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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/257/2020

ACPR/766/2022 du 07.11.2022 sur ONMMP/2364/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONSTATATION DES FAITS;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;INFRACTIONS CONTRE LA LIBERTÉ;BAIL À LOYER
Normes : CPP.393; CPP.310; CP.156; CP.181; CO.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/257/2020 ACPR/766/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 7 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Dimitri TZORTZIS, avocat, BST Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 5 juillet 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 18 juillet 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, principalement, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de déclarer B______ coupable de calomnie, subsidiairement de diffamation et de tentative d'extorsion et de chantage ou, à tout le moins, de tentative de contrainte, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public afin qu'il ouvre une procédure contre B______ des chefs des infractions précitées, plus subsidiairement, à ce que le Ministère public soit "condamné" [sic] à renvoyer B______ en jugement.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. La société S.I. C______ SA est une société de droit suisse, dont le but est l'exploitation de l'immeuble avenue 1______.

b. Le 8 février 2019, un contrat de bail à loyer concernant un local commercial de l'immeuble précité, avenue 1______(b), a été conclu entre A______ et S.I. C______ SA.

Le contrat prévoyait notamment une durée du bail de 5 ans, soit du 16 février 2019 au 28 février 2024, pour un loyer indexé de CHF 8'000.- par mois, auquel s'ajoutaient CHF 600.- de charges.

Dans ce cadre, S.I. C______ SA est représentée par D______ Sàrl, gérante de l'immeuble en question et dont l'associé-gérant est B______.

c. Le 6 mai 2019, A______ a conclu un mandat de courtage avec la société E______ SA, pour la reprise de son fonds de commerce, à charge pour cette dernière de trouver un acheteur et de mener à bien la vente.

d. Le 28 juin 2019, une convention de remise du fonds de commerce a été conclue entre A______, vendeur, et F______, acheteur.

Le prix a été fixé à CHF 100'000.-.

e. Dès juillet 2019, plusieurs échanges sont intervenus entre A______ et B______, à teneur desquels il ressort notamment que :

f.a. Le premier nommé a sollicité le transfert à un tiers du bail du local précité, estimant que son activité commerciale n'était pas florissante, et annoncé avoir revendu son fonds de commerce par l'intermédiaire de l'agence E______ SA. Il souhaitait présenter le dossier du repreneur (messages WhatsApp du 15 juillet 2019).

f.b. B______ a répondu qu'il aimerait discuter de "nos" conditions pour accepter le repreneur proposé (message WhatsApp du 22 août 2019) et, qu'après analyse, le risque débiteur du repreneur était plus important que ce qu'il pensait, de sorte que "nos conditions ne sont pas négociables et si vous [A______] voulez aller de l'avant avec lui [le repreneur] il faudra reverser la moitié de la reprise ce qui restera à la régie pour couvrir le risque débiteur futur comme garantie bancaire supplémentaire" (message WhatsApp du 28 août 2019).

g. En date du 3 septembre 2019, A______ confirmait avoir donné l'ordre à E______ SA de libérer la moitié du produit de la vente du fonds de commerce "au titre des garanties complémentaires nécessaires au transfert du bail en faveur de Monsieur F______".

h. Le même jour, A______ a adressé un courriel a E______ SA demandant, "dès réception du transfert de bail à F______", de faire le nécessaire envers B______ conformément au document précité (cf. let. B. f. supra).

i. Par la suite, des échanges sont intervenus entre E______ SA et B______, dont il ressort notamment que la susnommée a déclaré suivre les ordres de A______ quant au versement du produit du fonds de commerce (courriel du 4 septembre 2019). Elle a également expliqué "que sur ordre qui nous a été transmis par Monsieur A______, à la fin de la transaction de remise de fonds de commerce, nous vous verserons la somme de CHF 44'615.-. Pour cela, il nous faudra un décompte ou une facture, mentionnant le libellé de ce versement ainsi que les coordonnées bancaires, nous permettant de procéder au paiement" (courriel du 16 septembre 2019).

j. Conformément à cette demande, D______ Sàrl a transmis une facture, datée du 16 septembre 2019, à E______ SA.

k. Le 26 septembre 2019, D______ Sàrl a transmis à E______ SA le document de transfert de bail, qui sera signé par les concernés le 30 suivant.

