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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2582/2022

JTAPI/264/2023 du 09.03.2023 ( DOMPU ) , ADMIS

ADMIS par ATA/888/2023

Descripteurs : DOMAINE PUBLIC;PROPORTIONNALITÉ;ESTHÉTIQUE;AUTORITÉ COMMUNALE;LÉGALITÉ;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LPR.7; LPR.8; RPR.18; LPR.28
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2582/2022 DOMPU

JTAPI/264/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 mars 2023

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me Nicolas CANDAUX et Me Yannick FERNANDEZ, avocats, avec élection de domicile

 

contre

VILLE DE GENÈVE

 


EN FAIT

1.             A______ exploite B______, situé sur la parcelle 1______ de la commune de Genève/ Petit-Saconnex, à l'adresse C______, en zone 3.

Il fait partie d'un ensemble au sens des art. 89 ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), soit de l'ensemble MS-e 2______ composé des immeubles de la D______.

2.             Par formulaire du 15 février 2022, A______ a sollicité auprès de la Ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle son service de l'espace public (ci-après : SEP), la régularisation des divers procédés de réclame figurant sur le lambrequin, les bandeaux de tentes et les stores en corbeille des façades de B______.

3.             Par préavis du 7 mars 2022, l'instance SMS, soit pour elle l'office du patrimoine et du site (ci-après : OPS), a sollicité une demande de projet modifié, étant « défavorable à tous les procédés sur les bandeaux de store ainsi que sur les tentes à corbeilles au rez-de-chaussée. Cependant, il est favorable aux procédés sur le lambrequin accroché à la marquise ». Il a demandé, en cas de remplacement des tentes à corbeilles, d'installer des stores à projection droits en tant que les tentes à corbeilles n'étaient pas admises.

4.             Par décision du 15 juin 2022, la ville, se référant à ce préavis, a refusé le maintien de tous les procédés de réclame imprimés sur les bandeaux de stores ainsi que ceux imprimés sur les stores à corbeilles au rez-de-chaussée et a ordonné la dépose de ces procédés de réclame d'ici au 29 juillet 2022. Il était par ailleurs précisé que lors d'un prochain remplacement des tentes à corbeilles, il serait demandé d'installer des stores à projection droits.

5.             Par acte du 15 juin 2022, A______ a, sous la plume de ses conseils, formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Le bâtiment accueillant B______ était situé en dehors de tout périmètre de protection au sens strict du terme, à proximité de la zone industrielle et artisanale de Sécheron qui accueillait le Campus Biotech et en face d'un immeuble d'habitation moderne surélevé, à proximité de E______. Il ne s'insérait dans aucun contexte patrimonial particulier.

Le SMS s'était ici déclaré défavorable à tous les procédés sur les bandeaux de store ainsi que sur les tentes à corbeilles au rez-de-chaussée. S'agissant des bandeaux de store, les photographies produites à l'appui du recours montraient que les inscriptions répondaient aux directives émises par la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) et par l'OPS, dans la mesure où celles-ci se trouvaient être de tailles petites et portées sur les lambrequins des tentes. Par ailleurs, les tentes en question étaient des stores à projection droits, comme ceux préconisés dans les "Fiche de bonnes pratiques sur les bâtiments protégés ou situés dans des zones protégées". Malgré cela, l'autorité intimée, suivant en cela l'avis du SMS, avait considéré que les procédés imprimés sur les bandeaux de stores devaient être déposés sans expliquer, sous l'angle des critères de l'art. 8 al. 1 de la loi sur les procédés de réclame du 9 juin 2000 (LPR - F 3 20), les éléments problématiques.

S'agissant des tentes à corbeille, les photographies produites à l'appui du recours montraient qu'elles s'intégraient parfaitement aux caractéristiques de l'immeuble. De très petites tailles et de forme rectangulaire, les stores litigieux tenaient compte de la taille des stores à projection droits sur les étages supérieurs et des différentes saillies de l'immeuble à l'intérieur desquelles elles s'inséraient. Les inscriptions répondaient également aux directives émises par la CMNS et par l'OPS, dans la mesure où celles-ci étaient de petites tailles et portées sur les lambrequins des tentes. Sous l'angle des critères de l'art. 8 LPR, les éléments problématiques ne ressortaient ni de la décision attaquée ni du préavis du SMS.

Fondée sur une position de principe, la décision attaquée ne tenait pas compte des circonstances concrètes du cas d'espèce, en particulier que l'immeuble en question n'était pas situé dans un secteur protégé. Les procédés litigieux ne portaient par ailleurs pas atteinte aux autres immeubles faisant partie du même ensemble. Enfin si la pratique du la CMNS et l'OPS semblait pouvoir se justifier pour les hôtels et palaces situés dans le périmètre de protection de la loi sur la protection générale des rives du lac, dans le but d'éviter des disparités entre les procédés de réclame sur tentes et de garantir une homogénéité sur le front de la Rade, une telle approche pour B______ n'était pas souhaitable. Le refus d'autorisation était contraire au droit. Du fait de son absence de motivation, la décision consacrait également une violation tirée du droit d'être entendu des parties.

L'ordre de déposer les procédés de réclame étant fondé sur un refus d'autorisation contraire à la LPR, cet ordre apparaissait ainsi également contraire au droit.

6.             Dans sa réponse du 12 octobre 2022, la ville a conclu au rejet du recours.

Dans le courant du premier semestre 2021, le directeur de B______ avait approché le SEP en sollicitant des renseignements au sujet de l'installation d'une terrasse extérieure, dans le contexte de l'activité de restauration proposée par l'établissement hôtelier en question. Le gestionnaire assermenté du domaine public en charge su secteur où était implanté l'hôtel avait délivré tous les renseignements utiles et répondu que dans la mesure où il s'agissait d'un remplacement à l'identique, une procédure d'autorisation n'était pas nécessaire. Lors d'un rendez-vous subséquent le 7 février 2022, Le gestionnaire avait, certes, constaté le remplacement des toiles mais avait découvert également l'apposition systématique d'une inscription « B______ » sur le bandeau de chacune d'elles, y compris celles de chacun des étages de l'édifice, ainsi que d'autres inscriptions sur les stores en corbeilles « RESTAURANT » et « F______ », ce qui avait conduit au dépôt par la recourante du formulaire de demande d'autorisation le 15 février suivant. Le gestionnaire en charge du dossier avait, ainsi que la LPR l'y enjoignait, sollicité de l'OPS le préavis légalement requis.

La décision querellée faisait siens les termes du préavis du SMS. Le SEP connaissant « l'opposition de principe de l'OPS, pour lui l'instance SMS ou la CMNS, aux procédés de réclame aux étages, ainsi que son opposition systématique à leur excessive redondance », le SEP avait décidé de souscrire aux préavis de l'instance SMS dans le cadre de sa décision, sous peine de potentielle inégalité de traitement.

7.             Par réplique du 7 décembre 2022, la recourante a relevé l'absence d'appréciation de l'autorité intimée. La formulation de la loi démontrait que la commune, autorité décisionnelle, disposait d'un pouvoir d'appréciation et jouissait de la faculté de s'écarter du préavis de l'OPS qui n'avait qu'un caractère consultatif. L'autorité intimée aurait dû tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce et constater que les procédés de réclame ne nuisaient pas à l'esthétique ou à la tranquillité d'un site selon les critères de l'art. 8 al. 1 LPR.

8.             Dans sa duplique du 13 décembre 2022, la ville a en substance persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre des décisions de la ville prises notamment en application de la LPR (art. 115, 116 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 38 LPR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours dirigé contre les décisions de la ville du 18 septembre 2020 est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - GE - E 5 10).

3.             A titre préalable, la recourante sollicite un transport sur place afin d'apprécier si, comme l'avait considéré le SMS, les procédés de réclame litigieux nuisaient effectivement à l'esthétique ou à la tranquillité du site selon les critères de l'art. 8 al. 1 LPR.

4.             Il sera relevé qu'il n'existe pas un droit à l'accomplissement d'une inspection locale (cf. not. ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012) et celle-ci ne fournirait ici pas d'informations pertinentes supplémentaires, le dossier contenant déjà les éléments utiles, tels qu'ils ressortent des écritures des parties, des pièces produites et des outils disponibles sur Internet, permettant au tribunal de statuer en toute connaissance de cause sur le litige.

Cette demande d'instruction sera dont écartée.

5.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

6.             La recourante invoque un défaut de motivation de la décision querellée et, partant une violation de son droit d'être entendue.

7.             Garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références).

Il implique notamment, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision. Selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver n'impose pas à cette dernière d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1). Il suffit, au regard de ce droit, qu'elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que les intéressés puissent se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1). La portée de l'obligation de motiver dépend des circonstances concrètes, telles que la nature de la procédure, la complexité des questions de fait ou de droit, ainsi que la gravité de l'atteinte portée à la situation juridique des parties. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. En outre, la motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 IV consid. 3.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités ; 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1). En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1).

8.             En l’espèce, bien que succincte, la décision querellée mentionne les bases légales applicables, la voie de recours utile et elle se fonde sur le préavis rendu par le SMS dans ce dossier. Par ailleurs, la recourante en a très bien saisi le sens et la portée, ce qui lui a permis d'exercer son droit de recours en temps utile et en faisant valoir ses arguments les faits pertinents sur lesquels elle se fonde.

Il sera au demeurant rappelé qu'un défaut de motivation peut être réparé par la prise de position de l'autorité intimée, suite à un recours, si l'administré se voit offrir la possibilité de s'exprimer à son sujet et que l'autorité de recours peut examiner librement les questions de fait et de droit (ATF 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_272/2010 du 16 mars 2011 consid. 2.6.2), ce qui a été le cas en l'occurrence où la recourante a eu l'occasion se déterminer sur les explications plus détaillées de la ville contenues dans sa réponse.

9.             Le grief d'ordre formel dont se prévaut la recourante, sans conséquence, sera dès lors écarté.

10.         L'utilisation de procédés de réclame est spécifiquement régie par la LPR, afin d'assurer la sécurité routière, la protection des sites et l'esthétique des lieux, ainsi que l'ordre public (art. 1 LPR).

11.         La LPR vise à instaurer une législation uniforme applicable à tous les procédés de réclame, qu'ils soient situés sur fonds public ou privé, et à octroyer aux communes la compétence de délivrer les autorisations quel que soit le lieu de situation de ceux-là (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1999/VI, pp. 4908 et 4909). Après sa promulgation, cette loi a été soumise à un contrôle abstrait par le Tribunal fédéral suite à la contestation de certaines de ses dispositions. À cette occasion, le régime de contrôle des procédés de réclame placés tant sur le domaine public que sur le domaine privé visibles depuis le domaine public, instauré par les art. 2, 3 al. 1, 4 et 24 al. 1 LPR, a été considéré comme conforme au droit fédéral, notamment à la garantie de la propriété protégée par l'art. 26 Cst. et à la liberté économique, garantie par l'art. 27 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2P.207/2000 du 28 mars 2002 ; ATA/473/2011 du 26 juillet 2011). Il importe toutefois que les décisions prises en application de cette législation respectent le principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), lequel se compose des règles d’aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

12.         Les procédés de réclame sont tous les moyens graphiques, plastiques, éclairés, lumineux, sonores, olfactifs et autres, perceptibles depuis le domaine public, dans un but direct ou indirect de publicité, de promotion d'activités culturelles ou sportives, de prévention ou d'éducation (art. 2 LPR).

Sont soumis aux dispositions de la LPR et à ses dispositions d'application tous les procédés de réclame, perceptibles depuis le domaine public, qu'ils soient situés sur le domaine public ou privé (art. 3 al. 1 LPR).

L'apposition, l'installation ou la modification d'un procédé de réclame est soumise à l'octroi préalable d'une autorisation, délivrée par la commune du lieu de situation du procédé de réclame (art. 4 et 5 LPR). L'autorité compétente peut assortir l'autorisation de conditions et de charges (art. 11 LPR).

13.         A teneur de l'art. 7 al. 1 let. b LPR, l'OPS doit être consulté préalablement pour les procédés de réclame apposés sur ou à proximité des immeubles situés dans les zones protégées et à protéger mentionnées aux art. 28 et 29 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) au nombre desquelles figurent, selon l'art. 29 al. 1 let. d LaLAT, les ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle, selon les articles 89 à 93 LCI.

Si, malgré un préavis défavorable, la commune approuve la demande d'autorisation, elle notifie sa décision au département du territoire, qui a qualité pour recourir (art. 7 al. 2 LPR).

Demeurent réservées les prescriptions particulières en matière de procédés de réclame figurant dans les plans de site et leurs règlements ou dans les règlements spéciaux édictés en application de l’article 10 de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril 1988 (art. 7 al. 3 LPR).

14.         Au terme de l'art. 8 LPR, sont interdits tous les procédés de réclame qui, par leur emplacement, leur dimension, leur forme, leur couleur, leur éclairage, leur luminosité ou leur diffusion, nuisent à l'esthétique ou à la tranquillité d'un site, d'un point de vue, d'un bâtiment, d'un quartier, d'une voie publique, d'une localité, d'un lac, d'un élément de végétation ou d'un cours d'eau, ou qui peuvent porter atteinte à la sécurité routière ou à l'ordre public (al. 1). Les procédés de réclame sur les façades borgnes des bâtiments sont en principe interdits (al. 2). L'autorité compétente tient compte dans sa décision des différents intérêts en présence (al. 3).

De façon générale, la surface totale des procédés de réclame sur un immeuble doit être convenablement proportionnée aux dimensions de celui-ci et respecter le caractère des lieux (art. 8 al. 1 du règlement d'application de la loi sur les procédés de réclame - RPR - F 3 20.01).

Le procédé de réclame sur une tente doit être imprimé sur la tente elle-même ou sur ses accessoires (art. 18 RPR).

15.         En collaboration avec l'OPS, la CMNS a élaboré cinq fiches de bonnes pratiques, dont l'une concerne les procédés de réclame, mettant en lumière les procédés couramment appliqués sur les projets qui leur sont soumis. Ces guides ont été réalisés pour sensibiliser et faciliter la compréhension du public, particulièrement les propriétaires et leurs mandataires, aux enjeux liés au patrimoine (cf. https://www.ge.ch/renover-restaurer-conserver-batiment-protege/fiches-bonnes-pratiques-matiere-protection-du-patrimoine). Cette fiche (« fiche de bonnes pratiques sur les bâtiments protégés ou situés dans des zones protégées » ; ci-après : fiche PDR) date du 26 novembre 2018 et a été publiée le 13 septembre 2019 (https://www.ge.ch/document/fiche-bonnes-pratiques-procedes-reclame).

16.         De jurisprudence constante, les directives, que l'administration peut adopter afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales en explicitant l'interprétation qu'elle leur donne, sont des ordonnances administratives dont les destinataires sont ceux qui sont chargés de l'exécution d'une tâche publique et non pas les administrés. Elles ne sont pas publiées dans le recueil officiel de la collectivité publique et ne peuvent donc pas avoir pour objet la situation juridique de tiers. Elles n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce. Elles ne lient pas le juge, mais celui-ci les prendra en considération, surtout si elles concernent des questions d'ordre technique ; il s'en écartera cependant s'il considère que l'interprétation qu'elles donnent n'est pas conforme à la loi ou à des principes généraux. Par ailleurs, une directive ne peut pas sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elle est censée concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elle ne peut prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; 140 V 343 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_522/2012 du 28 décembre 2012 consid. 2.3 ; 9C_477/2011 du 13 juillet 2012 consid. 4.1.3 ; ATA/41/2019 du 15 janvier 2019).

17.         A teneur de la fiche PDR, l'appréciation portée par l'OPS sur les procédés de réclame peut varier selon l'emplacement des commerces et des entreprises dans la ville, voire selon leur emplacement à l'intérieur d'une zone protégée, et selon le style d'architecture sur lequel le procédé est appliqué. Elle est plus restrictive dans les sites les plus protégés, tels que la Vieille-Ville et le secteur sud des anciennes fortifications, le Vieux Carouge ou le périmètre du plan de site de la rade, où une grande harmonie est exigée. Elle admet la créativité et l'innovation, mais dans les limites du respect de l'architecture sur laquelle les procédés de réclame s'appliquent et du site dans lequel ils doivent s'intégrer. De manière générale, une grande attention doit être portée à la transparence des vitrines, à la lisibilité de l'architecture et à l'esthétique des façades. Un soin particulier doit également être accordé aux couleurs, en évitant les contrastes choquants (p. 5).

Lorsque les bâtiments concernés composent un ensemble, des exigences spécifiques de régularité et d'harmonie sont nécessaires pour éviter, précisément, de ruiner l'effet d'ensemble. D'une manière générale, il faut éviter la surcharge, la profusion et les répétitions, en limitant en principe la signalisation sur un bâtiment, pour un même commerce ou une même entreprise, à un seul procédé par façade. L'OPS s'efforce de conduire les requérants vers des solutions propres à ramener un certain ordre, là où des désordres par trop flagrants sont apparus, tels, par exemple : le cumul de types de signalisation ; la disparition des lignes architecturales des façades (composition, modénature, etc.) sous des éléments trop invasifs (panneaux, toiles de tentes, enseignes trop volumineuses ou trop voyantes) ; l'opacification partielle des vitrines par des éléments autocollants disposés sur les verres, des dispositifs d'obscurcissement et des panneaux pleins placés à l'intérieur des vitrines ; l'obstruction des impostes vitrées des vitrines, ; l'accrochage mal venu d'une enseigne dans un élément du décor sculpté d'un montant de porte ou d'un pilastre ; l'association, par des habillages publicitaires, des encadrements de vitrines en pierre ou en bois à la vitrine elle-même en serrurerie et verre (p. 5).

Sur les toiles de tente (art. 18 RPR), dans le cas où les tentes reçoivent des inscriptions, celles-ci seront de taille relativement petite et seulement portées sur les lambrequins (bordures à festons) sans envahir toute la toile (p. 7). L’OPS recommande d’adapter la longueur de la tente à celle de la vitrine et l’application de tentes travée par travée en évitant des tentes qui courent sur plusieurs vitrines et dérobent l’architecture à la vue. Les tentes ne doivent pas déborder des embrasures des vitrines ni s’ancrer dans les parties sculptées de l’architecture. Le RDR définit la dimension de la projection des toiles de tentes (leur empiètement sur l’espace public). L’OPS encourage aussi la conservation des anciens mécanismes d’enroulement quand ils subsistent. L’OPS privilégie pour les tentes une gamme de tons sobres ainsi que la forme de tentes à projection droite. Il n’est pas favorable aux tentes en corbeille ni aux tentes perpendiculaires aux marquises, exception faite, par exemple, quand ces dernières protègent du soleil des denrées périssables (boucheries, chocolateries, etc.) (p. 13).

18.         De façon générale, selon une jurisprudence bien établie, lorsque la consultation d'une instance de préavis est imposée par la loi, son préavis a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours et il convient de ne pas le minimiser (cf. ATA/1633/2019 du 5 novembre 2019 consid. 6b ; ATA/1275/2018 du 27 novembre 2018 consid. 11 ; ATA/416/2015 du 5 mai 2015 consid. 7b). Chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des entités ayant formulé un préavis dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, pour autant que l'autorité inférieure ait suivi l'avis de celles-ci. Elle se limite à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3e ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4d ; ATA/875/2018 du 28 août 2018 consid. 5b).

19.         En l'espèce, la décision de refus querellée se fonde uniquement sur le préavis de l'instance SMS. Or s'il n'est pas contesté que la consultation de l'OPS, soit pour lui du SMS, était ici imposée par la loi, ledit préavis n'est nullement motivé, se contentant d'indiquer être défavorable à tous les procédés sur les bandeaux de store ainsi que sur les tentes à corbeilles au rez-de-chaussée, sans fournir aucune explication quant à la raison pour laquelle il s'y oppose. Il sera par ailleurs relevé que ni la LPR ni le RPR ne contient la moindre mention à ce sujet. S'agissant des notions contenues dans la fiche PDR établie par l'OPS et la CMNS - étant rappelé qu'elle n'a pas force de loi et ne lie ni l'autorité ni le juge -, on ne voit concrètement pas en quoi les procédés de réclame litigieux génèreraient de la « surcharge », de la « profusion » ou de la « répétition », ni en quoi les tentes en corbeilles seraient ici problématiques en lien avec les art. 8 RPR et 8 LPR précités. Aucun élément du préavis du SMS ne permet non plus de retenir que les inscriptions litigieuses nuiraient au caractère des lieux, à l'esthétique ou à la tranquillité du site ni même à l'ordre public.

Au contraire, comme la recourante l'a relevé, les photographies produites à l'appui du recours montrent que les inscriptions répondent aux directives dans la mesure où celles-ci sont de tailles petites et portées sur les lambrequins, sans envahir toute la toile, et que la longueur des tentes a été adaptée à celle des vitrines. S'agissant des bandeaux de store, les tentes sont des stores à projection droits, comme ceux préconisés dans la Fiche PDR. S'agissant des tentes à corbeilles, les stores sont de petites tailles, de forme rectangulaire et tiennent compte de la taille des stores à projection droits sur les étages supérieurs et des différentes saillies de l'immeuble à l'intérieur desquelles elles s'insèrent. De qualité, et tous d'une même teinte unie et sobre, les bandeaux de store et les stores à corbeilles permettent d'éviter les contrastes choquants et s'intègrent parfaitement aux caractéristiques de l'immeuble et à l'esthétique des façades. Il sera encore relevé que l'hôtel en question n'est pas situé dans un périmètre protégé ni dans le périmètre du plan de site de la Rade et se trouve au contraire à proximité de la zone industrielle et artisanale de Sécheron.

L'autorisation délivrée en octobre 2013 figurant au dossier de la ville montre que des inscriptions avaient été autorisées à ce moment, indiquant « B______ », « BAR » et « RESTAURANT ». Le dossier permet en outre au tribunal, composé notamment d'un assesseur architecte, de considérer que les répétitions dans les inscriptions permettent ici une harmonie, qui n'altèrent aucunement la perception de l'architecture du bâtiment pris individuellement ou dans son ensemble. Quoiqu'il en soit, en aucun cas on ne saurait retenir que l'uniformité et la régularité des procédés imprimés sur les bandeaux de store et les stores à corbeilles porteraient atteinte aux autres immeubles faisant partie du même ensemble.

Le but poursuivi, à savoir une meilleure esthétique des lieux, est certes un but d'intérêt public mais il s'agit d'une notion éminemment subjective. Lorsque l'autorité, se fondant sur cette notion, annonce sa volonté d'agir à large échelle et non pas dans un cas isolé et flagrant, elle doit établir des principes clairs démontrant en quoi la situation de départ est insatisfaisante, et de quelle manière elle entend y remédier. Une telle réflexion permet de mesurer l'importance des restrictions apportées aux libertés fondamentales et le gain qui en résulte sur le plan de l'intérêt public. Il incombait ici à l'autorité intimée de procéder à une pesée des intérêts en présence, en application du principe de proportionnalité et comme lui imposait expressément l'art. 8 al. 3 LPR, ce qu'elle n'a pas fait, la mesure litigieuse ne pouvant ici l'emporter sur la restriction qu'elle apporte à la liberté économique de la recourante. En refusant l'autorisation sollicitée au motif qu'elle connaît « l'opposition de principe » de l'OPS aux procédés de réclame aux étages, ainsi que son « opposition systématique à leur excessive redondance », l'autorité intimée a violé loi, en ne faisant pas un bon usage de son pouvoir d'appréciation, lequel aurait dû lui faire s'écarter du préavis du SMS.

Ne reposant sur aucun motif objectivement défendable au regard du cadre posé par la législation, le refus de maintien des procédés de réclame querellée sera par conséquent annulé et la cause renvoyée à la Ville de Genève pour qu'elle délivre l'autorisation sollicitée par la recourante.

20.         Selon l'art. 28 al. 1 let. b et c LPR, en cas de violation de la présente loi ou de ses règlements d’application, la commune peut notamment ordonner la remise en état ou la suppression du procédé de réclame.

21.         L'ordre litigieux de déposer les procédés de réclame étant fondé sur un refus d'autorisation contraire à la LPR, cet ordre est également contraire au droit et sera, par voie de conséquence, également annulé.

22.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis.

En tant que le jugement annule la décision querellée et renvoie le dossier à l'autorité intimée uniquement pour qu'elle délivre l'autorisation sollicitée par la recourante, le présent jugement constitue une décision finale (ATF 135 V 141 consid. 1 ; 134 II 137 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_868/2013 du 20 décembre 2013 consid. 2 ; ATA/804/2020 du 25 août 2020 consid. 2b ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 361 s. ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 831).

23.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L'avance de frais de CHF 900.- versée par la recourante lui sera restituée.

Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera en outre allouée à la recourante, comprenant une participation aux honoraires d'avocat qu'il lui a fallu engager dans le cadre de la présente cause (art. 87 al. 2 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 août 2022 par A______ contre la décision de la Ville de Genève du 15 juin 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision précitée et renvoie le dossier à la Ville de Genève afin qu'elle délivre l'autorisation requise ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument et ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 900.- ;

5.             condamne la Ville de Genève à verser à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Michèle PERNET, présidente, Julien PACOT, Isabelle KOECHLIN-NIKLAUS, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Michèle PERNET

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu'au département du territoire.

Genève, le

 

La greffière