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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2080/2022

JTAPI/1344/2022 du 08.12.2022 ( LCI ) , REJETE

REJETE par ATA/842/2023

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;PERMIS DE DÉMOLIR;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2080/2022 LCI

JTAPI/1344/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 décembre 2022

 

dans la cause

Mesdames A______ et B______, Madame C______ et Monsieur D______, Madame E______ et Monsieur F______, Madame G______ et Monsieur H______, Madame I______ et Monsieur J______ et Messieurs K______ et L______, représentés par Me Olivier FAIVRE, avocat, avec élection de domicile

contre

Madame M______ et Monsieur N______, représentés par Me Paul HANNA, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

O______ SA

 

EN FAIT

1.             Madame M______ et Monsieur N______ (ci-après : les époux M______ et N______) sont copropriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de P______ sur laquelle sont érigés une villa, une piscine et un pool house.

2.             Madame A______ est propriétaire de la parcelle n° 2______, Madame B______ de la parcelle n° 3______, Madame C______ et Monsieur D______ de la parcelle n° 4______, Madame G______ et Monsieur H______ de la parcelle n° 5______, Monsieur L______ de la parcelle n° 6______, Madame I______ et Monsieur J______ de la parcelle n° 7______, Madame E______ et Monsieur F______ de la parcelle n° 8______ et Monsieur K______ de la parcelle n° 9______.

Toutes ces parcelles se situent à proximité de la parcelle des époux M______ et N______, sur la commune de P______.

3.             Le 27 mai 2022, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré aux époux M______ et N______ l’autorisation de démolir la maison d’habitation, la piscine et le pool house présents sur la parcelle n° 1______ (M/10______/1).

La commune avait préavisé favorablement le projet le 9 mars 2022, tandis que le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) avait indiqué, par préavis du même jour, ne pas être concerné.

Cette autorisation a été publiée dans la Feuille d’avis officielle (ci-après : FAO) du même jour.

4.             Par acte du 24 juin 2022, Mmes A______ et B______, MM. K______ et L______ et Mmes et MM. D______, F______, H______ et J______ (ci-après : les recourants), sous la plume de leur conseil, ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette autorisation, concluant préalablement à ce qu’un préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) soit ordonné et que la suspension de la procédure jusqu’à droit connu quant au bien-fondé du projet de construction des époux M______ et N______ soit également ordonnée et, principalement, à l’annulation de la décision sous suite de frais et dépens.

En tant que voisins directs et ayant un intérêt manifeste et fondé à l’annulation de la décision querellée, ils avaient la qualité pour recourir.

Le projet de construction prévoyait un indice de construction de 43.8%, soit nettement supérieur à l’indice ordinaire ; les voisins s’étaient opposés à ce projet et la commission d’architecture avait préavisé défavorablement ce dernier. L’autorisation de construire n’avait toujours pas été délivrée. Il était ainsi inconcevable d’autoriser la démolition de ce bâtiment d’architecte pour permettre l’édification d’un projet de construction dont l’autorisation n’avait pas encore été accordée et qui n’était pas conforme aux exigences de la loi.

L’Q______avait adressé un courrier au département pour lui indiquer qu’elle estimait que le bâtiment présentait un intérêt architectural manifeste et c’était du devoir du SMS d’établir un dossier de proposition de classement ou d’inscription à l’inventaire ; il semblait que ce service n’ait pas été sollicité. Par ailleurs, il était prévu que la zone fasse l’objet d’un recensement de la part de l’office du patrimoine avec pour but d’identifier les bâtiments dignes d’intérêt au sens de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) : la démolition du bâtiment ne pouvait dès lors avoir lieu avant d’avoir procédé audit recensement architectural.

Enfin, la démolition engendrerait irrémédiablement d’importants désagréments pour le voisinage et les usagers de la route de la R______ : il était nécessaire que la démolition et la construction des nouveaux bâtiments se fassent de manière coordonnée. Dans l’idée de limiter autant que possible ces nuisances, il était impératif d’empêcher la démolition au moins aussi longtemps que l’on ignorait la date effective du début des travaux de construction.

5.             Le département s’est déterminé sur la requête de suspension et sur le fond le 6 juillet 2022, concluant au rejet de la requête et à l’irrecevabilité du recours.

Les conditions d’une suspension fondée sur l’art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) n’étaient pas remplie et selon l’art. 15 al. 3 de la loi sur la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) a contrario, la démolition d’un bâtiment pouvait être autorisée sans pour autant être subordonnée à un projet de construction.

Le recours était manifestement irrecevable puisque la jurisprudence considérait qu’à défaut de démonstration contraire, comme en l’espèce, les voisins ne retiraient aucun avantage au maintien d’une construction à démolir. La prétendue valeur patrimoniale de la construction litigieuse n’y changeait rien puisque, d’une part, l’instance spécialisée avait estimé qu’elle n’était pas concernée par la démolition et que, d’autre part, selon la jurisprudence, l’intérêt lié à la préservation du patrimoine revêtait une portée générale insuffisante pour reconnaitre aux voisins un intérêt digne de protection à s’opposer à une démolition.

6.             Les époux M______ et N______ (ci-après : les intimés), sous la plume de leur conseil, se sont déterminés le 7 juillet 2022 sur la demande de suspension, s’y opposant, les recourants tentant simplement à retarder inutilement l’issue de leur recours.

Par ailleurs, le recours était manifestement irrecevable et le suspendre reviendrait à donner une portée certaine à la démarche des recourants en paralysant l’autorisation de démolir alors que ces derniers ne disposaient d’aucun intérêt digne de protection.

7.             Les intimés se sont déterminés sur le fond du recours le 29 août 2022, concluant à son irrecevabilité, subsidiairement à l’obtention d’un délai supplémentaire pour se prononcer et plus subsidiairement au rejet du recours et à la confirmation de l’autorisation de démolir, sous suite de frais et dépens.

Les recourants ne faisaient valoir aucun intérêt concret leur permettant de valablement tirer profit d’une éventuelle annulation de la démolition projetée. Ainsi, aucun élément ne permettait de s’écarter de la jurisprudence du Tribunal fédéral déniant au voisin la qualité pour recourir contre une autorisation de démolir faute pour lui d’en tirer un avantage pratique. Le recours devait dès lors être déclaré irrecevable.

Ils invitaient dès lors le tribunal de céans à statuer au moyen d’une décision sommairement motivée comme le permettait l’art. 72 LPA.

8.             Les recourants ont répliqué le 14 octobre 2022, maintenant leurs conclusions et sollicitant un transport sur place.

Un nouveau projet de construction avait dû être déposé, lequel demeurait malheureusement disproportionné : la demande d’autorisation de construire était toujours au stade de l’instruction. De plus, la plan directeur communal faisait l’objet de critiques ce qui laissait présager que les procédures seraient longues et qu’il pourrait se passer un temps considérable avant que le projet de construction quel qu’il fut ne se fisse sur la parcelle querellée. Enfin, le dépôt d’une demande de classement ou d’inscription à l’inventaire était envisagée.

Ils retireraient bel et bien un avantage indéniable au maintien du bâtiment à démolir pour plusieurs raisons, et avaient donc la qualité pour recourir. D’une part, considérant les multiples oppositions au projet de construction, il n’était pas "inimaginable" qu’aucune autorisation de construire ne soit en force avant plusieurs années : la destruction du bâtiment laisserait alors une terrain vague propre à engendrer des rassemblements nocturnes de jeunes ainsi qu’une zone de dépôt sauvage avec des nuisances sonores et visuelles évidentes pour le voisinage direct, ce qui fut le cas en 2000 lorsque le bâtiment était inhabité. Cette démolition laisserait, d’autre part place à un terrain en friche sur lequel demeureraient visibles les traces des constructions passées, possiblement sous la forme de trous béants : cela pourrait provoquer un sentiment d’insécurité légitime des voisins. Ensuite, la démolition du bâtiment engendrerait des nuisances visuelles et sonores puisque ce dernier faisait office de protection visuelle pour leur parcelle et permettait aussi d’atténuer le bruit provenant de la route de la R______.

Par ailleurs, en démolissant d’ores et déjà le bâtiment, ils se verraient devoir subir inutilement deux chantiers en l’espace de quelques années avec tous les désagréments qui en découlaient.

Au surplus, ils fondaient leur qualité pour recourir sur un intérêt à préserver l’harmonie et le caractère architectural unique du côté du chemin du S______ : vu les oppositions au projet de construction, les promoteurs pourraient renoncer à la nouvelle construction.

Pour terminer, le bâtiment devait être maintenu le temps d’être recensé par un spécialiste du patrimoine architectural, même si, à terme, il serait démoli.

Le tribunal de céans devait ainsi considérer que l’accumulation des nuisances rendait la situation insupportable pour eux et leur qualité pour recourir devait dès lors leur être reconnue.

9.             Le département a dupliqué le 25 octobre 2022, persistant dans ses conclusions et confirmant son refus à une suspension. Un transport sur place était par ailleurs inutile.

Aucun préavis de la CMNS ne pouvait être sollicité dès lors que le SMS s’était déclaré non concerné par le projet de démolition, ce qui démontrait l’absence de protection dont bénéficiait le bâtiment actuel ; le fait de prétendre qu’il présenterait un intérêt architectural ne suffisait pas à démontrer qu’il était protégé ou mériterait de l’être.

En l’absence d’éléments concrets utiles à démontrer les nuisances avancées par les recourants, ces derniers ne pouvaient être suivis. De plus, les éventuelles nuisances engendrées par un terrain dépourvu de construction ne relèveraient pas des prescriptions du droit de la construction. La qualité pour recourir ne pouvait pas non plus reposer sur les trous béants que laisseraient « possiblement » les travaux de démolition : il s’agissait de pures suppositions.

10.         Les intimés se sont déterminés une nouvelle fois sur la demande de suspension du 14 octobre 2022 des recourants le 27 octobre 2022, maintenant leur opposition à celle-ci.

11.         Ils ont dupliqué le 9 novembre 2022.

Les griefs et arguments des recourants en lien avec le projet de construction en cours d’instruction et le plan directeur communal ne faisaient pas partie de l’objet du présent litige ; ils n’entreront dès lors pas en matière sur ces points.

Les recourants peinaient à convaincre dans la démonstration de leur prétendu avantage actuel et pratique à l’annulation de l’autorisation. La LCI ne conditionnait pas l’octroi d’une autorisation de démolir à la délivrance d’une autorisation de construire. Leur crainte de nuisances dues à la présence d’un « terrain vague » était sans fondement et se basait sur des prédictions catastrophiques purement spéculatives. Aucun élément en permettait de retenir que les nuisances sonores allaient augmenter et les nuisances en lien avec un chantier étaient des inconvénients de nature passagère qui ne suffisaient pas à fonder une quelconque qualité pour recourir. Il n’y avait aucune interdiction de construire sur la parcelle contrairement à une jurisprudence citée par les recourants. Enfin, la commune s’était déclarée favorable au projet de démolition.

Le recours était donc irrecevable.

12.         Bien que dûment interpelée, la O______ SA ne s’est jamais déterminée dans la procédure.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Pour qu'un recours soit recevable, il faut encore que la personne dont il émane dispose de la qualité pour recourir.

4.             À teneur de l'art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/186/2019 du 26 février 2019 ; ATA/1159/2018 du 30 octobre 2018 ; ATA/661/2018 du 26 juin 2018). Cette notion de l'intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l'art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter en application de la règle d'unité de la procédure figurant à l'art. 111 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_170/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4.1 ; ATA/258/2020 du 3 mars 2020 consid. 2b).

5.             Le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision en cause, qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général, de manière à exclure l’action populaire. Cet intérêt digne de protection ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1).

6.             Celui qui n'est atteint que de manière indirecte ou médiate ne dispose dès lors pas d'un intérêt digne de protection (ATF 133 V 188 consid. 4.3.1 ; ATA/988/2016 du 22 novembre 2016 consid. 2d). Dans son arrêt du 6 avril 2018 1C_27/2018, le Tribunal fédéral a, par exemple, dénié la qualité pour recourir de voisins contre une autorisation de démolir une villa et une piscine, faute d'en retirer un avantage pratique.

7.             En matière de droit des constructions, le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 1). La qualité pour recourir peut également être donnée en l’absence de voisinage direct, quand une distance relativement faible sépare l’immeuble des recourants de l’installation litigieuse (ATF 121 II 171 consid. 2b ; ATA/790/2012 du 20 novembre 2012). La qualité pour recourir a ainsi été admise pour des distances variant entre 25 et 150 m (ATA/66/2012 du 31 janvier 2012 ; ATA/793/2005 du 22 novembre 2005 consid. 2c et la jurisprudence citée). Elle a en revanche été déniée dans des cas où cette distance était de 800, respectivement 600, 220, 200, voire 150 m (arrêt du Tribunal Fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3.1 ; ATA/25/2007 du 23 janvier 2007 et les références citées).

8.             La proximité avec l’objet du litige ne suffit cependant pas à elle seule à conférer au voisin la qualité pour recourir contre la délivrance d’une autorisation de construire. Les tiers doivent en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée, qui permette d’admettre qu’ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée (ATF 139 II 499 consid. 2.2 arrêts du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017 consid. 4.2.3 ; 1C_226/2016 du 28 juin 2017 consid. 1.1). Le recourant doit ainsi rendre vraisemblables les nuisances qu’il allègue et sur la réalisation desquelles il fonde une relation spéciale et étroite avec l’objet de la contestation (cf. ATF 125 I 173 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_469/ 2014 du 24 avril 2015 consid. 2.2 ; 1C_453/2014 du 23 février 2015 consid. 4.2 et 4.3).

9.             S'agissant de la qualité pour recourir de voisins contestant, sur le fond, une autorisation de démolir une villa et une piscine extérieure, le Tribunal fédéral a examiné la question de savoir s'ils seraient en mesure de retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification d'une décision tranchant au fond le sort d'une telle autorisation. Selon notre Haute Cour, on distinguait mal quel avantage de fait ou de droit procurerait aux voisins le maintien de ces installations. Respectivement, on peinait à imaginer quel préjudice ils subiraient du fait de la disparition de ces constructions. Certes, les travaux de démolition entraîneraient éventuellement des nuisances en matière de bruit et de poussière, toutefois limitées dans le temps de sorte qu'elles ne sauraient à elles seules fonder un intérêt pratique à recourir. Les recourants ne faisaient en outre pas valoir une valeur patrimoniale particulière des installations destinées à être détruites, ni n'invoquaient de disposition légale tendant à les protéger. Enfin, la destruction des installations existantes ne conférait, en elle-même, aux propriétaires de la parcelle concernée aucun droit d'ériger une nouvelle construction. Cette question était soumise à une procédure séparée, qui avait donné lieu à une autorisation de construire, distincte de celle de démolir, et que les recourants avaient aussi contestée devant la juridiction compétente. À défaut de retirer un avantage pratique, le Tribunal fédéral a dénié la qualité pour recourir aux voisins (arrêt du Tribunal fédéral 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.2 et 1.3).

Dans une affaire plus récente concernant le recours de voisins directs contre l'autorisation de démolir une villa, une piscine et un garage, le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence ainsi que le refus de la chambre administrative d'accorder la qualité pour recourir aux voisins directs. Dans cette affaire, la villa n'avait pas de valeur patrimoniale particulière. Elle serait remplacée par un trou en raison du refus de l'autorisation de construire. Le refus de ladite autorisation n'était pas de nature à conférer un avantage pratique aux voisins. D'une part, l'autorisation de construire - objet d'une autre procédure de recours - était soumise à une procédure distincte de celle de l'autorisation de démolir. D'autre part, la destruction des constructions existantes ne conférait, en elle-même, aux propriétaires de la parcelle concernée aucun droit d'ériger une nouvelle construction. Les voisins n'avaient donc pas rendu vraisemblable l'existence d'une atteinte particulière susceptible de fonder leur qualité pour agir (arrêt du Tribunal fédéral 1C_554/2019 du 5 mai 2020 consid. 3.3).

10.         Selon l'art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a); modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b), démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (let. c), modifier la configuration du terrain (let. d).

En vertu de l’art. 15 al. 3 LCI, le département peut subordonner la délivrance d’une autorisation de démolir à la présentation préalable par le requérant d’un projet de nouvelle construction dont l’exécution soit assurée dans un délai maximum de 10 ans. La loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation est réservée.

11.         En l'espèce, les recourants fondent en premier lieu leur qualité pour recourir sur la proximité de leurs parcelles avec celle visée par l’autorisation de démolir. Il ressort de la consultation du SITG que leurs parcelles se situent à une distance de moins de 100 m de celles où se situe la parcelle litigieuse.

Ils estiment ensuite avoir un intérêt pratique et actuel à l’annulation de la décision permettant d’admettre qu’ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant de l’intérêt général.

Cependant, on voit mal quel avantage de fait ou de droit leur procurerait le maintien du bâtiment dont l'autorisation prévoit la démolition, respectivement, on peine à imaginer quel préjudice ils subiraient du fait de sa disparition.

Il sied tout d’abord de rappeler qu’en application de l’art. 15 al. 3 LCI, la démolition d’un bâtiment peut être autorisée sans pour autant être subordonnée à un projet de construction.

Certes, les travaux de démolition entraîneront selon toute vraisemblance des nuisances en matière de bruit et de poussière, mais celles-ci seront limitées dans le temps et ne sauraient à elles seules fonder un intérêt pratique à recourir, même si les recourants devront peut-être subir des nuisances échelonnées dans le temps si la démolition se fait dans un premier et la réalisation de nouvelles constructions dans un second temps. Quant au fait que la démolition pourrait laisse un « trou béant » et devenir un terrain vague qui pourraient engendrer des rassemblements nocturnes de jeunes ou de l’insécurité, il s’agit de pures conjectures qui ne peuvent être retenues pour justifier un quelconque avantage pratique à l’annulation de l’autorisation. Il en va de même des nuisances sonores et visuelles découlant du fait que la maison actuelle ferait écran avec la route de la R______, lesquelles ne sont aucunement documentées et le bâtiment existant n’ayant pas pour vocation de servir de protection contre le bruit des parcelles des recourants.

En outre, si les recourants font valoir leur opposition en invoquant une prétendue valeur patrimoniale du bâtiment existant, force est de constater que le SMS, soit l'instance compétente, n'a pas retenu l'existence d'une quelconque valeur patrimoniale dudit bâtiment, ni estimé qu'une mesure de protection s'imposait en l'espèce, ne s’étant pas déclaré concerné par la demande d’autorisation de démolir ; en outre, aucune démarche concrète de protection n’a été à ce jour initiée. Quant aux prétendues contestations actuelles contre le plan directeur communal, le tribunal observe d’une part que la commune a préavisé favorablement le projet et, d’autre part, que le dossier ne contient aucun élément étayant ces allégations.

Enfin, les griefs en lien avec le futur projet de construction, notamment en référence au plan directeur communal, est exorbitant au présent litige et ne peut dès lors fonder une qualité pour recourir des recourants.

En conséquence, les recourants ne pouvant se prévaloir d'un intérêt digne de protection à l’annulation de l’autorisation de démolir, la qualité pour recourir doit leur être déniée.

12.         Le recours contre l’autorisation de démolir M 10______ sera déclaré irrecevable.

13.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombe, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

14.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’700.-, à la charge des recourants pris conjointement et solidairement, sera allouée à Mme M______ et M. N______ (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 24 juin 2022 par Mesdames A______ et B______, Madame C______ et Monsieur D______, Madame E______ et Monsieur F______, Madame G______ et Monsieur H______, Madame I______ et Monsieur J______ et Messieurs K______ et L______ contre la décision du département du territoire du 25 mai 2022 ;

2.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             condamne les recourants à verser aux intimés une indemnité de procédure de CHF 1'700.- ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Julien PACOT et Oleg CALAME, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière