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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4375/2009

ATA/144/2010 du 02.03.2010 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4375/2009-FORMA ATA/144/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 2 mars 2010

2ème section

dans la cause

 

 

Monsieur T______

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE

et

FACULTÉ DES SCIENCES éCONOMIQUES ET SOCIALES

 



EN FAIT

1. Monsieur T______ de nationalité belge est célibataire et père de quatre enfants, les deux derniers étant issus de la même mère. Lors de son départ de Belgique en 2008, ceux-ci sont restés auprès de leur mère.

2. L’intéressé était titulaire d’un Master en sciences politiques obtenu en juin 2008 à l’Université libre de Bruxelles.

3. M. T______ s’est immatriculé à l’Université de Genève (ci-après : l’université) au semestre d’hiver 2008 pour suivre les cours de maîtrise universitaire en management public (ci-après : la maîtrise) au sein de la faculté des sciences économiques et sociales (ci-après : la faculté). Il était ainsi soumis au règlement d’études de la Maîtrise universitaire 2008-2009 (ci-après : le règlement) de cette faculté.

4. Pour financer ses études et subvenir aux besoins de sa famille, M. T______ a exercé diverses activités professionnelles, soit dès le mois de novembre 2008 au sein de la chaîne de restaurant Y______ puis en tant qu’agent de sécurité dans l’entreprise X______, principalement la nuit. A l’issue de la session de mai-juin 2009, il a fait l’objet d’une décision d’élimination de la maîtrise en raison d’une moyenne pondérée insuffisante du fait qu’il totalisait six notes sur sept inférieures à 4, dont quatre inférieures à 3 (art. 20 al. 1 let. a).

Il a toutefois bénéficié de la clémence du doyen et a pu se présenter à la session suivante.

5. A l’issue de cette session extraordinaire d’août-septembre 2009, et comme cela résulte du relevé de notation daté du 11 septembre 2009, l’intéressé avait obtenu la note de 2,5 pour l’examen « Techniques d’aide à la décision » et celle de 1,5 pour l’examen de « Légistique suisse et européenne », deux matières obligatoires.

En raison de ces deux derniers résultats, son exclusion de la faculté a été prononcée le 11 septembre 2009 par référence à l’art. 20 al. 1 let. e du règlement. Son élimination de la faculté a été prononcée.

6. L’étudiant a fait opposition le 3 octobre 2009 en exposant sa situation personnelle, assimilable à un cas de force majeure. Il était séparé de la mère de ses enfants depuis 2007. Les deux plus jeunes étaient nés en 2002 et 2006. Son ex-compagne s’était trouvée dans une situation de profonde détresse et pour éviter que ses enfants ne soient placés, M. T______ avait dû les faire venir à Genève le 10 juillet 2009. Depuis cette date, il cohabitait tous trois dans son studio. Il ne disposait pas des moyens financiers lui permettant de prendre « une nounou ». De plus, il travaillait souvent de nuit. Cette situation avait rendu extrêmement difficile la préparation de sa session d’examens des mois d’août et septembre 2009. A compter du 14 septembre 2009, il avait trouvé une place dans une crèche pour le cadet et depuis la rentrée scolaire 2009, l’aîné fréquentait l’école primaire. Néanmoins, sa motivation était grande de terminer cette maîtrise, raison pour laquelle il sollicitait la levée de la décision d’exclusion et l’autorisation de se représenter aux deux examens précités.

7. Par décision du 3 novembre 2009, le doyen de la faculté a rejeté l’opposition. L’intéressé avait déjà été éliminé de la maîtrise à l’issue de la session de mai-juin 2009 mais avait bénéficié de sa clémence (sic). Les échecs aux deux examens de la session d’août-septembre 2009 entraînaient l’élimination de la faculté en application des articles 18 al. 5 et 20 al. 1 let. e du règlement. Les circonstances particulières alléguées par cet étudiant n’avaient rien d’exceptionnelles puisque, selon une jurisprudence constante, le fait de travailler parallèlement aux études ne constituait pas une telle situation. Il en était de même de la garde d’enfants mineurs, plusieurs étudiants ou étudiantes étant parents seuls et poursuivaient néanmoins des études régulières alors qu’ils étaient dans une situation comparable. Au regard du principe d’égalité de traitement, la décision d’exclusion ne pouvait être levée. Cette décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

8. Par acte déposé le 7 décembre 2009, M. T______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée en sollicitant préalablement la restitution de l’effet suspensif et l’octroi de l’assistance juridique. Il a conclu principalement à l’annulation de la décision attaquée et à la levée de la décision d’exclusion. L’autorité intimée devait être invitée à le réintégrer dans le programme de maîtrise.

9. Invitée à se déterminer sur effet suspensif, l’université s’y est opposée le 11 janvier 2010.

10. Par décision du 15 janvier 2010, le vice-président du Tribunal administratif a rejeté la demande de mesures provisionnelles, les conclusions préalables prises par le recourant se confondant avec celles qu’il prenait sur le fond.

11. Le 5 janvier 2010, la division administrative et sociale des étudiants (ci-après : DASE) a informé l’intéressé qu’il était dispensé du paiement des taxes universitaires à titre exceptionnel.

Aussi le juge délégué a-t-il écrit le 21 janvier 2010 au recourant pour l’informer qu’il n’avait pas à s’acquitter de l’avance de frais qui lui avait été réclamée.

12. Le 29 janvier 2010, l’université a répondu que suite à une malencontreuse erreur due à un « bug » informatique (sic), le recourant avait été exclu de la faculté, alors qu’à teneur du règlement, il aurait dû être éliminé de la maîtrise, ce qui lui laissait la possibilité de changer de cursus d’études. La faculté priait le tribunal de céans d’inviter le recourant à se déterminer sur le maintien de son recours. Si le recours était maintenu, elle ne modifierait pas sa position sur le fond.

13. Le 15 février 2010, M. T______ s’est indigné de l’erreur dont il était victime et que personne n’avait décelée jusqu’ici. A cause de celle-ci, il n’avait pas pu s’inscrire à l’Université de Lausanne ni saisir la chance qui lui était offerte d’effectuer un stage auprès de l’Organisation des Nations Unies. Malgré les difficultés qu’il avait rencontrées et celles liées à la garde de ses enfants, qui étaient depuis totalement résolues, il avait obtenu des bonnes notes aux examens du semestre d’automne 2009. S’il obtenait gain de cause, il n’aurait plus qu’à repasser les deux examens précités. Pour l’examen de légistique, il avait participé au contrôle des connaissances avec un groupe de travail. Ce volet devait compter pour un quart des points de cet examen. Il devrait ensuite suivre deux cours permettant d’obtenir trois crédits.

L’erreur commise par la faculté lui causait un énorme préjudice et il serait choquant de lui en faire subir les conséquences en confirmant la décision litigieuse. En ne tenant pas compte de sa situation personnelle lors de la présentation des examens, la décision entreprise violait le droit.

14. Le 25 février 2010, le doyen de la faculté a écrit spontanément au juge délégué en s’indignant du fait que le recourant avait passé outre aux décisions de l’Université et s’était présenté à des examens postérieurement à celles-ci.

Cette lettre a été transmise au recourant pour information.

15. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2009, suite à une modification de l'art. 62 de l'ancienne loi sur l'Université du 26 mai 1973 (aLU) qui a supprimé la commission de recours de l'université (ci-après : CRUNI), le Tribunal administratif est seul compétent pour connaître des décisions sur opposition rendues par une faculté de l’université ou un institut universitaire (art. 56A al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 43 al. 2 de la loi sur l'Université - LU - C 1 30 ; art. 36 al. 1 du règlement relatif à la procédure d'opposition au sein de l'Université de Genève du 16 mars 2009 - RIO-UNIGE ; ATA/499/2009 du 6 octobre 2009 ; ATA/106/2009 du 3 mars 2009).

Dirigé contre la décision sur opposition du 3 novembre 2009 et interjeté dans le délai légal de trente jours (art. 36 RIO-UNIGE et 63 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) auprès de l’autorité compétente, le recours est recevable à cet égard.

2. Le 17 mars 2009 est entrée en vigueur la LU, qui a abrogé l’aLU, ainsi que le règlement sur l'Université du 7 septembre 1988 (aRaLU - C 1 30.06). Selon l'art. 46 LU, jusqu'à l'entrée en vigueur du statut de l'université (ci-après : le statut), toutes les dispositions d'exécution nécessaires sont édictées par le rectorat dans un règlement transitoire provisoire (RTP) subordonné à l'approbation du Conseil d'Etat. Ce règlement transitoire est entré en vigueur en même temps que la LU.

Les faits à l'origine de la décision sur opposition de l'université du 3 novembre 2009 s'étant produits après le 17 mars 2009, la LU et le RTP sont applicables en l'espèce (ATA/86/2010 du 9 février 2010).

3. Le recourant est soumis au règlement de la maîtrise 2008-2009. A teneur de l’art. 20 ch. 1 let. e, qui renvoie à l’art. 18 al. 5 dudit règlement, subit un échec définitif et est exclu du programme de maîtrise universitaire auquel il est inscrit, l’étudiant qui enregistre un échec définitif lors de la session extraordinaire (let. e).

A l’issue de la session extraordinaire d’août-septembre 2009, le recourant avait obtenu des notes inférieures à 3 dans les deux branches obligatoires précitées et il se trouvait donc dans une situation où il devait être exclu non pas de la faculté mais du programme de la maîtrise.

4. Au moment du prononcé d’une décision d’élimination, le doyen doit tenir compte des situations exceptionnelles (art. 33 al. 4 RTP). Par analogie, cette disposition s’applique en cas d’exclusion. Selon une jurisprudence constante, une situation peut être qualifiée d’exceptionnelle lorsqu’elle est particulièrement grave et difficile pour l’étudiant (ATA/449/2009 du 15 septembre 2009). Lorsque de telles circonstances sont retenues, la situation ne revêt un caractère exceptionnel que si les effet perturbateurs ont été dûment prouvés par le recourant. Cette jurisprudence est conforme au principe de l’instruction d’office (ACOM/41/2005 du 9 juin 2005 consid. 7c). Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d’un large pouvoir d’appréciation, dont seul l’abus doit être censuré (ACOM/1/2005 du 11 janvier 2005 ; ACOM/102/2004 du 12 octobre 2004 et les réf. citées).

La jurisprudence développée par l’ancienne autorité de recours, à savoir la CRUNI, demeure applicable. Selon cette dernière, ne saurait être qualifié d’exceptionnel le fait de devoir faire face à des problèmes financiers et familiaux pas plus que le fait d’exercer une activité lucrative en sus de ses études (ACOM/90/2007 du 5 novembre 2007).

5. En l’espèce, le fait pour le recourant d’exercer une activité professionnelle parallèlement à ses études, même en travaillant de nuit, ne saurait constituer une telle circonstance exceptionnelle. En revanche, le fait de devoir accueillir, au cours de l’été 2009 et peu avant le début d’une session extraordinaire d’examens se déroulant en août et septembre 2009, deux de ses enfants et en devant cohabiter avec eux dans un studio d’une part, et chercher d’autre part des solutions soit pour les scolariser soit pour trouver une place dans une crèche aurait pu et dû être considéré comme constituant une telle circonstance exceptionnelle en raison de la simultanéité de ces événements.

Ces éléments ne peuvent avoir été à l’origine de la « clémence » dont le doyen dit avoir fait preuve en mai 2009 à l’égard du recourant, puisque la venue à Genève des deux enfants de l’intéressé est postérieure.

6. De plus, il est fâcheux que la décision attaquée ait consacré une erreur contenue dans le procès-verbal d’examens du 11 septembre 2009 prononçant l’exclusion de la faculté en lieu et place de l’exclusion du programme de maîtrise alors même que la référence à la disposition réglementaire était exacte. Suggérer - comme le fait l’intimée - au recourant d’entreprendre une autre maîtrise alors qu’il a commencé le programme de maîtrise en management public en automne 2008 serait par trop pénalisant.

7. En conséquence, le recours sera admis. Un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de l’Université de Genève (art. 10 a contrario du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 décembre 2009 par Monsieur T______ contre la décision sur opposition du 3 novembre 2009 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision sur opposition du 3 novembre 2009 et celle d’exclusion de la faculté prise le 11 septembre 2009 ;

met à la charge de l’Université de Genève un émolument de CHF 400.- ;

dit que, conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt  et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur T______, à l'Université de Genève, ainsi qu’à la faculté des sciences économiques et sociales.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :