Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/555/2025 du 20.05.2025 ( PRISON ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/461/2025-PRISON ATA/555/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 20 mai 2025 2ème section |
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dans la cause
A_____ recourant
contre
PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée
A. a. A_____ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 15 novembre 2024, après que le Tribunal d’application des peines et mesures (ci-après : TAPEM) eut ordonné sa réintégration dans l’exécution de la mesure institutionnelle prononcée par le Tribunal correctionnel le 16 octobre 2019 et alors qu’il avait auparavant été libéré conditionnellement le 22 octobre 2021.
b. Selon le rapport d’incident de la prison du 3 février 2025, il avait, à 22h01, appelé l’agent de détention en poste par l’interphone pour lui dire qu’il écrivait depuis quatre-vingt jours pour voir le service médical mais que personne ne venait le chercher. Avant que l’agent n’ait eu le temps de lui répondre, il lui avait lancé : « Viens me chercher, je vais m’occuper de toi. Tu vas voir ce que je vais te mettre ». L’agent avait prévenu le sous-chef, qui avait décidé de la mise en cellule forte de A_____. À 22h08, un collègue avait demandé à celui-ci de venir au portillon de sa cellule, à quoi il avait répondu : « Je viens pas, vous avez pas les couilles de rentrer ». À 22h10, les agents de détention avaient ouvert les portes de la cellule et étaient entrés pour le chercher, ce que voyant il s’était levé et était sorti de lui‑même. Il avait été placé en cellule forte à 22h14. Le transfert et la fouille s’étaient déroulés sans contrainte. Selon le rapport complémentaire du lendemain 4 février 2025, il avait été entendu le même jour à 16h55 et avait reconnu partiellement les faits reprochés. À 17h00, la sanction de deux jours de cellule forte lui avait été signifiée, mais il avait refusé de la signer et une copie lui avait été remise à 18h30. L’exécution de la sanction avait pris fin le 5 février 2025 à 22h14.
B. a. Par acte remis à la poste le 8 février 2025, A_____ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.
Il a notamment fait valoir que la conclusion du « maton » était un vrai mensonge ; la chambre administrative était capable de « différencier la vérité ou un malhonnête recours » pour la décision dont il était victime. On l’avait violenté par l’ordre du « maton », les caméras en étaient témoin. La chambre administrative devait être avertie de ce qui se passait et ouvrir une enquête. Il faisait l’objet de maltraitances, de violences, de viols, d’attouchements et avait reçu un coup de thermos sur la tête. Les Hôpitaux universitaires de Genève (« HUG ») étaient « coupables de tenir la vérité ». Il fallait défendre ses droits de personne, il avait plusieurs « points de suture sous mal thérapie maltraitance » ; il demandait d’agir « de trouver le chemin de vérité », sa vie restait en danger et il ne recevait aucune thérapie par les « autorités malsaines diaboliques ». L’illégalité avait pris le dessus à Genève. Il attendait que soit choisie la vérité.
b. Le 13 février 2025, A_____ s’est plaint d’avoir été placé au « cachot ou cellule forte » deux jours en l’insultant « tu es une merde connard sale fils de pute » malgré l’appel qu’il avait fait au service médical. Il avait été laissé pour mort dans sa cellule. Il demandait qu’on agisse maintenant pour « maltraitance, empoisonnement, sexisme, viol ».
c. Le 10 mars 2025, la prison de Champ-Dollon a conclu au rejet du recours.
A_____ avait fait l’objet de deux autres sanctions, la dernière le 8 décembre 2024, également objet d’un recours. La sanction objet de la procédure lui avait été infligée pour attitude incorrecte envers le personnel, après qu’il eut été entendu. Son principe était acquis et sa nature et sa quotité étaient proportionnées.
Elle a produit les images de vidéo-surveillance des locaux communs lors des passages du recourant. On y voit celui-ci marcher entouré des agents sans contrainte ni résistance, mais semblant par moments parler tout seul ou aux caméras (dans un couloir et dans l’ascenseur) en agitant les bras.
d. Le 20 mars 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions et son argumentation.
Il était emprisonné depuis plus de deux mois dans une cellule tout seul. Les HUG cachaient ses prises de sang. Ils disaient qu’ils ne les avaient jamais faites. Il avait été victime plus de trois ou quatre fois de violences sexuelles et d’attouchements. Malgré les « endroits intimes », il y avait des caméras. Il avait reçu du gardien un coup de thermos « dans le craint violent dangereux et discrimination de la part de prison et d’autre plein de violence ». Il voulait une enquête « même [s]es avocat B_____ il est dans une perversité aggravé. » Il appelait au secours et demandait qu’on prenne au sérieux tout ce qui lui arrivait depuis des années. Il était maltraité et on ne prenait pas en charge « grave l’affaire comme le SAPEM C_____ et complice l’auteur de mes empoisonnements et me violenté » (sic).
e. Le 25 mars 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. On comprend de ses écritures que le recourant conteste la sanction. Les mauvais traitements dont il se plaint par ailleurs, sans plus de précisions, ne sont pas l’objet de la présente procédure, la chambre de céans ne pouvant qu’examiner le bien‑fondé de la sanction.
2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).
2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison de Champ-Dollon est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).
2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).
À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).
2.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).
2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
2.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).
2.7 L'art. 180 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne. Cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2).
2.8 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b). Elle a confirmé des sanctions de deux jours de cellule forte infligées à des détenus ayant insulté un ou plusieurs agents de détention (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021). Elle a aussi confirmé une sanction de deux jours de cellule forte infligée à un détenu ayant écrit sur les murs de sa cellule des propos menaçants puis insulté un gardien (ATA/1486/2019 du 8 octobre 2019). Elle a récemment estimé qu’une sanction de deux jours de cellule forte était appropriée aux expressions menaçantes (« Nique sa mère le surveillant » et « T’es connu à Genève, je sais où tu habites et dans quelle salle tu t’entraînes. Genève, c’est petit. Arrête de faire ton malin, tu fais peur à personne ») qu’un détenu mécontent, par ailleurs dépourvu d’antécédents disciplinaires, avait adressées dans un intervalle de deux heures à un agent de détention (ATA/487/2025 du 29 avril 2025).
2.9 En l’espèce, le rapport d’incident du 3 février 2025 décrit avec précision les expressions employées par le recourant dans un contexte où celui-ci demandait de l’aide et où un agent de détention venait à sa rencontre. Il ne ressort pas du rapport que le recourant aurait fait l’objet d’injures, et les enregistrements vidéo montrent qu’il est calme et collaborant, sortant de sa cellule peu après l’ouverture de la porte et suivant les agents de détention sans opposition ni résistance.
Le recourant ne conteste pas explicitement avoir prononcé les expressions « Viens me chercher, je vais m’occuper de toi. Tu vas voir ce que je vais te mettre » et « Je viens pas, vous avez pas les couilles de rentrer ». Toutes deux peuvent être perçues objectivement comme des menaces, de nature à effrayer l’agent de détention qui lui demandait de venir au guichet de sa cellule.
Il n’est pas douteux que ces expressions contreviennent à l’obligation du recourant d’observer une attitude correcte à l’égard du personnel (art. 44 RRIP) et de ne pas troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. h RRIP). Le prononcé d’une sanction était ainsi fondé.
2.10 Se pose encore la question de savoir si la sanction infligée respecte le principe de la proportionnalité.
Le recourant a deux antécédents disciplinaires. Ses propos menaçants sont inadmissibles et ne sauraient être tolérés. La sanction est, en son principe, apte et nécessaire à lui faire prendre conscience de l’importance d’adopter un comportement adéquat envers le personnel et de respecter le RRIP. Elle tient compte des antécédents disciplinaires. Sa nature et sa quotité sont identiques au cas récent précité, semblable, où un recourant n’avait aucun antécédent disciplinaire.
La sanction étant fondée et proportionnée à la faute du recourant, le recours, mal fondé, sera rejeté.
3. La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Vu l’issue du recours, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 8 février 2025 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 4 février 2025 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A_____ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
B. SPECKER
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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