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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/19458/2021

AARP/143/2023 du 28.04.2023 sur JTDP/1073/2022 ( PENAL ) , RECEVABLE

Descripteurs : CONSENTEMENT DU LÉSÉ;PLAINTE PÉNALE;RETRAIT(VOIE DE DROIT)
Normes : CPP.403; CPP.118; CPP.115; CP.30; CP.33; CPP.304
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19458/2021 AARP/143/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 27 avril 2023

 

Entre

A______, domiciliée c/o M. B______, ______, comparant en personne,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/1073/2022 rendu le 2 septembre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

C______, domicilié ______, comparant par Me Gianmarco CALIRI DELGADO, avocat, LENZ & STAEHELIN, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 2 septembre 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté C______ d'appropriation illégitime (art. 137 ch. 1 CP).

b. Selon l'ordonnance pénale du 18 octobre 2021, il était reproché à C______ de s'être, à Genève, à une date indéterminée entre le 25 avril 2019, date du vol de bijoux au domicile de A______, et le 30 juin 2021, date de la revente par C______ d'un certain nombre de bijoux auprès de l'entreprise D______, approprié divers bijoux, dont une chevalière gravée "E______" appartenant à A______, dans le but de se procurer un enrichissement illégitime à due concurrence de la valeur de ces objets.

B. a. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que C______ soit reconnu coupable d'appropriation illégitime (art. 137 ch. 1 CP).

b. C______ conclut à l'irrecevabilité de l'appel et formule une demande motivée de non-entrée en matière.

Il n'avait commis tout au plus qu'une forme privilégiée de l'infraction d'appropriation illégitime, soit celle de l'art. 137 ch. 2 al. 1 CP, "les bijoux étant tombés dans sa sphère d'influence indépendamment de sa volonté", et cette infraction n'est punissable que sur plainte. Or, A______ n'avait jamais porté plainte contre lui. En particulier, sa plainte du 26 avril 2019 contre inconnu ne pouvait pas englober des faits commis postérieurement au dépôt de celle-ci. De plus, les deux complexes de faits en cause n'avaient aucun lien entre eux. A______ aurait dû déposer une nouvelle plainte dans les trois mois, dès le 22 décembre 2021 (ndr : date de l'audience de confrontation par devant le Ministère public [MP]), jour où elle avait eu connaissance de l'auteur de cette nouvelle infraction. Son droit était désormais prescrit.

c. Le MP s'en rapporte à justice concernant la recevabilité de l'appel.

d. A______, dans sa réplique, persiste dans ses conclusions en recevabilité de son appel. Les faits reprochés étaient constitutifs d'une appropriation illégitime au sens de l'art. 137 ch. 1 CP, comme l'avait retenu le premier juge ; par conséquent, la poursuite avait lieu d'office et non pas sur plainte. Il fallait lui reconnaître la qualité de partie plaignante au vu de la plainte pénale déposée. À teneur de la jurisprudence, une partie plaignante avait un intérêt à pouvoir contester un verdict de culpabilité, puisqu'il pouvait avoir une influence sur ses prétentions hors procès pénal, cela même si elle n'avait pas pris de conclusions civiles. En l'état, elle n'avait pas renoncé à agir ultérieurement sur le plan civil. Par ailleurs, lors de l'audience de jugement, elle n'était pas assistée d'un avocat et ne possédait elle-même aucune connaissance juridique ; elle ne maîtrisait pas bien le français. Dès lors, on ne pouvait pas interpréter ses propos comme une renonciation à sa qualité de partie plaignante au pénal ou au civil.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 26 avril 2019, A______ a déposé une plainte pénale contre inconnu pour vol en se constituant partie plaignante au pénal et au civil. Le jour précédent, son mari avait laissé entrer dans leur appartement une personne prétextant être "nettoyeur d'acariens". Divers bijoux appartenant à A______, dont une chevalière gravée "E______", héritée, avaient été volés.

b. Le 30 juin 2021, C______ s'est rendu chez F______ SA afin de revendre divers bijoux en or, parmi lesquels se trouvait la chevalière en or gravée "E______", pour la somme de CHF 1'265.-.

c.a Le 5 octobre 2021, la police, faisant suite à un signalement sur la transaction susmentionnée du Service des bijoux, a entendu C______ en qualité de prévenu. Celui-ci a expliqué avoir trouvé la chevalière le 22 avril 2021, lors d'un débarras de meubles pour laquelle sa société G______ Sàrl avait été mandatée.

c.b. Dans son rapport annexe, la police a constaté que C______ ne correspondait pas au signalement du voleur à l'astuce donné par le mari de A______ dans sa plainte.

d. Le 22 décembre 2021, lors d'une audience de confrontation au MP, A______ a confirmé "vouloir participer à la procédure pénale comme partie plaignante au pénal et au civil". Sur présentation d'une photo des bijoux vendus par C______, elle a reconnu la chevalière comme étant la sienne.

e. Lors de l'audience de jugement du 2 septembre 2022, A______ a confirmé sa plainte pénale. Elle a déclaré : "vous me demandez si je réclame quelque chose à C______. Je sais que C______ n'est pas le voleur. Il a trouvé la bague, la chevalière, et il l'a vendue. Je prends note de ses explications, je les comprends. Je sais qu'il n'avait pas l'intention de me voler. Vous me redemandez si je réclame quelque chose. Je ne sais pas", pour finalement conclure "je ne réclame rien à C______".

 

 

 

EN DROIT :

1. Conformément à l'art. 403 CPP, une décision écrite sur la recevabilité de l'appel doit être rendue lorsque la direction de la procédure ou une partie invoque l'un des moyens prévus par l'art. 403 al. 1 let. a à c du Code de procédure pénale (CPP).

2. 2.1. Conformément à l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci. La partie plaignante a qualité pour recourir sur la question de la culpabilité pour autant qu'elle revête la qualité de lésé au sens de l'art. 115 CPP et qu'elle se soit constituée partie plaignante selon l'art. 118 CPP (ATF 139 IV 78 consid. 3.3 et suivants). Du fait de sa constitution, la partie plaignante acquiert formellement la qualité de partie à la procédure au sens de l'art. 104 al. 1 let. b CPP. La voie de l'appel est ainsi ouverte à la partie plaignante indépendamment du sort des conclusions civiles.

2.2.1. Selon l'art. 118 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil. Le dépôt d'une plainte pénale équivaut à une telle déclaration. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 1 consid. 3.1). Pour les actes d'appropriation comme l'appropriation illégitime (art. 137 CP) ou le vol (art. 139 CP), non seulement le propriétaire, mais tout ayant droit privé de l'usage de la chose a qualité pour porter plainte (ATF 118 IV 209 consid. 3.b).

2.2.2. Le législateur émet certaines exigences de forme concernant la déclaration de volonté que doit formuler celui qui entend acquérir le statut de partie plaignante. L'art. 118 al. 1 CPP exige que la déclaration soit expresse, ce qui exclut a contrario qu'une constitution de partie plaignante soit retenue sur la base d'actes concluants ou encore à raison d'une déclaration implicite. Cette exigence formaliste du législateur se justifie par l'importance du changement de situation induit par la constitution d'une partie plaignante, qui a pour conséquence la présence d'une partie supplémentaire à la procédure. La déclaration expresse prévue doit être faite devant une autorité de poursuite pénale (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 et ss. ad art. 118). À teneur de l'art. 119 al. 1 CPP, la déclaration du lésé peut se faire par écrit ou par oral. Dans cette dernière hypothèse, elle doit être consignée dans un procès-verbal à établir par l'autorité qui la recueille.

Aux termes de l'art. 118 al. 3 CPP, la déclaration doit en outre être faite avant la clôture de la procédure préliminaire.

2.3. Selon la jurisprudence, la plainte pénale au sens des art. 30 ss CP est une déclaration de volonté inconditionnelle par laquelle le lésé demande l'introduction d'une poursuite pénale contre les auteurs de l'atteinte. Elle constitue ainsi une simple condition de l'ouverture de l'action pénale (ATF 98 IV 143 consid. 2 p. 146).

La plainte est valable lorsque celui qui a qualité pour la déposer a fait connaître à l'autorité compétente dans les délais et dans la forme prescrite par la procédure cantonale sa volonté inconditionnelle de faire poursuivre l'auteur de telle sorte que la procédure suive son cours sans nouvelle détermination du lésé (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 3 ad art. 30).

La plainte pénale est déposée à raison d'un état de fait délictueux déterminé. Une fois l'action pénale ouverte, l'autorité pénale est saisie in rem et non in personam (D. PONCET, Le nouveau code de procédure pénale genevois annoté, Genève 1978, p. 194 ; G. PIQUEREZ, Traité de procédure pénale bernoise et jurassienne, tome I, Neuchâtel 1983, p. 453).

La constitution de partie plaignante vaut en outre au dépôt de plainte pénale au sens de l'art. 30 CP en tant qu'il en ressort la volonté du plaignant d'engager des poursuites pénales contre l'auteur des faits reprochés (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 12a ad art. 118 CPP ;
M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014,
n. 7 ad art. 118 CPP ; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht I : 1-110 StGB, Jugendstrafgesetz, Bâle 2019, n. 50 ad art. 30 CP).

2.4. À teneur de l'art. 33 CP, l'ayant droit peut retirer sa plainte tant que le jugement de deuxième instance cantonale n'a pas été prononcé. Le retrait de plainte est une déclaration irrévocable, celle-ci ne pouvant plus être renouvelée ensuite. Le retrait de la plainte à l'égard d'un des prévenus profite à tous les autres. La forme du retrait de la plainte est réglée par l'art. 304 CPP. Soumis aux mêmes exigences formelles que le dépôt de plainte, son retrait doit être effectué auprès de la police, du ministère public ou de l'autorité pénale compétente en matière de contraventions, par écrit ou oralement avec consignation au procès-verbal. Un retrait de plainte suppose une manifestation de volonté du lésé exprimée de manière non équivoque. La renonciation au statut (procédural) de partie plaignante ne vaut pas retrait de la plainte. Tant que celle-ci n'a pas été formellement retirée, la procédure pénale doit être poursuivie malgré le désintérêt du lésé. En revanche, une déclaration du lésé indiquant un désintérêt pour la poursuite de l'infraction équivaut à un retrait de plainte. (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op. cit., n. 4 et ss. ad art. 33).

2.5. En l'espèce, l'appelante a déposé une plainte pénale en date du 26 avril 2019 pour dénoncer le vol de divers bijoux, dont la chevalière en cause. Il est manifeste que son intention était, d'une part, de dénoncer la spoliation de son bien dans l'optique de pouvoir le recouvrer et, d'autre part, de voir l'auteur présumé poursuivi en justice. Certes, la plainte pénale dénonce des faits déterminés, soit les circonstances dans lesquelles le vol à l'astuce s'est déroulé, mais il serait faire preuve d'un formalisme excessif que de circonscrire aussi étroitement le comportement que la plaignante souhaitait dénoncer, à l'exclusion des faits reprochés au prévenu, subornant la poursuite de ces derniers au dépôt d'une nouvelle plainte. En effet, il est compréhensible qu'un lésé, qui dénonce le vol de son bien, compte sur les autorités pénales pour poursuivre l'auteur du vol, mais également les éventuels auteurs qui se seraient accaparés sa propriété par la suite. On ne peut exiger d'un plaignant qu'il anticipe l'éventualité d'un recel, d'une appropriation illégitime, ou de tout autre comportement risquant d'attenter à sa propriété subséquemment au vol dont il s'est plaint initialement. Un objet volé dans le dessein de procurer un enrichissement illégitime à son auteur pourra être revendu et passera par conséquent de main en main. Par principe, si une plainte est dirigée contre inconnu, c'est dans l'optique de permettre à la partie plaignante de viser tout éventuel possesseur usurpant sa propriété.

L'appelante a activement participé à la procédure pénale. Quand bien même elle a fait preuve de compréhension face aux explications du prévenu, on ne peut interpréter ses propos comme un retrait de plainte, voire une renonciation à sa qualité de partie plaignante, en particulier au vu des conséquences irrévocables qu'auraient une telle déclaration. Le fait qu'elle appelle du jugement du TP démontre précisément sa détermination à ce que la procédure se poursuive. Au vu du contexte, il est en tous les cas impossible d'interpréter ces déclarations, sans équivoque, comme tel.

En définitive, aucun empêchement de procéder ne justifie de ne pas entrer en matière.

3. Conformément à l'art. 403 al. 4 CPP, les débats d'appel seront convoqués, étant précisé qu'au vu du jugement d'acquittement rendu, il y a lieu de procéder par oral (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1349/2020 du 17 mars 2021). L'attention des parties est attirée sur le fait que l'appel est réputé retiré si la partie qui l'a déclaré fait défaut aux débats d'appel sans excuse valable et ne se fait pas représenter, ou ne peut être citée à comparaître (art. 407 al. 1 let. a et c CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare recevable l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1073/2022 rendu le 2 septembre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/19458/2021.

Ordonne la procédure orale.

Impartit à l'appelante et à l'intimé C______ un délai échéant au 13 juin 2023 pour le dépôt de leurs conclusions chiffrées en indemnisation au sens des art. 429, 433 et 436 CPP, accompagnées de leurs justificatifs, copie devant en être simultanément communiquées aux parties.

Cite les parties à comparaître aux débats d'appel, fixés le 20 juin 2023, à 14h.

Dit qu'il sera statué dans l'arrêt motivé à rendre sur le fond sur les frais de la procédure d'appel, y compris ceux afférent au présent arrêt préparatoire.

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.