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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4361/2021

ATA/600/2023 du 06.06.2023 sur JTAPI/592/2022 ( PE ) , REJETE

Recours TF déposé le 12.07.2023, rendu le 14.07.2023, IRRECEVABLE, 2C_388/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4361/2021-PE ATA/600/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______, agissant en leur nom et en celui de leur enfant mineur C______ recourants
représentés par Me Butrint AJREDINI, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2022 (JTAPI/592/2022)


EN FAIT

A. a. A______ et B______, nés respectivement les ______ 1991 et ______ 1988, sont ressortissants du Kosovo.

b. Ils se sont mariés en août 2021 au Kosovo et l'épouse a pris le nom de son mari.

c. Le ______ 2019, est né à Genève, C______, fils des précités, également de nationalité kosovare.

d. B______ est arrivé une première fois en Suisse, à Genève, en 2010, au bénéfice d'un visa touristique. Il s'y serait, selon ses propres dires, définitivement établi en 2013. A______ est arrivée à Genève le 15 décembre 2018, au bénéfice d'un visa touristique.

e. Le 15 février 2021, faisant suite à une demande du 15 décembre 2017 de l'employeur de B______ en sa faveur en vue de l'exercice d'une activité lucrative, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l'OCPM) a informé ce dernier de son intention de refuser ladite requête. Un délai de 30 jours lui était octroyé pour faire usage, par écrit, de son droit d'être entendu.

f. Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 19 mars 2021, l'OCPM a refusé l'octroi d'une autorisation de séjour en vue de l'exercice d'une activité lucrative en faveur de B______, pour les motifs indiqués dans le préavis négatif du 17 janvier 2018 rendu par l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT) et dans le jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 31 août 2018 consécutif à son recours contre la décision de l'OCIRT. Son renvoi était prononcé, le dossier ne faisant pas apparaître que son exécution ne serait pas possible, pas licite ou pas raisonnablement exigible. Un délai au 18 avril 2021 lui était imparti pour ce faire.

B. a. Par courrier du 19 mars 2021, B______ a déposé une demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur auprès de l'OCPM, en sa faveur, celle de A______ – alors sa concubine –, et celle de leur enfant commun.

b. Par courrier du 22 mars 2021, B______ s'est étonné auprès de l'OCPM du prononcé de la décision du 19 mars 2021, alors même que le délai de 30 jours n'était pas encore échu depuis la notification de la décision du 15 février 2021. Il a conclu à la nullité de la décision pour violation du droit d'être entendu.

c. Par courrier du 26 mai 2021, l'OCPM a fait part aux époux AB______ de son intention de refuser d'accéder à leur demande d'autorisation de séjour et de prononcer leur renvoi de Suisse, dans la mesure où ils ne remplissaient pas les critères relatifs à un cas individuel d'extrême gravité. Un délai de 30 jours leur était octroyé pour faire usage, par écrit, de leur droit d'être entendu.

d. Le 28 juin 2021, B______ a fait part de ses observations à l'OCPM et transmis une lettre de soutien ainsi que la liste des différents membres de sa famille avec leurs lieux de séjour.

e. Par décision du 16 novembre 2021, l'OCPM a refusé d'accéder à la requête réceptionnée le 23 mars 2021 des époux AB______ et, par conséquent, de soumettre leur dossier avec un préavis positif au Secrétariat d'État aux migrations (ci-après: SEM), et prononcé leur renvoi de Suisse. Ils n'invoquaient ni n'avaient démontré l'existence d'obstacles au retour dans leur pays d'origine et le dossier ne faisait pas non plus apparaître que l'exécution de leur renvoi ne serait pas possible, pas licite ou ne pourrait pas être raisonnablement exigée. Un délai au 16 janvier 2022 leur était imparti pour quitter la Suisse et rejoindre le pays dont ils possédaient la nationalité ou tout autre pays où ils étaient légalement admissibles.

À teneur des pièces produites, B______ ne comptabilisait que huit années de séjour en Suisse, et son épouse moins de trois. Ils n'avaient ainsi pas démontré une très longue durée de séjour en Suisse, ni aucun élément permettant de déroger à cette exigence. La durée de leur séjour devait en outre être relativisée eu égard aux nombreuses années passées dans leur pays d'origine où ils avaient vécu toute leur enfance et leur adolescence. Dans leur proche famille, seul le frère de B______ résidait à Genève ; leurs parents étaient restés au Kosovo. Bien qu'ils ne soient pas connus des services de police, n'avaient pas de poursuite ni recouru à l'aide sociale, ils n'avaient pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable, leur intégration correspondant au mieux au comportement ordinaire qui pouvait être attendu de tout étranger.

Ils n'avaient pas plus démontré qu'une réintégration dans leur pays d'origine aurait de graves conséquences sur leur situation personnelle indépendamment des circonstances générales (économiques, sociales, sanitaires ou scolaires) affectant l'ensemble de la population restée sur place. S'agissant de la prise en compte de l'intérêt supérieur de leur fils, conformément à l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE - RS 0.107), il fallait retenir que ce dernier était âgé de moins de 2 ans, en bonne santé et pas encore scolarisé, de sorte que son intégration en Suisse n'était pas encore déterminante et que sa réintégration dans son pays d'origine ne lui poserait pas de problèmes insurmontables.

Ainsi, ils ne remplissaient pas les critères relatifs à un cas individuel d'extrême gravité au sens des art. 30 al. l let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201).

C. a. Par acte du 29 décembre 2021, les époux AB______, agissant en leur nom et celui de leur fils mineur, ont recouru auprès du TAPI contre cette décision, concluant, principalement, à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de leur délivrer une autorisation de séjour.

Depuis son arrivée en Suisse, B______ avait tout fait pour s'intégrer et y était parvenu tant socialement que professionnellement. Il travaillait en qualité de plâtrier-peintre auprès de D______, son frère, parlait bien le français et avait achevé, avec succès, une formation théorique et pratique d'agent de propreté auprès des établissements publics pour l'intégration (ci-après : EPI). Il n'était pas connu des services de police, n'avait pas de dettes et ne bénéficiait pas de l'aide sociale. Il pouvait justifier d'un séjour ininterrompu à Genève de près de 9 ans, alors que son épouse pouvait se prévaloir d'un séjour ininterrompu de près de 4 ans. Il ne possédait plus aucune attache familiale avec son pays d'origine, seuls ses parents y demeurant.

L'OCPM avait constaté les faits de manière inexacte en ne prenant pas en compte ses séjours de relatives longues durées en Suisse dès 2010. Sa décision était pour le surplus disproportionnée, ne tenant pas compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. En cas de retour dans leur pays d'origine, ils seraient déracinés alors que leur mentalité avait évolué aux contacts des habitants de Genève et de la Suisse et qu'ils y avaient établi le centre de leurs intérêts. En l'état, leur renvoi était aussi inexigible compte tenu de la pandémie de Covid-19.

Ils joignaient un chargé de pièces, parmi lesquelles, concernant B______ : une attestation des Transports publics genevois (ci-après : TPG), un extrait de compte individuel de l'assurance vieillesse et survivants (ci-après : AVS), un avenant au contrat de travail, une attestation de connaissance de la langue française de niveau A2, une attestation de formation ainsi qu'un certificat de travail du 29 septembre 2020 délivrés par les EPI, plusieurs lettres de recommandation et, concernant le couple : un acte de naissance et un certificat de mariage, des polices d'assurance maladie pour 2021 et 2022, des extraits de leur casier judiciaire et du registre des poursuites, une attestation de l'Hospice général et la liste des membres de leur famille.

b. Le 10 mars 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Les conditions d'un cas d'extrême gravité n'étaient pas réalisées. B______ n'avait en particulier pas démontré qu'il serait exposé à des conditions socioéconomiques ou sanitaires autrement plus difficiles que celles auxquelles était confrontée la plupart de ses compatriotes restés au pays et devrait pouvoir au contraire faire valoir les compétences et l'expérience professionnelles qu'il avait acquises en Suisse. Quant à A______, elle ne séjournait en Suisse que depuis 2018 et n'avait pas allégué de motif qui s'opposerait à son retour au Kosovo, étant rappelé que l'enfant du couple était âgé de 2 ans.

c. Le 25 avril 2022, les époux AB______ ont persisté dans leurs conclusions.

Ils poursuivaient leur quête d'intégration : A______ avait obtenu une attestation de langue française attestant d'un niveau A1 à l'oral et la famille vivait désormais dans un logement de 3 pièces.

d. Par jugement du 3 juin 2022, le TAPI a rejeté le recours.

B______ résidait en Suisse depuis 2013, son épouse depuis 2018 et leur fils depuis sa naissance en 2019. En tout état, la durée de ce séjour devait être fortement relativisée.

L'intégration professionnelle de B______, certes louable, ne pouvait être qualifiée d'exceptionnelle et il n'établissait pas avoir acquis pendant son séjour des connaissances et qualifications professionnelles particulières qu'il ne pourrait mettre à profit au Kosovo. Le fait de travailler pour ne pas dépendre de l'aide sociale, de s'efforcer de nouer de bonnes relations et d'apprendre au moins la langue nationale parlée au lieu du domicile constituait un comportement ordinaire qui pouvait être attendu de tout étranger, étant rappelé que A______ ne travaillait pas.

B______ étant âgé de 33 ans, jeune et en bonne santé, il ne pouvait être retenu qu’il ne pourrait pas s'insérer sur le marché du travail en retournant dans son pays. Il y était par ailleurs retourné en 2018, ses parents vivaient sur place et il s'agissait également du pays d'origine de son épouse. Tous deux y avaient manifestement conservé des attaches importantes, et y avaient vécu jusqu'à l'âge de respectivement 25 et 27 ans. Ils en maîtrisaient ainsi la langue et la culture. Aucun élément du dossier n'attestait que les difficultés auxquelles ils devraient faire face en cas de retour seraient plus lourdes que celles que rencontraient d'autres compatriotes contraints de retourner dans leur pays d'origine au terme d'un séjour régulier en Suisse.

Quant à l'enfant du couple, âgé de 2 ans, les quelques années passées en Suisse ne pouvaient être considérées comme déterminantes au point qu'un départ pour le Kosovo constituerait pour lui un déracinement.

D. a. Par acte posté le 7 juillet 2022, les époux AB______, agissant en leur nom et celui de leur fils mineur, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation, à celle de la décision de l'OCPM du 16 novembre 2021 (subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de préaviser favorablement la demande d'autorisation de séjour auprès du SEM) et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Seuls les parents de B______ vivaient au Kosovo. Les 68 autres membres de sa famille, sur une liste jointe de 70 personnes, habitaient en Suisse (soit 54 d'entre eux), en France, en Suède et en Autriche.

Le jugement du TAPI ne respectait pas le principe de la proportionnalité. Le recourant séjournait en Suisse depuis neuf ans, soit une longue durée, et depuis 2013 son séjour était toléré par les autorités. Les époux avaient entretenu une relation sentimentale à Genève, ville où était né leur enfant, à qui ils avaient au demeurant donné un prénom francophone. Au vu de leur situation financière et professionnelle, ils participaient activement à l'économie suisse, et étaient par ailleurs intégrés d'une manière qui n'était pas seulement louable mais exceptionnelle.

En cas de retour dans leur pays, ils seraient déracinés, leur mentalité ayant évolué au contact de la population locale. On ne pouvait tirer de leur demande de visa de retour en 2018 la conclusion qu'ils avaient manifestement gardé des attaches importantes au Kosovo. Au contraire, en cas de retour au Kosovo, ils se trouveraient livrés à eux-mêmes, avec un enfant en bas âge, sans logement ni travail, tout au Kosovo se faisant par connaissances et contacts.

Leur renvoi ne pouvait enfin être raisonnablement exigé, alors que la pandémie de Covid-19 préoccupait à nouveau les autorités et ébranlait les systèmes de santé.

b. Le 18 août 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments présentés n'étant pas de nature à modifier sa position et étant en substance semblables à ceux présentés devant le TAPI.

c. Le 24 août 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 30 septembre 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 19 septembre 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions et joint quatre nouvelles pièces (confirmation de l'inscription de C______ à un jardin d'enfants à Genève, attestation d'inscription de A______ à un cours de français de l'université ouvrière de Genève et courrier du service cantonal des objets trouvés relatif à une récompense à la suite de la remise au service d'un portefeuille par B______).

e. Le 21 septembre 2022, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Si la recevabilité des seules conclusions en annulation formulées à titre principal est douteuse, puisque leur admission reviendrait uniquement à confirmer l'absence de statut légal en Suisse des recourants, la conclusion en annulation du jugement du TAPI, jointe à la conclusion subsidiaire visant à transmettre le dossier des recourants avec un préavis positif au SEM, est en revanche recevable.

2.             L’objet du litige est la décision de l’autorité intimée du 16 novembre 2021 refusant de transmettre le dossier des recourants au SEM avec un préavis favorable et prononçant leur renvoi de Suisse.

2.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la LEI, et de l'OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après le 1er janvier 2019, sont régies par le nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2021 du 18 mars 2022 consid. 4).

2.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

2.3 L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que, pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration de l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse [SEM], Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013, état au 1er mars 2023 [ci-après : directives LEI] ch. 5.6).

Selon l'art. 58a al. 1 LEI, pour évaluer l'intégration de l'étranger, l'autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c) et la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

2.4 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 6c). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4d).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-7330/2010 du 19 mars 2012 consid. 5.3 ; Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. 2, 2017, p. 269 et les références citées).

Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance – par exemple en raison de l'effet suspensif attaché à des procédures de recours – ne sont pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3 ; 134 II 10 consid. 4.3 ; arrêts 2C_603/2019 du 16 décembre 2019 consid. 6.2 ; 2C_436/2018 du 8 novembre 2018 consid. 2.2), sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2

2.5 L’intégration professionnelle doit être exceptionnelle : le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu'elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/981/2019 du 4 juin 2019 consid. 6c).

2.6 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération (ATF 123 II 125 consid. 5b.dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/90/2021 du 26 janvier 2021 consid. 3e).

La question est donc de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (ATA/90/2021 précité consid. 3e ; ATA/1162/2020 du 17 novembre 2020
consid. 6b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015
consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

2.7 Dans l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d'enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d'extrême gravité.

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du TAF C-636/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.4 et la référence citée). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l'angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (CDE - RS 0.107, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C 3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

2.8 En l'espèce, le recourant réside en Suisse depuis 2013, son épouse depuis 2018 et leur fils depuis sa naissance en 2019. Pour ce qui est du recourant, même si cette période de dix ans est longue, il convient de fortement la relativiser dans la mesure où ledit séjour a été entièrement effectué dans l'illégalité ou au bénéfice d'une tolérance des autorités de migration, la jurisprudence fédérale citée plus haut n'opérant pas de différence entre ces deux hypothèses, comme semblent le soutenir les recourants. Quant à la durée de séjour totale de la recourante et du fils des recourants, elle ne dépasse pas cinq ans et leur séjour s'est aussi déroulé dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance des autorités.

L'intégration professionnelle du recourant peut certes être qualifiée de bonne, puisqu'il travaille depuis plusieurs années pour le même employeur et encadre quelques personnes en tant que chef d'équipe. Il parle aussi couramment le français. Cela étant, s'il n'a pas de dettes, n'a jamais recouru à l’aide sociale et ne semble pas avoir de casier judiciaire, ces éléments relèvent du comportement que l’on est en droit d’attendre de toute personne séjournant dans le pays (arrêts du Tribunal fédéral 2C_779/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4.2 ; 2C_789/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2 ; ATA/1171/2021 du 2 novembre 2021 consid. 8). La recourante n'est par contre pas insérée professionnellement, et si elle s'est inscrite à des cours de français, on ne sait rien de son niveau de maîtrise de la langue.

Il n'apparaît en outre pas que les recourants se soient créé des attaches particulièrement étroites avec la Suisse au point de rendre étranger leur pays d'origine. Ils ne prétendent pas s'être investis personnellement, que ce soit dans la vie associative ou dans la culture genevoise. Il ne peut dès lors être retenu qu'ils font preuve d'une intégration sociale exceptionnelle en comparaison avec d'autres étrangers qui travaillent en Suisse depuis plusieurs années (arrêts du TAF F-6480/2016 du 15 octobre 2018 consid. 8.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.2). La présence de divers membres de leur famille en Suisse, au bénéfice d'un droit de présence, ne modifie pas cette appréciation de l’absence d’une intégration exceptionnelle en Suisse.

S'agissant de leurs possibilités de réintégration dans leur pays d'origine, les recourants sont nés au Kosovo, dont ils parlent la langue. Ils y ont vécu leur enfance, leur adolescence et une partie de leur vie d'adulte, le recourant étant arrivé en Suisse à l'âge de 25 ans et la recourante de 27 ans. En toute hypothèse, les années que les recourants ont passées en Suisse ne les ont pas rendus étrangers à leur culture d’origine ni à leur langue maternelle. Les recourants sont tous deux jeunes et en bonne santé et, de retour dans leur pays d'origine, ils pourront faire valoir les connaissances linguistiques acquises en Suisse ainsi que, pour le recourant, son expérience professionnelle.

Quant au fils des recourants, il est certes né à Genève mais n'est âgé que de 3 ans et n'est pas encore scolarisé, si bien que son sort est encore dépendant de celui de ses parents et que son retour au Kosovo ne saurait constituer pour lui un véritable déracinement.

Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que les difficultés auxquelles les recourants devront faire face en cas de retour au Kosovo seraient pour eux plus graves que pour la moyenne des étrangers, en particulier des ressortissants kosovars retournant dans leur pays. Les recourants ne présentent donc pas une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en leur faveur, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière. Enfin, il sera rappelé que l’autorité intimée bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre de céans ne revoit qu’en cas d’abus ou d’excès, ce qui n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

L'autorité intimée était en conséquence fondée à refuser de donner une suite positive à la demande d'autorisation de séjour déposée par les recourants, et l'instance précédente à confirmer ledit refus.

3.             Reste à examiner la question du renvoi.

3.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/247/2023 du 14 mars 2023 consid. 6.1).

3.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

3.3 En l'espèce, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé une autorisation de séjour aux recourants, l'intimé devait prononcer leur renvoi. Pour le surplus, aucun motif ne permet de retenir que l'exécution du renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé les concernant.

À cet égard, la référence des recourants à un danger pour leur santé du fait de la pandémie de Covid-19 tombe à faux. Tant la Suisse que le Kosovo ont en effet levé depuis le printemps 2022 les restrictions d'accès à leurs frontières respectives dans ce cadre, et aucun danger particulier n'a récemment été mis en avant par les instances de santé publique tant nationales qu'internationales.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juillet 2022 par A______ et B______, agissant en leur nom et en celui de leur fils C______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Butrint AJREDINI, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.