Le 2 octobre 2019, A______ a reçu de la part de E______ SA un versement de CHF 89'230.- à titre de "cession le 1______(b)".

l.a. En parallèle, de nouveaux messages électroniques ont été échangés entre E______ SA et B______, selon lesquels ce dernier estimait que c'était à ladite société de lui verser le montant convenu (courriel du 1er octobre 2019).

l.b. La prénommée lui a répondu que l'argent bloqué sur son compte de consignation ne lui appartenait pas, qu'elle ne pouvait payer des factures à des tiers sans l'autorisation des ayants droit et qu'au moment du déblocage des fonds "M. A______ a formellement refusé que nous vous payons quel que montant que ce soit" (courriel du 9 octobre 2019).

l.c. Ce à quoi, B______ a répliqué qu'"il fallait me dire cela avant et le transfert n'aurait pas eu lieu vu que nous considérons Monsieur F______ comme un risque débiteur plus important pour nous que Monsieur A______ et que le partage du pas de porte était la condition sine qua none du transfert". Ce n'était que sur la base de ce que E______ SA lui avait écrit, le 16 septembre 2019, qu'il avait accepté le transfert de bail " (car compensant notre risque) malgré que le locataire repreneur ne représentait selon notre analyse pas la même solvabilité que M. A______". "Quant à Monsieur A______, c'est un escroc et il devra payer pour ce qu'il a fait ! Il a signé un document valant reconnaissance de dettes!" (courriel du 9 octobre 2019).

m. En parallèle, le 8 octobre 2019, B______ a informé A______ que le transfert de bail était suspendu dans l'attente qu'il règle ce qu'il devait. "Si vous pensez me baiser vous avez vraiment misé sur le mauvais chameau !!!".

n. Par courrier du 8 janvier 2020, A______ a invalidé le document du 3 septembre 2019, invoquant son état de gêne lorsqu'il l'avait signé.

o. Le 8 janvier 2020, A______ a déposé plainte contre B______ pour calomnie, diffamation, injure, tentative de contrainte et tentative d'extorsion et de chantage.

Il reprochait à B______ de l'avoir contraint d'accepter, de rédiger et de signer le document du 3 septembre 2019, faute de quoi il se serait vu refuser le transfert de bail, ce qui aurait eu pour conséquence de le placer dans une situation financière extrêmement précaire. Or, il n'était pas d'accord avec cette manière de faire. Le montant réclamé n'était pas dû "pour simplement avoir accepté de transférer" le bail.

Par ailleurs, B______ avait atteint à son honneur par courriel du 9 octobre 2019, adressé à la société E______ SA, en le traitant d'escroc.

p. Entendu par la police le 4 mai 2020, B______ a expliqué qu'après que A______ l'avait informé qu'il souhaitait arrêter son activité commerciale, ils avaient discuté du transfert de bail du local. Le risque du débiteur du repreneur étant mauvais, il avait demandé des garanties à A______. Ce dernier refusait l'idée de la constitution d'une garantie bancaire mais proposait le partage par moitié du bénéfice net de la vente du fonds de commerce moyennant une libération du bail après un an, et non deux ans, comme prévu par la loi. Après que lui-même eut donné son accord, A______ l'avait formalisé par écrit et avait demandé à E______ SA de faire le nécessaire. E______ SA lui avait ensuite confirmé qu'elle allait procéder au transfert de la moitié du prix de vente du fonds de commerce et avait demandé une facture à D______ Sàrl, justifiant ledit versement. Mais, E______ SA avait finalement refusé de s'exécuter. D______ Sàrl n'avait reçu aucun montant de A______ ni de E______ SA.

En outre, B______ a contesté avoir exercé une quelconque contrainte sur A______. Il suffisait à ce dernier de respecter les conditions légales, à savoir rester débiteur solidaire pendant deux ans. C'était celui-ci qui avait négocié la réduction de ce délai et d'un an contre le partage de la vente du fonds de commerce, compte tenu du risque de solvabilité du repreneur. Lui-même s'était limité à répondre à ladite proposition.

Enfin, il a reconnu avoir traité A______ d'escroc, estimant que celui-ci avait agi avec astuce, ne pouvant imaginer que le prénommé reviendrait sur les instructions données à E______ SA, postérieurement au transfert de bail.

q. Le 4 juin 2020, D______ Sàrl et B______ ont déposé plainte contre A______ pour escroquerie, faux dans les titres, dénonciation calomnieuse, subsidiairement d'induction de la justice en erreur.

Ils ont repris, en substance, les explications données par B______ lors de son audition à la police.

r. Entendu par la police le 12 août 2020, A______ a contesté les faits reprochés. Il s'était adressé à E______ SA afin qu'elle s'occupe des transactions liées à la remise de son activité commerciale et cette dernière avait pris contact avec D______ Sàrl pour effectuer les modifications de bail. En parallèle, il avait contacté B______. C'était ce dernier qui lui avait réclamé la moitié du fonds de commerce pour accepter le transfert de bail. Il avait été choqué par cette proposition; cependant, étant, à ce moment-là, dans la gêne, ne parvenant pas à payer le loyer, il l'avait acceptée. Après avoir reçu l'argent de la vente de son fonds de commerce, il avait décidé de ne rien verser à D______ Sàrl, estimant ne rien devoir et avoir donné son accord sous la contrainte.

s. Le 19 avril 2021, S.I. C______ SA a déposé plainte contre A______ pour escroquerie et faux dans les titres, reprenant les reproches formulés par D______ Sàrl.

t.a. Le 26 janvier 2021, une audience s'est tenue par-devant le Ministère public au cours de laquelle B______ a confirmé sa plainte et ses déclarations précédentes.

t.b. Entendu également lors de ladite audience, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il avait fait appel à un professionnel, E______ SA, pour faire le nécessaire quant au transfert de bail et lui avait fait confiance. C'était cette dernière qui lui avait dit de ne pas verser l'argent à D______ Sàrl et il s'était fié à ses dires et lui avait donné un contre-ordre concernant le versement à D______ Sàrl. L'idée n'était pas de ne pas payer mais d'aller consulter un avocat, lequel lui avait confirmé qu'il avait été contraint et ne devait pas procéder au paiement.

u. Lors de l'audience du 28 septembre 2021, par-devant le Ministère public, G______, employée de E______ SA, s'est rappelée que, le 14 octobre 2019, A______ lui avait dit qu'il s'occuperait lui-même du versement du montant au propriétaire. Pour le surplus, elle a maintenu la position adoptée par E______ SA dans les courriels échangés avec B______.

v.a. Par ordonnance pénale du 5 juillet 2022, le Ministère public a reconnu A______ coupable d'escroquerie et de dénonciation calomnieuse.

Les déclarations du prénommé quant à la "contrainte" exercée par B______ pour accepter le transfert de bail n'emportaient pas conviction et n'étaient pas corroborées par les pièces au dossier. Au contraire, il ressortait des messages échangés que l'accord était une proposition de A______, qui en avait accepté les conditions en toute connaissance de cause et avec conscience et volonté. En outre, G______ avait confirmé que A______ lui avait dit qu'il s'occuperait lui-même de verser le montant au propriétaire, ce qui constituait un indice supplémentaire qu'il avait convenu de son propre chef de la transaction. A______ n'avait ainsi pas été contraint d'une quelconque manière.

Par ailleurs, A______ avait ourdi des machinations pour que B______ s'engage à accepter le transfert du bail en contrepartie de la moitié du prix de vente, alors même qu'il n'entendait pas verser d'argent à celui-ci. En outre, il ne pouvait ignorer qu'il serait difficile, voire impossible, pour la dupe, d'effectuer des vérifications, même en faisant preuve de la prudence attendue d'elle, pour n'avoir pas de raison particulière de se méfier, en particulier compte tenu de l'intervention de E______ SA, professionnel, en qui elle avait confiance.

Enfin, à teneur des déclarations des parties et de la plainte déposée par A______, celui-ci s'était rendu coupable de dénonciation calomnieuse à l'encontre d'B______.

v.b. A______ s'y est opposé.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public relève que, selon les éléments au dossier, la proposition de verser au bailleur la moitié du prix de vente du fonds de commerce émanait de A______, qui en avait accepté les conditions en toute connaissance de cause et avec conscience et volonté de sorte qu'il ne saurait être considéré s'être trouvé dans la gêne ou sous l'empire d'une contrainte.

Par ailleurs, B______ était convaincu d'être victime d'une escroquerie lorsqu'il avait traité A______ d'"escroc". Dès lors, cette allégation pouvait être considérée comme conforme à la vérité, ou à tout le moins, le premier nommé avait des raisons sérieuses de la tenir de bonne foi pour vraie. Partant, les éléments objectifs d'une infraction contre l'honneur n'étaient pas réalisés.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le Ministère public avait fait preuve d'arbitraire et constaté les faits de manière inexacte en retenant qu'il était à l'origine de la proposition – partage du produit de la vente de son fonds de commerce –, alors que les pièces au dossier permettaient de constater que tel n'était pas le cas.

En effet, il convenait de lire les messages échangés avec B______ dans leur ensemble, en particulier ceux des 22 et 28 août et 8 octobre 2019, ainsi que ceux échangés entre celui-ci et E______ SA le 9 octobre 2019. Ils révélaient qu'il s'agissait d'une "proposition contraignante", soit une condition non-négociable et sine qua non de la part d'B______, afin de permettre le transfert de bail. En outre, le prénommé était pertinemment au courant de la situation financière difficile dans laquelle lui-même se trouvait, qui nécessitait, de manière "urgente", la remise de fonds de commerce et le transfert du bail. Il avait finalement accepté l'offre sous la contrainte. Les éléments constitutifs d'une tentative d'extorsion et de chantage ou, à tout le moins, d'une tentative de contrainte étaient donc réalisés.

Par ailleurs, aucun comportement contraire à l'honneur ne pouvait lui être reproché ni a fortiori la commission d'aucune infraction. Ainsi, le terme "escroc" utilisé à son endroit n'était pas conforme à la vérité et B______ n'avait pas de raisons sérieuses pour tenir de bonne foi cette allégation pour vraie. De plus, au vu de la contrainte exercée, ce dernier en connaissait la fausseté.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échanges d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir fait preuve d'arbitraire en constatant de manière inexacte les faits (art. 393 al. 2 let. b CPP).

Dès lors que la Chambre de céans dispose d'un plein pouvoir de cognition en droit, en fait et en opportunité (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-avant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière concernant la tentative d'extorsion et de chantage ou, à tout le moins, celle de contrainte.

4.1.  Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public dispose, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

4.2.  Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte.

La contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif. A cet égard, le but d'obtenir une reconnaissance de dette ou de recouvrir une créance n'est pas illicite, même lorsque l'auteur doute de la créance. De même, réclamer le paiement d'une créance ou menacer de déposer une plainte pénale (lorsque l'on est victime d'une infraction) constitue en principe des actes licites; ils ne le sont plus lorsque le moyen utilisé n'est pas dans un rapport raisonnable avec le but visé et constitue un moyen de pression abusif (arrêt du Tribunal fédéral 6B_415/2018 du 20 septembre 2018 consid. 2.1.3; ATF 120 IV 17 consid. 2a/bb).

4.3.  À teneur de l'art. 156 CP, se rend coupable d'extorsion et chantage quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura déterminé une personne à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers, en usant de violence ou en la menaçant d'un dommage sérieux.

Pour que cette infraction soit objectivement réalisée, il faut que l'auteur, par un moyen de contrainte, ait déterminé une personne à accomplir un acte portant atteinte à son patrimoine ou à celui d'un tiers (arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.1).

4.4.  L'extorsion et le chantage, réprimés par l'art. 156 CP constituent une lex specialis de l'art. 181 CP, caractérisée par la recherche d'un enrichissement illégitime (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 54 ad art. 181).

Si l'auteur a ou croit avoir une prétention patrimoniale légitime à l'endroit de sa victime, on n'est pas en présence d'extorsion, mais plutôt de contrainte au sens de l'art. 181 CP (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 19 ad art. 156).

4.5. Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7; 106 IV 125 consid. 2b). Pour qu'il y ait tentative de contrainte, il faut que l'auteur ait agi avec conscience et volonté, soit au moins qu'il ait accepté l'éventualité que le procédé illicite employé entrave le destinataire dans sa liberté de décision (ATF 120 IV 17 consid. 2c).

4.6. Le locataire d'un local commercial peut transférer son bail à un tiers avec le consentement écrit du bailleur (art. 263 al. 1 CO). Le bailleur ne peut refuser son consentement que pour de justes motifs (al. 2). Si le bailleur donne son consentement, le tiers est subrogé au locataire (al. 3). Le locataire est libéré de ses obligations vers le bailleur. Il répond toutefois solidairement avec le tiers jusqu'à l'expiration de la durée du bail ou la résiliation de celui-ci selon le contrat ou la loi mais, dans tous les cas, pour deux ans au plus (al. 4).

Doivent être considérés comme de justes motifs permettant au bailleur de refuser le transfert de bail, toutes circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'imposer au bailleur une relation contractuelle avec le bénéficiaire du transfert notamment : insolvabilité du bénéficiaire du transfert; prix de la remise de commerce exagéré, compromettant la solvabilité du bénéficiaire du transfert (L. THEVENOZ / F. WERRO (éds), Commentaire romand : Codes des obligations I, 3ème éd., Bâle 2021, n. 6 ad art. 263).

Si, sans justes motifs, le bailleur refuse son consentement, le locataire transférant peut saisir l'autorité paritaire de conciliation et faire constater son droit au transfert du bail; s'il subit un préjudice, le locataire peut prétendre à des dommages-intérêts (L. THEVENOZ / F. WERRO (éds), op. cit., n. 7 ad art. 263).

4.7. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant, lié par contrat de bail à loyer pour un local commercial d'une durée déterminée de 5 ans dès février 2019, a souhaité transférer son bail après seulement quelques mois – juillet 2019 –. Il a ainsi demandé une modification du contrat, nécessitant le consentement du bailleur (art. 263 al. 1 CO). Ce dernier a donné son autorisation, à certaines conditions, en raison du "risque débiteur du repreneur" et du fait que le recourant ne voulait pas répondre solidairement des obligations du repreneur envers le bailleur, durant plus d'une année. Ainsi, dans la mesure où le mis en cause considérait avoir une prétention légitime car issue du droit du bail (art. 263 al. 4 CO), l'infraction d'extorsion est d'emblée exclue.

Par ailleurs, on ne voit pas comment le comportement dénoncé, consistant à émettre des conditions pour la modification du contrat réclamée par le cocontractant, compte tenu de la situation du repreneur présenté par ce dernier, serait illicite. Le recourant ne l'explicite au demeurant nullement. Or, il lui appartenait, si les conditions du bailleur n'étaient pas acceptables, étant rappelé que c'est lui qui était à l'origine du changement de situation, de les refuser, de trouver un autre repreneur jugé "moins risqué" pour le bailleur, d'accepter d'être solidairement responsable durant le délai légal, voire de s'adresser à l'autorité paritaire de conciliation des baux et loyers. Le fait que le recourant, de par sa situation financière difficile, se soit senti obligé d'accepter les conditions du bailleur ne rend pas illicite le comportement dénoncé.

En outre, au regard des éléments avancés précédemment – risque débiteur du repreneur et limitation de la solidarité à un an –, la condition du versement de la moitié du prix de vente du fonds de commerce en garantie, soit environ CHF 44'615.- n'apparaît pas abusive compte tenu du loyer du local commercial de CHF 8'600.- par mois. Du moins le recourant ne tente-t-il pas de le démontrer. Un renvoi forfaitaire à tous les messages échangés avec le bailleur ne saurait en tenir lieu.

Partant, les infractions de contrainte et d'extorsion et de chantage, même sous la forme de la tentative, ne sont pas réalisées.

5. Le recourant fait également grief au Ministère public de ne pas être entré en matière concernant l'atteinte à l'honneur subie.

5.1. Se rend coupable de diffamation (art. 173 al. 1 CP), celui qui, en s'adressant à un tiers, oralement ou par écrit (art. 176 CP), aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur.

5.2. Le prévenu peut, toutefois, être admis à prouver que les allégations à caractère diffamatoire qu'il a articulées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (art. 173 ch. 2 CP). L'admission à la preuve libératoire constitue la règle. Elle ne peut être refusée que si deux conditions sont réunies cumulativement : l'auteur a agi principalement dans le but de dire du mal d'autrui et il s'est exprimé sans motif suffisant (art. 173 ch. 3 CP).

La preuve de la bonne foi suppose que le prévenu établisse, premièrement, qu'il avait des raisons sérieuses de croire à ce qu'il disait et, deuxièmement, qu'il a effectivement cru à ses allégations (ATF 124 IV 149, c.3b).

