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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/354/2019

ATA/843/2019 du 30.04.2019 ( AMENAG ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; ZONE DE DÉVELOPPEMENT ; PLAN D'AFFECTATION SPÉCIAL ; PROTECTION DES MONUMENTS
Normes : Cst.29.al2; Cst.5.al3; Cst.9; LGZD.2; LGZD.3.al4; LGZD.5A.al1; LGZD.6.al1; LGZD.6.al3; LGZD.6.al9; LPMNS.4; LPMNS.10.al1; LPMNS.15.al1; LPMNS.43; LPMNS.46.al1; LPMNS.47.al1
Parties : ACTION PATRIMOINE VIVANT / CONSEIL D'ETAT, NOBLE EXERCICE DE L'ARC
Résumé : Au vu de l'ensemble des procédures menées par l'État dans le but de réaménager le quartier, mais également des frais déjà engagés par le propriétaire du bâtiment à démolir qui, sur la base des garanties reçues, soit en particulier l'entrée en force du PLQ, et dans le but de pouvoir assurer la continuité des activités de son association, a notamment racheté une nouvelle propriété en dehors de la ville, il apparaît que ni le principe de la bonne foi, ni celui de proportionnalité, ni aucun intérêt public en l'espèce prépondérant à celui de la densification, ne saurait justifier que l'État modifie les plans de réaménagement du quartier pour sauver la bâtisse, ce d'autant plus que le SMS, consulté lors de l'élaboration du PLQ, a rappelé, dans son préavis, que le maintien du bâtiment avait un sens si les bâtiments environnants étaient maintenus.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/354/2019-AMENAG ATA/843/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 avril 2019

 

dans la cause

 

ACTION PATRIMOINE VIVANT

contre

CONSEIL D'ÉTAT

et

LE NOBLE EXERCICE DE L'ARC, appelé en cause
représentée par Me Philippe Cottier, avocat



EN FAIT

1) En juin 2010, le département des constructions et des technologies de l'information (devenu depuis lors le département du territoire, ci-après : le DT ou le département) a élaboré le plan localisé de quartier n° 29475A-202 portant sur le quartier des Allières (ci-après : PLQ).

Il englobe les parcelles nos 824 à 826, 828, 832 à 841, 1'504, 1'505, 1'623 et 2'228, feuilles 24, 25 et 26 de la Ville de Genève (ci-après : la ville), secteur des Eaux-Vives. Ce secteur est délimité par la route de Chêne (au sud), par l'avenue Godefroy, l'avenue des Allières et l'avenue de Rosemont (au nord).

Ce plan prévoit la destruction d'un ensemble de villas et maisons de maître richement arboré sur lequel se dressent des arbres de grandes tailles et d'essences diverses. Quatre villas situées au sud-ouest faisant l'objet d'une mesure de protection du patrimoine sont maintenues. Sur le reste du périmètre est prévue la construction de quatre barres d'immeubles affectés à du logement : à l'ouest, deux immeubles de dix étages sur rez supérieur (bâtiment A et B), à l'est et au nord, deux immeubles de cinq étages sur rez-de-chaussée. Les parcelles concernées sont situées en cinquième zone (villas), développement 3.

La parcelle no 2'228 supporte un bâtiment cadastré sous no E162, également dénommé Hôtel du Noble Exercice de l'Arc ou Hôtel Richemond, (ci-après : bâtiment no E162) sis 43F, route de Chêne. Ce bâtiment est la propriété de l'association « le Noble Exercice de l'Arc » (ci-après: le propriétaire), plus ancienne société genevoise de tir à l'arc encore en activité.

C'est notamment sur la parcelle no 2'228, à l'endroit du bâtiment no E162, que le PLQ prévoit la construction d'un bâtiment de cinq étages sur
rez-de-chaussée. Selon le programme d'équipement intégré dans ce plan d'affectation, le bâtiment no E162 figurait au nombre des bâtiments dont la démolition est prévue.

L'Hôtel du Noble Exercice de l'Arc est indiqué comme « Monument et bâtiment exceptionnel et leurs abords » selon le plan de synthèse no 28376A-202 du recensement du patrimoine architectural et des sites du canton de Genève, portant sur la commune de Genève-Eaux-Vives, secteur Les Allières, préavisé par la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après: CMNS) le 25 juin 2002 et remplaçant le plan de synthèse no 28376-202 du 23 janvier 1991.

2) Par préavis du 13 décembre 2010, le service des monuments et des sites
(ci-après: SMS) a rendu un préavis défavorable au PLQ, aux motifs notamment que les bâtiments E155 et E161 avaient une valeur d'inscription à l'inventaire. L'ensemble des bâtiments, E156, E158 et E159 et le bâtiment E162 avaient pour leur part une valeur de classement.

3) Le projet a été mis à l'enquête publique pendant la période estivale, du 13 juillet au 15 août 2011.

4) La procédure d'opposition a été ouverte du 9 novembre au 10 décembre 2012.

Les propriétaires des villas et maisons de maître à détruire, favorables au projet, n'ont pas fait opposition.

En revanche, plusieurs voisins ont formé opposition par courrier du 10 décembre 2012, soulevant notamment comme griefs la destruction du patrimoine architectural et paysager de qualité au mépris du préavis négatif du SMS et la violation des règles sur la protection du patrimoine.

5) Par arrêté du 27 novembre 2013, le Conseil d'État a rejeté l'opposition formée par les voisins et ordonné l'exécution de l'arrêté nonobstant recours en limitant celle-ci à la poursuite administrative des demandes d'autorisation de construire, l'exécution de tous travaux tendant à la réalisation des ouvrages des bâtiments litigieux étant interdite jusqu'à droit connu.

6) Par arrêté du même jour, le Conseil d'État a adopté le PLQ litigieux.

7) Par acte du 13 janvier 2014, les voisins ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté en concluant à l'annulation des deux arrêtés précités du Conseil d'État du 27 novembre 2013. La procédure a été ouverte sous numéro A/92/2014.

8) Dans le cadre de celle-ci, les parties ont été conviées à un transport sur place le 2 juin 2014.

9) Par arrêt du 2 septembre 2014 (ATA/692/2014), la chambre administrative a rejeté le recours interjeté le 13 janvier 2014 contre le PLQ, considérant que le Conseil d'État ne s'était pas écarté sans motif prépondérant de l'avis du SMS, en faisant prévaloir l'intérêt public à la construction de logement sur l'intérêt à la protection d'un élément du patrimoine (consid. 6). Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un recours.

10) Le 19 février 2016, une requête en démolition du bâtiment no E162, enregistrée sous no M 7597/1 a été déposée par le mandataire du propriétaire.

11) Le même jour, ce dernier a déposé une requête en autorisation de construire no DD 108272/1, portant sur un projet de construction de quatre immeubles de logements sur la parcelle no 2'228.

12) Le 14 mars 2016, le SMS a rendu un préavis favorable à la démolition de l'immeuble E162 aux conditions qu'un reportage photographique extérieur et intérieur du bâtiment no E162 lui soit fourni et que l'autorisation de démolir soit subordonnée à l'acceptation de l'autorisation des travaux de remplacement par l'autorité compétente.

13) Le 2 novembre 2017, le département compétent a délivré les deux autorisations de démolir et de construire contre lesquelles n'a été interjeté aucun recours.

14) Par courrier daté du 10 novembre 2014, mais déposé le 24 novembre 2017, l'association de protection du patrimoine, Action Patrimoine Vivant (ci-après : APV) a saisi le Conseil d'État d'une demande de classement du bâtiment no E162.

15) Le 7 décembre 2017, Patrimoine Suisse Genève (ci-après: PSGe) a déposé auprès du Conseil d'État une demande identique, assortie d'une requête en mesures conservatoires.

16) Par décision du 21 décembre 2017, la conservatrice cantonale des monuments a fait interdiction à la propriétaire de mettre à exécution l'autorisation de démolir no M 7'597 aussi longtemps que le Conseil d'État n'aurait pas statué sur la demande de classement.

17) Le 15 février 2018, répondant au DT l'invitant à se déterminer sur les demandes de classement, la propriétaire a fait valoir leur irrecevabilité. Au fond, elle a conclu au caractère mal fondé de celles-ci.

Forte des précédentes décisions des autorités administratives, elle avait pris des engagements financiers très importants pour poursuivre ses activités dans un bâtiment situé en un autre lieu plus approprié.

18) Le 13 mars 2018, le SMS, accompagné d'une délégation de la CMNS, a procédé à une visite du bâtiment no E162.

19) Par préavis du 25 avril 2018, la CMNS, dans sa composition plénière, s'est prononcée favorablement au classement du bâtiment no E162.

20) Par préavis du 5 juin 2018, le conseil administratif de la ville s'est déclaré défavorable à une mesure de classement, au motif que le maintien du bâtiment nE162 entraînerait un préjudice important à la densification du secteur souhaitée par la ville.

21) Par arrêté du 12 décembre 2018, le Conseil d'État a rejeté les demandes de classement du bâtiment no E162 (Hôtel du Noble Exercice de l'Arc), situé sur la parcelle no 2'228, feuille no 26 du cadastre de la commune de Genève, section Eaux-Vives, formulées respectivement par APV et par PSGe.

Les autorisations de démolition du bâtiment no E162 et de construction de quatre immeubles de logement sur la parcelle no 2'228 avaient été délivrées et n'avaient fait l'objet d'aucun recours, de sorte qu'elles étaient en force. En cette période de pénurie de logements, il entendait, dans ce cas particulier, faire prévaloir l'intérêt public à la construction de logements. Il entendait également tenir compte des intérêts de la société propriétaire, celle-ci se fiant de bonne foi aux dispositions du PLQ no 29475A-202 en vigueur, ayant pris des engagements financiers importants pour poursuivre ses activités dans un bâtiment situé en un lieu plus approprié. Par conséquent, il s'écarterait du préavis favorable à la mesure de classement du bâtiment émis par la CMNS en considérant que l'intérêt à la sauvegarde dudit bâtiment devait s'effacer, dans le cas particulier, devant l'intérêt général attaché à la construction de logements répondant aux besoins de la population.

22) Par acte du 28 janvier 2019, APV a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre l'arrêté du Conseil d'État du 12 décembre 2018, concluant à son annulation, à l'octroi d'un délai supplémentaire afin de compléter son recours et à ce qu'un transport sur place soit ordonné.

a. Le Conseil d'État aurait dû exercer la haute surveillance en matière de protection du patrimoine, soit la prérogative qui lui est conférée par la loi, et initier lui-même la procédure de classement, sans qu'il soit nécessaire aux associations de protection du patrimoine ou à des tiers d'entreprendre des démarches de protection du patrimoine.

b. Le Conseil d'État et ses services avaient agi contrairement aux règles de la bonne foi lors de l'élaboration du projet de PLQ régissant le périmètre concerné, en omettant de signaler dans la légende de ce projet de PLQ, au moment des différentes enquêtes publiques prévues par la loi, que les bâtiments dont la démolition était envisagée, avaient valeur de classement. Une telle mention, à la lumière des exigences de transparence qu'il sied aux autorités de satisfaire, aurait à l'évidence pu attirer l'attention de tiers ou des milieux de la protection du patrimoine sur la nécessité de prendre des mesures. Ces milieux auraient ainsi pu agir en temps utile, en tentant de faire échec aux options d'urbanisme prévues par le projet de PLQ ou en proposant des alternatives aux options retenues.

c. Le Conseil d'État avait fait fi des rapports de visite successifs effectués par des spécialistes et des avis de personnes au fait des questions relatives à la protection du patrimoine, de même que des avis des instances cantonales et communales compétentes en cette matière et de la littérature spécialisées qui tous et sans réserve avaient confirmé l'importance du bâtiment no E162. Après avoir rendu un premier rapport en décembre 1991, la CMNS avait approuvé son recensement en 2002, confirmant la valeur de classement du bâtiment no E162, et avait rendu un préavis dans ce sens le 25 avril 2018. En faisant prévaloir la construction de logements sur la protection du patrimoine, le Conseil d'État avait abusé de son pouvoir d'appréciation.

23) Le 30 janvier 2019, le propriétaire du bâtiment no E162 a demandé à la chambre administrative de lui transmettre une copie du recours, étant directement touché par la remise en cause de l'arrêté attaqué.

24) Par décision du 5 février 2019, la chambre administrative a ordonné l'appel en cause du propriétaire en lui impartissant un délai au 6 mars 2019 pour présenter ses observations.

25) À cette date, le propriétaire a conclu au rejet du recours, de la demande de délai supplémentaire formée par APV pour compléter son recours, ainsi qu'à la demande de transport sur place. Les conclusions étaient prises sous suite de frais et dépens.

Considérant que le sort du bâtiment E162 était scellé par l'arrêt de la chambre administrative du 2 septembre 2014 (ATA/692/2014), il avait alors pris la décision d'adhérer au processus de densification de cette zone et de déplacer hors de la ville ses exercices de tir pour des raisons évidentes de sécurité.

Il avait également pris les dispositions nécessaires pour ne pas faire obstacle à la construction des trente-neuf logements prévus par le PLQ, dont cent lui avaient été attribués, sous forme de droits à bâtir. Il avait ainsi déposé au début de l'année 2016 une requête de démolition du bâtiment E162 et une demande d'autorisation de construire concrétisant les bâtiments C et D du PLQ. Pour ce faire, il avait consenti d'importants frais de mandataires, notamment d'architectes et de pilotage, s'élevant à CHF 3'195'168.- dont CHF 596'280.- à crédit. Il avait encore renoncé à renouveler les baux du bâtiment no E162 à démolir et procédé à la commercialisation des soixante-cinq lots de propriété par étage à construire, cinquante-deux ayant déjà trouvé acquéreur.

Il avait également procédé aux démarches nécessaires afin de trouver un nouveau siège social et avait acquis la maison Auriol à Choully, inscrite à l'inventaire depuis le 14 octobre 2005 et avait engagé de coûteux travaux estimés à CHF 1'500'000.- auxquels s'ajoutaient le coût d'acquisition de la parcelle pour un montant de CHF 5'300'000.-.

Le classement du bâtiment no E162 mènerait à la mort de la plus ancienne association du canton.

26) Dans ses observations du 6 mars 2019, le DT s'en est rapporté à justice quant à la recevabilité du recours et a conclu à son rejet.

27) Le 10 avril 2019, APV a persisté dans ses conclusions.

Le département s'était contenté de mentionner dans la légende du PLQ l'existence de certains des bâtiments dont la démolition était envisagée, sans faire état, pour ces derniers de leur caractère exceptionnel.

28) Le 11 avril 2019, la cause a été gardée à juger.

29) Les pièces produites seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit ci-après.

30) Le 25 avril 2019, la chambre administrative a reçu une écriture spontanée du conseil du propriétaire qui lui a été retournée.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d'être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu'elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 et les références citées).

Le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 134 I 140 consid. 5.3).

b. En l'occurrence, un transport sur place a eu lieu dans le cadre de la procédure A/92/2014 si bien qu'il n'apparaît pas nécessaire d'y procéder une nouvelle fois. De plus, les documents nécessaires, en particulier de nombreuses photographies des lieux, ainsi que des plans des nouvelles constructions, ont été versés à la procédure. Les parties ont en outre pu se déterminer à réitérées reprises par écrit sur les faits de la cause. La recourante a ainsi eu l'occasion de compléter ses écritures. La chambre administrative dispose d'un dossier complet lui permettant de se prononcer sur les griefs soulevés par la recourante en toute connaissance de cause.

Il ne sera dès lors pas donné suite à la requête de transport sur place.

3) Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale (Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7 ; ATA/728/2018 du 10 juillet 2018 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 203 n. 568 ; Jacques DUBEY / Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 254 n. 716 et 717 et p. 256 n. 726 ;). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8D_4/2017 du 26 avril 2018 consid. 5.5 ; 2C_382/2016 du 11 juillet 2017 consid. 7.2).

4) Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable (ATF 142 V 512 consid. 4.2 ; 141 I 49 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_897/2017 du 31 janvier 2018 consid. 2.1). De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 49 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_759/2017 du 16 mai 2018 consid. 6.1).

5) La délivrance d'autorisations de construire selon les normes d'une zone de développement est subordonnée, sous réserve des demandes portant sur des objets de peu d'importance ou provisoires, à l'approbation préalable par le Conseil d'État notamment d'un PLQ au sens de l'art. 3, assorti d'un règlement, sauf en cas de dérogation (art. 2 al. 1 let 1 et al. 2 de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 [LGZD - L 1 35]).

Aux termes de l'art. 3 al. 4 LGZD, les PLQ indiquent le cas échéant les bâtiments déclarés maintenus en raison de leur intérêt, l'art. 90 al. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) étant applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles, sous réserve de cas d'intérêts public (a), les remaniements parcellaires nécessaires à la réalisation du plan (b), les bâtiments dont la démolition est prévue et les arbres à abattre (c).

Le projet de PLQ est élaboré par le département de sa propre initiative ou sur demande du Conseil d'État ou d'une commune; il est mis au point par le département, en collaboration avec la commune, et la commission d'urbanisme et les particuliers intéressés à développer le périmètre, sur la base d'un avant-projet étudié par le département, la commune ou des particuliers intéressés à développer le périmètre dans le cadre d'un processus de concertation avec ces derniers, les habitants, propriétaires et voisins du quartier ainsi que les associations et la commune concernées (art. 5A al.1 LGZD).

Aux termes de l'art. 6 al.1 LGZD, le projet de PLQ est soumis à une enquête publique d'au moins trente jours annoncée par voie de publication dans la Feuille d'avis officielle (ci-après: FAO) et d'affichage dans la commune.

Pendant la durée de l'enquête publique, chacun peut prendre connaissance du projet à la mairie ou au département et adresser à ce dernier ses observations (art. 6 al. 3 LGZD).

Pendant un délai de trente jours à compter de la première publication du projet de PLQ dans la FAO et d'affichage dans la commune, toute personne, organisation ou autorité qui dispose de la qualité pour recourir contre le PLQ peut déclarer son opposition, par acte écrit et motivé, au Conseil d'État (art. 6 al. 9 LGZD).

6) Aux termes de l'art. 4 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), sont protégés conformément à la présente loi les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords (a), les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (b).

Pour assurer la protection d'un monument ou d'une antiquité au sens de l'art. 4, le Conseil d'État peut procéder à son classement par voie d'arrêté assorti, au besoin, d'un plan approprié (art. 10 al.1 LPMNS).

Selon l'art. 15 al. 1 LMPNS, un immeuble classé ne peut, sans l'autorisation du Conseil d'État, être démoli, faire l'objet de transformations importantes ou d'un changement dans sa destination.

7) Outre les attributions que lui confère la LPMNS, le Conseil d'État exerce la haute surveillance en matière de protection des monuments, de la nature et des sites (l'art. 43 LPMNS).

Le Conseil d'État nomme, au début de chaque législature, une commission cantonale des monuments, de la nature et des sites (art. 46 al. 1 LPMNS).

La CMNS est consultative. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort (art. 47 al.1 LPMNS).

8) Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de ces dernières. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/213/2018 du 6 mars 2018 ; ATA/1547/2017 du 28 novembre 2017 et les références citées).

Lorsque l'autorité s'écarte des préavis, la chambre de céans peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/451/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/814/2014 du 28 octobre 2014 et les références citées ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011).

Ce principe exige qu'une mesure restrictive doit être apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 et les arrêts cités ; 135 I 233 consid. 3.1).

9) a. Dans un premier grief, la recourante reproche au Conseil d'État de n'avoir pas initié la procédure de classement du bâtiment no E162 alors qu'il en avait l'obligation en tant qu'autorité en charge de la protection du patrimoine conformément à l'art. 43 LPMNS.

Or, si cette disposition précise que le Conseil d'État exerce la haute surveillance en matière de protection des monuments, de la nature et des sites, elle n'oblige pas ce dernier à initier une procédure de classement pour chaque bâtiment répertorié dans le plan du recensement du patrimoine architectural, étant encore précisé que ce dernier instrument n'est pas contraignant.

Ce grief sera par conséquent écarté.

b. Dans un second grief, la recourante reproche au Conseil d'État de ne pas avoir respecté le principe de la bonne foi en omettant de signaler dans la légende du PLQ et au cours de la procédure d'adoption de ce dernier que le bâtiment, dont la démolition était envisagée, avait valeur de classement.

Le Conseil d'État a respecté l'art. 3 al. 4 let. a à c LGZD en indiquant les bâtiments dont la démolition était prévue (let. c) et notamment le bâtiment no E162 objet du présent recours. Ce bâtiment n'étant pas classé, le Conseil d'État n'avait aucun motif de l'indiquer comme « déclaré maintenu » (let. a). Il ne pouvait préjuger de l'issue d'une procédure de classement quand bien même ce bâtiment était répertorié dans le plan du recensement du patrimoine architectural. Il ne saurait ainsi lui être reproché d'avoir agi contrairement au principe de la bonne foi. Le Conseil d'État n'a donné aucun renseignement erroné dans le cadre de l'adoption du PLQ. Il a respecté le principe de transparence, en y indiquant que le bâtiment no E162 était amené à être démoli, étant rappelé que le plan du recensement du patrimoine architectural est public et connu des milieux spécialisés.

Dans l'élaboration du PLQ, le Conseil d'État a ainsi respecté le principe de la bonne foi et de la transparence en ne cachant nullement la volonté de bâtir un nouvel immeuble à l'emplacement du bâtiment no E162. Ce grief sera également rejeté.

c. Dans un dernier grief, la recourante reproche au Conseil d'État un abus de son pouvoir d'appréciation.

Le Conseil d'État a tenu compte des avis des milieux spécialisés et n'a jamais nié ou remis en doute les qualités architecturales du bâtiment no E162, qui peut répondre aux critères justifiant un classement.

Toutefois, comme lors de l'adoption du PLQ, dans le traitement de la demande de classement, le Conseil d'État a fait usage de son pouvoir d'appréciation et a procédé à une pesée des intérêts en présence. Ce sont ici deux intérêts publics qui s'opposent, soit celui de la protection du patrimoine et celui de la construction de logements en période de pénurie. La chambre administrative, dans son arrêt ATA/692/2014 du 2 septembre 2014, a examiné la pesée des intérêts effectuée par le Conseil d'État, en présence d'un préavis défavorable d'une instance spécialisée, soit le SMS, lors de l'adoption du PLQ. La chambre de céans a conclu que l'autorité ne s'était pas écartée sans motif prépondérant de l'autorité consultative, et qu'en cette période de crise du logement, elle n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en faisant primer l'intérêt public à la construction de nouveaux logements sur celui de la protection du bâtiment no E162 notamment. Si, depuis, la CMNS a rendu son préavis et s'est prononcée en faveur d'un classement du bâtiment no E162, le Conseil d'État conserve son pouvoir d'appréciation et peut s'écarter des préavis en présence d'un motif prépondérant. Aucun motif ni élément nouveau ne justifie de s'écarter de la pesée des intérêts déjà effectuée dans le cadre du PLQ et confirmée par la chambre de céans, ce d'autant plus que le SMS a rendu le 14 mars 2016 un préavis favorable à la démolition de l'immeuble E162 aux conditions qu'un reportage photographique extérieur et intérieur du bâtiment lui soit fourni et que l'autorisation de démolir soit subordonnée à l'acceptation de l'autorisation des travaux de remplacement par l'autorité compétente.

Par conséquent, ce grief doit également être écarté.

d. Si le classement des bâtiments est souvent requis lors du dépôt d'une demande d'autorisation de construire et de démolir, dans le cas d'espèce, le projet de réaménagement du quartier et par conséquent de destruction de plusieurs bâtiments, était connu au moment de l'élaboration du PLQ. Des demandes de classement des villas dites « Florentine » sises sur le périmètre du PLQ ont d'ailleurs été déposées, ont abouti et ont été confirmées par la chambre administrative (ATA/643/2013 et ATA/644/2013). Une telle procédure n'a pas été demandée pour le bâtiment no E162.

Le PLQ portant sur le quartier des Allières a été élaboré au mois de juin 2010 et a été mis à l'enquête publique durant l'été 2011. La procédure d'opposition a été ouverte du 9 novembre au 10 décembre 2012 et plusieurs voisins ont alors formé opposition soulevant notamment comme griefs la destruction du patrimoine architectural et paysager de qualité et la violation des règles sur la protection du patrimoine. Aucune association de protection du patrimoine ne s'est alors manifestée. Ce n'est que le 10 novembre 2017, soit dans le délai légal pour contester les autorisations de construire (DD 10'8272/1) et de démolir (M 7'597/1), qu'APV a saisi une première fois le Conseil d'État d'une demande de classement.

Au vu de l'ensemble des procédures menées par l'État dans le but de réaménager le quartier des Allières, mais également des frais déjà engagés par le propriétaire du bâtiment no E162 à démolir qui, sur la base des garanties reçues, soit en particulier l'entrée en force du PLQ, et dans le but de pouvoir assurer la continuité des activités de son association, a notamment racheté une nouvelle propriété en dehors de la ville, il apparaît que ni le principe de la bonne foi, ni celui de proportionnalité, ni aucun intérêt public en l'espèce prépondérant à celui de la densification, ne saurait justifier que l'État modifie les plans de réaménagement du quartier pour sauver cette bâtisse, ce d'autant plus que le SMS, consulté lors de l'élaboration du PLQ, a rappelé, dans son préavis du 5 mai 2006, que le maintien du bâtiment no E162 avait un sens si les bâtiments environnants étaient maintenus.

Enfin, l'absence de protection du bâtiment no E162 ne remet pas en cause le principe de l'égalité de traitement, dès lors que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et après une juste pesée des intérêts en présence, l'État n'accorde pas automatiquement une protection à tous les biens immobiliers dignes d'intérêts situés sur le territoire genevois.

10) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. La recourante, qui succombe, sera astreinte au paiement d'un émolument de CHF 1'500.- (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de la recourante, sera allouée au propriétaire, qui y a conclu et qui a eu recours au service d'un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 janvier 2019 par Action Patrimoine Vivant contre l'arrêté du Conseil d'État du 12 décembre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d'Action Patrimoine Vivant un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à l'association « Le Noble Exercice de l'Arc » à la charge d'Action Patrimoine Vivant ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Action Patrimoine Vivant, au Conseil d'État, à Me Philippe Cottier, avocat de l'association « le Noble Exercice de l'Arc », appelée en cause, ainsi qu'à l'office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Junod, M. Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

K. De Lucia

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :