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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4197/2023

ATA/411/2024 du 26.03.2024 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4197/2023-PRISON ATA/411/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à l'établissement fermé de La Brenaz (ci-après : la Brenaz), en exécution de peine depuis le 25 octobre 2023. La fin de sa détention est prévue au 31 juillet 2026.

b. Selon le rapport d'incident du lundi 11 décembre 2023, B______ avait rendu visite le même jour à A______, son compagnon. Lors du parloir, les caméras de surveillance avaient montré un échange entre eux. Des agents de détention avaient interrompu le parloir et B______ avait été raccompagnée à la sortie. A______ a fait l'objet d'une fouille lors de laquelle aucun stupéfiant n'a été retrouvé.

c. Selon le rapport du 12 décembre 2023, une fouille de la cellule a été effectuée le même jour mais rien n'a été trouvé.

d. Entendu le même jour, A______ a expliqué qu'il ne comprenait pas pour quelles raisons son parloir avait été interrompu. Il a transmis un courrier rédigé le 11 décembre 2023 pour se plaindre de l'interruption du parloir avec sa compagne et de ne pas avoir pu lui dire au revoir, ce qui constituait un manque de respect et un abus de pouvoir. Il lui avait tendu la main pour la rassurer car elle était psychologiquement blessée suite à un viol.

e. Le 12 décembre 2023 toujours, il a fait l'objet d'une sanction de suppression complète des visites pendant un mois, soit jusqu'au 12 janvier 2024, pour « comportement inadéquat lors des visites et des tiers et pour comportement contraire au but de l'établissement ».

B. a. Par acte posté le 15 décembre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Il avait uniquement tendu les mains en direction de sa compagne et rien n'avait d'ailleurs été trouvé sur lui lors de la fouille.

b. Le 22 janvier 2024, la Brenaz a conclu au rejet du recours.

Lors du parloir le 11 décembre 2023, le recourant avait eu un comportement inadéquat en tant qu'il ressortait des images de vidéosurveillance qu'il avait attendu le passage des agents de détention dans le couloir. Dès qu'ils n'avaient plus été visibles, il s'était levé de sa chaise, avait tendu ses mains en direction de sa compagne qui lui avait donné un objet non identifié, ce qui avait entraîné l'intervention du personnel pénitentiaire, l'interruption du parloir et la fouille du recourant. Le fait que le personnel pénitentiaire n'ait rien trouvé sur le recourant ne modifiait pas l'état de fait retenu à son encontre en tant que ce dernier avait connaissance que tout contact lors du parloir était interdit, à l'exception de l'accolade en début et fin de parloir. Sa compagne connaissait également les règles à respecter dès lors que lors d'un parloir du 22 novembre 2023, tous deux avaient été avertis par le personnel pénitentiaire après avoir eu des contacts physiques.

La sanction disciplinaire reposait sur une base légale et était justifiée par un intérêt public. Les mesures prises avaient été adéquates et nécessaires pour garantir le respect des buts poursuivis par le droit disciplinaire. Notamment, le recourant avait pu continuer à recevoir la visite de sa fille.

c. Invité à se déterminer sur les écritures de la prison, le recourant ne s’est pas manifesté.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 11 mars 2024.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

1.1 L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que les conclusions ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/657/2022 du 23 juin 2022 consid. 2b).

1.2 En l'espèce, il résulte des écritures du recourant que celui-ci trouve la sanction injustifiée et qu'il demande donc son annulation.

1.3 Enfin, bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2).

Le recours est recevable.

2.             Le recours porte sur la conformité au droit de la sanction du 12 décembre 2023 de suppression des visites pendant un mois.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportement fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification résidant dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp.  142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/917/2023 du 29 août 2023 consid. 4.2; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/352/2024 du 11 mars 2024 ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019).

En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/52/2023 du 20 janvier 2023 consid. 7b ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e).

En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid.  3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/352/2024 précité consid. 3.4 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/352/2024 précité consid. 3.4 ; ATA/1005/2023 du 15 septembre 2023 consid. 3.2). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3  novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/352/2024 précité consid. 3.4).

2.2 Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d'exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD).

Il est notamment interdit d'introduire dans l'établissement ou de détenir d'autres objets que ceux autorisés par le directeur (art. 44 let. c REPSD), de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (art. 44 let. i REPSD), et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (art. 44 let. j REPSD).

2.3 Aux termes de l'art. 46 REPSD, si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

Selon l'art. 46 al. 3 REPSD, le directeur de l'établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer : un avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b) ; l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d). À teneur de l'art. 46 al. 7 REPSD, le directeur de l'établissement peut déléguer la compétence de prononcer ces sanctions prévues à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service.

2.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.             En l'espèce, il ressort des images de vidéosurveillance que lors du parloir qui a eu lieu le 11 décembre 2023, le recourant et sa compagne se sont donnés les mains et que, lors de cet échange, elle lui aurait remis un objet. Le recourant a ensuite placé ses mains sous la table, puis dans son pantalon, ce qui a entraîné l'intervention du personnel pénitentiaire, et l'interruption du parloir. En ayant eu un contact avec sa compagne, le recourant a enfreint les règles de l'établissement lors d'un parloir, un échange étant interdit, règle que tant le recourant que sa compagne connaissaient puisqu'ils avaient déjà été avertis par le personnel pénitentiaire lors d'une précédente visite en novembre 2023 après avoir eu des contacts physiques.

Il en découle que le recourant a adopté un comportement contraire au but de l'établissement au sens de l'art. 44 let. j REPSD, et le fait que rien n'ait été finalement trouvé sur lui ou dans sa cellule n'y change rien.

Partant, le prononcé d’une sanction est acquis.

4.             Se pose encore la question de savoir si la sanction respecte le principe de la proportionnalité.

La chambre de céans observera que dès que le contact entre le recourant et sa compagne a été constaté, le parloir a été immédiatement interrompu, ce qui constitue déjà en soit une sanction. Par ailleurs, il semble qu'aucun objet n'a été échangé entre eux puisque rien n'a été trouvé ni lors de la fouille du recourant ni dans sa cellule, le contraire n'étant d'ailleurs pas allégué par la Brénaz. Dans la mesure où les visites au parloir ont lieu une fois par semaine et au vu de ce qui précède, priver tant le recourant que sa compagne d'un mois de visites ne semble pas nécessaire pour garantir le respect des buts poursuivis par le droit disciplinaire et ne respecte ainsi pas le principe de la proportionnalité s’agissant de sa durée. Une sanction de deux semaines paraît plus appropriée, permettant à la fois au recourant de prendre conscience de l’importance d’observer une attitude conforme aux règles de l'établissement et d'éviter qu'un tel comportement se reproduise.

Le recours sera ainsi admis dans cette mesure et l'illicéité d'une partie de la sanction constatée.

5.             Nonobstant l'issue du litige, la procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), il ne sera pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure, le recourant n’ayant pas encouru de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 décembre 2023 par A______ contre la décision de l'établissement fermé de La Brenaz du 12 décembre 2023 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

ramène la durée de la sanction à quinze jours de suppression des visites ;

confirme la décision du 12 décembre 2023 pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'établissement fermé de La Brenaz.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. GANTENBEIN

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :