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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4242/2023

ATA/352/2024 du 11.03.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4242/2023-PRISON ATA/352/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré dans l’établissement fermé de La Brenaz (ci-après : la Brenaz) depuis le 19 octobre 2021, en exécution de peine.

b. Entre le 20 avril 2022 et le 10 décembre 2023, il a fait l’objet de 20 sanctions pour divers motifs, dont dix pour détention ou consommation de stupéfiants.

c. Il ressort du rapport d’incident du 10 décembre 2023 que dans le cadre d’une fouille générale du secteur 4000, ainsi que la fouille de détenus, trois bouteilles de 1.5 litres d’alcool, ainsi que du matériel venant de l’atelier de cuisine avaient notamment été retrouvés dans la cellule de A______. Ces objets ne se trouvaient pas dans cette cellule lors de la fouille précédente, le 4 novembre 2023.

d. Entendu le 10 décembre 2023, A______ a expliqué qu’il n’avait pas voulu fabriquer de l’alcool, mais de la limonade l’été précédent, à la boulangerie, qui s’était transformée en alcool. Il ne buvait plus d’alcool depuis quatre ans.

e. Il a été sanctionné, le 10 décembre 2023, pour détention et fabrication d’alcool à l’aide d’aliments en fermentation par la suppression, durant sept jours, de formations, sports, loisirs et repas en commun.

f. Auditionné une nouvelle fois le 12 décembre 2023 à sa demande, il a confirmé ne pas avoir voulu faire de l’alcool, mais qu’il s’agissait de bouteilles oubliées dans sa cellule depuis l’été.

B. a. Par acte du 19 décembre 2023, A______ a formé un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre sa « dernière sanction ».

Il a indiqué ne jamais avoir voulu fabriquer de l’alcool « fait maison », mais du sirop de citron, à l’atelier boulangerie, qui apparemment avait fermenté. Il avait ainsi été sanctionné à tort. Il avait toujours assumé les précédentes sanctions.

b. Dans sa réponse du 15 décembre 2023, la Brenaz a conclu au rejet du recours.

Lors de la fouille de la cellule du recourant le 10 décembre 2023, les agents avaient trouvé trois bouteilles d’alcool. Il était de la responsabilité du détenu de bien entretenir sa cellule et de s’assurer qu’il ne détenait pas d’objet prohibé. Il avait donc enfreint le règlement en détenant ces bouteilles.

Lors d’une fouille de la cellule le 4 novembre 2023, les bouteilles ne s’y trouvaient pas.

La sanction était justifiée par l’intérêt public, permettant de maintenir les conditions d’intégrité dans le fonctionnement de l’établissement et favoriser son bon ordre, sa sécurité et sa tranquillité. Elle était proportionnée.

c. A______ n’a pas usé de son droit à la réplique.

d. Sur ce, les parties ont été informées, le 30 janvier 2024, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA – E 5 10).

1.1 L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1re phr. LPA).

1.2 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/20/2022 du 11 janvier 2022 consid. 2b et les arrêts cités).

1.3 En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée. Cela étant, il a exposé les raisons pour lesquelles il estime qu’elle doit être modifiée, ce qui est suffisant pour comprendre qu'il est en désaccord avec cette décision et souhaite son annulation.

1.4 Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consis. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

2.             L’objet du litige est la conformité au droit de la sanction du 10 décembre 2023.

Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3.             Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction de sept jours de suppression d’activités.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/917/2023 du 29 août 2023 consid. 4.2 ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019).

3.3 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/52/2023 du 20 janvier 2023 consid. 7b ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c).

3.4 En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/1005/2023 du 15 septembre 2023 consid. 3.2), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 (LOPP ‑ F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

3.5 Aux termes de l’art. 46 du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), applicable à la Brenaz (art. 1 let. c REPSD), si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

3.6 Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du REPSD, les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD).

Aux termes de l’art. 44 let. a REPSD, il est notamment interdit de détenir ou de consommer de l'alcool.

3.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

4.             En l’espèce, le recourant ne remet pas en cause que les trois bouteilles retrouvées dans sa cellule le 10 décembre 2023 contenant de l’alcool. Il soutient que du sirop de citron, tantôt de la limonade, fabriqués durant l’été, auraient fermenté au point de devenir alcoolisés. Il a également affirmé que les trois bouteilles en question auraient été « oubliées » dans sa cellule depuis l’été.

Il ne saurait être suivi sur cette seconde explication, puisque lors de la fouille de sa cellule le 4 novembre 2023, les trois bouteilles en question ne s’y trouvaient pas.

Son autre explication n’est pas plus crédible, le recourant ne détaillant au demeurant pas par quel processus totalement indépendant de sa volonté le sirop ou la limonade seraient devenus de l’alcool. Il sera par ailleurs rappelé qu’il a été sanctionné à une dizaine de reprises pour détention ou consommation de stupéfiants.

C’est dès lors à juste titre que l’intimé a retenu que le recourant détenait de l’alcool dans sa cellule, en violation de l’art. 44 let. a REPSD.

Dans tous les cas, il appartenait au recourant de savoir ce qui se trouvait dans sa cellule et de s’assurer qu’il ne détenait aucun objet interdit pas le règlement.

Le principe d’une sanction est acquis.

Le recourant ne conteste pas le type ou la quotité de la sanction. La suppression de certaines activités (formations, sports, loisirs et repas en commun) durant sept jours est, dans tous les cas, proportionnée au vu du comportement du recourant qui ne peut être toléré en régime carcéral. Le maximum autorisé de ce type de sanction étant de trois mois, sept jours semblent appropriés pour avoir fabriqué et détenu de l’alcool.

Il convient en outre de prendre en compte ses très nombreux antécédents disciplinaires, soit pas moins de 20 sanctions entre avril 2022 et décembre 2023. La sanction contestée était ainsi apte à atteindre le but d’intérêt public au respect de l’ordre et de la sécurité au sein de l’établissement, nécessaire pour ce faire et proportionnée au sens étroit, l’intérêt public au bon fonctionnement de l’établissement au respect de la loi (art. 81 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) primant l’intérêt privé du recourant à pouvoir bénéficier de formations, sports, loisirs et repas en commun pendant une semaine.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

5.             La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure au recourant qui au demeurant s’est défendu en personne (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 décembre 2023 par A______ contre la décision de l’établissement fermé de La Brenaz du 10 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'établissement fermé de La Brenaz.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :