Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1131/2025 du 14.10.2025 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2026/2024-AIDSO ATA/1131/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 14 octobre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Tania Griot-Witschard, avocate
contre
HOSPICE GÉNÉRAL intimé
A. a. A______ a été au bénéfice de prestations de l'aide sociale de la part de l'Hospice général (ci-après : l’hospice) du 1er avril 2011 au 31 juillet 2022.
b. Il a signé à de nombreuses reprises le document « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » (ci-après : le document « Mon engagement »). Ce document indiquait que le bénéficiaire devait déclarer tout fait nouveau susceptible de modifier son droit aux prestations d'aide sociale. L’intéressé a également signé le document « Demande de prestations financières de l'aide sociale ». Il a déclaré ne pas percevoir de revenus et ne pas exercer d'activité lucrative dépendante ou indépendante.
c. Lors des entretiens périodiques avec son assistante sociale, il déclarait vouloir reprendre son activité de chauffeur de taxi, mais a déclaré qu’il n'avait pas la capacité financière pour « acheter » les plaques d'immatriculation nécessaires. Lors d'entretiens ultérieurs, il a déclaré suivre une formation d'interprète communautaire en ligne.
d. A______ n'avait personne à sa charge. Son frère B______ était domicilié chez lui du 1er juillet 2014 au 31 janvier 2022.
B. a. À la suite d’une découverte fortuite de la part d'une collaboratrice de l’hospice, il a été constaté que A______ travaillait en qualité de chauffeur C______. Une enquête a alors été diligentée par le Service Enquêtes et Conformités de l'hospice (ci-après : SEC) le 17 septembre 2021. Il ressort du rapport d'enquête du SEC du 3 février 2023 que A______ travaillait en qualité de chauffeur C______ depuis le 10 avril 2015. Il empruntait le véhicule appartenant à son frère B______. Tous les gains des courses effectuées étaient enregistrés sur des comptes bancaires enregistrés au nom d'B______. Deux véhicules utilisés pour effectuer les courses C______ étaient immatriculés au nom d'B______. Ce dernier était également le détenteur desdits véhicules. Lors de son audition, A______ a déclaré qu'il avait travaillé comme chauffeur C______ depuis début 2020. Il a par la suite rétracté ses déclarations. Il ne faisait que procéder à un essai gratuit pour des amis pour se sortir d'une mauvaise passe au niveau psychologique.
Il ressort des cotisations AVS de A______ qu’il était enregistré comme indépendant entre janvier et décembre 2021. Il était le titulaire de deux comptes non déclarés auprès de D______ ainsi qu'auprès de E______ sur lesquels apparaissait des dépenses pour plus de CHF 29'000.-. Lesdites cartes faisaient apparaître des dépenses surtout liées aux besoins quotidiens. Le bénéficiaire percevait les gains encaissés en espèces de la part de son frère B______. Celui-ci était titulaire d'une entreprise individuelle inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) sous la raison sociale F______ dont le but était le transport professionnel de personnes et la location de véhicules.
A______ a eu l'occasion de se déterminer et de s'expliquer par écrit et oralement devant le SEC.
Le 10 avril 2015, A______ a ouvert un compte de chauffeur C______ auprès de la société C______. Aucun gain n'a été enregistré sur ce compte jusqu'au 30 janvier 2020. Il ressort des rapports fiscaux produits par la société C______ que A______ a réalisé un revenu de CHF 30'000.- pour l'année 2021 et CHF 31'000.- pour l'année 2022.
b. Le 20 juin 2022, A______ a informé son assistante sociale qu'il allait entamer une activité indépendante d'interprète communautaire. Par conséquent, il requérait la fin de l'aide sociale.
c. Par décision du 28 mars 2023, le centre d'action sociale G______ a ordonné la restitution du montant de CHF 266'458.85 correspondant aux prestations sociales versées entre le 10 avril 2015 et le 31 juillet 2022.
C. a. Par acte du 21 avril 2023, A______ a formé opposition contre cette décision.
Il avait effectué un simple essai gratuit pour des amis et n'avait jamais exercé comme chauffeur C______. Il n’avait pas été informé du fait qu'il avait été vu en train d'exercer la profession de chauffeur C______. Il n'avait pas pu être entendu. La voiture Mercedes-Benz immatriculée 1______ appartenait à son frère. Celui-ci l'avait achetée en 2019 et son activité de chauffeur de taxi avait périclité en raison des difficultés rencontrées par la société C______ ainsi que la pandémie de COVID-19.
b. Par décision du 14 avril 2024, l’hospice a rejeté l'opposition.
A______ exerçait une activité indépendante depuis avril 2015. Quel qu’eût été l'arrangement entre lui et son frère, il était bien le titulaire du compte et ne pouvait se prévaloir de ses déclarations, tant celles-ci étaient fluctuantes et avaient changé une fois qu’il avait été confronté à son travail par le SEC. Il n'établissait pas ses ressources financières pendant la période litigieuse. Le remboursement intégral des prestations devait dès lors être exigé.
D. a. Par acte du 14 juin 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, sa comparution personnelle, l’audition de son frère B______, la production de tous les procès verbaux de comparution devant le SEC, le versement à la procédure de toute la correspondance entre la société C______ et l’hospice devaient être ordonnés. Il demandait à pouvoir compléter son recours une fois l'accès au dossier accordé.
La décision était disproportionnée et constatait inexactement les faits. L'hospice aurait dû tenir compte du fait qu’il n'avait pas réalisé de gains entre le 10 avril 2015 et le 31 juillet 2022. La décision consacrait une violation du principe de la dignité humaine ainsi qu'une violation de l'art. 36 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04). Il voulait tester l'application afin de faire un test gratuit pour des amis. Son frère avait configuré les accès, étant donné qu'il était peu féru d'informatique. Il ne s'était pas rendu compte qu'il était inscrit sur la plateforme C______. Finalement, on ne pouvait qualifier son activité d'indépendante, étant donné que les chauffeurs C______ avaient été qualifiés comme des travailleurs salariés par le Tribunal fédéral.
b. Le 17 juillet 2024, l’hospice a conclu au rejet du recours.
Le droit d'être entendu du recourant avait été respecté. Il avait pu se déterminer à plusieurs reprises devant le SEC et par courrier. Il n'avait pas annoncé son essai auprès de son assistante sociale lors des entretiens périodiques. Il ne pouvait se prévaloir de sa méconnaissance de l'informatique. Il s'était inscrit à de nombreux sites en ligne et répondait toujours par courriel aux assistants sociaux. Il ne pouvait ignorer que son inscription comme chauffeur C______ pouvait entraîner des conséquences au niveau de ses prestations d'aide sociale, étant donné qu'en 2011, il avait dû arrêter son activité de chauffeur de taxi indépendant pour bénéficier des prestations d'aide sociale. Il était titulaire du compte et travaillait, même de facto, pour la société. L'arrêt qu’il citait ne s'appliquait pas à son cas. Les critères du droit genevois à l'aide sociale n'étaient pas les mêmes que ceux du droit civil ou du droit des assurances sociales. En tout état de cause, l'aide sociale était subsidiaire à toute source de revenus.
c. Parallèlement à son recours déposé par devant la chambre de céans, le recourant a, le 9 septembre 2024, formé une demande de reconsidération.
Il a produit un courrier de la société C______ du mois d'août 2024 attestant qu’il avait effectué sa première course le 31 janvier 2020. Il contestait cependant avoir effectué cette course et demandait, à tout le moins, la réduction partielle du montant à rembourser.
d. Par arrêt du 27 septembre 2024, la chambre administrative a suspendu la procédure dans l’attente du prononcé de la décision de reconsidération.
e. Le 17 avril 2025, l’hospice a admis partiellement la demande de reconsidération.
Le recourant avait effectivement travaillé pour la société C______ en qualité de chauffeur de taxi indépendant entre le 31 janvier 2020 et le 31 juillet 2022.
Seul lui était réclamé le remboursement de la somme de CHF 123’030.10 correspondant aux prestations d’aide sociale perçues en trop pendant cette période.
E. a. Le 16 mai 2025, A______ a formé recours auprès de la chambre de céans, contre la décision de reconsidération du 17 avril 2025.
Il a pris les mêmes conclusions et développé la même argumentation que lors de son recours contre la première décision.
Le montant de CHF 29'000.- ne correspondait pas à un revenu mais à des dépenses quotidiennes. Le calcul du revenu qui prenait en compte ce montant était faux et donc arbitraire.
b. Le 27 juin 2025, le recourant a conclu à la jonction des recours.
c. Le 1er juillet 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le litige a pour objet la décision sur reconsidération du 17 avril 2025, qui a remplacé la décision sur opposition du 14 avril 2024.
3. À titre préalable, le recourant sollicite sa comparution personnelle ainsi que celle de son frère. Il sollicite également la production de l’intégralité des procès-verbaux du SEC et de la correspondance entre la société C______ et l’hospice.
3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1 ; 145 I 167 consid. 4.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 144 II 427 consid. 3.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_452/2024 du 16 janvier 2025 consid. 2.1).
3.2 En l’espèce, le recourant a pu s’exprimer devant le SEC. Il a pu se déterminer devant l’hospice dans le cadre de son opposition puis de sa demande de reconsidération. Il a pu développer son argumentation et produire toute pièce utile devant la chambre de céans. Il n’expose pas ce que son audition apporterait à la solution du litige qu’il n’aurait pu produire par écrit. La chambre de céans dispose d’un dossier complet et la cause est en état d’être jugée. S’agissant d’C______, les données déterminantes ont été fournies par cette société et le recourant n’explique pas quelles informations utiles pour l’issue du litige la production de toute la correspondance pourrait apporter.
Il ne sera pas ordonné d’actes d’instruction.
4. Le recourant reproche à l’autorité d’avoir constaté les faits de manière arbitraire.
4.1 Dans son rapport d’enquête du 3 février 2023, le SEC indique que le recourant est le titulaire du compte C______ associé à son nom. Il ressort des relevés fiscaux de 2020, 2021 et 2022 produits par C______ que le recourant a effectué des courses pour elle pendant la période susmentionnée. Il a effectué 30'000 km de courses en 2021, 31'000 km en 2022, qui ont produit un revenu total de CHF 80'000.-. De plus, le recourant s’est inscrit à l’AVS comme indépendant de janvier à décembre 2021, alors qu’il déclarait être sans activité lucrative à l’hospice.
Le fait que le recourant a utilisé les comptes bancaires de son frère pour encaisser les gains de ses courses n’est pas déterminant, ce d’autant plus que le recourant a déclaré lors de l’enquête recevoir CHF 250.- à CHF 300.- par semaine en espèces, ce qui peut correspondre à une partie de ses gains. Il a également utilisé le véhicule de son frère, ce qui rendait objectivement la détection de son activité indépendante plus difficile.
Il est par contre vrai que les gains de l’entreprise F______ ne peuvent être attribués au recourant, étant donné que l’adresse indiquée au RC coïncidait avec le changement de domicile d’B______. Toutefois, un changement de domicile le jour suivant l’audition de l’intéressé auprès du SEC est troublant, voire insolite. En effet, le frère du recourant a déménagé le jour suivant l’audition du recourant alors qu’B______ vivait chez celui-ci depuis 2014. Rien ne laisse penser que le recourant aurait effectué un simple « essai » gratuit de l’application. Les faits n’ont pas été constatés de manière arbitraire par l’autorité.
Mal fondé, ce grief sera écarté.
5. Le recourant reproche à l’autorité d’avoir violé l’art. 48 LASLP. Il affirme qu’il a donné tous les renseignements à l’autorité, que ses déclarations étaient fluides et cohérentes tout au long de la procédure, qu’il n’a jamais agi de mauvaise foi. Rien ne démontre qu’il aurait effectué une activité indépendante, les critères de l’activité indépendante, ne sont selon lui, pas remplis en l’espèce.
5.1 Le 1er janvier 2025 est entrée en vigueur la loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité du 23 juin 2023 (LASLP - J 4 04). La LASLP s'applique dès son entrée en vigueur à toutes les personnes bénéficiant des prestations prévues par la LIASI (art. 81 al. 1 LASLP). Les art. 48 à 54 LASLP s'appliquent aux prestations d'aide financière versées en application de l'ancienne loi, dans la mesure où elles auraient donné lieu à restitution selon cette loi et si l'action en restitution n'est pas prescrite au moment de l'abrogation de ladite loi (art. 81 al. 2 LASLP).
5.2 L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (art. 36 al. 5 LIASI et 48 al. 5 et 51 al. 5 LASLP).
En l'occurrence, le recourant a bénéficié de prestations d'aide financière remboursables en vertu de la LIASI entre le 31 janvier 2020 au 31 juillet 2022. Les prestations auraient donné lieu à restitution également sous l'empire la LIASI et l'action en restitution n'était pas prescrite au 1er janvier 2025, dès lors que l'hospice en a eu connaissance du fait ouvrant le droit au remboursement au plus tard le 26 juillet 2022, soit moins de cinq ans avant cette date. Il s’en suit que c’est la LASLP qui s’applique.
6. Aux termes de l’art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L’art. 39 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) contient une garantie similaire.
6.1 Ce droit à des conditions minimales d’existence fonde une prétention des justiciables à des prestations positives de l’État. Il ne garantit toutefois pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d’une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base. L’art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 142 I 1 consid. 7.2.1 ; 136 I 254 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_9/2013 du 16 mai 2013 consid. 5.1 ; ATA/663/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.1).
6.2 En droit genevois, la LASLP et son règlement d’exécution du 17 avril 2024 (RASLP - J 4 04.01) mettent en œuvre ce principe constitutionnel.
Selon l’art. 1 al. 1 LALSP, cette loi a pour but de mettre en place le dispositif cantonal d’aide sociale et d’accompagnement individuel qui prévoit des prestations destinées à venir en aide aux personnes dans le besoin et à favoriser durablement l’autonomie, l’insertion sociale et l’insertion professionnelle (al. 2), à réaliser ces objectifs sociaux par des actions et des mesures élaborées et mises en œuvre en adéquation avec les attentes et les besoins des personnes concernées (al. 3), à encourager le partenariat entre les acteurs publics et privés concernés. Elle vise à garantir que ses organes d’exécution développent et renforcent une collaboration interinstitutionnelle et favorisent la simplification administrative.
6.3 Selon l’art. 21 LASLP, la personne majeure qui n’est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge a droit à des prestations d’aide financière (al. 1). Ces prestations ne sont pas remboursables, sous réserve des art. 29, 48 et 50 à 54 de la présente loi (al. 2). Elles sont incessibles et insaisissables (al. 3).
Conformément à l’art. 22 LASLP, les prestations d’aide financière versées en vertu de la LASLP sont subsidiaires à toute autre source de revenu, aux prestations découlant du droit de la famille ou de la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe du 18 juin 2004 (LPart - RS 211.231), ainsi qu’à toute autre prestation à laquelle le bénéficiaire et les membres du groupe familial ont droit, en particulier aux prestations d’assurances sociales fédérales et cantonales, et aux prestations communales, à l’exception des prestations occasionnelles (al. 1). Le bénéficiaire et les membres du groupe familial doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l’aide financière est subsidiaire et doivent mettre tout en œuvre pour améliorer leur situation sociale et financière
(al. 2).
Selon l’art. 34 LALSP, sont pris en compte les revenus et les déductions sur le revenu prévus aux art. 4 et 5 de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), sous réserve des exceptions figurant aux al. 2 et 3 (al. 1). Ne sont pas pris en compte à titre de revenus, mais à titre de fortune, les revenus uniques en capital visés sous les lettres f, i, j, k, q et r de l’art. 4 LRDU (al. 5). Sont assimilées aux ressources de l’intéressé celles des membres du groupe familial (al. 6).
6.4 À teneur de l’art. 4 al. 1 LRDU, le socle du revenu déterminant unifié comprend l’ensemble des revenus, notamment : le gain en capital réalisé lors de l'aliénation d'éléments de la fortune privée au sens de l'art. 27 let. j LIPP (let. q).
L’art. 4 LRDU contient une longue liste des éléments qui doivent, notamment, être retenus à titre de revenu. Pour l’essentiel, cette liste se fonde sur la définition du revenu, telle qu’elle ressort de la législation fiscale. Le but du législateur était d’ailleurs de prendre en compte « tous les revenus, prestations et avantages qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature » (Projet de loi du Conseil d’État sur le revenu déterminant le droit aux prestations sociales cantonales, p. 18 ; ci-après : PL 9'135). L’art. 4 LRDU n’est pas exhaustif (ATA/669/2010 du
29 septembre 2010 consid. 4a).
Selon l’art. 6 LRDU, le socle du revenu déterminant unifié comprend notamment les éléments de fortune immobilière et mobilière suivants : l’argent comptant, les dépôts dans les banques, les soldes de comptes courants ou tous titres représentant la possession d’une somme d’argent (let. c) ; tout autre élément de fortune, à l’exclusion des meubles meublants et du capital versé à titre d’épargne à une institution de prévoyance (let. g).
6.5 Selon les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (ci‑après : CSIAS, état dès le 1er janvier 2021), toutes les ressources financières sont prises en compte dans le calcul des prestations financières de l’aide sociale. Les ressources financières des personnes mineures sont à prendre en compte seulement jusqu’à hauteur de la part qui leur est imputable dans le budget du ménage (Normes CSIAS D1).
6.6 Selon le principe de subsidiarité qui régit le domaine de l’aide sociale en Suisse, celle-ci n’intervient que si la personne ne peut subvenir elle-même à ses besoins et si toutes les autres sources d’aide disponibles ne peuvent être obtenues à temps et dans une mesure suffisante. Il n’y a ainsi pas de droit d’option entre les sources d’aide prioritaires. En particulier, l’aide sociale est subsidiaire par rapport aux prestations légales de tiers ainsi que par rapport aux prestations volontaires de tiers. Toutefois, seules les prestations effectivement fournies par des tiers sont prises en compte et il n’est donc en principe pas admissible de tenir compte d’un revenu hypothétique dans le calcul des conditions minimales d’existence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_56/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1 et les références).
La personne dans le besoin doit avoir épuisé les possibilités d’auto-prise en charge, les engagements de tiers et les prestations volontaires de tiers. L’aide est subsidiaire, de manière absolue, à toute autre ressource, mais elle est aussi subsidiaire à tout revenu que le bénéficiaire pourrait acquérir par son insertion sociale ou professionnelle (ATA/663/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.4 et les références).
6.7 Selon l’art. 44 al. 1 LASLP, le demandeur ou son représentant légal doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière.
L’art. 45 al. 1 LASLP prévoit en outre que le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression.
6.8 Sous le titre « Prestations perçues indûment », l’art. 48 LASLP dispose qu’est considérée comme étant perçue indûment toute prestation qui a été touchée sans droit (al. 1). Par décision écrite, l’hospice réclame au bénéficiaire, à sa succession ou à ses héritiers qui l’ont acceptée, le remboursement de toute prestation d’aide financière perçue indûment par la suite de la négligence ou de la faute du bénéficiaire (al. 2). Le remboursement des prestations indûment touchées peut être réclamé si le bénéficiaire, sans avoir commis de faute ou de négligence, n’est pas de bonne foi (al. 3). L’action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l’hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s’éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 5).
Conformément à l’art. 49 LASLP, le bénéficiaire de bonne foi n’est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis de ce fait dans une situation difficile (al. 1). Dans ce cas, il doit formuler par écrit une demande de remise dans un délai de 30 jours dès la notification de la demande de remboursement. Cette demande de remise est adressée à l’hospice (al. 2).
6.9 La LASLP impose un devoir de collaboration et de renseignement (ATA/663/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.4 ; ATA/768/2015 du 28 juillet 2015 consid. 7a).
Le document « Mon engagement » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu’il donne immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toutes pièces nécessaires à l’établissement de sa situation économique (ATA/195/2021 du 12 juillet 2022 consid. 4a ; ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3a).
De jurisprudence constante, toute prestation obtenue en violation de l’obligation de renseigner l’hospice est une prestation perçue indûment (ATA/15/2023 du 10 janvier 2023 consid. 2g ; ATA/850/2022 du 23 août 2022 consid. 5b ; ATA/918/2019 du 21 mai 2019 consid. 2).
Celui qui a encaissé des prestations pécuniaires obtenues en violation de son obligation de renseigner est tenu de les rembourser selon les modalités prévues par la LASLP qui concrétisent tant le principe général de la répétition de l’enrichissement illégitime que celui de la révocation, avec effet rétroactif, d’une décision administrative mal fondée, tout en tempérant l’obligation de rembourser en fonction de la faute et de la bonne ou mauvaise foi du bénéficiaire (ATA/93/2020 précité consid. 3c et les références citées).
Les bénéficiaires des prestations d’assistance sont tenus de se conformer au principe de la bonne foi dans leurs relations avec l’administration, notamment en ce qui concerne l’obligation de renseigner prévue par la loi, sous peine d’abus de droit. Si le bénéficiaire n’agit pas de bonne foi, son attitude doit être sanctionnée et les décisions qu’il a obtenues en sa faveur peuvent être révoquées en principe en tout temps. Violer le devoir de renseigner est contraire à la bonne foi (ATA/93/2020 précité consid. 3c). Il convient toutefois d’apprécier, au cas par cas, chaque situation pour déterminer si l’entier des prestations, ou seulement une partie de celles-ci, a été perçu indûment et peut faire l’objet d’une demande de remboursement (ATA/947/2018 du 18 septembre 2018 consid. 3d).
6.10 De jurisprudence constante, les conditions de la bonne foi et de la condition financière difficile sont cumulatives (ATA/1231/2022 du 6 décembre 2022 consid. 4g ; ATA/93/2020 précité consid. 4b et les références citées).
La condition de la bonne foi doit être réalisée dans la période où l’assuré concerné a reçu les prestations indues dont la restitution est exigée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2007 du 17 avril 2008 consid. 4).
Selon la jurisprudence de la chambre administrative, un assuré qui viole ses obligations d’informer l’hospice de sa situation financière ne peut être considéré de bonne foi (ATA/93/2020 précité consid. 4b et les références citées). La bonne foi doit être niée quand l’enrichi pouvait, au moment du versement, s’attendre à son obligation de restituer parce qu’il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l’attention requise, que la prestation était indue (art. 3 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC - RS 210] ; ATF 130 V 414 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_385/2011 du 13 février 2012 consid. 3).
6.11 La maxime inquisitoire, applicable à la procédure en matière d’aide sociale, ne dispense pas le requérant de l’obligation d’exposer les circonstances déterminantes pour fonder son droit. Son devoir de collaborer ne libère pas l’autorité compétente de son devoir d’établir les faits mais limite son obligation d’instruire, ce qui conduit à un déplacement partiel du fardeau de la preuve du côté des requérants d’aide sociale. Ceux-ci supportent le fardeau objectif de la preuve qu’ils sont en partie ou entièrement tributaires d’une telle aide en raison d’un manque de moyens propres. Le requérant est tenu de collaborer en ce sens qu’il donne les informations nécessaires et verse les documents requis au dossier. Comme il est naturellement plus aisé de prouver l’avoir que l’absence d’avoir, il y a lieu de poser une limite raisonnable à l’obligation légale d’apporter la preuve, ainsi qu’à l’exigence relative à la présentation d’un dossier complet (arrêt du Tribunal fédéral 8C_702/2015 du 15 juin 2016 consid. 6.2.1).
6.12 L’obligation de l’administré consiste à informer l’hospice de tous ses éléments de fortune et de toute activité indépendante, sans égard à la valeur ou rentabilité de celles-ci. En effet, il appartient à l’hospice d’examiner l’éventuelle prise en compte de ces éléments dans le calcul du droit aux prestations et non au bénéficiaire des prestations, de sorte qu’à défaut, celui-ci doit se voir reprocher une violation de son devoir de renseigner (ATA/398/2024 précité consid. 3.5).
6.13 Les sommes figurant sur les comptes bancaires et postaux d'un bénéficiaire sont considérées comme lui appartenant. Ainsi, dès lors qu’une somme est versée sur le compte d’un bénéficiaire, n'étant ni individualisée, ni individualisable et mélangée avec ses avoirs, elle doit être considérée comme lui appartenant (ATA/398/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/690/2023 du 27 juin 2023 consid. 2.8).
Les bénéficiaires des prestations d’assistance sont tenus de se conformer au principe de la bonne foi dans leurs relations avec l’administration, notamment en ce qui concerne l’obligation de renseigner prévue par la loi, sous peine d’abus de droit. Si le bénéficiaire n’agit pas de bonne foi, son attitude doit être sanctionnée et les décisions qu’il a obtenues en sa faveur peuvent être révoquées en principe en tout temps. Violer le devoir de renseigner est contraire à la bonne foi (ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3c).
6.14 L'art. 47 LASLP décrit six cas dans lesquels les prestations d'aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées.
Tel est notamment le cas lorsque le bénéficiaire ne répond pas ou cesse de répondre aux conditions de la LIASI (art. 47 al. 1 let. a LASLP), lorsqu'il ne s'acquitte pas intentionnellement de son obligation de collaborer telle que prescrite par l'art. 44 LASLP ou lorsqu'il refuse de donner les informations requises, donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (art. 47 al. 1 let. d LASLP).
6.15 De jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/195/2021 du 23 février 2021 consid. 7c et les références citées).
6.16 En l’espèce, le recourant a violé son obligation de renseigner. Il résulte du rapport d’enquête du SEC qu’il a caché son activité de chauffeur C______. Ses déclarations ne sont pas constantes et ont fluctué au fur et à mesure que l’enquête avançait. En effet, lors de son audition du 31 janvier 2022, il a déclaré ne pas travailler. Ce n’est qu’une fois confronté au fait qu’il avait été vu comme chauffeur C______ en septembre 2021 qu’il a affirmé qu’il avait travaillé comme chauffeur C______ entre 2020 et 2022. Il a ensuite, par courrier du 14 mars 2022, déclaré n’avoir jamais travaillé comme chauffeur C______ et avoir effectué qu’un simple essai gratuit pour des amis et que son frère avait conservé les accès informatiques.
Le recourant n’a non plus pas déclaré le compte qu’il avait ouvert auprès de E______, depuis 2018. Or, il était tenu d’en informer son assistante sociale lors des rendez-vous périodiques de l’existence de ce compte.
Le fait que le recourant ne possède pas le véhicule ni ne possède de compte C______ à son nom n’est pas pertinent. Selon les éléments concordants figurant au dossier, il a utilisé son frère comme prête-nom afin de pouvoir continuer à bénéficier de l’aide sociale. Rien ne démontre ni même ne rend plausible qu’B______ aurait usurpé l’identité de son frère afin de continuer à effectuer des courses en son nom, le dossier tend même à démontrer l’inverse. Il ressort de toutes les informations disponibles que le recourant a travaillé pour la société C______ entre 2020 et 2022 et qu’il l’a caché à l’hospice.
La requalification des travailleurs C______ comme travailleurs salariés ne lui est d’aucun secours. En effet, l’aide sociale est subsidiaire à tout revenu, qu’il provienne d’une activité lucrative dépendante, indépendante, de l’acquisition d’un bien immobilier d’un gain de loterie, d’une succession, d’une donation, d’un leg ou autre. Cette information devait dans tous les cas être mentionnée par le recourant lors de la signature du document « Mon engagement », voire ultérieurement lorsqu’il a pratiqué comme chauffeur de taxi
Tout revenu non déclaré entraîne le remboursement de l’aide sociale. L’hospice est ainsi fondé à réclamer le remboursement des prestations indues.
Cela étant, s’agissant du montant de celles-ci, il convient de recalculer la somme demandée par l’hospice. En effet, même si les comptes E______ n’ont pas été déclarés et auraient dû l’être, il apparaît que ceux-ci n’établissent pas des revenus mais des dépenses, comme d’ailleurs toutes les cartes de crédit. Le montant de CHF 29'972.85 correspond au total des différentes dépenses quotidiennes effectuées par le recourant pour son alimentation et son habillement pendant une période de trois ans. Il en résulte que le recourant ne s’est pas enrichi de cette somme.
La somme due par le recourant à l’hospice sera ainsi ramenée à CHF 93'057.25 (soit CHF 123’030.10 – CHF 29'972.85), correspondant à l’intégralité des prestations sociales perçues en trop entre 2020 et 2022.
Le recours sera admis dans cette mesure.
7. Le recourant se plaint du caractère disproportionné de la sanction. Il affirme que la sanction le mettrait dans une situation qui l’obligerait à vivre au minimum vital pour le restant de ses jours.
7.1 Le remboursement des prestations d'assistance doit être conforme au principe de la proportionnalité, imposant une pesée de l'ensemble des circonstances. Il faut alors prendre en considération la personnalité et la conduite du bénéficiaire des prestations, la gravité des fautes qui lui sont reprochées, les circonstances de la suppression des prestations ainsi que l'ensemble de la situation de la personne concernée (ATF 122 II 193 ; ATA/1271/2017 du 12 septembre 2017 consid. 6c ; ATA/357/2017 du 23 mars 2017 consid. 7c).
7.2 En l’espèce, le recourant a caché l’existence de son activité en tant que chauffeur C______ entre le 31 janvier 2020 et le 31 juillet 2022. Cette activité est une activité lucrative, la qualification de l’activité comme salariée ou indépendante pouvant rester indécise, car sans pertinence pour le litige. La faute du recourant est une faute grave. Il existe ici un intérêt public évident à sanctionner les fraudes à l’aide sociale et à préserver les finances de l’hospice. Au vu de ce qui précède, la sanction est proportionnée car apte à conduire le recourant à prendre conscience de ses obligations et à s’y conformer.
Le grief sera écarté.
Le recours sera partiellement admis, comme indiqué au considérant précédent, et le montant à rembourser réduit à CHF 93'057.25.
8. La procédure est gratuite, de sorte qu’il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA cum 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant, à la charge de l’intimé (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 14 juin 2024 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 17 avril 2025 ;
au fond :
l’admet partiellement ;
annule la décision en tant qu’elle arrête à CHF 123'030.10 le montant à rembourser par A______ ;
arrête le montant dû par A______ à l’Hospice général à CHF 93'013.10 ;
confirme la décision pour le surplus ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’Hospice général ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Tania GRIOT-WITSCHARD, avocate du recourant, ainsi qu'à l'Hospice général.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
M. MICHEL
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière :
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