La preuve de la bonne foi se distingue de la preuve de la vérité : il faut se placer au moment de la communication litigieuse et rechercher, en fonction des éléments dont l'auteur disposait à l'époque, s'il avait des raisons sérieuses de tenir de bonne foi pour vrai ce qu'il a dit. L’auteur qui ne fait que communiquer des soupçons peut se borner à établir qu’il avait des raisons suffisantes de les tenir de bonne foi pour justifiés. À l’inverse, l’auteur qui présente ses allégations comme vraies doit établir qu’il avait de bonnes raisons de le croire (ATF 116 IV 205 consid.3, JdT 1992 IV 107). La preuve est apportée lorsque l'accusé de bonne foi démontre qu'il a accompli les actes que l'on pouvait exiger de lui, selon les circonstances et sa situation personnelle, pour contrôler la véracité de ses allégations et la considérer comme établie (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Volume I, 3ème éd., 2010, n. 75, 78, 80 et 82 ad art. 173). Celui qui présente ses accusations comme étant l'expression de la vérité doit prouver qu'il avait de bonnes raisons de le croire (ATF 116 IV 205 consid. 3b). Le juge examine d'office si les conditions posées à l'art. 173 ch. 2 CP sont réalisées (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 35 ad art. 173).

5.3. Les deux conditions de l'art. 173 ch. 3 CP sont cumulatives et doivent être interprétées de manière restrictive. L'admission de la preuve libératoire constitue la règle et elle ne peut être refusée que si l'auteur a agi principalement dans le but de dire du mal d'autrui et s'il s'est exprimé sans motif suffisant (ATF 132 IV 112 consid. 3.1; 82 IV 91 consid. 2 et 3).

Lorsque la preuve de la bonne foi est apportée, l'accusé doit être acquitté (ATF 119 IV 44 consid. 3).

5.4. Le caractère intrinsèquement attentatoire à l'honneur du terme "escroc" n'est pas discutable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_870/2014 du 1er octobre 2015 consid. 1.1.).

5.5. En l'occurrence, il est admis que le terme "escroc", utilisé par le mis en cause dans un courriel adressé à des tiers, par le mis en cause, faisait référence au recourant dans le contexte du transfert du bail litigieux. Ce terme est attentatoire à l'honneur.

Reste à savoir si, au moment où il a été employé, le mis en cause avait des raisons sérieuses de croire ce qu'il disait.

Ses propos ont été prononcés après qu'un accord a été formalisé par écrit par le recourant – verser la moitié du produit de la vente de son fonds de commerce –; qu'un ordre de transfert y relatif a été transmis à E______ SA, intermédiaire professionnellement qualifié intervenant pour lui depuis le début de l'affaire; que des échanges sont intervenus entre E______ SA et le mis en cause, confirmant à ce dernier que la société suivrait les indications de A______, à savoir à la libération des fonds en faveur du bailleur dès le transfert de bail; qu'une facture a été émise par D______ Sàrl à cet effet, sur demande de E______ SA; et que le mis en cause a accepté le transfert de bail aux conditions, selon lui, demandées par le recourant.

Dans ces circonstances et compte tenu que, selon le mis en cause, le versement du produit de la moitié du fonds de commerce avait été proposé par le recourant, il ne pouvait s'attendre à ce que ce dernier donne un contre-ordre à E______ SA, après que lui-même eut accepté le transfert de bail, et invoque soudainement une contrainte dans la passation de l'accord conclu. D'ailleurs, par la suite, le mis en cause a déposé une plainte pour escroquerie à l'encontre du recourant en raison notamment de ces faits. On peut dès lors vraisemblablement considérer que le mis en cause croyait de bonne foi, au moment où il a utilisé ces termes, avoir été astucieusement trompé par celui-là. Du reste, le Ministère public a, par ordonnance pénale du 5 juillet 2022, reconnu coupable le recourant d'escroquerie. Ce dernier y a fait opposition, certes, mais il n'en demeure pas moins que l'accusation portée par le mis en cause n'était pas d'emblée infondée, irréfléchie ou suscitée par le désir de dire du mal.

Enfin, au regard de ce qui précède, rien ne laisse supposer que le mis en cause a agi sans motif suffisant, ni principalement dans le dessein de dire du mal, mais plutôt qu'il s'est exprimé dans le cadre du transfert de bail litigieux et à l'attention de l'intermédiaire en charge d'exécuter la part du contrat du recourant, soit une personne connaissant le contexte et étant impliquée.

Partant, le mis en cause, au moment de rédiger ces termes, apparaît de bonne foi, de sorte qu'il ne saurait être poursuivi de l'infraction de diffamation et que, la calomnie étant une forme qualifiée de celle-là, n'est pas réalisée. C'est donc à juste titre que le Ministère public a rendu la décision querellée.

6. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/257/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'500.00