa réalisation. Cela a pour conséquence qu'une dérogation selon les articles 24 ss LAT n'entre pas en considération. A l'occasion de l'arrêt B. précité, le Tribunal fédéral a expressément rappelé que, saisie d'une demande d'autorisation exceptionnelle hors de la zone à bâtir, l'autorité doit en principe, en vertu du droit fédéral, examiner préalablement si les dimensions ou les incidences du projet excluent ou non l'application des articles 24 ss LAT.

 

Au vu de ce qui précède, c'est à tort que le département a délivré l'autorisation de construire sollicitée, sans examiner préalablement si une mesure de planification s'imposait en l'espèce.

 

Elle sera donc annulée.

 

9. Le Tribunal administratif renoncera à ordonner le complément d'instruction sollicité par la SAP. En effet, le projet ne concerne pas directement le bâtiment classé monument historique de la Commanderie et le renvoi à la commission fédérale des monuments historiques ne se justifie donc pas.

 

10. Le recours sera admis.

 

Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument. Une indemnité de procédure de CHF 3'500.- sera allouée à la SAP, à la charge conjointe et solidaire de la commune de Bardonnex, de la société catholique romaine de Saint-Sylvestre et du département (art. 87 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 12 mai 2003 par la la Société d'art public contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 9 avril 2003;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision de la commission de recours du 9 avril 2003;

 

annule l'autorisation de démolir, sauf en tant qu'elle concerne le bâtiment 424 (parcelle 13'858) (M 4570);

 

annule l'autorisation de construire (DD 96520);

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à la recourante une indemnité de procédure de CHF 3'500.-, à la charge, conjointe et solidaire, de la commune de Bardonnex, de la société catholique romaine de Saint-Sylvestre et du département;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi;

 

communique le présent arrêt à la Société d'art public, à la commission cantonale de recours en matière de constructions, au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, à Me François Bolsterli, avocat de la commune de Bardonnex, à la société catholique romaine de Saint-Sylvestre, et à l'office fédéral du développement territorial.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président:

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci