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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3338/2022

ATA/283/2023 du 21.03.2023 ( LAVI ) , REJETE

Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;VICTIME;ATTEINTE À LA SANTÉ PHYSIQUE;VOIES DE FAIT;AFFECTION PSYCHIQUE;INTÉGRITÉ PSYCHIQUE;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;MENACE(EN GÉNÉRAL);ABUS D'AUTORITÉ;INTERDICTION DE LA TORTURE;DISCRIMINATION RACIALE
Normes : Cst.29.al2; LAVI.1.al1; LAVI.2; CEDH.3
Résumé : Confirmation d’une décision du Centre genevois de consultation pour victimes d’infractions, niant le droit aux prestations de la recourante. Au vu des faits relatés, l’existence d’une infraction pénale n’apparaît pas hautement probable. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3338/2022-LAVI ATA/283/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mars 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante

contre

CENTRE GENEVOIS DE CONSULTATION POUR VICTIMES D'INFRACTIONS intimé



EN FAIT

A. a. Le 6 décembre 2021, Madame A______ a écrit au Centre genevois de consultation pour victimes d’infractions (ci-après : Centre LAVI) qu’elle avait été victime de violence, de racisme et de xénophobie de la part de la police, qu’elle était très choquée et avait besoin de soutien juridique pour porter plainte.

b. Par courriel du 8 décembre 2021, elle a sollicité à nouveau le Centre LAVI, indiquant qu’il lui était psychologiquement difficile de rester seule.

c. Le jour même, une collaboratrice du Centre LAVI lui a téléphoné.

d. Par courrier du 28 février 2022, Mme A______ a demandé au Centre LAVI la prise en charge de ses frais d’avocat dans l’attente d’une détermination quant à l’octroi de l’assistance juridique, précisant qu’elle envisageait de porter plainte et d’introduire une action civile contre les auteurs des infractions.

Elle a joint un rapport du 6 décembre 2021 du Docteur B______, médecin au centre médical de ______, consulté le jour même. La patiente avait relaté avoir été agressée verbalement par un agent de sécurité et des employées de la bibliothèque de C______ (ci-après : C______) à propos des restrictions du Covid-19, puis avoir été maltraitée physiquement et verbalement par la police lors de son arrestation. Le médecin avait constaté des hématomes aux deux poignets et un stress post-traumatique. Ces lésions étaient d’origine traumatique et pouvaient, selon toute vraisemblance, avoir été causées par les sévices relatés.

Mme A______ a également annexé un rapport du 15 décembre 2021 du
Docteur D______, psychiatre au Centre thérapeutique pour les traumatismes, retenant le diagnostic d’état de stress post-traumatique. La patiente avait rapporté une interpellation brutale dans l’espace public par trois policiers. Elle avait été menottée, contrainte à prendre place dans la voiture de police et violemment sermonnée avec une référence à ses origines étrangères, ressentie de manière discriminatoire, alors qu’elle n’avait opposé aucune résistance ni représenté une quelconque menace. Elle avait d’ailleurs été interpellée alors qu’elle avait quitté la bibliothèque et respecté les normes sanitaires puisqu’elle se rendait dans un centre de dépistage pour obtenir le certificat demandé. Elle avait été en état de choc, perturbée émotionnellement avec des sentiments de peur extrême, de colère et d’injustice. Elle avait décrit la perception d’une tension interne, corporelle et nerveuse, très importante et difficile à calmer, engendrant parfois même des tremblements de ses membres. Lors de leur premier entretien le 8 décembre 2021, la patiente présentait encore une agitation psychomotrice importante, une anxiété manifeste, une peur et une révolte quasiment désorganisante à l’évocation des faits. Son sommeil était perturbé et elle continuait à être envahie par le souvenir récurrent des évènements.

e. Par courriel du 1er mars 2022, le Centre LAVI lui a répondu qu’un-e psychologue prendrait contact avec elle dans les meilleurs délais afin d’évaluer si sa situation relevait de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5).

f. Le 8 mars 2022, le Centre LAVI a informé Mme A______ que les faits relatés ne relevaient pas de la LAVI car il s’agissait de voies de faits, d’insultes et de propos à caractère raciste.

g. Par courriel du 2 août 2022, Mme A______ a reproché au Centre LAVI de ne pas faire son travail. Aucune pièce ou information ne lui avait été demandée. Le 6 décembre 2021, elle avait d’abord été verbalement attaquée sans raison par cinq employés de la bibliothèque de l’C______, puis physiquement et verbalement par la police qui l’avait maltraitée, menacée et qui avait tenu des propos racistes et xénophobes. Elle était en arrêt maladie depuis lors et incapable de reprendre sa vie comme précédemment. Elle souffrait de troubles physiques et psychiques qui avaient été dûment constatés. Il n’appartenait pas au Centre de préjuger de la situation sur le plan juridique, ce d’autant plus qu’il ne disposait pas de toutes les preuves et ne connaissait pas les faits. Elle requérait la prise en charge de consultations juridiques à hauteur de quatre heures pour les infractions commises à la bibliothèque et quatre heures pour celles commises par la police.

h. Le 10 août 2022, le Centre LAVI lui a répondu qu’il comprenait sa détresse, mais qu’il ne pouvait pas l’aider, les faits ne relevant pas de la LAVI.

i. Le jour même, Mme A______ a sollicité le prononcé d’une décision formelle.

j. Par décision du 2 septembre 2022, notifiée le 6 septembre 2022, le Centre LAVI a nié le droit aux prestations de Mme A______, les faits relatés ne constituant pas une infraction pénale reconnue par la LAVI.

B. a. Par acte du 6 octobre 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée. Elle a conclu à son annulation, à ce que la qualité de victime lui soit reconnue, à la prise en charge par le Centre intimé d’une aide immédiate pour payer un avocat, et à l’octroi de toute autre forme d’aide dont elle pourrait avoir besoin.

Le 6 décembre 2021, elle travaillait à la bibliothèque de l’C______ et portait un masque, conformément aux règles affichées sur la porte d’entrée. Un agent de sécurité lui avait demandé son certificat. Elle n’en avait pas et avait décidé d’aller effectuer un test rapide pour pouvoir revenir travailler. En partant, elle avait fait remarquer à la bibliothécaire de l’accueil qu’il n’y avait pas d’affiche précisant qu’il fallait détenir un certificat Covid. Son interlocutrice l’avait violemment critiquée, lui indiquant qu’elle devait être au courant de toutes les règles. Elles avaient été rejointes par un agent de sécurité, qui s’était montré menaçant envers elle, puis par trois autres employés de la bibliothèque. Elle avait été lynchée par ces cinq personnes et ne pouvait pas se faire entendre. Il s’agissait de harcèlement expressément interdit par la règlementation interne, amplifié par le nombre de participants. Très perturbée, elle avait arrêté de leur parler et était partie pour faire un test Covid. Elle marchait silencieusement sur le trottoir lorsqu’un véhicule de police était arrivé, suite à un appel des employés de la bibliothèque. L’agent de sécurité était sorti et avait dit aux policiers qu’elle était agressive. Les trois policiers avaient commencé à la traiter comme si elle était coupable, sans même essayer de comprendre la situation, ce qui avait augmenté sa détresse émotionnelle. Elle leur avait posé des questions sur la nature de leur intervention et les raisons pour lesquelles ils lui demandaient sa carte d’identité. Ils ne lui avaient pas répondu, et lui avaient parlé de manière dominante et menaçante, l’un d’eux se tenant très proche d’elle, et de façon intrusive par rapport à son espace personnel. Elle s’était sentie impuissante et angoissée, terrifiée et avait voulu appeler une connaissance qui était avocat. Les policiers ne le lui avaient pas permis, lui avaient dit « ça suffit » et l’avaient brutalement saisie pour la menotter, lui faisant mal. Ils l’avaient ensuite propulsée vers leur véhicule et un policier avait alors tiré son téléphone portable de sa main, avec force et sans lui expliquer ce qu’il faisait. Le policier, qui l’avait menottée, l’avait agressée verbalement durant le trajet, lui disant qu’elle n’était pas en Russie, mais en Suisse, et lui intimant de rentrer dans son pays. Ils lui avaient dit qu’ils la conduisaient au poste de police, ajoutant à trois reprises et de façon hostile « You are finished ». Elle ne savait pas s’ils allaient la battre, la violer ou l’expulser. Elle ne leur avait pas montré sa détresse et avait continué à dire qu’elle porterait plainte contre eux, mais elle était terrifiée. Au poste, elle avait accepté de montrer ses papiers après avoir reçu les informations qu’elle demandait. Le policier qui avait « abusé » d’elle dans la voiture avait recommencé à lui dire qu’elle devait quitter la Suisse si elle n’en connaissait pas les règles. Les policiers avaient fait un usage de la force illégitime et leur comportement constituait de la torture. Les termes « You are finished » semblaient être des menaces de mort ou de dommage imminent, grave et irréparable au sens de la LAVI, proférées par un agent de police et la complicité silencieuse de ses deux collègues. Ils auraient pu la faire disparaître sans aucune trace, personne en Suisse ne se serait inquiété de son absence. Ils avaient profité de sa vulnérabilité, ce qui était cruel. Elle n’avait pas été victime de voies de fait ou d’insultes banales, mais il s’agissait d’une confluence de contrainte, de voies de faits, de lésions corporelles et de menaces. Ces actes relevaient de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (RS 0.105).

Vivant seule à Genève, elle avait besoin d’aide et de soutien personnel. Elle avait décidé de contacter le Centre LAVI. Personne ne répondant au téléphone, elle avait envoyé un message électronique le jour de l’agression. Elle n’avait été contactée que le 8 décembre 2021, près de cinquante-cinq heures après les faits, et l’entretien n’avait duré qu’une quinzaine de minutes durant lesquelles elle n’avait pas pu s’exprimer librement car elle était dans le tram. Elle avait essentiellement écouté la collaboratrice du Centre LAVI, qui lui avait faussement indiqué qu’il fallait avoir été victime d’une atteinte à l’intégrité physique ou sexuelle, qu’il fallait des lésions corporelles, qu’un peu de force physique de la part de la police était acceptable. Elle avait recontacté le Centre LAVI le 28 février 2022 car c’était la fin du délai pour porter plainte, ce qu’elle n’avait pu faire auparavant en raison de son état psychique et faute de moyens. Elle était ensuite tombée dans une nouvelle dépression et n’avait pas eu la force de recontacter le Centre LAVI avant le mois d’août 2022. Les collaborateurs dudit Centre ne lui avaient jamais donné la parole, ni demandé des renseignements ou des documents, ni cherché à l’aider. Sa situation n’avait jamais été analysée. Contrairement à ce qui était mentionné dans la décision, il n’y avait pas eu divers échanges téléphoniques, mais un seul bref appel. Elle avait déposé plainte pénale en mars 2022.

Depuis les événements de décembre 2021, elle souffrait de crises d’anxiété extrême, d’états dépressifs et d’apathie, de syndrome de stress post-traumatique, ainsi que de troubles alimentaires, du sommeil, de la concentration et de la mémoire. Elle était en incapacité totale de travail, avait dû interrompre ses études et n’avait plus avancé dans son travail de thèse. Elle ne se sentait plus en sécurité à l’C______ et était inquiète pour son avenir. Elle avait subi une atteinte notable à son intégrité psychique, confirmée par le diagnostic de stress post-traumatique. Le rapport médical du 15 décembre 2021 mentionnait notamment une dérégulation émotionnelle persistante et une humeur dépressive, et le rapport du 2 mars 2022 relatait des ruminations anxieuses paralysantes et une limitation à reprendre les activités extérieures.

b. Le 18 octobre 2022, la recourante a sollicité des « mesures de protection de confidentialité » dans la présente cause et sollicité que certaines pièces déposées, dont sa plainte pénale, ne soient pas consultables par l’intimé et que ce dernier soit tenu à « restreindre la circulation interne des documents et informations » concernant son recours.

c. Dans sa réponse du 9 novembre 2022, l’intimé a conclu au rejet du recours. La recourante lui avait envoyé un courriel le 7 décembre 2021 et avait été rappelée le lendemain. Elle avait été longuement entendue dans le cadre de cette consultation téléphonique. À la lumière de son récit et de ses explications, les infractions pénales qui pourraient être invoquées ne relevaient pas de la LAVI. Par ailleurs, les hématomes sur les poignets et l’impact psychologique n’atteignaient pas le seuil de gravité requis pour lui conférer le statut de victime LAVI.

d. Les 17 novembre 2022 et 10 janvier 2023, la recourante a persisté et requis la production de l’enregistrement de l’appel téléphonique du 8 décembre 2021, ainsi que tous les documents internes et autres éléments permettant de déterminer la pratique de l’intimé pour établir la qualité de victime et démontrant le nombre de personnes reçues en présentiel et par téléphone en 2021 et les algorithmes de traitement des cas.

Elle avait envoyé un courriel à l’intimé le 6 décembre 2021, et non le 7, car personne ne répondait au téléphone vers 16h15, alors que la ligne aurait dû être ouverte jusqu’à 17h. L’appel téléphonique du 8 décembre 2021 avait été très bref et les détails des évènements cités par l’intimé provenaient plutôt des rapports médicaux produits. La décision était arbitraire et relevait d’une mauvaise appréciation des faits. Elle avait victime de lésions corporelles, discrimination raciale, menaces, voies de faits, soit des infraction pénales couvertes par la LAVI. Les policiers avaient eu l’intention de la terroriser, de lui faire craindre pour sa sécurité et sa vie. Elle avait subi une atteinte durable et très marquée, qui avait des conséquences négatives sur toute sa vie et ses fonctionnements physique et psychique. Elle était étrangère, étudiante, vivait seule et ses ressources financières étaient très limitées. L’impact psychologique excédait considérablement le seuil de gravité requis par la LAVI.

Elle a produit une attestation d’arrêt de travail du 11 novembre 2022 et un certificat du 21 novembre 2022 du Docteur E______, médecin en Centre médical de ______, attestant d’une anxiété importante avec des attaques de panique et une insomnie pendant plusieurs jours la précédente semaine, des arrêts de travail signés en octobre, novembre et décembre 2022.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du 2 septembre 2022, par laquelle l’intimé a nié le droit de la recourante à toutes prestations.

3.             La recourante sollicite la production de diverses pièces afin de démontrer l’insuffisance de sa prise en charge par l’intimé.

3.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre.

L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

3.2 Compte tenu des pièces figurant au dossier et des écritures de la recourante, la chambre administrative estime être en possession de tous les éléments pertinents nécessaires pour statuer en pleine connaissance de cause sur les griefs.

Elle ne donnera donc pas suite à la demande de la recourante.

4.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par la loi. Le troisième alinéa de cette disposition précise que le droit à l'aide aux victimes existe, que l'auteur de l'infraction ait été découvert ou non (let. a), ait eu un comportement fautif ou non (let. b), ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c).

Selon l’art. 2 LAVI, l’aide aux victimes comprend notamment les conseils et l’aide immédiate (let. a), l’aide à plus long terme fournie par les centres de consultation (let. b), la contribution aux frais pour l’aide à plus long terme fournie par un tiers (let. c).

4.1 La LAVI révisée poursuit le même objectif que la loi l'ayant précédée, à savoir assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant l’aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990 V II
p. 909 ss ; ATF 134 II 308 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2011 du 26 juin 2012 consid. 4.2). Elle maintient notamment les trois « piliers » de l'aide aux victimes, soit les conseils, les droits dans la procédure pénale et l'indemnisation, y compris la réparation morale (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6701).

Pour reconnaître à une personne la qualité de victime LAVI, trois conditions doivent être réalisées : la personne doit avoir subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle ; cette atteinte doit avoir été causée par une infraction ; l’atteinte doit être la conséquence directe de l’infraction (ATA/523/2021 du 18 mai 2021 consid. 4b ; ATA/304/2016 du 12 avril 2016 consid. 5). Ces trois critères doivent être, selon la lettre de la loi, remplis cumulativement (Cédric MIZEL, La qualité de victimes LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, JdT 2003 IV p. 42).

Ainsi, la reconnaissance de la qualité de victime au sens de la LAVI dépend de savoir, d’une part, si la personne concernée a subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle et, d’autre part, si cette atteinte a été directement causée par une infraction au sens du droit pénal suisse. La qualité de victime au sens de la LAVI ne se confond donc pas avec celle de lésé, dès lors que certaines infractions n’entraînent pas d’atteintes – ou pas d'atteintes suffisamment importantes – à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle (ATF 120 Ia 157
consid. 2d ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 4c ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3c).

4.1.1 S’agissant de la condition de l’existence d’une infraction, les faits à l’origine de l’atteinte à l’intégrité doivent correspondre à l’état de fait objectif et subjectif d’une infraction au sens du Code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP – RS 311.0 ; Dominik ZEHNTNER, Opferhilfegesetz, 3ème éd. 2009 ad art. 1, p. 13 n° 3).

L’existence d’une infraction au sens de l’art. 1 LAVI est établie quel que soit le degré de responsabilité pénale de l’auteur. L’existence de la typicité et de l’illicéité du comportement ne doit pas nécessairement être établie par un jugement pénal. Elle peut être constatée, en l’absence d’un tel jugement, par l’autorité compétente chargée d’indemniser, ceci sur la base des éléments de l’enquête, voire moyennant d’autres investigations qu’elle mènerait (ATF 122 II 211 consid. 3 ;
Stéphanie CONVERSET, Aide aux victimes d’infractions et réparation du dommage, 2009, p. 152). Lorsque la procédure pénale fait défaut, parce que, par exemple l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié, il convient d’admettre l’existence d’une infraction dès que celle-ci est hautement probable, une simple vraisemblance sur ce point étant insuffisante (Stéphanie CONVERSET, Aide aux victimes d’infractions et réparation du dommage, 2009, p. 153 ; Peter GOMM in Peter GOMM / Dominik ZEHNTNER [éd.], Opferhilfegesetz, 2ème éd., 2005
ad art. 16, p. 313, n° 19).

4.1.2 La notion de victime ne dépend pas de la qualification de l'infraction, mais exclusivement de ses effets sur le lésé (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1). Toutefois, l'atteinte subie ne confère la qualité de victime au sens de l'art. 1 LAVI que lorsqu'elle présente une certaine gravité (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 ;
ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1 ; ATF 125 II 265 consid. 2a/aa), par exemple lorsqu'elle entraîne une altération profonde ou prolongée du bien-être (arrêt du Tribunal fédéral 1P.147/2003 du 19 mars 2003). Il ne suffit donc pas que la victime ait subi des désagréments, qu'elle ait eu peur ou qu'elle ait eu quelque mal
(ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1).

L'intensité de l'atteinte se détermine suivant l'ensemble des circonstances de l'espèce (ATF 129 IV 95 consid. 3.1). S'agissant d'une atteinte psychique, elle se mesure d'un point de vue objectif, non pas en fonction de la sensibilité personnelle et subjective du lésé (ATF 131 IV 78 consid. 1.2 ; ATF 120 Ia 157 consid. 2d/cc ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.272/2004 du 31 mars 2005 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence, des voies de fait peuvent suffire à fonder la qualité de victime si elles causent une atteinte notable à l'intégrité psychique du lésé, mais il est aussi possible que des lésions corporelles simples n'entraînent, au contraire, qu'une altération insignifiante de l'intégrité physique et psychique. En définitive, il faut déterminer si, au regard des conséquences de l'infraction en cause, le lésé pouvait légitimement invoquer le besoin de la protection prévue par la loi fédérale (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_973/2010 du
26 avril 2011 consid. 1.2).

4.1.3 Finalement, l’atteinte à l’intégrité doit être une conséquence directe, effective et immédiate de l’infraction (ATF 125 II 268 ; arrêt du Tribunal fédéral
6S-543/2006 du 20 février 2007).

Une atteinte est directe lorsque l’intégrité physique, psychique ou sexuelle appartient aux biens juridiquement protégés de l’élément constitutif de l’infraction en question (ATF 129 IV 95 consid. 3.1).

Avec la notion d'immédiateté de l'atteinte, le législateur a notamment voulu exclure du champ d'application de la LAVI les atteintes au patrimoine. De même, les atteintes à l'honneur ne touchent-elles d'ordinaire pas directement l'intégrité corporelle, sexuelle ou psychique des personnes, de sorte que celles-ci ne sauraient se prévaloir de la qualité de victime au sens de la LAVI. Il en va de façon analogue des délits de mise en danger, qui sont dans la règle exclus de la LAVI. Le même principe prévaut, fondamentalement, pour l'abus d'autorité, la contrainte et les faux témoignages, dénonciations calomnieuses et entraves à l'action pénale, toutes infractions qui ne sont pas dirigées directement contre la protection des droits individuels. Elles ne peuvent ainsi normalement fonder la situation de victime LAVI. Il en va encore ainsi des discriminations raciales et autres atteintes à la paix publique : dans le premier cas, la paix publique n'est en effet protégée indirectement qu'en tant que conséquence de la protection des individus dans leur appartenance à un groupe ethnique ou religieux. Il s'ensuit qu'une personne déterminée n'est en principe pas atteinte dans la mesure nécessaire pour fonder la qualité de victime LAVI par une atteinte discriminatoire raciale. Ces principes ne sont toutefois pas absolus, en ce sens qu'il peut se concevoir des cas exceptionnels, avérés ou encore théoriques, dans lesquels les comportements répréhensibles susmentionnés peuvent fonder la qualité de victime au sens de la LAVI (Cédric MIZEL, op. cit., JdT 2003 IV p. 45 ss). Ainsi, le Tribunal fédéral a reconnu la possibilité de reconnaître la qualité de victime dans des cas extrêmement graves d’atteintes à l’honneur
(Cédric MIZEL, op. cit., JdT 2003 IV p. 60). De même, la discrimination raciale ne cause une atteinte notable à l’intégrité psychique du lésé que dans des cas exceptionnels ou particulièrement rares, ou encore éventuellement, lorsqu’elle est perpétrée en concours avec d’autres infractions telles que des lésions corporelles ou des voies de fait (Cédric MIZEL, op. cit., JdT 2003 IV p. 62).

4.2 L’art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) interdit la torture ainsi que les traitements inhumains ou dégradants. Pour constituer un acte prohibé par cette disposition, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime. Un traitement atteint le seuil requis et doit être qualifié de dégradant s'il est de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier ou à avilir la victime, de façon à briser sa résistance physique ou morale ou à la conduire à agir contre sa volonté ou sa conscience. Il y a également traitement dégradant, au sens large, si l'humiliation ou l'avilissement a pour but, non d'amener la victime à agir d'une certaine manière, mais de la punir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_474/2013 du 23 août 2013 consid. 1.4 et les références citées).

Selon l’art. 126 al. 1 CP, celui qui se sera livré sur une personne à des voies de fait qui n’auront causé ni lésion corporelle ni atteinte à la santé sera, sur plainte, puni d’une amende. Les voies de fait se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Une telle atteinte peut exister même si elle n'a causé aucune douleur physique (ATF 134 IV 189 consid. 1.2 et les références citées). À titre d'exemples de voies de fait, on peut citer la gifle, le coup de poing ou de pied, les fortes bourrades avec les mains ou les coudes (arrêts du Tribunal fédéral 6B_514/2019 du 8 août 2019 consid. 3.1, 6B_693/2017 du 24 août 2017 consid. 2.1 et 6B_187/2015 du 28 avril 2015 consid. 2.1).

Aux termes de l'art. 180 al. 1 CP, celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. La menace suppose que l'auteur ait volontairement fait redouter à sa victime la survenance d'un préjudice, au sens large (ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100). Elle constitue un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit affective (ATF 117 IV 445 consid. 2b ;
ATF 106 IV 125 consid. 2a), ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a). Toute menace ne tombe pas sous le coup de l'art. 180 CP. La loi exige en effet que la menace soit grave. C'est le cas si elle est objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime. Il convient à cet égard de tenir compte de la réaction qu'aurait une personne raisonnable face à une situation identique (ATF 122 IV 97 consid. 2b). Les menaces de lésions corporelles graves ou de mort doivent être considérées comme des menaces graves au sens de l'art. 180 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1428/2016 du 3 octobre 2017
consid. 2.1 et la référence citée). Il faut en outre que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée. Celle-ci doit craindre que le préjudice annoncé se réalise. Cela implique, d'une part, qu'elle le considère comme possible et, d'autre part, que ce préjudice soit d'une telle gravité qu'il suscite de la peur. Cet élément constitutif de l'infraction, qui se rapporte au contenu des pensées d'une personne, relève de l'établissement des faits (ATF 135 IV 152 consid. 2.3.2 ; ATF 119 IV 1
consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1328/2017 du 10 avril 2018 consid. 2.1).

L'art. 261bis CP réprime, comme acte commis à l'encontre d'une personne en raison de son appartenance à une ethnie, l'incitation à la haine ou à la discrimination, la propagation d'une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique, l'organisation ou l'encouragement des actions de propagande, la parole en public d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine, la négation ou le fait de minimiser grossièrement ou de chercher à justifier un génocide ou encore le refus d'une prestation destinée à l'usage public.

5.             En l’espèce, la recourante invoque avoir été victime d’atteintes à l’intégrité physique et psychique le 6 décembre 2021.

5.1 En ce qui concerne les faits survenus à la bibliothèque, elle a fait état d’une « agression verbale », précisant que la bibliothécaire l’avait critiquée « assez violemment », que l’agent de sécurité s’était comporté « de manière physiquement et verbalement menaçante ». Tous deux lui parlaient de façon « agitée et accusatoire », en même temps. Ils avaient été rejoints par trois autres personnes et la situation avait tourné au « lynchage ». Il lui était impossible de se faire entendre car ils « étaient si nombreux ». Une fois à l’extérieur, l’agent de sécurité avait faussement indiqué aux policier qu’elle était agressive.

La description très précise de ces événements permet d’écarter toute infraction contre la vie ou l’intégrité corporelle, ainsi que toute mise en danger de la vie ou de la santé d’autrui, en particulier l’existence d’une rixe ou d’une agression, la recourante ne faisant état d’aucun geste à son encontre.

La recourante ne rapporte pas non plus la tenue de propos pouvant porter atteinte à sa considération ni de gestes attentatoires à l'honneur, de sorte que les infractions de diffamation, de calomnie et d’injure peuvent être exclues.

Que la recourante ait été prise à partie par cinq personnes qui auraient adopté un comportement inadéquat, désagréable ou qui se seraient même montrées virulentes à son égard ne saurait suffire. La commission d’une infraction pénale n’apparaît pas probable.

5.2 S’agissant de l’intervention des forces de l’ordre, la recourante a allégué que les policiers lui avaient parlé de manière « dominante », « menaçante », avec une posture « intrusive ». L’un d’eux l’avait « brutalement » saisie pour la menotter et elle avait eu mal. Elle avait été « propulsée et mise » dans le véhicule. Son téléphone portable avait été saisi de sa main « avec force ». Elle avait été « agressée verbalement » par un policier qui lui avait répété de façon « hostile » : « You are finished », ce qu’elle avait interprété comme une menace de mort ou un dommage imminent, grave et irréparable. Des propos xénophobes et racistes avaient été tenus, avec plusieurs références à ses origines étrangères et à la suggestion de quitter la Suisse, de rentrer dans son pays.

Contrairement à ce que soutient la recourante, le fait d’avoir été appréhendée en pleine rue par des policiers, menottée, puis conduite au poste de police en raison de son refus de présenter ses documents d’identité, ne constitue en aucun cas un mauvais traitement pouvant être considéré comme un acte de torture et de cruauté. Une telle intervention de police n’est pas de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier ou à avilir la personne arrêtée.

En outre, les faits dénoncés par la recourante ne permettent pas de retenir l’existence d’une atteinte physique excédant ce qui est admissible dans une telle situation, étant rappelé que la recourante a reconnu qu’elle avait refusé de montrer ses papiers d’identité avant d’être arrivée au poste de police. Des voies de fait n’apparaissent pas hautement probables. D’ailleurs, le rapport du Dr D______, qui relate également l’incident dans le détail et mentionne une interpellation décrite comme « brutale », ne rapporte aucun acte excessif ou agressif.

Les propos qui auraient été tenus par les policiers, à savoir « You are finished », ne pouvaient être compris comme des menaces de lésions corporelles graves ou de mort. La recourante ne pouvait objectivement penser que les policiers, qui l’emmenaient au poste puisqu’elle avait refusé de leur montrer ses papiers, ce qu’ils lui avaient d’ailleurs expliqué, allaient la « faire disparaître », la violer ou encore la battre. Même prononcés sur un ton hostile, ces termes ne sont pas propres à alarmer ou effrayer une personne raisonnable dans une situation similaire.

Enfin, qu’elles soient avérées ou non, les références à ses origines, à sa présence en Suisse ou encore à un retour dans son pays, ne sont clairement pas des propos racistes discriminatoires ou incitant à la haine.

Par conséquent, au vu des faits relatés par la recourante de façon très précise et détaillée, l’existence d’une infraction pénale n’apparaît pas hautement probable.

L’un des trois critères cumulatifs faisant défaut, la recourante ne peut donc se voir reconnaître la qualité de victime LAVI.

5.3 À toutes fins utiles, il sera encore rappelé que les atteintes à l'honneur, l'abus d'autorité et les discriminations raciales ne touchent d'ordinaire pas directement l'intégrité psychique des personnes et que la qualité de victime ne peut être reconnue que dans des cas exceptionnels.

Ainsi, même si l’existence de propos racistes, xénophobes, injurieux ou calomnieux ou d’un comportement abusif des policiers devait être établie, l'admission de la qualité de victime n'entrerait de toute façon pas en considération, les circonstances n’étant pas suffisamment graves pour entraîner objectivement une atteinte directe à l'intégrité psychique.

6.             Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que l’intimé a dénié à la recourante la qualité de victime sous l'angle de l’art. 1 al. 1 LAVI.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA et
30 al. 1 LAVI) Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 octobre 2022 par Madame A______ contre la décision du Centre genevois de consultation pour victimes d'infractions du 2 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, au Centre genevois de consultation pour victimes d'infractions ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :