Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/19564/2021

ACPR/570/2022 du 16.08.2022 sur ONMMP/562/2022 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;ACTION PÉNALE;PRESCRIPTION;SOUPÇON
Normes : CPP.310; CPP.309; CP.173; CP.174; CP.178; CP.97

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19564/2021 ACPR/570/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 août 2022

 

Entre

 

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me Mattia DEBERTI, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 23 février 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 7 mars 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 février 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de ladite ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction et à l'allocation d'une juste indemnité pour la procédure de recours.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 8 octobre 2021, A______ a déposé plainte pour calomnie et / ou diffamation contre B______ pour avoir mené, à son encontre, une campagne de délation.

Elle a expliqué avoir travaillé, de 2006 à décembre 2019, au sein [de l'organisation internationale] C______ pour le programme D______. Depuis 2015, elle entretenait une relation intime avec un collègue, E______, qui, à l'époque, était marié à B______. De février à avril 2016, plusieurs cadres de D______, le Bureau d'éthique de C______ et B______ avaient reçu des courriels anonymes l'accusant, ainsi que E______, de détournement de fonds, d'exploitation sexuelle et d'abus sexuels sur le personnel, d'absences non autorisées et d'insultes envers des donateurs du programme. À la suite de ces dénonciations, le 4 avril 2016, elle avait rencontré F______, "Senior Legal Adviser" de D______, qui lui avait dit soupçonner B______ d'en être l'auteure. Par la suite, les relations avec B______ s'étaient envenimées.

Le 1er septembre 2021, elle avait débuté un nouvel emploi auprès de G______. Les 16 et 17 suivant, des courriels anonymes avaient été adressés à tous les membres du conseil d'administration, au président ad interim, et à la directrice exécutive de G______, l'accusant de fraudes financières et de fautes professionnelles au préjudice de D______. Un fichier PDF y était annexé avec, dans le menu des propriétés, le nom de B______ sous la rubrique "auteur".

À l'appui de sa plainte, elle a produit plusieurs documents, dont le courriel du 17 septembre 2021 précité, adressé par "1______@H______.com", ainsi que la capture d'écran des propriétés du PDF où il est mentionné sous "auteur", "B______".

b. Entendue par la police le 27 novembre 2021, B______ a contesté l'ensemble des faits reprochés. Elle n'avait jamais envoyé les e-mails litigieux, que ce soit en 2016 ou en 2021. La plainte de A______ avait été déposée "pour attaquer [s]a personnalité" parallèlement à une procédure pendante concernant la vente d'une maison appartenant en commun à elle et E______, que A______ aimait beaucoup et dont elle voulait profiter sans verser le moindre sou. Concernant le fichier PDF litigieux, selon les renseignements qu'elle avait pris auprès de "l'IT" de [l'organisation internationale] OMS – organisation auprès de laquelle elle travaillant depuis septembre 2000 – et à "l'externe", il était facile de modifier le nom d'auteur d'un tel document, sans qu'il ne soit néanmoins possible de remonter au véritable auteur.

c. À la suite d'un ordre de dépôt du Ministère public concernant l'adresse électronique "1______@H______.com", H______ SA a, le 20 décembre 2021, répondu qu'hormis le fait qu'elle avait été créée le 15 septembre 2021, aucune information n'était disponible.

d. Par courrier du même jour au Ministère public, B______ a, en substance, confirmé ses déclarations faites à la police.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que la plainte était tardive pour les faits survenus en 2016, A______ ayant eu connaissance déjà en avril 2016, par F______, que l'auteur des courriels litigieux pouvait être B______.

Concernant les faits plus récents, ils étaient contestés par B______. Les déclarations des parties étaient totalement contradictoires et s'inscrivaient dans un contexte conflictuel, de sorte qu'il était impératif de les considérer avec circonspection. Il n'existait aucun élément objectif permettant de corroborer l'une ou l'autre des versions des parties ou d'établir le déroulement des faits avec certitude. Le nom de B______ ressortant du PDF ne permettait pas encore d'établir qu'elle était bel et bien l'auteur dudit document, dans la mesure où il était facilement loisible à un individu d'y indiquer le nom de son choix. Ainsi, il n'existait pas de prévention pénale suffisante à l'encontre de la prénommée. Au surplus, aucun acte d'enquête ou instruction ne permettait de faire avancer les investigations.

D. a. Dans son écriture de recours, A______ estime que, s'agissant des faits survenus en 2016, jusqu'en septembre 2021, elle n'avait que de simples soupçons sur la personne de B______, basés sur les déclarations de F______, qui n'avait "aucune information quant à l'auteur réel de ces e-mails". Ce n'était que le 17 septembre 2021, en accédant aux propriétés du PDF, qu'ils s'étaient intensifiés. La plainte déposée le 8 octobre 2021 n'était donc pas tardive.

Pour le surplus, l'accumulation d'évènements successifs dirigés contre elle lui avait permis de suspecter que B______ fût à l'origine de la campagne de diffamation menée, à son encontre, auprès de chacun de ses employeurs.

Elle sollicite que le Ministère public procède à l'examen des possibilités de modification d'un document PDF, à l'analyse concrète du PDF litigieux et à la confrontation des parties.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours comme étant mal fondé, avec suite de frais, et à la confirmation de son ordonnance.

S'agissant des faits survenus en 2016, quand bien même A______ aurait agi dans le délai pour le dépôt de plainte, ce qui était contesté, ils étaient, de toute manière, prescrits.

Pour ceux datant de septembre 2021, aucun acte d'instruction complémentaire n'était à même d'y apporter un éclairage supplémentaire. En particulier, une audience de confrontation serait inutile et disproportionnée, dans la mesure où les parties s'étaient déjà exprimées sur les faits et que le Ministère public ne voyait pas pour quelle raison elles changeraient leurs déclarations; et il était peu probable que l'examen concret du fichier PDF permette de déterminer la véritable identité de son auteur. Ainsi, les probabilités de condamnation de B______ n'apparaissaient pas plus élevées ni mêmes équivalentes aux probabilités d'acquittement, bien au contraire.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. Le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 9 ad art. 310).

2.2. Une ordonnance de non-entrée en matière doit également être rendue lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple lorsque l'action publique est prescrite (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, Bâle 2016, 2ème éd., n. 13 ad art. 310).

Si l'une des conditions d'exercice de l'action publique fait défaut – ce qui doit être examiné d'office et à tous les stades de la procédure –, la poursuite pénale ne peut être engagée, ou bien, si elle a été déclenchée, elle doit s'arrêter. L'autorité doit clore le procès par une décision procédurale, notamment une ordonnance de non-entrée en matière (ACPR/54/2013 du 7 février 2013; G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3ème édition, Genève 2011, n. 1553 et 1555).

2.3. Se rend coupable de diffamation (art. 173 al. 1 CP), celui qui, en s'adressant à un tiers, oralement ou par écrit (art. 176 CP), aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur.

La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

2.4. Selon l'art. 178 al. 1 CP, pour les délits contre l'honneur – notamment la diffamation et la calomnie –, l'action pénale se prescrit par quatre ans.

Le délai de prescription court dès la commission de l'acte répréhensible (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 2 ad art. 178).

Les infractions contre l'honneur ne constituent pas des délits de durée. Dans l'hypothèse d'infractions contre l'honneur répétées visant une même personne, il n'y a pas d'unité s'agissant de la prescription, laquelle court pour chacun des actes dès le jour de sa commission. Il serait uniquement possible d'imaginer une unité naturelle lorsque l'auteur commet des atteintes à l'honneur semblables ou similaires dans le même contexte, respectivement dans un intervalle de temps (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n.3 ad art. 178).

La prescription ne court plus si, avant qu'elle ne soit atteinte, un jugement de première instance a été rendu (art. 97 al. 3 CP).

2.5. En l'espèce, en ce qui concerne l'envoi de courriels anonymes, entre février et avril 2016, aux différents cadres de D______, accusant la recourante d'abus sexuels et de détournement de fonds, la prescription de l'action pénale a été acquise en avril 2020, au plus tard. En effet, les éventuelles infractions contre l'honneur susceptibles d'être réalisées par le comportement dénoncé, se prescrivent par quatre ans dès la commission de l'acte répréhensible.

Il existe donc un empêchement de procéder définitif qui justifiait la non-entrée en matière concernant les faits remontant à 2016.

2.6. La recourante soupçonne en outre la mise en cause d'être à l'origine de l'envoi des courriels des 16 et 17 septembre 2021, à ses nouveaux employeurs, auxquels était annexé le fichier PDF litigieux, l'accusant de fraudes financières et fautes professionnelles au préjudice de son ancien employeur.

Bien que les faits dénoncés sont à l'évidence constitutifs d'atteinte à l'honneur de la recourante, protégé par les infractions précitées, le Ministère public estime qu'il n'existe pas de prévention pénale suffisante à l'encontre de la mise en cause et qu'aucun acte d'enquête ou instruction ne permettrait de faire avancer les investigations.

Or, d'une part, il est relevé que l'ensemble des éléments au dossier – le nom de la mise en cause sous la rubrique "auteur" des propriétés du fichier litigieux et l'existence d'un conflit entre les intéressées, lequel dicte de prendre avec prudence les déclarations des parties, y compris les dénégations de la mise en cause – ne permet pas de considérer, à ce stade de la procédure, l'absence de tout soupçon contre la mise en cause.

D'autre part, quand bien même il existe une incertitude sur l'auteur des faits dénoncés, des actes d'enquête complémentaires apparaissent envisageables. En effet, il n'est pas exclu que l'analyse des données informatiques contenues dans le fichier PDF litigieux, par la police, permette de découvrir le véritable auteur du PDF litigieux ou, à tout le moins, de savoir si la rubrique "auteur" a été modifiée.

Dans ces circonstances et en application des principes procéduraux sus-rappelés, le Ministère public ne pouvait rendre la décision querellée.

Partant, en ce qui concerne les faits de septembre 2021, la cause sera renvoyée au Ministère public, à charge pour lui de procéder aux actes d'enquête qu'il estimera nécessaire.

3.             Partiellement fondé, le recours sera admis en tant qu'il vise les faits dénoncés datant de septembre 2021. L'ordonnance querellée sera annulée dans cette mesure et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il ordonne à tout le moins un complément d'enquêtes (art. 309 al. 2 CPP).

4.             La recourante, qui n'a pas entièrement gain de cause, supportera la moitié des frais envers l'État, fixés en totalité CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit un montant de CHF 500.-.

5.             La recourante, partie plaignante, assistée d'un avocat, n'ayant ni chiffré ni a fortiori justifié l'indemnité requise pour ses frais de procédure, cette question ne sera pas examinée (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule l'ordonnance querellée en tant qu'elle n'est pas entrée en matière sur la plainte de A______ en lien avec le fichier PDF envoyé par courriels en septembre 2021.

Renvoie la cause au Ministère public afin qu'il approfondisse les investigations, au sens des considérants.

Rejette le recours pour le surplus.

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 1'000.-, soit CHF 500.-.

Dit que ce montant (CHF 500.-) sera prélevé sur les sûretés versées, le solde (CHF 500.-) lui étant restitué.

Laisse le solde des frais de la procédure à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Daniela CHIABUDINI et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 


 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19564/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00