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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1857/2024

JTAPI/572/2024 du 12.06.2024 ( MC ) , REJETE

Descripteurs : INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);PROPORTIONNALITÉ
Normes : LEI.74; CP.139.ch1; LStup.19; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1857/2024 MC

JTAPI/572/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Elisabeth BERNARD, avocate, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 2001, originaire de Tunisie, est démuni de documents d'identité.

2.            A teneur du rapport d'interpellation du 1er juin 2024, sur réquisition de la CECAL, une patrouille de police est intervenue dans le commerce MANOR, sis place de Cornavin 6, à Genève, pour un vol à l'étalage. Sur place, ce dernier s'est identifié auprès de la police comme étant le soi-disant B______.

Il ressort des images de vidéosurveillance du commerce précité, visionnées par les policiers, que l'intéressé s'est rendu au rayon des sacs, y a dérobé un sac à dos, puis est sorti du magasin, côté rue de Coutance. Selon les déclarations de l'agent de sécurité, consignées dans le rapport, ce dernier a interpellé l'intéressé après que celui-ci avait passé les portiques de sécurité du commerce. L'intéressé était en outre en possession, dans les poches de son pantalon, d'un parfum de marque ACQUA DI GIO et d'un étui pour cartes de crédit, propriétés du magasin. MANOR AG NORDMANN & CIE a déposé plainte pénale pour ce vol d'un montant total de CHF 407.90. Les marchandises, non endommagées, ont été restituées au magasin. Au moment de son arrestation, le soi-disant B______ était en outre en possession, dans son pantalon, d'une barrette de résine de cannabis d'un poids total d'environ 106 gr bruts. Questionné oralement, l'intéressé a admis les faits lui étant reprochés.

Le soi-disant B______ s'étant identifié auprès du commerce MANOR comme étant le dénommé A______ et cette identité correspondant, après vérification, à celle du titulaire du raccordement du téléphone portable de marque OPPO dont l'intéressé était en possession au moment de son arrestation, le rapport de renseignements a été rédigé en retenant cette identité.

3.            Entendu par la police en qualité de prévenu le 1er juin 2024, M. A______ a contesté avoir commis ce vol. Il avait effectivement pris un sac, un parfum et un portefeuille. Il avait cherché la caisse. Il avait ensuite été attrapé et fouillé. On l'avait conduit dans un local et forcé à signer des papiers. Il voulait simplement regarder les prix et voir si c'était moins cher qu'au pays. Il n'avait pas d'argent, mais il aurait appelé au pays pour qu'on lui envoie la somme dont il avait besoin. Il n'était pas sorti du magasin.

La résine de cannabis était en partie destinée à sa consommation personnelle. Ils avaient fait un achat groupé avec cinq amis. Chacun avait payé CHF 50.- soit CHF 250.- au total pour 20 gr chacun. C'était un ami qui avait acheté la résine de cannabis devant MANOR. Il la lui avait ensuite remise pour qu'ils la partagent plus tard. Il ne souhaitait pas donner plus d'information au sujet de ses amis. Il ne connaissait pas le vendeur. Il consommait du cannabis depuis deux ans, à raison de 20 gr par mois. S'agissant de sa situation personnelle, il a déclaré être arrivé en Suisse au mois de juin 2023, en provenance d'Autriche, dans le but d'y trouver une vie meilleure. Sa famille résidait en Lybie. Il était démuni de moyens financiers et dépendait de l'aide d'associations caritatives comme le "C______" ou le "D______" pour subvenir à ses besoins. Il travaillait parfois au noir au E______. Il avait une copine à Genève, laquelle était enceinte de lui.

4.            Par ordonnance pénale du Ministère public du canton de Genève du 2 juin 2024, M. A______ a été condamné à une peine privative de liberté de quatre mois, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, ainsi qu'à une amende de CHF 100.-, renonciation à révoquer le sursis accordé le 9 mai 2024 par le Ministère public du canton de Genève (peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 10.-, sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de trois ans) et prolongation du délai d'épreuve d'un an, pour vol (art 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI – RS 142.20), exercice d'une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. c LEI), délit et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (art. 19 al. 1 let. d et 19a ch. 1 LStup – RS 812.121).

5.            Le 2 juin 2024 à 12h10, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au Canton de Genève) pour une durée de douze mois.

6.            M. A______ a immédiatement formé opposition contre cette décision devant le commissaire de police.

7.            M. A______ a été dûment convoqué à l'audience du 10 juin 2024 devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

8.            Lors de cette audience, M. A______ a confirmé ses premières déclarations à la police. Il avait formé opposition à l'ordonnance pénale du 2 juin 2024 puisqu'il n'avait rien volé. Il n'était pas sorti de MANOR. L'agent de ce magasin lui avait dit qu'il avait l'interdiction d'y pénétrer à l'avenir. Il fumait de la résine de cannabis. Il avait un casier judiciaire vierge.

Il était en Suisse depuis un an. Il travaillait aux E______ et F______, parfois également comme transporteur. Il ne travaillait pas au noir, il faisait de la marchandise, sur appel. Il habitait à Genève chez sa copine dénommée G______. Elle avait un nom de famille italien, mais il ne savait pas lequel. Elle était suisse et italienne. Elle avait un permis. Il ne connaissait pas leur adresse aux H______. G______ travaillait en qualité de vendeuse dans un centre commercial. Elle lui donnait de l'argent lorsqu'il n'en avait pas. Ils étaient en couple depuis neuf mois. Elle attendait leur enfant. Elle était au début de sa grossesse. Ils avaient des projets de mariage.

Sa famille se trouvait en Lybie et en Tunisie, où il avait grandi et suivi des formations de coiffeur, menuisier et dans l'aluminium. Il n'avait pas de famille en France. Il n'avait pas de titre de séjour en Suisse ou dans un autre Etat européen. Il savait qu'il n'avait pas le droit d'être en Suisse. Il n'avait jamais eu de passeport. Il n'avait pas déposé de demande d'asile en Suisse, car il savait que l'asile n'était pas accordé aux ressortissants tunisiens. Il aimait Genève et souhaitait y rester. Il ne voulait pas laisser sa copine G______. Il souhaitait trouver un travail légal.

M. A______, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu principalement à l'annulation de l'interdiction de pénétrer dans l'ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois et subsidiairement à la réduction de la durée de cette interdiction à six mois, ainsi qu'à sa limitation géographique au seul périmètre de I______.

9.            La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de l'interdiction pour une durée de douze mois.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

Cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

Ainsi, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2 ; 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité).

Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

1.             En l'espèce, M. A______ n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement (art. 34 LEI), ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.

Il a été condamné à deux reprises les 9 mai 2024 et 2 juin 2024 pour diverses infractions, en particulier, pour délit et consommation contre la loi fédérale sur les stupéfiants et vol au sens de l'art. 139 ch. 1 CP, soit un crime (art. 10 al. 2 CP) ; même si cette seconde condamnation n'est pas définitive puisque frappée d'opposition, il n'en demeure pas moins que M. A______ a reconnu avoir été en possession de 106 gr bruts de résine de cannabis et être un consommateur de drogue régulier depuis deux ans. S'agissant du vol, bien que contesté, force est de constater qu'il existe des soupçons suffisants de la commission de cette infraction eu égard aux circonstances de l'interpellation de M. A______, aux images de vidéosurveillance et aux marchandises saisies en sa possession. Les explications de l'intéressé sur le fait qu'il n'aurait pas eu l'intention de voler ces marchandises, mais uniquement d'en connaître le prix, apparaissent par ailleurs dénuées de toute crédibilité dès lors qu'il a été appréhendé après sa sortie du magasin.

Par ailleurs, à teneur des éléments figurant au dossier et des propres déclarations de M. A______, ce dernier n'a jamais bénéficié d'une source de revenu licite à Genève. Déjà condamné pour séjour illégal le 9 mai 2024, il a en outre persisté à séjourner en Suisse alors qu'il savait qu'il n'avait aucune autorisation pour ce faire. Il ressort enfin de ses déclarations, tant à la police qu'en audience, qu'il n'entend pas quitter le territoire helvétique, car il aime Genève et veut y rester.

Aussi, il n'apparaît pas déraisonnable de penser que, d'une manière ou d'une autre, le vol et le trafic de stupéfiants avaient pour but de l'aider à subvenir à ses besoins, peut-être pour se procurer la résine de cannabis qu'il consomme depuis son arrivée en Suisse il y a un an et qu'il pourrait, en conséquence, à l'avenir, être amené à récidiver dès lors qu'il est dépourvu de tout moyen de subsistance légal.

En conséquence, les éléments qui précédent permettent de retenir un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, même en l'absence d'une condamnation en force pour vol et trafic de stupéfiants. Les conditions de l'art. 74 LEI sont donc réalisées et le principe d'une interdiction territoriale fondé.

2.             Le principe de la mesure étant fondé, reste à examiner le respect du principe de la proportionnalité dans le choix de la durée, soit douze mois et du périmètre, soit l’entier du canton.

3.             La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.- RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.71 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 et les références citées).

4.             L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020 consid. 5); vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a déjà confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une personne sans antécédent, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019).

La chambre administrative a confirmé une mesure prise pour douze mois en raison du vol de deux parfums, pour un montant total de CHF 330.80, au préjudice de la COOP, ce comportement étant constitutif d’un crime (art. 10 al. 2 CP), relevant qu'en poursuivant un séjour illégal en Suisse et en s’en prenant au patrimoine d’autrui, le recourant était une menace pour la sécurité et l’ordre publics et rappelant qu'une durée inférieure à six mois n'était guère efficace (ATA/1319/2023 du 8 décembre 2023).

Elle a encore confirmé une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois dans le cas d’une personne possédant un titre de séjour en Italie, qui n’avait ni attaches ni aucun titre de séjour en Suisse. Il avait certes, indiqué, avoir des amis à Vernier, mais avait refusé de donner leur nom et leur adresse. Son allégation relative à l'existence desdites amitiés paraissait ainsi peu crédible. Il semblait d'ailleurs davantage avoir utilisé sa présence à Genève pour trouver des moyens de subvenir illégalement à ses besoins en s'adonnant au trafic de drogues. Le recourant n'avait jamais vécu ni à Genève ni en Suisse et n'y avait aucune attache familiale. Il était sans domicile et sans ressources. Aucun élément ne nécessitait ainsi sa présence à Genève. Dans ces circonstances, son intérêt privé à pouvoir venir à Genève dans les douze mois suivants cédait le pas à l'intérêt public à le tenir éloigné du canton pendant cette durée. Par conséquent, le fait d'avoir étendu la mesure d'interdiction à l'ensemble du territoire du canton de Genève n'était pas disproportionné, ni d'avoir fixé à douze mois la durée de cette mesure, étant rappelé sur ce dernier point la jurisprudence stricte du Tribunal fédéral (ATA/806/2019 du 18 avril 2019).

Elle a confirmé une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de six mois dans le cas d’une personne possédant un titre de séjour en Italie, qui n’avait ni attaches ni aucun titre de séjour en Suisse, condamné pour trafic de stupéfiants, condamnation qui n'était toutefois pas définitive, pour avoir fourni de la marijuana à un individu contre la somme de CHF 30.-. Le recourant n'avait jamais bénéficié d'une source de revenu licite à Genève. La vente de cannabis et une consommation quotidienne de cette drogue depuis deux ou trois ans permettaient de retenir un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, même en l'absence de toute condamnation en force en lien avec le trafic de drogue. La durée de six mois de la mesure était conforme à la jurisprudence. Le fait que la mesure s'étendait à l'entier du territoire cantonal ne posait pas non plus de problème de proportionnalité dès lors qu'il résultait du dossier que le recourant n'avait aucune attache avec le canton – même le nom de l'ami chez qui il séjournait étant inconnu – et qu'il était censé demeurer en Italie (ATA/1003/2023).

Elle a admis le caractère disproportionné d’une interdiction de territoire privant un recourant d’accès au domicile de son amie, chez laquelle il était effectivement domicilié et avec laquelle des démarches en vue du mariage étaient effectivement en cours (dépôt d’une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage ; ATA/668/2020 du 13 juillet 2020).

De même, elle a jugé contraire au droit l’interdiction de tout le canton de Genève notifiée à un recourant qui avait entamé des démarches auprès de l’Office cantonal de la population et des migrations pour l’obtention d’un titre de séjour en vue de mariage et auprès de l’état civil pour reconnaître sa fille, et dont la réalité de la relation n’avait pas été mise en cause par le TAPI (ATA/1171/2019 du 22 juillet 2019).

5.             Les fiancés ou les concubins ne sont, sous réserve de circonstances particulières, pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH. Ainsi, l'étranger fiancé à une personne ayant le droit de s'établir en Suisse ne peut, en principe, pas prétendre à une autorisation de séjour, à moins que le couple n'entretienne depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues et qu'il n'existe des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent, comme par exemple la publication des bans du mariage (ATF 137 I 351 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; 2C_206/2010 du 23 août 2010 consid. 2.1 et 2.3 et les références citées).

6.             La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Ce principe n’est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/99/2014 du 18 février 2014).

7.             En l'espèce, M. A______ ne peut se prévaloir d’aucun motif pour expliquer sa présence sur le territoire genevois. Il allègue résider aux H______ avec son amie intime G______, laquelle serait enceinte de lui. Or, force est de constater que sa situation personnelle n'est aucunement établie, l'intéressé s’étant limité à indiquer le prénom de son amie, sans avoir été en mesure de donner son nom de famille. Questionné sur leur adresse aux H______, il a été dans l'incapacité de l'indiquer au tribunal, élément pourtant pertinent pour la délimitation du périmètre. Il n’a fourni aucune preuve concrète de leur relation. A le suivre, la dénommée G______ serait tantôt suissesse, tantôt italienne, au bénéfice d'un permis. Elle travaillerait en qualité de vendeuse, dans un centre commercial, sans autre détail. De même, aucun renseignement n’est fourni sur la grossesse alléguée. Selon les déclarations de l'intéressé en audience, le couple a pour projet de se marier. Questionné sur les démarches entreprises à cette fin et le motif qui le priverait de la possibilité de déposer une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage depuis la France voisine, par exemple, M. A______ n'a pas su répondre à la question. Il ne prétend, pour le reste, pas qu’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires, étant rappelé qu'il a été condamné le 2 juin 2024 pour exercice d'une activité lucrative sans autorisation. L’existence de ses amis à Genève n’est qu’alléguée. Le fait que l'intéressé se sente bien à Genève et souhaite y résider ne saurait justifier sa présence dans le canton.

Aussi, l’interdiction territoriale prononcée n'apparaît pas violer le droit à la vie privée de l'intéressé et le fait que cette interdiction soit étendue à l’ensemble du canton apparaît proportionnée.

Quant à la durée de la mesure, elle respecte également le principe de proportionnalité. Contrairement à ce que soutient l'intéressé, les circonstances du cas d'espèce justifient une appréciation différente de celle retenue par la chambre administrative dans l'ATA/1003/2023. En effet, l’intéressé a été condamné à deux reprises, les 9 mai 2024 et 2 juin 2024, soit dans un laps de temps court. A cela s'ajoute que l'activité délictuelle de l'intéressé semble aller crescendo dès lors qu'il a été condamné la deuxième fois, non seulement pour avoir persisté à séjourner en Suisse, malgré une première condamnation, mais également pour vol, exercice d'une activité lucrative sans autorisation, délit et consommation de stupéfiants. Enfin, à teneur de ses propres déclarations, l'intéressé, qui n'a pas de titre de séjour en Suisse, y travaille illégalement et consomme de la résine de cannabis depuis son arrivée, n'a aucune intention de quitter le territoire genevois.

Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans l'ensemble du canton de Genève prise à l'encontre de M. A______ pour une durée de douze mois.

8.             Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

9.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 2 juin 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 2 juin 2024 pour une durée de douze mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 2 juin 2024 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de douze mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ


Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière