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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2803/2017

ATA/186/2019 du 26.02.2019 sur JTAPI/1224/2017 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 08.04.2019, rendu le 06.08.2019, ADMIS, 1C_206/2019
Descripteurs : ACTION POPULAIRE ; QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR ; INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION ; PREUVE DE L'INTÉRÊT
Normes : LPA.60.ala; LPA.60.alb
Parties : CH8 SA, DRS CUENOD, KÄMPFEN ET PAPALOÏZOS, CUENOD Philippe, KÄMPFEN Stéphane, PAPALOÏZOS Michael / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC, HEJJA Edina
Résumé : Lorsqu'il est certain ou très vraisemblable qu'une installation sera à l'origine d'immissions - bruit, poussières, vibrations, lumières ou autres - touchant spécialement les voisins, même situés à quelque distance, ces derniers peuvent avoir qualité pour recourir. Il n'y a pas d'intérêt pratique au recours si la vraisemblance que le recourant subisse un préjudice n'est pas avérée ou hautement improbable. Les atteintes purement subjectives ne sont pas dignes de protection si le recourant ne parvient pas à démontrer en quoi la décision attaquée lui causerait aussi un préjudice concret. L'exigence d'un intérêt pratique exclut par définition la poursuite d'un intérêt purement théorique. En l'occurrence, les recourants ne démontrent pas en quoi les nuisances sonores qui proviendraient des nouvelles installations seraient supérieures à la moyenne admissible dans le cadre d'installations sanitaires intérieures, les risques liés à l'humidité excessive et à l'évacuation des eaux usées ayant été soumis par les services compétents à des conditions à respecter.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2803/2017-LCI ATA/186/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 février 2019

3ème section

 

dans la cause

CH8 SA
Monsieur Philippe CUENOD
Monsieur Stéphane KÄMPFEN
Monsieur Michaël PAPALOÏZOS

représentés par Me Sidonie Morvan, avocate

contre

Madame Edina HEJJA
représentée par Me Nicolas Wyss, avocat

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC

_________

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 novembre 2017 (JTAPI/1224/2017)


EN FAIT

1) a. La parcelle n° 318, plan 18 de la commune de Genève-Plainpalais, est propriété de Monsieur Michel NOBILE. Située en 2ème zone à bâtir vouée aux grandes maisons affectées à l'habitation, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire, elle abrite un immeuble érigé au 8, rue Charles-Humbert, destiné à l'habitation et aux activités.

b. CH8 SA, Centre de chirurgie et de thérapie de la main (ci-après : CH8 SA), est une société inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 29 juin 2012. Elle a pour but notamment d'exploiter un centre médical spécialisé dans le diagnostic et le traitement chirurgical et non chirurgical des affections de la main. Elle est, depuis le 1er octobre 2013, locataire de locaux situés au
rez-de-chaussée, aux 1er, 2ème et 5ème étages, et d'un dépôt au sous-sol de l'immeuble précité. Messieurs Philippe CUENOD, Stéphane KÄMPFEN et Michaël PAPALOÏZOS, en sont les administrateurs, dotés chacun d'un droit de signature individuelle à deux.

Selon le site internet https://www.ch8.ch/chirurgie-de-la-main/informations-aux-patients/informations_generales.php (consulté le 15 février 2019), la distribution des locaux de CH8 SA comprend au rez-de-chaussée, les opérations, la réception des nouveaux cas et la radiologie ; au 1er étage, la consultation avec les médecins ; au 2ème étage, les traitements d'ergothérapie et de réhabilitation, le secrétariat et la facturation.

c. Geneva-Girls Sàrl, société inscrite au registre du commerce de Genève, le 28 avril 2009, mais radiée le 5 août 2016, avait pour but l'exploitation d'un établissement de sauna, bains, culture physique, massages, relaxation et soins corporels et la vente de tous produits en rapport avec cette exploitation. Madame Edina HEJJA en était la gérante disposant d'un droit de signature individuelle. Celle-ci exploite à Genève, sous l'enseigne « Geneva-Girls », une chaîne d'établissements offrant les services de prostituées.

2) Le 16 janvier 2017, M. NOBILE, représenté par la régie Moser Vernet & Cie SA, d'une part, et Eh Werbe und Eventagentur GmbH, Mme HEJJA et Modern Immobilien AG, d'autre part, ont conclu un contrat de bail commercial d'une durée de cinq ans, du 1er février 2017 au 31 janvier 2022, portant sur les locaux sis aux 3ème et 4ème étages du bâtiment susmentionné, totalisant une surface d'environ 320 m2, destinés à l'activité d'un salon de massages exclusivement.

3) Le 30 mars 2017, avec l'accord de M. NOBILE, Mme HEJJA a déposé auprès de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu le département du territoire (ci-après : DT ou département) une demande d'autorisation de construire en procédure accélérée, enregistrée sous la référence APA 47418, en vue de l'aménagement d'un centre wellness dans les locaux loués.

Selon les plans visés « ne varietur » le 26 mai 2017, la demande visait, comme nouvelles constructions, la pose de six douches (deux au 3ème étage et quatre au 4ème étage), un évier au 3ème étage et une baignoire d'angle au 4ème étage dans une pièce dénommée « jacuzzi & sauna ». Trois toilettes (deux au 3ème étage et une au 4ème étage) et huit lavabos (six au 3ème étage et deux au 4ème étage) existaient déjà dans le bâtiment. Elle prévoyait aussi de déplacer de 98 cm une cloison séparant deux pièces situées au 4ème étage.

Selon le formulaire 001 « sécurité - incendie » annexé à la demande, aucune intervention sur les installations thermiques et de ventilation existantes n'était prévue. Aucune installation nouvelle de protection incendie n'était non plus à effectuer. D'après les formules K02-K03 de gestion et d'évacuation des eaux des biens-fonds, les unités de raccordement des eaux usées passaient de vingt-cinq à septante-deux.

4) Au cours de l'instruction de la demande précitée plusieurs préavis ont été demandés.

Les 31 mars, 7 et 11 avril 2017, l'inspection de la construction, la police du feu et la direction générale de l'eau, devenue l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau) ont émis des préavis favorables sous conditions. D'après le préavis de l'inspection des constructions, le champ réservé aux informations concernant le propriétaire n'était pas correctement rempli et aucun document attestant le mandat n'était joint à la demande. La destination des locaux devait être confirmée, des observations communiquées au département faisant état de l'aménagement d'un salon érotique dans les locaux concernés. Selon le préavis de la police du feu, les éléments de décoration situés dans les locaux ouverts au public ne devaient pas produire de gouttes incandescentes quand ils brûlaient. Les mesures de protection incendie existantes devaient être adaptées à la nouvelle configuration des locaux. Le préavis de l'OCEau prescrivait notamment de prendre toutes les mesures constructives nécessaires à la minimisation des risques en cas de crues et d'inondation, et l'exécution de nouvelles installations sanitaires d'évacuation des eaux usées conformément aux prescriptions de la norme SN 592'000-2012. Les eaux usées devaient s'écouler à travers le réseau approprié existant du bâtiment. Avant le branchement des canalisations, une vérification de l'état, du bon fonctionnement et de la capacité hydraulique des équipements privés jusqu'à l'équipement public devait être effectuée. Le propriétaire était tenu d'adapter son raccordement aux nouvelles canalisations lors de la réalisation du système séparatif. Lors de la réalisation du projet, toutes les installations existantes et à construire devaient être conformes aux dispositions légales fédérales et cantonales en la matière.

5) Le 25 avril 2017, Mme HEJJA a, donnant suite à un courrier du 5 avril 2017 de l'inspection des constructions, confirmé au DT la modification du libellé de la description de l'objet de la demande d'autorisation de construire.

L'aménagement prévu visait la mise en place d'un salon de massage érotique et non d'un centre wellness.

6) Par décision du 26 mai 2017, le département a délivré à Mme HEJJA l'autorisation de construire APA 47418, en vue de l'aménagement d'un salon de massage érotique dans les locaux visés par le contrat de bail commercial précité.

Les conditions contenues dans les préavis de la police du feu et de l'OCEau en faisaient partie intégrante et devaient être respectées. En outre, des ventilations devaient être créées pour les locaux sanitaires. La cage d'escalier et les accès devaient être tenus propres, exempts de dépôts. D'une manière générale, toutes les précautions devaient être prises pour assurer la sécurité des occupants et la salubrité de l'immeuble. L'utilisation d'engins bruyants était interdite pour effectuer les travaux de démolition.

7) Par acte du 26 juin 2017, CH8 SA, MM. CUENOD, KÄMPFEN et PAPALOÏZOS ont recouru contre cette autorisation de construire auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant à son annulation.

Comme locataires dans l'immeuble, ils étaient directement touchés par la décision précitée et disposaient d'un intérêt actuel, direct et personnel digne de protection à son annulation ou sa modification. Selon les plans déposés, il était notamment prévu l'installation de six douches, une « salle de sel », un sauna et un jacuzzi. Aucune modification du système de ventilation existant n'était planifiée. La demande comportait des erreurs portant notamment sur l'existence d'un
sous-sol dans le bâtiment, son année de construction en 1962 et non en 1991, l'agent énergétique à utiliser pour le chauffage et la production d'eau chaude. La présence d'un spa et d'un jacuzzi, était une source de nuisance pour le voisinage. Les plans produits n'étaient pas clairs. Ils indiquaient simultanément la mise en place d'un « jacuzzi » et d'une « baignoire ».

Les matériaux de construction utilisés en 1962 étant différents de ceux de 1991, une analyse poussée des garanties de sécurité, notamment en matière d'incendie, s'imposait.

Mme HEJJA avait délibérément trompé les autorités en vue d'obtenir l'autorisation de construire sollicitée, malgré les risques du point de vue de la sécurité incendie. La demande d'autorisation de construire faisait état de l'aménagement d'un centre wellness. Le département n'avait entrepris aucune mesure d'instruction après la communication de la destination des locaux loués comme salon de massage érotique. La police du feu n'avait pas pu rendre un préavis en toute connaissance de cause.

L'aménagement de douches, d'une « salle de sel », d'un sauna et d'un jacuzzi dans les étages au-dessus des locaux de leur clinique était de nature à leur causer des nuisances (bruit, humidité excessive et risque d'incendie). Sans modification de la ventilation existante, ces pièces humides étaient propres à causer des dommages au bâtiment. Le département devait solliciter un complément du dossier, la requérante devant démontrer la faisabilité de son projet.

En outre, compte tenu de l'augmentation des unités de raccordement passant de vingt-cinq à septante-deux, les canalisations pouvaient ne pas supporter l'évacuation des eaux. Un problème de flux avec l'utilisation des autres locaux de l'immeuble pouvait survenir.

La requérante n'ayant fourni aucune pièce relative à la statique du bâtiment à l'appui de sa demande, le département n'était pas en mesure de statuer. Il ne pouvait pas vérifier si la structure de l'immeuble était suffisamment résistante pour accueillir un jacuzzi. Il aurait dû solliciter des calculs supplémentaires. L'ensemble des risques et nuisances engendrés par la création du salon érotique en cause était de nature à mettre en péril l'hygiène du centre médical et chirurgical et l'exercice de l'activité de médecin et de chirurgien. Dans ces conditions, en accordant l'autorisation de construire en cause, le DT avait excédé négativement son pouvoir d'appréciation.

8) Le 31 octobre 2017, Mme HEJJA a conclu au rejet du recours.

Il n'était pas question d'installer un jacuzzi dans les locaux loués. En outre, la baignoire d'angle prévue et la « salle à sel » ne généraient pas d'humidité.

9) Par jugement du 22 novembre 2017, le TAPI a déclaré irrecevable le recours de CH8 SA, de MM. CUENOD, KÄMPFEN et PAPALOÏZOS.

Les intéressés étaient certes des voisins des locaux à l'intérieur desquels les aménagements autorisés devaient être réalisés. Toutefois, la qualité pour recourir ne pouvait pas leur être reconnue sur cette seule base. Ils n'étaient pas fondés à remettre en cause les aménagements qui consistaient en la pose d'éléments sanitaires et le déplacement d'une cloison à l'intérieur des locaux, même si ces travaux avaient pour but l'installation d'un salon de massage érotique. En outre, leurs allégations de risque d'effondrement du bâtiment, de bruits, d'humidité excessive, d'inondations n'atteignaient pas le degré de vraisemblance exigé pour admettre leur qualité pour recourir. Selon le dossier et les explications de Mme HEJJA, dont il n'y avait pas lieu de douter, leurs craintes et doutes apparaissaient infondés. La demande d'autorisation de construire en cause n'avait pour objet ni l'installation d'un jacuzzi, ni l'aménagement de salles humides ou d'équipements supposés générer une humidité supérieure à la moyenne. Par ailleurs, la crainte relative à un système d'évacuation des eaux inadéquat était dénuée d'objet, dans la mesure où une condition particulière à ce sujet était intégrée à l'autorisation octroyée. L'usage des bâtiments devait être conforme à l'autorisation délivrée, y compris les conditions posées. Le contrôle de la conformité du bâtiment à l'autorisation délivrée était de la compétence du département, chargé de veiller au respect de la législation dans le domaine des constructions et des autorisations délivrées.

L'installation, sur une surface totale de 320 m2, d'une cabine de sauna, de six cabines de douche, d'une baignoire, d'un évier, de sept lavabos et de trois sanitaires, dont la pose devait être accompagnée de l'installation d'une ventilation, ne devait pas être envisagée comme une source potentielle d'immissions particulières susceptibles de toucher spécialement les autres occupants de l'immeuble, encore moins d'un danger exposant ces derniers à un risque particulier. L'accueil de nombreuses personnes extérieures à l'immeuble n'était pas en soi une source de nuisances devant conduire à entrer en matière sur le recours. Un intérêt à une application correcte du droit était en soi insuffisant pour reconnaître la qualité pour agir. Dans ces conditions, les intéressés n'étaient pas fondés à se plaindre de la violation des dispositions légales dont la portée s'étendait uniquement à la situation de tiers, les futurs usagers des locaux, au regard des risques allégués pour leur sécurité. À l'instar de toute activité, le salon en cause pouvait générer des nuisances pour le voisinage, en particulier en cas d'abus, mais celles-ci ne devaient pas être imputées à la délivrance de l'autorisation en cause. Elles pouvaient résulter de l'exploitation qui serait faite des lieux, problématique échappant à l'examen susceptible d'être opéré dans le cadre de la procédure en cours, qui avait pour seul but d'assurer la conformité des projets présentés aux prescriptions en matière de constructions et d'aménagements intérieurs et extérieurs des bâtiments et des installations. Les nuisances devaient être abordées et, le cas échéant, traitées sous l'angle de la législation sur les constructions ou de celle sur la prostitution, voire sous l'angle du droit du bail, ce dernier domaine échappant aux autorités et juridictions administratives.

10) Par acte expédié le 8 janvier 2018, CH8 SA, MM. CUENOD, KÄMPFEN et PAPALOÏZOS ont recouru contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant principalement à son annulation, à la constatation qu'ils disposaient de la qualité pour recourir contre l'autorisation de construire en cause et au renvoi de la cause au TAPI. Ils ont aussi conclu subsidiairement à l'annulation du jugement, à la constatation de leur qualité pour recourir et à l'annulation de l'autorisation de construire en cause.

Le TAPI avait établi les faits de manière incomplète et inexacte. Il n'avait fait état ni du début des travaux d'aménagement sans autorisation ni de nombreuses erreurs contenues dans la demande d'autorisation de construire, notamment au sujet d'un jacuzzi.

Il avait également violé les dispositions sur la qualité pour recourir. Particulièrement touchés par la décision en cause qui avait un impact sur leur situation, étant les voisins les plus proches du projet, locataires exerçant une activité dans les locaux situés directement en-dessous et au-dessus des locaux en cause, ils disposaient de cette qualité pour agir. Le problème de sécurité induit par l'aménagement d'un jacuzzi les concernait directement, le bâtiment risquant de ne pas supporter une telle charge. Les règles en matière de ventilation étaient violées, celles sur la protection contre le bruit également. L'installation d'un jacuzzi était une source de nuisance sonore, les nombreuses douches prévues également, leur utilisation devant être intensive et incessante entre 11h00 et 23h00. Ils avaient le droit de s'opposer à une autorisation de construire qui ne respectait pas les normes applicables et dont ils subiraient les conséquences.

Sur le fond du litige, les normes sur la statique du bâtiment n'avaient pas été respectées, les exigences en matière de ventilation non plus, celles sur les raccordements des canalisations des eaux usagées, en matière de bruit et de sécurité en cas d'incendie non plus. En accordant l'autorisation sollicitée, l'autorité de décision avait excédé négativement son pouvoir d'appréciation.

11) Le 15 janvier 2018, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

12) Le 12 février 2018, Mme HEJJA a conclu au rejet du recours.

La qualité de voisins directs des locaux à l'intérieur desquels les aménagements étaient autorisés ne conférait pas, à elle seule, aux intéressés la qualité pour recourir. La nature des aménagements consistant en la pose d'éléments sanitaires et d'un déplacement d'une cloison à l'intérieur des locaux était également un motif de leur dénier cette qualité. En outre, les intéressés ne disposaient d'aucun intérêt digne de protection à l'annulation de l'autorisation dans la mesure où aucune installation de jacuzzi n'était prévue, les risques allégués à ce sujet étaient théoriques. Ceux relatifs aux douches étaient également théoriques, une condition sur l'évacuation des eaux faisant partie intégrante de la décision attaquée ; la mise en place d'une ventilation était également prévue. Le risque d'incendie était aussi théorique, le service du feu ayant donné un préavis favorable après examen du dossier. L'installation d'une baignoire à bulles ne menaçait pas l'hygiène du centre, les blocs-opératoires étant situés dans le
sous-sol de l'immeuble et le 5ème étage étant occupé par des archives.

Au demeurant, les intéressés ne pouvaient pas fonder leur qualité pour recourir sur un intérêt à une application correcte du droit. Ils n'étaient pas fondés à se plaindre de la violation des dispositions légales dont la portée s'étendait uniquement à la situation des tiers, soit les futurs usagers des locaux.

Les faits supposés avoir été ignorés par le TAPI n'étaient pas pertinents dans le cadre de la résolution du litige ; il en était ainsi du début des travaux dans les locaux loués et des erreurs figurant dans la demande d'autorisation de construire.

Sur le fond, les calculs sur la statique du bâtiment ne s'imposaient pas, la demande portant uniquement sur des aménagements intérieurs ; le sous-sol de l'immeuble n'était pas concerné par les travaux ; le préavis favorable portant sur la ventilation avait été soumis à la condition de création d'un système de ventilation dans les locaux sanitaires ; le préavis sur l'évacuation des eaux prévoyait également une condition exigeant la vérification de l'état, du bon fonctionnement et de la capacité hydraulique des équipements privés jusqu'au raccordement à l'équipement public ; les normes sur le bruit n'étaient pas violées non plus, comme celles portant sur la sécurité incendie. L'autorité de décision n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation.

13) Le 12 février 2018, le département a conclu au rejet du recours.

La proximité avec l'objet du litige n'était pas suffisante pour conférer la qualité pour recourir, même dans le cas des locataires. Les risques et les immissions invoqués étaient théoriques. L'humidité et l'évacuation des eaux usées faisaient l'objet de conditions expresses de l'autorisation, il s'agissait d'une problématique de conformité dont le contrôle échappait aux autorités judiciaires. L'utilisation des baignoires et des douches n'atteignaient pas la gravité ou la vraisemblance suffisante pour conférer la qualité pour agir, à plus forte raison dans le cas d'un bruit intérieur. La contestation de travaux d'aménagement intérieur des locaux ne conférait pas la qualité pour recourir. Il n'y avait pas lieu d'entrer en matière sur les griefs de fond dans la mesure où en cas d'admission du recours, la cause serait renvoyée au TAPI pour instruction en raison du principe de la double instance et de la pratique de la chambre de céans, et en cas de confirmation du jugement du TAPI, l'examen n'avait pas lieu d'être.

14) Le département a persisté dans ses conclusions précédentes en renonçant à formuler des observations complémentaires.

15) Le 22 mars 2018, CH8 SA, MM. CUENOD, KÄMPFEN et PAPALOÏZOS ont persisté à leur tour dans leurs précédentes conclusions en reprenant leurs arguments antérieurs.

Ils ne portaient pas un jugement réprobateur sur l'activité de prostitution envisagée par la locataire dans les locaux loués. Ils formaient contre le jugement attaqué uniquement des griefs de violation de la législation en matière de constructions. La chambre de céans avait reconnu la qualité pour recourir à un voisin situé à plus de dix mètres d'un établissement ayant bénéficié d'une autorisation de construire pour des travaux d'aménagement intérieurs. La sécurité du droit exigeait d'éviter des décisions contradictoires dans ce domaine.

16) Le 16 avril 2018, le juge délégué a transmis aux parties leurs observations réciproques, ensuite de quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le jugement du TAPI ayant déclaré irrecevable le recours contre l'autorisation de construire en cause, le litige devant la chambre de céans porte sur la question de la recevabilité de ce recours.

3) a. À teneur de l'art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/1159/2018 du 30 octobre 2018 ; ATA/661/2018 du 26 juin 2018 ; ATA/1218/2015 du 10 novembre 2015). La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/799/2018 du 7 août 2018 et l'arrêt cité ;Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 184 n. 698).

b. Cette notion de l'intérêt digne de protection est identique à celle qui a été développée par le Tribunal fédéral sur la base de l'art. 103 let. a de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ - RS 173.110) et qui était, jusqu'à son abrogation le 1er janvier 2007, applicable aux juridictions administratives des cantons, conformément à l'art. 98a de la même loi. Elle correspond aux critères exposés à l'art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (LTF - RS 173.110) que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d'unité de la procédure qui figure à l'art. 111 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_170/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4.1 ; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4126 ss et 4146 ss). Selon l'art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c).

La qualité pour agir est reconnue à toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d'un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification au sens de l'art. 89 al. 1 let. c LTF. Selon la jurisprudence rendue en application de cette disposition, le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation. La proximité avec l'objet du litige ne suffit pas à elle seule à conférer au voisin, respectivement au locataire d'un immeuble la qualité pour recourir contre l'octroi d'une autorisation de construire. Celui-ci doit en outre retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d'admettre qu'il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l'intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée de manière à exclure l'action populaire (ATF 137 II 30 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_343/2014 du 21 juillet 2014 consid. 2.2 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., p. 196 n. 744 ; Laurent PFEIFFER, La qualité pour recourir en droit de l'aménagement du territoire et de l'environnement, 2013, p. 93) ; il doit ainsi invoquer des dispositions du droit public des constructions susceptibles d'avoir une incidence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 ; 133 II 249 consid. 1.3.1 ;
133 II 468 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2011 du 4 mai 2011 consid. 1).

c. En ce qui concerne les voisins, seuls ceux dont les intérêts sont lésés de façon directe et spéciale ont l'intérêt particulier requis (ATF 133 II 409 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_158/2008 du 30 juin 2008 consid. 2). Il doit résulter de la décision un inconvénient réel, pratique (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, p. 735). Le recourant doit ainsi se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation. La qualité pour recourir est en principe donnée lorsque le recours émane du propriétaire d'un terrain directement voisin de la construction ou de l'installation litigieuse (ATF 137 II 30 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_822/2013 du 4 janvier 2014 consid. 2.2 ; ATA/659/2018 du 26 juin 2018 ; concernant une personne qui va devenir voisine de la construction litigieuse : ATA/450/2008 du 2 septembre 2008 ; Laurent PFEIFFER, op. cit, p. 92). Outre les propriétaires voisins, les propriétaires par étage, les superficiaires, les locataires et les preneurs à ferme sont susceptibles de remplir cette condition (arrêt du Tribunal fédéral 1C_572/2011 du 3 avril 2012 consid. 1.2 ; ATA/205/2015 du 24 février 2015 ; Heinz AEMISEGGER/Stephan HAAG, Commentaire pratique de la protection juridique en matière d'aménagement du territoire, 2010, p. 53 n. 60 ad art. 33 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700). La qualité pour recourir peut être donnée en l'absence de voisinage direct, quand une distance relativement faible sépare l'immeuble des recourants de l'installation litigieuse (ATF 137 II 30 consid. 2.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_346/2011 du 1er février 2012 publié in DEP 2012 p. 692 consid. 2.3 ; ATA/220/2013 du 9 avril 2013).

d. S'il est certain ou très vraisemblable que l'installation litigieuse serait à l'origine d'immissions - bruit, poussières, vibrations, lumières ou autres - touchant spécialement les voisins, même situés à quelque distance, ces derniers peuvent avoir qualité pour recourir (ATF 140 II 214 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_170/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4.1 ; ATA/450/2016 précité). Les immissions ou les risques justifiant l'intervention d'un cercle élargi de personnes doivent présenter un certain degré d'évidence, sous peine d'admettre l'action populaire que la loi a précisément voulu exclure (arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3.5 ; ATA/251/2018 du 20 mars 2018). Il n'y a pas d'intérêt pratique au recours si la vraisemblance que le recourant subisse un préjudice n'est pas avérée ou hautement improbable (ATF 121 II 39 consid. 2c ; Laurent PFEIFFER, op. cit., p. 65).

e. Les atteintes purement subjectives ne sont pas dignes de protection si le recourant ne parvient pas à démontrer en quoi la décision attaquée lui causerait aussi un préjudice concret en raison, par exemple, des odeurs, du bruit causé par la construction. L'exigence d'un intérêt pratique exclut par définition la poursuite d'un intérêt purement théorique (Laurent PFEIFFER, op. cit, p. 64).

4) En l'occurrence, le TAPI a dénié aux recourants la qualité pour recourir estimant que ces derniers ne disposent pas d'un intérêt personnel digne de protection à remettre en cause des aménagements qui consistent en la pose d'éléments sanitaires et le déplacement d'une cloison à l'intérieur des locaux loués par l'intimée, même si ces travaux avaient pour but l'installation d'un salon de massage érotique. En outre, selon les premiers juges, leurs allégations de risque d'effondrement du bâtiment, de bruits, d'humidité excessive, d'inondations n'atteignent pas le degré de vraisemblance exigé pour admettre leur qualité pour recourir.

Le projet autorisé prévoit comme nouvelles constructions, la pose de six douches (deux au 3ème étage et quatre au 4ème étage), un évier au 3ème étage et une baignoire d'angle au 4ème étage dans une pièce dénommée « jacuzzi & sauna ». Trois toilettes (deux au 3ème étage et une au 4ème étage) et huit lavabos (six au 3ème étage et deux au 4ème étage) existaient déjà dans le bâtiment.

D'après la distribution des locaux loués par les recourants, les interventions chirurgicales, la radiologie, la consultation, les traitements d'ergothérapie et d'habilitation sont effectués par les médecins et les chirurgiens entre le
rez-de-chaussée et le 2ème étage du bâtiment. Les activités administratives de réception, de secrétariat et de facturation des recourants se trouvent également dans cet espace. Ces derniers ne démontrent pas en quoi les nuisances sonores qui proviendraient des nouvelles installations du 4ème étage où se trouve la grande partie de celles-ci les léseraient de manière directe et spéciale, les installations du 3ème étage ne subissant pas de modifications pouvant générer des nuisances sonores ou d'humidité excessive supérieures à la moyenne admissible dans le cadre d'installations sanitaires intérieures. Ils n'allèguent pas et moins encore ne prouvent que le 5ème étage renferme des activités qui pourraient être perturbées par les nouvelles installations du 4ème étage. Ils n'ont notamment pas contesté, preuves à l'appui, que cet étage est dédié à leurs archives, comme le soutient l'intimée.

S'agissant du risque d'humidité excessive lié à la ventilation des locaux et celui de gestion et d'évacuation des eaux usées, l'autorisation contestée est assortie de conditions figurant dans les préavis émis par les services compétents dans ces domaines, étant rappelé que la modification du libellé de la destination des locaux de centre wellness en salon de massage érotique, dont la confirmation avait été requise par l'inspection des constructions de l'OAC dans son préavis du 31 mars 2017 et rappelée dans le courrier du 5 avril 2017 de cette autorité, était déjà connue par l'autorité de décision au moment de délivrer l'autorisation de construire contestée. Des conditions concernant le risque incendie ont également été intégrées dans celle-ci. Les recourants ne démontrent pas non plus en quoi l'installation d'un salon de massage érotique dans les locaux loués par l'intimée leur causerait un préjudice. En revanche, ils allèguent ne pas porter un jugement réprobateur sur le contenu de l'activité, en l'occurrence la prostitution, envisagée par la locataire dans les locaux loués.

Dans ces conditions, les risques invoqués par les recourants n'apparaissent pas, au vu des nouvelles constructions envisagées, suffisamment vraisemblables pour admettre leur qualité pour recourir. Le jugement du TAPI qui refuse d'entrer en matière sur leur recours est ainsi conforme au droit, étant précisé que la jurisprudence de la chambre de céans à laquelle ils font allusion dans leurs observations finales du 22 mars 2018 ne leur est d'aucun secours, l'ATA/1639/2017 du 19 décembre 2017 traitant notamment de la problématique de l'interdiction d'affecter à des bureaux fermés au public les surfaces donnant sur des lieux de passage ouverts au public et non celle de l'aménagement intérieur des locaux.

Les griefs des recourants étant mal fondés, leur recours sera rejeté.

5) Vu l'issue du litige, un émolument de procédure de CHF 700.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à l'intimée (art. 87
al. 2 LPA), à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 janvier 2018 par CH8 SA, Messieurs Philippe CUENOD, Stéphane KÄMPFEN et Michaël PAPALOÏZOS contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 novembre 2017 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de procédure de CHF 700.- à la charge de CH8 SA, Messieurs Philippe CUENOD, Stéphane KÄMPFEN et Michaël PAPALOÏZOS, pris conjointement et solidairement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à Madame Edina HEJJA, à la charge de CH8 SA, Messieurs Philippe CUENOD, Stéphane KÄMPFEN et Michaël PAPALOÏZOS, pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sidonie Morvan, avocate des recourants, à Me Nicolas Wyss, avocat de l'intimée, au département du territoire - OAC, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :