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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3025/2021

JTAPI/965/2021 du 20.09.2021 ( MC ) , REJETE

Descripteurs : INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3025/2021 MC

JTAPI/965/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 septembre 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Magali BUSER, avocate, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 

 

 

EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1982, originaire de Roumanie, démuni de tout titre de séjour en Suisse, sans antécédent au casier judiciaire, a été interpellé le 3 septembre 2021, étant soupçonné d'avoir volé, en date du 25 août 2021 à la B______ Vibert, un portefeuilles, contenant, outre la somme de CHF 500.-, tous les papiers de l'intéressée (carte d'identité, permis de conduire) ainsi que des cartes bancaires et de crédit, d'une personne âgée.

2.            En possession de sa carte d'identité roumaine valable jusqu'au 15 novembre 2027, M. A______, confronté aux images vidéo ayant enregistré le vol, a nié les faits, déclaré n'avoir "rien à dire" à ce sujet et précisé qu'il était "possible" que ce soit lui qui figurait sur une des images extraites du système de vidéosurveillance de la B______ Vibert. Il a ajouté acheter tous les jours de la méthadone à proximité du Quai 9, percevoir Euros 900.- par mois du chômage français et n'avoir aucune adresse de notification à Genève.

3.            Par ordonnance pénale du Ministère public du 3 septembre 2021,
M. A______ a été reconnu coupable de vol et condamné pour infraction à l'art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

4.            Le même jour à 14h26, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au Canton de Genève) pour une durée de douze mois.

5.            Par courrier du 3 septembre 2021 adressé au Ministère public, M. A______ a formé opposition à l’encontre de cette décision ainsi qu'à l'encontre de l'ordonnance pénale.

6.            Ledit courrier a été transmis au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 8 septembre 2021, par le Ministère public, pour raison de compétence.

7.            Bien que dûment convoqué à l'audience du 20 septembre 2021 devant le tribunal, M. A______ ne s'est pas présenté. Son conseil a indiqué qu'ils n'étaient pas parvenus à le contacter. Ils lui avaient envoyé un courrier qui était resté sans réponse et n'avaient pas pu le joindre par téléphone, n'ayant pas son numéro. Elle ignorait pour quel motif son client s'était opposé à la mesure d'interdiction. Il avait fait opposition à l'ordonnance pénale du 3 septembre 2021. Ils n'avaient pas été nommés pour ladite procédure.

Elle a conclu, principalement, à l'annulation de la mesure d'interdiction de pénétrer dans le Canton de Genève, soit subsidiairement à la réduction de la durée de cette interdiction à six mois.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. À teneur de l'al. 3, ces mesures peuvent faire l'objet d'un recours auprès d'une autorité judiciaire cantonale ; le recours n'a pas d'effet suspensif.

5.             L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

6.             L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

7.             Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993, les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics. Cette notion ne recouvre pas seulement un comportement délictueux, comme par exemple des menaces envers le directeur du foyer ou d'autres requérants d'asile. Il y a aussi trouble ou menace de la sécurité et de l'ordre publics si des indices concrets font soupçonner que des délits sont commis, par exemple dans le milieu de la drogue, s'il existe des contacts avec des extrémistes ou que, de manière générale, l'étranger enfreint grossièrement les règles tacites de la cohabitation sociale. Dès lors, il est aussi possible de sanctionner un comportement rétif ou asocial, mais sans pour autant s'attacher à des vétilles. Toutefois, la liberté individuelle, notamment la liberté de mouvement, ne peut être restreinte à un point tel que la mesure équivaudrait à une privation de liberté déguisée (FF 1994 I 325).

8.             Dans ce contexte, la notion de « trouble » ou de « menace » est interprétée de façon large ; elle vise à empêcher que la présence de l'étranger en Suisse puisse déboucher sur la commission d'infractions pénales ou tout autre comportement « rétif ou asocial », qui, tout en ne tombant pas nécessairement sous le coup du droit pénal, perturbe ou enfreint grossièrement les règles tacites de la cohabitation sociale. De simples vétilles ne sauraient toutefois suffire, au regard du principe de la proportionnalité, pour prononcer une telle mesure (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op.cit, n. 16 ad art. 74 p. 733 et les arrêts cités).

La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014). D'autres comportements permettent néanmoins aussi de retenir un trouble ou une menace de la sécurité et de l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités ; cf. aussi art. 6 al. 3 LaLEtr, qui prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles et dommages à la propriété).

D'après la jurisprudence, une condamnation pénale définitive sanctionnant les faits qui suscitent le prononcé d'une mesure fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI n'est pas indispensable ; par exemple, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014).

9.             Pour être conforme au principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. RS 101), une restriction d'un droit fondamental, en l'espèce la liberté de mouvement, doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive (nécessité). Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.1).

10.         Le périmètre d'interdiction de pénétrer, qui peut même inclure l'ensemble du territoire d'une ville, doit être déterminé de manière que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Une telle mesure ne peut en outre pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 4 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 4.1).

11.         Concernant la fixation de la durée de la mesure, le fait que l'art. 74 al. 1 LEI ne prévoie pas de durée maximale ou minimale laisse une certaine latitude sur ce point à l'autorité compétente, la durée devant être fixée en tenant compte des circonstances de chaque cas d'espèce et en procédant à une balance entre les intérêts publics et privés en jeu (ATA/1282/2017 précité consid.5).

12.         En l'espèce, M. A______ de nationalité roumaine, n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement (art. 34 LEI), ce qui autorise l'application de l'art. 74 al. 1 LEI. Il a été condamné par le Ministère public du canton de Genève, le 3 septembre 2021, pour vol. Les conditions posées par l'art. 74 LEI sont donc remplies.

Concernant le périmètre de l'interdiction, étendu à l'ensemble du canton de Genève, comme le tribunal de céans a déjà eu l'occasion de le retenir, il ne constitue pas un usage excessif du pouvoir d'appréciation de l'autorité intimée. M. A______, qui n'a pas même pris la peine de venir à l'audience de ce jour afin d'exposer les raisons de son opposition, ne justifie au demeurant, au jour d'aujourd'hui, d'aucun motif rendant sa présence à Genève indispensable.

Enfin, la durée de la mesure, de douze mois, est conforme à la jurisprudence, même s'il s'agit d'une première mesure (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.3 ; 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/790/2018 du 27 juillet 2018 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/711/2014 du 4 septembre 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014 ; ATA/746/2013 du 7 novembre 2013), et est adaptée aux circonstances du cas d'espèce (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020 consid. 5).

13.         Il résulte de ce qui précède que l'opposition de M. A______, qui ne repose sur aucun motif valable, doit être rejetée et l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée confirmée pour une durée de douze mois.

14.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

15.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 3 septembre 2021 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 3 septembre 2021 pour une durée de douze mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 3 septembre 2021 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de douze mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière