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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4438/2023

ACPR/248/2024 du 15.04.2024 sur OCL/220/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT
Normes : CPP.429.al1.letc

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4438/2023 ACPR/248/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 15 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, France, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

 

contre l’ordonnance de classement rendue le 23 février 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 8 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 février 2024, notifiée le 27 suivant, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de la procédure, la restitution en sa faveur de deux téléphones portables ainsi que de l’argent figurant à l’inventaire du 26 février 2023, lui a alloué une indemnité de CHF 400.- pour l’atteinte causée par sa détention (ch. 4 du dispositif), au sens de l’art. 429 al. 1 let. c CPP, et a refusé de lui allouer toute autre indemnité au sens de l’art. 429 CPP (ch. 5).

Le recourant conclut, préalablement, à ce que des débats soient ordonnés, principalement, à l’annulation du ch. 4 du dispositif, et, cela fait, à l’octroi en sa faveur d’une indemnité pour tort moral de CHF 25'000.- ainsi que d’une indemnité pour ses frais de défense dans la procédure de recours de CHF 4'000.- plus TVA à 8.1 %. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision sur indemnisation pour tort moral et pour ses frais de défense.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été interpellé par la police le 25 février 2023 à 20h40.

b. Selon le rapport d'arrestation du 26 février 2023, les autorités françaises avaient reçu, la veille à 19h00, un signalement en provenance d’un résident français qui s'inquiétait d'un comportement suspect d'un individu se trouvant à proximité de la C______ [arène couverte], repéré via la carte de l'application Snapchat, dont la « story » s'apparentait à un projet d'attentat au nom de l'Islam.

A______ avait ainsi publié sur ladite application une photographie de lui accompagnée du texte : « Je viens de remonter les 30 dernieres annees subhan'allah On se reverra très bientôt insh'allah pour d autre raison ou la meme. Mais nous sommes tous des freres soyons et restons solidaire » [sic].

Il ressortait par ailleurs des informations reçues des autorités françaises que A______ était défavorablement connu de leurs services et comptait, entre le 18 septembre 1999 et le 1er juin 2021, quinze antécédents, notamment pour usage de stupéfiants, port ou détention d'armes prohibées, autres violences volontaires aggravées, menaces ou chantages pour extorsion de fonds, violences et outrages à dépositaire de l'autorité, menaces de mort réitérées, abandon de famille et « menaces de mort de violences d'attentats » le 25 juillet 2009.

Au moment de son interpellation, aucune trace de substance explosive n'avait été trouvée sur lui et la fouille complète de la C______ n’avait mené à aucune découverte suspecte.

c. Entendu par la police le 26 février 2023, le prévenu a contesté les faits. Il utilisait beaucoup les réseaux sociaux, en particulier Facebook.

Il s'était converti à l'Islam en 2010 et avait choisi comme nom de conversion "D______" ou "D______", signifiant "______" ou "______". Sa conversion faisait suite à une prise de conscience après avoir vu sa mère et sa grand-mère pleurer au parloir alors qu'il était en prison pour subir diverses peines. Par le passé, il réglait tout par la violence. Depuis sa conversion, il avait changé son comportement, ne buvait plus d’alcool ni ne fumait de cannabis.

Il ne parlait pas arabe et n'allait pas souvent à la mosquée. Il ne s'était jamais rendu en Syrie ou en Irak, ni dans son pays d'origine, le Cameroun. Il ne fréquentait aucune personne radicalisée. Il ne savait pas quoi penser du djihad, mais constatait des contradictions sur ce qu'il voyait sur internet. Il était contre la violence. Les attentats tuaient des innocents et il était préférable de régler les problèmes en utilisant les lois.

Il avait un fils âgé de 5 ans dont il avait la garde et dont la mère habitait à E______ [France]. Il essayait d'aider les gens en faisant notamment du bénévolat.

Au moment des faits reprochés, il vendait des churros et crêpes dans une roulotte stationnée devant la C______, pour le compte de son employeur depuis 2021. Au moment de son interpellation, il était en train de quitter la roulotte afin d'acheter des cigarettes pour sa collègue (ce que celle-ci a confirmé à la police le 26 février 2023).

Le message qu'il avait posté sur Snapchat faisait référence à l'enterrement d'un ami auquel il s'était rendu le matin-même. Il y avait rencontré plusieurs amis qu'il n'avait pas vus depuis près de 30 ans.

S'il reconnaissait avoir commis plusieurs infractions dans sa jeunesse, il ne se rappelait pas avoir été mis en cause en France pour des menaces de mort de violences d'attentats.

d. Le 26 février 2023, la police a encore procédé notamment à l’audition de F______ qui a indiqué s’être rendu devant la C______ avec sa compagne (laquelle a confirmé ces dires) afin de manger des crêpes avec le prévenu. Il avait vu la « story » de A______ uniquement sur Facebook. Celui-ci n’était pas du genre à commettre un attentat. Il savait que l’intéressé s’était converti à l’islam mais tout deux n’en parlaient pas. Il comprenait après coup que le message avait pu alarmer des personnes.

e. Les perquisitions effectuées aux deux lieux de résidence du prévenu ont permis de récolter uniquement plusieurs téléphones portables plus ou moins anciens.

f. Lors de son audition devant le Ministère public le 27 février 2023, outre confirmer ses précédentes déclarations, A______ a indiqué que le terme « subhan'allah », qui signifiait grâce à dieu, avait possiblement pu inquiéter, de même que le reste du texte publié. Lorsqu'il avait écrit « pour une autre raison ou la même », c'était pour dire qu'ils se reverraient avec ses amis pour boire un verre par exemple ou, à défaut, pour un autre enterrement. La référence à la solidarité était liée à l’enterrement, un moment difficile pour tous et qu’il fallait se soutenir les uns les autres.

Le prévenu a été libéré à l'issue de cette audience, à 13h02.

g. Il ressort du rapport de police du 20 avril 2023 que l'analyse du contenu du téléphone du prévenu corroborait ses dires, en particulier s'agissant de son emploi du temps avant les faits reprochés.

h. Le 30 juin 2023, faisant suite à la demande d'entraide pénale internationale du 17 avril 2023, la Cour d'appel de G______ [France] a indiqué qu'un jugement avait été rendu à l'encontre du prévenu le 26 novembre 2009 concernant les « menaces de mort de violences d'attentats » du 25 juillet 2009.

i. En réponse à un avis de prochaine clôture de l'instruction du Ministère public annonçant le prononcé d’une ordonnance de classement, A______ a, le 15 décembre 2023, sollicité une indemnisation totale de CHF 400'000.-, soit CHF 50'000.- pour le traumatisme moral et physique résultant de sa détention, CHF 100'000.- pour le traumatisme familial et la perte de son emploi; CHF 50'000.- pour la discrimination et son accusation à tort, CHF 50'000.- pour les regards accusateurs et les commentaires de la population sur les réseaux et CHF 150'000.- pour la diffusion de son arrestation avec « les fesses à l'air » et les gros titres dans les journaux.

j. La présente procédure a été relayée dans les médias romands pendant les deux ou trois jours suivant les faits. Des images de l’arrestation filmée par un particulier ont été diffusées dans un article [du journal] H______ sur lesquelles le prévenu n’est pas identifiable. Son identité n'a à aucun moment été révélée dans les médias.

Dans un article paru le ______ 2023 dans [le journal] H______, A______ a dénoncé l'intervention de la police. Dans un second article paru le ______ 2024 dans ce même quotidien, il a indiqué que le Ministère public allait classer l'affaire et qu'il sollicitait une indemnisation. Les gens s’étaient montrés méfiants à son égard. Il avait eu moins de mandats de vente et il lui avait été difficile de retrouver la confiance de ses employeurs.

Le Pouvoir judiciaire s'est limité à communiquer le soir des faits que l'individu avait été signalé par les autorités françaises comme « l'auteur d'un message sur les réseaux sociaux pouvant se comprendre comme une menace de passage à l'acte de type terroriste ». Le 27 février 2023, le Ministère public a expliqué que « les investigations de la police, ainsi que les mesures d'instruction ordonnées par la procureure, n'ont pas mis en évidence de charges en lien avec la commission d'une entreprise à but terroriste. Le Ministère public genevois n'a dès lors pas sollicité la reprise de la procédure par le Ministère public de la Confédération ».

Ces communiqués ont été relayés dans des médias qui ont indiqué le 27 février 2023 que l'affaire « se dégonflait ».

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a retenu que l’indemnité de CHF 100'000.- requise par A______ au titre de traumatisme familial et de perte supposée de son emploi correspondait à deux motifs distincts, l'un relevant du tort moral et l'autre d'un éventuel dommage économique. Il était donc difficile de déterminer ce que celui-ci réclamait uniquement au titre du dommage économique.

En outre, il ne fournissait aucun justificatif prouvant qu'il avait perdu son emploi, ni n’établissait un lien de causalité adéquate avec la procédure, étant rappelé qu’il avait été détenu pendant moins de deux jours.

Une indemnité pour dommage économique subi au titre de participation obligatoire à la procédure pénale (art. 429 al. 1 let. b CPP) était dès lors refusée.

En lien avec sa détention, du 25 février 2023 à 20h40 au 27 février 2023 à 13h02, une indemnisation de CHF 400.- lui était octroyée (art. 429 al. 1 let. c CPP), le prévenu n’ayant pas démontré pour quelles raisons il conviendrait de s'écarter de la pratique du Tribunal fédéral.

Le prévenu ne justifiait nullement ses autres prétentions pour tort moral, si ce n'était en affirmant que son arrestation et la procédure avaient été médiatisées et qu'il avait fait l'objet de commentaires et regards désapprobateurs de la population.

De plus, son nom n'avait jamais été révélé par les médias et la vidéo de son arrestation ne permettait pas de l'identifier. Des articles avaient été publiés spontanément à ce sujet uniquement dans les deux ou trois jours suivant les faits. Le Pouvoir judiciaire, en particulier le Ministère public, s'étaient limités à des communiqués sommaires qui avaient immédiatement eu pour effet de faire « dégonfler » cette affaire.

Ce n’était que du fait des interviews données par le prévenu [au journal] H______, les ______ 2023 et ______ 2024, que cette affaire avait à nouveau été médiatisée.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que son droit à une indemnisation a été violé « comme résultat de l’absence totale d’instruction sur les faits pouvant légitimement fonder ce droit, ce qu’il conviendra de qualifier de constatation incomplète des faits ».

S’il était exact que dans son ordonnance de prochaine clôture, le Ministère public lui avait enjoint de chiffrer et de justifier une éventuelle demande d’indemnisation, il n’avait pu y répondre qu’imparfaitement. Il avait tenté d’expliquer du mieux qu’il avait pu, sans assistance d’un conseil, les postes méritant l’octroi d’une indemnisation. En l’absence d’un conseil, le devoir d’interpellation du juge s’en trouvait accru, d’autant plus dans le cadre d’une procédure pénale où il avait été dissuadé de manière déloyale de faire appel à un avocat. Le Ministère public s’était contenté d’écarter ses prétentions sans tenir compte des traitements subis lors de ses interpellation et arrestation. Cette indifférence ne faisait qu’accentuer son sentiment d’injustice et constituait un camouflet supplémentaire aux violences et atteintes inutilement infligées.

Ainsi, il avait subi des méthodes inhabituelles, exceptionnellement violentes et disproportionnées au moment de son interpellation, allant au-delà de « désagréments ordinaires ». Alors qu’il se trouvait sur l’esplanade devant l’entrée de la C______, il avait vu arriver des policiers et militaires cagoulés et lourdement armés. Il avait subitement reçu un coup extrêmement fort à l’arrière de la tête, sans semonce ni interpellation, ce qui avait eu pour effet de le projeter à terre. Il avait été plaqué au sol et immobilisé par plusieurs policiers. On lui avait menotté les bras dans le dos pendant que d’autres policiers braquaient leur fusil d’assaut sur sa tête. Par réflexe de survie, il avait tenté de se débattre, de lever la tête en criant désespérément qu’il n’avait rien fait et on lui avait plaqué le visage au sol pour seule réponse. Il avait senti qu’on le fouillait, pour ne trouver que le paquet de cigarettes, le porte-monnaie et le téléphone qu’il avait sur lui. Un policier, créant artificiellement une situation dangereuse, afin de le piéger, en violation de l’art. 3 al. 2 CPP, avait « lancé dans [s]a direction » une arme de type américain avec une lame à son extrémité et crié « il a une arme ». Or il n’avait jamais possédé d’armes et encore moins ce jour-là. Des personnes avaient pris et diffusé des photos de cette intervention musclée.

Il avait été emmené dans un endroit inconnu, plaqué sur le plancher d’un fourgon de police, le visage caché par sa capuche. Il avait été soumis à toutes sortes de détecteur de métaux, en vain, et prises d’empreintes ADN et digitales. Il avait été, tout du long de ces opérations, terrorisé et en pleurs. Sa tête saignait au point d’impact du coup qu’il avait reçu et on ne lui avait pas apporté de soins. L’apogée de l’humiliation avait été atteinte lorsqu’on lui avait demandé de se déshabiller intégralement, de soulever ses parties génitales puis de se mettre à quatre pattes en écartant son orifice anal. Il était pertinent de se demander ce que les policiers espéraient trouver dans cet orifice. Cette ultime humiliation était nullement indispensable et portait gravement atteinte à sa personnalité.

Il avait ensuite compris des explications de la police judiciaire qu’il n’avait pas droit à un avocat au vu sa situation financière et y avait donc renoncé en se fiant en toute bonne foi à des indications erronées. Alors qu’il répondait à toutes les questions posées, portant essentiellement sur la religion, des perquisitions avaient lieu au domicile de sa mère en présence de son fils de 5 ans, ainsi qu’au domicile de son jeune frère. Sa mère avait ainsi reçu la visite de militaires en treillis, ainsi que de policiers suisses et français « armés jusqu’aux dents », mitraillettes en avant « en mode commando ». Ils avaient cassé plusieurs objets dans l’appartement de son frère, qu’ils avaient laissé sens dessus dessous.

Il avait été libéré avec uniquement EUR 2.- en poche, épuisé, sans avoir mangé pendant près de 48 heures, alors qu’on lui avait refusé un morceau de pain, et détruit par ce qu’il venait d’endurer. Il avait dû rentrer à pied depuis la route de Chancy jusqu’à I______ [France]. Arrivé chez lui, il avait immédiatement rasé sa barbe pour éviter toute nouvelle confusion ou accusation uniquement liée à son aspect physique et à sa religion. Durant les jours qui avaient suivi, il avait découvert tous les articles de presse qui s’étaient fait l’écho de cette « pseudo tentative d’attentat à la C______ », aussi bien en Suisse qu’en France, jusqu’à J______ [chaîne tv privée]. S’y ajoutait le déchaînement de tweets et messages en tous genres sur les réseaux sociaux. Dans l’attente de la décision de classement annoncée par le Ministère public et ignorant la manière dont il pourrait être réhabilité, il avait pris l’initiative de contacter la chaîne de télévision K______ afin de donner sa version des faits.

Trois des personnes qui avaient été interrogées par la police, dont une femme enceinte de six mois, qu’il ne connaissait pas, avaient coupé tout contact avec lui. Il était désormais perçu par un grand nombre de personnes, dont ses voisins, et d’anciennes connaissances, comme quelqu’un de potentiellement dangereux, un « terroriste », et était interdit de la C______ et autres lieux de concert.

Il était depuis ces événements anxieux, angoissé et souffrait d’insomnie. Une psychologue avait pu le recevoir gratuitement quelques fois pour l’apaiser. Un traitement de longue durée était nécessaire mais il n’en avait pas les moyens. Désormais, à l’approche de la police, il se mettait immédiatement à trembler, ce qui le rendait suspect et l’obligeait à donner des explications alors qu’il n’avait rien à se reprocher.

Quant à la fixation de l’indemnité pour sa détention injustifiée, le tarif de base de CHF 200.- par jour devait être revu à la hausse pour tenir compte de ses souffrances et réduire sa douleur morale toujours persistante.

Partant, un dédommagement pour tort moral de CHF 25'000.- était réclamé suite à cet « acquittement ».

La procédure de recours, rendue nécessaire pour défendre ses droits, ne pouvait être menée sans l’assistance d’un conseil, preuve en était le sort réservé à sa demande d’indemnisation devant le Ministère public. Le tarif horaire appliqué était de CHF 400.-, correspondant à dix heures de travail.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

Le recourant, qui demande la tenue d'une audience par la Chambre de céans, semble oublier que le recours fait l'objet d'une procédure écrite (art. 397 al. 1 CPP), les débats ayant une nature potestative (art. 390 al. 5 CPP). Par ailleurs, l'art. 29 al. 2 Cst. ne confère pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 et les références citées).

3.             Le recours est circonscrit à la violation de l'art. 429 al. 1 let. c CPP.

3.1 Selon l'art. 429 al. 1 let. c CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéfice d'une ordonnance de classement, il a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

L'art. 429 CPP fonde un droit à des dommages et intérêts et à une réparation du tort moral résultant d'une responsabilité causale de l'État. La responsabilité est encourue même si aucune faute n'est imputable aux autorités. L'État doit réparer la totalité du dommage qui présente un lien de causalité avec la procédure pénale, au sens du droit de la responsabilité civile (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1 p. 239). Le lien de causalité s'apprécie selon les principes de la causalité naturelle et adéquate et selon le degré de la haute vraisemblance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 2, non publié in ATF 142 IV 163 et la référence citée).

3.2. Lorsque, du fait de la procédure, le prévenu a subi une atteinte particulièrement grave à ses intérêts personnels au sens des art. 28 al. 2 CC ou 49 CO, il aura droit à la réparation de son tort moral. L'intensité de l'atteinte à la personnalité doit être analogue à celle requise dans le contexte de l'art. 49 CO (arrêt du Tribunal fédéral 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 5.1, non publié in ATF 142 IV 163 et la référence citée).

L'indemnité pour tort moral sera régulièrement allouée si le prévenu s'est trouvé en détention provisoire ou en détention pour des motifs de sûreté. Outre la détention, peut constituer une grave atteinte à la personnalité, par exemple, une arrestation ou une perquisition menée en public ou avec un fort retentissement médiatique, une durée très longue de la procédure ou une importante exposition dans les médias, ainsi que les conséquences familiales, professionnelles ou politiques d'une procédure pénale, de même que les assertions attentatoires aux droits de la personnalité qui pourraient être diffusées par les autorités pénales en cours d'enquête. En revanche, il n'y a pas lieu de prendre en compte les désagréments inhérents à toute poursuite pénale comme la charge psychique que celle-ci est censée entraîner normalement chez une personne mise en cause (ATF 143 IV 339 consid. 3.1. p. 342; arrêt du Tribunal fédéral 6B_928/2014 précité consid. 5.1 non publié aux ATF 142 IV 163 et les références citées).

L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par l'intéressé et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704 s.; cf. également ATF 141 III 97 consid. 11.2 p. 98).

3.3. Selon la jurisprudence, un montant de CHF 200.- par jour en cas de détention injustifiée de courte durée constitue une indemnité appropriée, dans la mesure où il n'existe pas de circonstances particulières qui pourraient fonder le versement d'un montant inférieur ou supérieur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_909/2015 du 22 juin 2016 consid. 2.2.1). Le taux journalier n'est qu'un critère qui permet de déterminer un ordre de grandeur pour le tort moral. Il convient ensuite de corriger ce montant compte tenu des particularités du cas (durée de la détention, retentissement de la procédure sur l'environnement de la personne acquittée, gravité des faits reprochés, etc.) (143 IV 339 consid. 3.1 p. 342). Le juge peut également tenir compte des répercussions de la détention sur la vie privée, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 149 IV 289 consid. 2.1.4).

3.4. Selon l’art. 429 al. 2 CPP, l’autorité pénale examine d’office les prétentions du prévenu. Elle peut enjoindre à celui-ci de les chiffrer et de les justifier.

3.5. Quiconque jette l’alarme dans la population par la menace ou l’annonce fallacieuse d’un danger pour la vie, la santé ou la propriété est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 258 CP).

4. 4.1. En l'espèce, le recourant fait l’objet d’une ordonnance de classement.

À teneur du dossier, il a été interpellé 25 février 2023 à 20h40 devant une salle de concert, à la suite de soupçons en lien avec la publication via l’application Snapchat d’une photographie le montrant, accompagnée d’un texte qui a laissé penser aux autorités françaises, par suite d’un signalement, qu’il pouvait préparer un attentat au nom de l’Islam. Il a été remis en liberté le 27 février 2024 à 13h02 après que la police avait procédé à diverses auditions et que lui-même avait été entendu par le Ministère public. Une indemnité lui est due en raison de cette détention injustifiée de deux jours.

Le recourant ne saurait être suivi lorsqu’il soutient que son montant devrait être supérieur aux CHF 400.- alloués usuellement, soit un montant de CHF 200.- par jour de détention injustifiée. Si le recourant est père d’un enfant âgé de 5 ans et avait au moment de son interpellation une activité lucrative, tant ses contacts avec son enfant, qui selon ses propres dires se trouvait chez sa grand-mère maternelle, que son activité professionnelle n’ont été entravés par sa détention que pour une très brève période. Il n’existe ainsi pas de circonstances particulières qui justifieraient de s’éloigner du montant accordé.

4.2. Le recourant considère les modalités de son interpellation et les divers actes d’enquête accomplis, en particulier par la police, comme totalement injustifiés et disproportionnés. S’y ajoute le retentissement médiatique et sur les réseaux sociaux. Ces éléments auraient eu des graves conséquences sur sa santé, son emploi et ses relations sociales.

Il ressort des photos versées à la procédure que le recourant a été interpellé et menotté par deux policiers en tenue civile et plaqué au sol alors que trois autres policiers du groupe d’intervention lui tournaient le dos et sécurisaient les lieux, leur arme pointée vers le sol. L’un de ces derniers et une troisième policière en civil semblent être venus prêter main-forte pour maîtriser le recourant, étant relevé qu’il a admis qu’il s’était débattu. Quant au transfert du recourant en fourgon, il ressort du rapport d’interpellation du 25 février 2023 qu’il a dans un premier temps été conduit au poste de police de l’aéroport puis dans les locaux de la police judiciaire pour être entendu par la Brigade criminelle. Ces modalités d’intervention ne sont pas critiquables vu les soupçons qui pesaient alors sur le recourant, soit à tout le moins de menaces alarmant la population au sens de l’art. 258 CP, dans le contexte d’un signalement par les autorités françaises craignant la survenance d’un attentat au nom de l’Islam, qui plus est aux abords d’une salle de concerts fréquentée le soir en question.

Eu égard à de tels soupçons, les mesures prises pour l’interpellation et la conduite du recourant, menotté, fût-ce sans qu’il ne sache où on l’acheminait notamment du fait de la capuche qui lui aurait obstrué la vue, n'était ni inutiles ni disproportionnées. A ce moment-là, il ne pouvait notamment être exclu que le recourant ait agi avec d’autres personnes.

Il sera encore rappelé que, comme cela ressort du rapport d’arrestation du 26 février 2023, la menace paraissait alors sérieuse au point qu’il a été décidé de procéder à l’évacuation du public de la C______ et à la fouille complète des locaux.

Quant aux perquisitions, le recourant ne les a aucunement contestées en temps utile, de sorte qu’il ne saurait s’en plaindre aujourd’hui. La recherche de matériel et d’indices en lien avec la possible préparation d’un attentat dans les deux lieux où il résidait était nécessaire et proportionnée.

Le recourant se plaint aussi d'avoir été trompé par la police quant à l’assistance d'un avocat dès son arrestation. Toutefois, la simple appréhension ne fonde pas encore un droit à l'avocat de la première heure (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, n. 4 ad art. 159). Le recourant, entendu dans sa langue maternelle, a par ailleurs signé sans réserve le procès-verbal de son audition devant la police faisant état de la prise de connaissance de ses droits et obligations dont il est dit qu’il les avait bien compris. Devant le Ministère public le 27 février 2023, mis en prévention pour infraction à l’art. 258 CP, il a de même eu connaissance de ses droits, dont celui d’être assisté, à ses frais, d’un avocat de son choix et a indiqué être d’accord de s’exprimer hors la présence d’un avocat et avoir compris ses droits. Il a été élargi à l’issue de cette audience. Au vu de ces éléments, il ne peut être reproché ni à la police ni au Ministère public d’avoir usé de procédés déloyaux pour l’encourager à s’exprimer notamment sur les faits de la cause en l’absence d’un avocat.

Le recourant se plaint encore des circonstances de la fouille corporelle.

Cet acte de contrainte, prévu par l'art. 250 CPP et expressément ordonné par le Ministère public, doit respecter le principe de proportionnalité. La fouille sommaire se résout à une palpation alors que la fouille complète implique le déshabillage de la personne aux fins de permettre l'examen de la surface de son corps et de ses cavités naturelles. La fouille doit ainsi se restreindre à la palpation lorsque celle-ci est suffisante par rapport aux buts probatoires poursuivis. Ainsi, une fouille complète n'est proportionnée que lorsque les objets recherchés ne pourraient pas être détectés par une simple palpation par-dessus les habits (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand du CPP, 2ème édition, Bâle 2019, n. 2 ad art. 250).

Le Tribunal fédéral (ATF 146 I 97) considère qu'une fouille corporelle, bien que pouvant être embarrassante pour la personne visée, peut être justifiée par des considérations de sécurité, d'ordre et de prévention des infractions. Afin qu'elle soit licite, elle doit toutefois être nécessaire à atteindre les objectifs précités et conduite de manière à ce que le degré de souffrance ou d'humiliation infligée au détenu soit limité à ce qui était inévitable. Les agents de police sont tenus de prendre en compte les circonstances et les dangers concrets de chaque cas d'espèce mais également le comportement de la personne, notamment la présence ou l'absence de signes d'agressivité. Une arrestation par surprise empêche ainsi en principe que le prévenu ait pu dissimuler sur lui des armes ou objets dangereux en prévention de sa détention.

En l'espèce, au vu de l'infraction reprochée au recourant mais également de ses nombreux antécédents français entre 1999 et juin 2021 - parmi lesquels pour port et détention d’armes prohibées, violences volontaires aggravées, menaces ou chantage pour extorsion de fonds, violence ou outrage à dépositaire de l’autorité, menaces de mort réitérées et « menaces de mort de violences d’attentat » le 25 juillet 2009, et quand bien même le recourant soutient qu’il n’aurait pas eu connaissance de cette dernière occurrence ni a fortiori d’une condamnation -, la possibilité qu'il ait dissimulé sur lui des objets dangereux au moment de son interpellation aux abords de la C______ existait. Du moins, la police était fondée à le penser. L’éventualité qu'il ait pu dissimuler dans les cavités de son corps des objets utiles à l'enquête ne pouvait pas non plus d’emblée être exclue.

Partant, on doit admettre qu'une fouille impliquant un déshabillage et un contrôle visuel de l’orifice anal de l'intéressé sans moyen auxiliaire apparaissait ici proportionnée.

Eu égard à ce qui précède, on ne voit pas que l'interpellation du recourant, sa fouille, ses deux auditions, les deux perquisitions et les auditions de quelques personnes soient de nature à provoquer chez un prévenu un traumatisme tel qu'il faille lui allouer un tort moral.

L’écho de cette affaire dans les médias et sur les réseaux sociaux ne conduit pas davantage à retenir un tel préjudice. Comme justement retenu par le Ministère public, le prévenu ne pouvait être reconnu sur les images de vidéosurveillance ayant circulé, pas plus qu’au travers des articles de presse à la suite en particulier des communiqués du pouvoir judiciaire qui ont eu pour effet de « dégonfler » rapidement l’affaire, ce que le recourant ne remet pas en cause. L’Etat ne saurait pour le reste être tenu pour responsable du dégât d’image qui aurait pu résulter des interventions propres du recourant, prises de sa seule intitiative, notamment sur la chaîne de télévision K______, en vue de se « réhabiliter ».

Au demeurant, le recourant ne produit devant la Chambre de céans aucune pièce à même d’étayer le traumatisme dont il se plaint. Il allègue n’avoir vu que quelquefois une psychologue. S’il dit avoir besoin d’un traitement psychologique à plus long terme, il ne démontre pas sa nécessité ni que l’accès à un thérapeute lui aurait été refusé faute de moyens financiers suffisants, ou encore qu’un traitement médicamenteux serait nécessaire. Le recourant échoue donc à démontrer qu’il présenterait une pathologie qui induirait chez lui une fragilité ou une sensibilité hors norme.

Partant, c'est à bon droit que le Ministère public lui a refusé toute indemnisation pour tort moral, excepté les CHF 400.- afférents à sa détention.

Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1’000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

Vu cette issue, il ne saurait prétendre à une indemnité pour la procédure de recours (art. 436 al. 3 CPP a contrario).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son avocat, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Valérie LAUBER et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4438/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'085.00