Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4266/2018

ATA/220/2019 du 05.03.2019 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4266/2018-PRISON ATA/220/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mars 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP DOLLON



EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1972, est en détention provisoire à la prison de Champ-Dollon depuis le 30 août 2018, pour lésions corporelles simples et menaces.

2. À la suite d’un « appel détenu » provenant le 29 septembre 2018 de sa cellule, des agents de détention s’y sont rendus.

À leur arrivée, M. A______ et son codétenu étaient très agités. Ce dernier a déclaré que M. A______ l’avait frappé d’un coup de poing au visage.

3. Dépêché sur les lieux, le sous-chef a ordonné le placement de M. A______ et de son codétenu en cellule forte. Ce dernier a montré au sous-chef des égratignures sur ses bras, indiquant qu’elles lui avaient été infligées par M. A______.

4. Les deux détenus ont été sanctionnés chacun de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu. La sanction a été notifiée à M. A______ le 29 septembre 2018, après que celui-ci se fut exprimé sur les faits reprochés.

5. Par courrier adressé au directeur de la prison le 28 octobre 2018, reçu par celui-ci le 1er novembre 2018, M. A______ s’est, notamment, plaint de la sanction. Son état de santé l’empêchait de se défendre et encore moins de se battre.

6. Interpellé par le directeur sur la question de savoir s’il souhaitait former recours, M. A______ lui a indiqué que tel était le cas. Il demandait également un entretien avec le directeur, car il estimait que ses quatre-vingt-six jours d’incarcération étaient « hallucinants ». Il lui était impossible de s’en référer à un chef d’unité, celui-ci lui répondant qu’il n’en avait « rien à foutre ».

Le directeur a ainsi transmis, le 4 décembre 2018, les deux courriers de M. A______ à la chambre administrative de la Cour de justice comme objet de sa compétence.

7. Invité à se déterminer sur le recours, la direction de la prison a conclu au rejet de celui-ci.

Elle a relevé qu’il n’existait pas d’images de vidéosurveillance. Par ailleurs, elle s’en rapportait à justice s’agissant de la recevabilité du recours, précisant ne l’avoir reçu que le 1er novembre 2018. Il ressortait du rapport du sous-chef que, lorsqu’il était entré dans la cellule occupée par M. A______, celui-ci et son codétenu étaient très agités et que ce dernier avait indiqué avoir reçu un coup de poing au visage. Il avait montré au sous-chef des griffures sur son bras. Le service médical avait été avisé. Il n’y avait aucun doute que M. A______ s’était montré violent physiquement à l’encontre de son codétenu. Ce dernier avait indiqué avoir reçu un coup de poing et avoir été griffé par M. A______. Contrairement à ce que celui-ci indiquait, son état de santé ne l’empêchait pas de se défendre ni de se battre. Le comportement violent justifiait pleinement la sanction infligée, qui était proportionnée au manquement commis.

Selon les indications figurant dans le dossier de M. A______ auprès de l’établissement pénitentiaire, celui-ci est en bonne santé.

8. M. A______ ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

9. Par courrier du 7 février 2019, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile et transmis, à juste titre, par la direction de la prison à la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 - RRIP - F 1 50.04).

2. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1104/2018 du 16 octobre 2018 consid. 2).

En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/1104/2018 précité ; ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

3. Est litigieuse la sanction de trois jours de cellule forte.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP
(art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public
(ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

g. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de trois jours de cellule forte d’un détenu à la suite de la découverte d’un rasoir modifié en arme lors de la fouille complète d’une cellule (ATA/264/2017 du 7 mars 2017 (consid. 5). Ont également été jugées proportionnées des sanctions de cinq jours de cellule forte pour la détention d’un téléphone portable pour un détenu qui avait des antécédents disciplinaires (ATA/183/2013 du 19 mars 2013) et des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

h. En l’espèce, le rapport établi le jour de l’incident expose qu’à l’arrivée des agents de détention dans la cellule du recourant, ce dernier et son codétenu étaient très agités. Le codétenu s’était plaint de ce qu’il avait reçu un coup de poing de la part du recourant au visage ; il avait montré ses griffures au bras aux agents, qui avaient avisé le service médical.

Le recourant fait valoir que son état de santé ne lui permettrait pas de pouvoir se défendre et encore moins de se battre. Or, selon le dossier ouvert par la prison concernant le recourant, celui-ci ne souffre d’aucun problème de santé ; au contraire, son état de santé est qualifié de bon. Le recourant ne spécifie d’ailleurs pas de quels problèmes de santé il souffrirait. Au vu de cet élément et compte tenu de la jurisprudence portant sur la valeur probante des constatations figurant dans un rapport établi par des agents assermentés, la chambre administrative retiendra que ceux-ci ont constaté que les deux détenus étaient agités et que le codétenu, qui s’est plaint d’avoir été frappé, présentait des griffures au bras.

Il n’est pas besoin de déterminer qui porte la responsabilité de l’altercation qui a opposé les codétenus ni si la violence physique reprochée en particulier au recourant a consisté en des griffures ou en un coup de poing. En effet, toute forme de violence physique sur un détenu contrevient aux obligations d’adopter une attitude correcte à l’égard des autres personnes incarcérées et de ne pas troubler l’ordre et la tranquillité de la prison, étant relevé que le recourant ne soutient pas qu’il aurait agi en légitime défense.

L’exercice de violence physique sur un codétenu peut être qualifié d’un manquement grave. La direction de la prison n’a ainsi ni abusé ni excédé son pouvoir d’appréciation, ni violé le principe de la proportionnalité, en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour trois jours.

Le recours sera donc rejeté.

4. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Il n’y a pas non plus lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 décembre 2018 par Monsieur A______ contre la décision de la direction de la prison de Champ-Dollon du 29 septembre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la direction de la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :