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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/4040/2016

OARP/63/2022 du 21.11.2022 ( DMLSUR )

Recours TF déposé le 29.11.2022, rendu le 22.12.2022, REJETE, 1B_610/2022
Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;ASSIGNATION À RÉSIDENCE
Normes : CPP.212; CPP.237.al1.letc; CO.404
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4040/2016 OARP/63/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Ordonnance du 21 novembre 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par
Me Marc OEDERLIN, avocat, Étude NOMEA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

appelant

 

contre le jugement JTCR/2/2022 rendu le 13 mai 2022 par le Tribunal criminel,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant joint.

 


A. a. Par jugement du 13 mai 2022, le Tribunal criminel (TCR) a déclaré A______ coupable de meurtre (art. 111 du Code pénal [CP]) et de violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 LCR) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 13 ans, sous déduction de 57 jours de détention avant jugement (art. 40 CP).

Il lui est reproché d'avoir, dans la nuit du 27 au 28 février 2016, dans l’appartement sis no. ______ rue 1______, au D______ [GE], intentionnellement tué son épouse, C______, en lui obstruant de force le nez et la bouche, causant ainsi sa mort par suffocation.

A______ avait conclu à son acquittement complet et à l'accueil de ses conclusions en indemnisation.

b. A______ a été mis en détention provisoire le 11 octobre 2016, puis libéré sous mesures de substitution le 2 décembre 2016 (interdiction de quitter le territoire suisse et d’aliéner tout bien immobilier ; dépôt de toute pièce d'identité ; sûretés de CHF 4'000'000.-, ramenées à CHF 3'900'000.- en octobre 2018 et à CHF 3'600'000.- en décembre 2020/janvier 2021). Il a comparu libre à son procès.

A l’issue des débats, le TCR a ordonné le placement de A______ en détention à des fins de sûreté pour une durée de trois mois. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par la chambre pénale de recours (CPR) le 14 juin 2022 (ACPR/422/2022).

En substance, la CPR a retenu que le risque de fuite, qui existait déjà avant le prononcé du TCR, avait augmenté avec celui-ci et que les conditions d’une libération moyennant des sûretés proportionnées à un risque de fuite accru n’étaient pas réalisées.

c. Le 20 juillet 2022, A______ a sollicité sa mise en liberté, laquelle a été refusée le 29 juillet suivant (OARP/33/2022). Le recours formé contre cette décision a été rejeté par le Tribunal fédéral le 9 septembre 2022 (arrêt 1B_427/2022).

B. a. Par déclaration d'appel du 20 juin 2022, A______ a conclu à son acquittement complet.

b. Le 6 juillet 2022, le Ministère public (MP) a formé appel joint et conclu à la condamnation de A______ à une peine privative de liberté de 14 ans.

c. L'audience d'appel, initialement prévue en octobre 2022, a été reportée à la suite de la récusation de la magistrate exerçant la direction de la procédure. Elle est dorénavant prévue la semaine du 27 février 2023.

C. a. Par demande du 1er novembre 2022 adressée à la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), accompagnée d’un chargé de pièces, A______ conclut à nouveau à sa mise en liberté immédiate, assortie de mesures de substitution. En sus des mesures proposées jusqu’alors (obligation de fournir des sûretés, dépôt de ses papiers d'identité avec l’interdiction de quitter le territoire suisse, assignation à résidence au domicile de feu les parents de son amie intime à E______ [GE], port d'un bracelet électronique, présentation hebdomadaire dans un poste de police), il propose de faire annoter au registre foncier, par la CPAR, une interdiction d’aliéner et d’inscrire de nouveaux gages immobiliers sur l’ensemble de ses immeubles et d’être astreint à mandater une société de surveillance (F______) pour assurer le respect de son assignation à résidence 24h sur 24h. Il propose également de faire verser sur un compte du Pouvoir judiciaire tout revenu provenant de ses activités d’administrateur sous déduction d’un montant mensuel de CHF 1'500.- pour ses besoins essentiels et de verser le montant afférent au contrat de surveillance (qu’il chiffrait initialement à CHF 30'000.- par mois) à son conseil pour en garantir le paiement.

Le contrat en cause, qualifié de mandat, comprend notamment l’obligation pour l’appelant de respecter l’assignation à résidence dans la propriété, découlant de la décision à venir de la CPAR, l’autorisation de sortir pour une promenade quotidienne dans un périmètre de deux kilomètres sous surveillance, ainsi que diverses dispositions autorisant F______ à le retenir et faire appel à la police pour l’empêcher de quitter les lieux. Le dispositif proposé prévoit la présence permanente de deux agents (non armés) sur place, la pose de caméras de surveillance ainsi que diverses règles quant au contrôle des personnes se rendant sur place. Le contrat prévoit expressément que l’appelant s’interdit de résilier le contrat et que s’il le faisait une telle résiliation serait interprétée comme intervenant en temps inopportun et F______ serait alors autorisée à le retenir jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre.

Selon le devis déposé ultérieurement, le coût s’élève à CHF 51.90 par heure et par agent, majoré de 10% la nuit et les weekends. A raison de 4.33 semaine / mois, le budget est ainsi de CHF 84'500.- par mois (6 jours à raison 17h à 51.90 et 7h à 51.90 + 10%, un jour à raison de 24h à 51.90 + 10 %, multiplié par deux agents, plus TVA à 7.7%), montant auquel s’ajoutent divers frais d’installation.

L’appelant expose que le montant des sûretés proposées (CHF 1'154'205.26, qui s’ajoutent aux CHF 2'900'000.- déjà versés) correspond, pièces à l’appui, à l’intégralité de sa fortune disponible, et qu’en sus ses proches offrent de verser des sûretés complémentaires d’un montant de CHF 2'650'000.- (soit CHF 500'000.- de chacun de ses trois enfants et de sa compagne, ainsi que CHF 200'000.- de son frère et de sa sœur ainsi que CHF 250'000.- provenant d’une amie) et que le blocage du Registre Foncier l’empêchera concrètement de réaliser ses immeubles et donc de disposer d’une quelconque fortune pour se soustraire à la justice.

b. Le requérant sollicite son audition préalable par la Chambre pénale d'appel et de révision, afin de s’exprimer sur les mesures de substitution proposées, et fait valoir qu’une audience est nécessaire pour apprécier le risque de fuite ainsi qu’examiner son état général de santé qu’il dit déclinant.

c. Le MP s’en rapporte à justice sur la demande d’audition et s’oppose à la demande de mise en liberté. En l’absence d’informations sur la situation financière de ses proches, il subsistait un doute sur l’impact sur eux de l’éventuelle perte de la caution versée. Aucune précision n’était apportée sur la situation financière de la compagne de A______, dont il était établi qu’elle était très favorable, ne serait-ce que par sa propriété à E______. Le versement d’une caution, même assorti d'autres mesures de substitution, ne serait pas suffisant à pallier le risque de fuite dont l'importance avait drastiquement augmenté depuis le prononcé du verdict. Les débats d’appel étaient d’ores et déjà fixés et la durée de la détention était proportionnée au vu de la très courte durée de la détention provisoire subie en 2016.

d. Le 11 novembre 2022, la CPAR a demandé des précisions au sujet de la résidence de l’appelant à E______ et l’a invité à se déterminer sur l’inapplicabilité de l’art. 960 CC au cas d’espèce, notamment compte tenu du fait que cette disposition visait à garantir des créances personnelles ou des prétentions réelles et non à apposer des restrictions de nature pénale. Elle a également refusé de procéder à l’audition de l’appelant, les questions soulevées par la demande de mise en liberté étant de nature juridique et ne nécessitant pas une comparution personnelle de l’intéressé.

e. Le 15 novembre 2022, A______ a persisté dans les termes de sa demande de mise en liberté. Il maintient qu’il y a lieu d’ordonner une restriction d’aliéner sur ses immeubles au sens de l’art. 960 CC voire au sens de l’art. 56 ORF et offre, alternativement, de s’engager à ne pas réaliser ses immeubles, ce qu’il propose de faire attester par des notaires, subsidiairement de constituer des cédules hypothécaires sur les immeubles à concurrence de leur valeur intrinsèque (CHF 12'000'000.-) et de les remettre en garantie afin de faire obstacle à toute réalisation ; il produit divers échanges de ses avocats avec des notaires ou avocats dans les cantons de Soleure et des Grisons démontrant qu’il a entrepris les démarches pour créer ces cédules hypothécaires. Il propose à titre plus subsidiaire le cumul de ces différentes mesures.

f. Selon les pièces accompagnant son écriture du 15 novembre 2022, la propriété de E______, enregistrée à teneur du registre foncier au nom d’une « Fondation G______ », appartient en réalité en main commune aux quatre héritiers des fondateurs. En effet, cette fondation (de famille au sens de l’art. 335 CC) a été déclarée nulle de plein droit car il s’agissait d’une fondation d’entretien. L’appelant produit une attestation (en copie) signée par chacun des héritiers des fondateurs, confirmant consentir à ce que la propriété soit mise à sa disposition et à l’installation d’un dispositif de surveillance. Ces attestations ne comportent aucune précision sur l’identité exacte ni le lieu de résidence actuel des propriétaires, qui ne sont pas à Genève. La compagne actuelle de A______ est l’une des quatre propriétaires.

L’immeuble en cause, constitué d’une maison de maître d’une surface de 414 m2 avec piscine, sise sur une parcelle d’une surface totale de 40'325 m2, est situé en zone agricole dans la commune de E______ à la route 2______ no. ______, à environ cinq kilomètres de la frontière française. Il est clôturé par une haie d’arbres et de buissons. A teneur des vues aériennes produites, une partie de la propriété semble exploitée à des fins agricoles.

g. A______ a déclaré devant le TCR que sa fortune mobilière s’élevait à CHF 15'000'000.- ; il a expliqué, pièces à l’appui de sa demande de mise en liberté formée en juillet, que cette déclaration procédait d’une confusion (soit de l’addition de sa fortune mobilière et immobilière) et que sa fortune mobilière au 31 mai 2022 s’élevait en réalité à CHF 4'606'000.- (en chiffres ronds), dont CHF 2'900'000.- étaient bloqués pour la caution constituée avant son incarcération actuelle. Il détient également une fortune immobilière qu’il a évaluée à CHF 12'000'000.- devant les premiers juges et constituée d’immeubles sis dans les cantons des Grisons et de Soleure.

En cours de procédure, il a réalisé plusieurs actifs importants, notamment sa propriété du D______ en 2016 (dont la vente lui a rapporté CHF 3'346'000.- en 2016) et un immeuble [à] N______ [LU] en 2021, détenu en copropriété avec ses frères et sœurs (dont sa part lui a rapporté CHF 4'721'000.-). Il a également vendu sa participation (25'854 actions) dans la société H______ (SCHWEIZ) AG, dont sa compagne était l’actionnaire principale (505’895 actions), et expliqué en avoir retiré un bénéfice de CHF 57'800.-. Il a notamment distribué une partie du produit de ces réalisations en remettant une somme de CHF 500'000.- à chacun de ses trois enfants.

1. Dès que la juridiction d'appel est saisie (art. 399 al. 2 du Code de procédure pénale [CPP]), les art. 231 à 233 CPP confèrent à la direction de la procédure de cette juridiction différentes compétences en matière de détention pour des motifs de sûreté.

À Genève, les magistrats de la CPAR estiment préférable de faire trancher par un de leurs membres qui ne sera pas amené à examiner l'affaire au fond les demandes de mise en liberté présentées devant elle. Cette pratique, dont le Tribunal fédéral a estimé qu'elle respectait le but poursuivi par la loi et ne contrevenait à aucune règle de compétence matérielle (ATF 139 IV 270 consid. 2.3), est limitée aux cas où il n'a pas encore été statué sur le fond.

2. 2.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 CPP, la détention présuppose que le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y ait sérieusement lieu de craindre un risque de soustraction à la procédure ou à la sanction prévisible en prenant la fuite (let. a), un risque d'entrave à la manifestation de la vérité (let. b) ou un risque de réitération de crimes ou délits graves, après que le prévenu a déjà commis des infractions du même genre (let. c).

Le juge de la détention n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale. Lorsqu'un jugement de condamnation a déjà été rendu, l'existence de forts soupçons au sens de l'art. 221 al. 1 CPP est renforcée (ATF 139 IV 186 consid. 2.2.3 p. 190 s.; arrêt du Tribunal fédéral 1B_574/2020 du 3 décembre 2020 consid. 5.2.1). Lorsque le détenu a déjà été jugé en première instance, ce prononcé constitue également un indice important quant à la peine susceptible de devoir être finalement exécutée (ATF 143 IV 168 consid. 5.1 p. 173).

Le Tribunal fédéral a renforcé sa jurisprudence relative à l'obligation de l'autorité d'appel d'interroger elle-même le prévenu sur les faits et infractions contestés, indépendamment de l'intervention du défenseur du prévenu. Faute d'intensité suffisante dans l'audition du prévenu par la juridiction d'appel, la pratique du Tribunal fédéral est ainsi d'annuler l'arrêt sur appel et de renvoyer la cause à la dernière instance cantonale (ATF 145 IV 503 consid. 2.4 p. 508 s.; 143 IV 288 consid. 1.4.2-1.4.4 p. 291 ss.; arrêts du Tribunal fédéral 6B_903/2018 du 14 décembre 2018 consid. 3, non publié in ATF 144 IV 383, et 6B_155/2019 du 29 mars 2019 consid. 3 ; pour le cas d'un assassinat commis à huis clos, ATF 145 IV 503, précité; ACPR 422/2022).

2.2. Selon l'art. 212 al. 2 CPP, les mesures de contrainte entraînant une privation de liberté doivent être levées dès que les conditions de leur application ne sont plus remplies (let. a), la durée prévue par le code ou fixée par un tribunal est expirée (let. b) ou des mesures de substitution permettent d'atteindre le même but (let. c).

En vertu des articles 5 § 3 CEDH et 31 al. 3 Cst., toute personne qui est mise en détention préventive a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la procédure pénale ;

Dans l'examen de la proportionnalité de la durée de la détention, il y a lieu de prendre en compte la gravité des infractions faisant l'objet de l'instruction ;

Le juge peut maintenir la détention préventive aussi longtemps qu'elle n'est pas très proche de la durée de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre concrètement en cas de condamnation (ATF 133 I 168 consid. 4.1 p. 170 ; ATF 132 I 121 consid. 4.1 p. 27 ; 107 Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257 ss et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_33/2015 du 4 février 2015 consid. 3.1).

2.3.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), d'autres solutions moins dommageables que la détention sont ordonnées si elles permettent d'atteindre le même but que celle-ci. Selon l'art. 237 al. 1 CPP, le tribunal compétent peut ainsi ordonner la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (al. 2 let. b), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), d'avoir un travail régulier (let. e), de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f). La liste des mesures de substitution énoncée à l'art. 237 CPP n'est pas exhaustive, et des mesures peuvent être combinées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 7 décembre 2011 consid. 4.2).

2.3.2. Le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère du prévenu, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé. Néanmoins, même si cela ne dispense pas de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, il est admis que lorsque le prévenu a été condamné en première instance à une peine importante, le risque d'un long séjour en prison apparaît plus concret que durant l'instruction (ATF 145 IV 503 consid. 2.2).

Il est sans importance que l'extradition du prévenu puisse être obtenue (145 IV 503 consid. 2.2).

Lorsqu'une détention se prolonge uniquement en raison de la crainte de voir l'accusé se soustraire par la fuite à sa comparution ultérieure devant ses juges, l'intéressé a le droit d'être libéré s'il peut fournir des garanties adéquates de représentation (art. 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) ; art. 9 § 3 Pacte ONU II ; ATF 133 I 27 consid. 3.2 p. 29/30 ; DCPR/56/2011 du 21 mars 2011).

2.3.3. S'il y a danger de fuite, le tribunal peut astreindre le prévenu au versement d'une somme d'argent afin de garantir qu'il se présentera aux actes de procédure et qu'il se soumettra à l'exécution d'une sanction privative de liberté (art. 238 al. 1 CPP). Le montant des sûretés dépend de la gravité des actes reprochés au prévenu et de sa situation personnelle (art. 238 al. 2 CPP). La libération moyennant sûretés implique un examen approfondi, qui demande une certaine collaboration de la part du prévenu, dès lors que le caractère approprié de la garantie doit être apprécié notamment au regard des ressources du prévenu, de ses liens avec des personnes pouvant lui servir de caution et de la confiance qu'on peut avoir que la perspective de perdre le montant fourni agira comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de fuite. Il convient également de faire preuve de prudence quant à l'origine des fonds proposés (arrêt du Tribunal fédéral 1B_169/2021 du 4 novembre 2021 consid. 3.1).

3. 3.1. En l'espèce, les charges sont suffisantes au vu du verdict de culpabilité prononcé par le TCR. Il ressort également des décisions rendues précédemment dans la présente cause (OARP/33/2022 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_427/2022) qu’il existe un risque de fuite élevé.

3.2. L'appelant ne conteste pas l’existence de ce risque de fuite mais soutient qu’il peut être pallié par des mesures de substitution, comme il l’a été au cours de l’instruction et jusqu’aux débats de première instance.

L’ordonnance du 29 juillet dernier rappelait déjà que le respect des mesures de substitution précédemment ordonnée n’est pas un critère suffisant. En effet, l’appelant, qui conclut à son acquittement et nie vigoureusement les faits reprochés, se devait de les respecter pour étayer sa position devant ses juges et se présenter sous son meilleur jour. Le fait que son bon comportement n’a pas suffi à convaincre les premiers juges change diamétralement sa position procédurale. S’il doit bien sûr encore se présenter sous son meilleur jour devant les juges d’appel, le verdict des premiers juges ne peut que lui avoir fait réaliser que le risque de ne pas obtenir gain de cause est réel et augmente d’autant la perspective d’une lourde peine.

3.3. Pour pallier ce risque, l’appelant soutient qu’il peut déposer une caution et fournit moult pièces tendant à établir sa situation financière actuelle.

Dans son arrêt du 9 septembre 2022, le Tribunal fédéral, confirmant en cela l’ordonnance du 29 juillet précédent, soulignait que la fortune évoquée à l'appui de la demande de mise en liberté s'écartait notablement des chiffres fournis oralement à l'autorité de jugement de première instance lors de l'audience de jugement et que pareille erreur pouvait paraître étonnante de la part d'un homme d'affaires expérimenté au bénéfice d'une formation d'avocat-notaire. Il soulignait également le solde disponible de plus de 1'800'000 francs sur sa fortune mobilière personnelle du recourant ainsi que le montant des rentes perçues à raison de 3'900 francs par mois. Les montants de caution supplémentaires proposés par le recourant à l’appui de sa présente demande de mise en liberté correspondent à ce solde disponible.

Néanmoins, l’ordonnance du 29 juillet 2022 relevait également que l’appelant exposait avoir disposé, début 2016, d’une fortune mobilière de l’ordre d’un peu moins de deux millions de francs, qu’il avait réalisé en cours de procédure des actifs pour une valeur totale de plus de huit millions de francs (D______ : 3.3 mios ; N______ : 4.7 mios, auxquels s’ajoutent la vente des actions H______) mais affirmait ne disposer plus que d’une fortune mobilière de moins de cinq millions de francs. La différence de cinq millions ne s’expliquait pas par le remboursement d’hypothèques à raison de CHF 850'000.-, les versements de CHF 1'500'000.- à ses enfants ni la crise financière de 2022.

Les nouvelles pièces produites par l’appelant ne remédient pas à cette situation, étant relevé que notamment l’utilisation du produit des ventes immobilières n’est pas totalement éclaircie. Il n’est ainsi nullement exclu que l’appelant dispose d’avoirs dont il ne fait pas état.

Cette décision relevait également que les frères et sœurs de l’appelant, copropriétaires avec lui de l’immeuble de N______, avaient vraisemblablement perçu eux aussi un montant de l’ordre de plusieurs millions et disposeraient ainsi, même en cas de paiement du montant proposé pour contribuer à la caution, d’un montant confortable dont il n’était pas exclu que l’appelant puisse profiter pour organiser et assurer sa vie dans un pays étranger, voire prendre des mesures pour organiser une disparition dans la clandestinité, ce que des moyens financiers aussi importants que ceux dont disposaient l’appelant et ses proches rendait non seulement possible mais concrètement envisageable. Le Tribunal fédéral avait également souligné que l’appelant n’avait fourni aucune indication sur la situation financière de ces personnes appelées à se porter caution, qui permettrait d'admettre que la perspective de perdre cette somme agirait comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de fuite.

La nouvelle demande de mise en liberté ne pallie pas ces manquements. Si l’appelant propose aujourd’hui à titre de caution de la part de ses enfants un montant correspondant aux sommes qu’il leur avait versées, soit CHF 500'000.- chacun, il ne fournit aucune information supplémentaire au sujet de leur situation financière, pas plus qu’au sujet de la situation de sa compagne. Or, celle-ci, qui le soutient dans sa défense, dispose manifestement d’une fortune conséquente, la propriété de E______ qu’elle met à disposition de l’appelant représentant, à elle seule, une valeur importante (certainement plusieurs millions) au vu de la taille de l’immeuble et de sa situation dans l’une des communes les plus cossues de Genève, quand bien même sa localisation en zone agricole réduit les possibilités de valorisation. Sa compagne détenait par ailleurs près de 20 fois plus d’actions de H______ AG que l’appelant ce qui représente donc des titres d’une valeur de plus de CHF 1'000'000.-. Le MP souligne donc à raison que la situation financière de l’appelant, et plus précisément celle de son entourage, comportent encore des zones d’ombre.

3.4. L’appelant propose, à titre de garantie, l’inscription d’une restriction d’aliéner sur ses immeubles. Il est toutefois exclu de procéder selon l’art. 960 CC, pour les motifs déjà évoqués, cette disposition n’ayant pas vocation à garantir une créance de droit public ou constituer des sûretés. Il n’y a pas non plus place pour le prononcé d’un séquestre. Seule entre dès lors en ligne de compte la constitution de cédules hypothécaires, que l’appelant a commencé à entreprendre. Au vu de l’importance du risque de fuite, il ne pourrait être entré en matière sur une constitution de garanties sous cette forme que lorsque ces démarches auront abouti et que l’appelant pourra remettre les cédules hypothécaires en cause en garantie d’une éventuelle mise en liberté. Cela impliquerait de fixer une caution correspondant au montant desdites cédules hypothécaires et d’autoriser l’appelant à remettre celles-ci en garantie du montant des sûretés.

3.5. En l’état, nonobstant les nouvelles sécurités proposées, il faut dès lors maintenir la conclusion atteinte le 29 juillet dernier, aux termes de laquelle aucun versement ou sûreté n’est de nature à pallier le risque de fuite de l’appelant, puisque d’une part sa situation financière (et celle de ses proches) demeure peu claire et d’autre part l’attrait d’une fuite a considérablement augmenté avec le verdict des premiers juges.

3.6. L’appelant propose également une autre mesure de substitution, soit l’assignation à résidence sous surveillance d’une société de sécurité privée.

La mise en place d’une telle mesure soulève plusieurs questions.

Tout d’abord, le contrat proposé lie l’appelant à une entreprise privée, et il n’est pas question que l’autorité pénale puisse devenir partie à une telle convention. L’exercice de la puissance publique ne saurait être délégué à un tiers, fût-il reconnu au titre d’agent de sécurité au sens de la législation ad-hoc. L’appelant se réfère en vain au recours, dans certaines circonstances, à des agents privés pour le convoyage de détenus, de telles décisions relevant des autorités d’exécution et non des autorités judiciaires, dans un contexte de délégation ciblée et non générale de certaines tâches étatiques et fondée sur une base légale. En tout état, le coût financier d’une telle mesure est exorbitant et n’a pas à être assumé par la collectivité, les établissements de détention préventive existant justement pour réduire le coût individuel de la détention. Les autorités pénales ne peuvent ainsi être parties à un tel contrat, ce que l’appelant ne propose d’ailleurs pas.

Ensuite, les mesures prises sont soumises au droit privé. Même si les clauses du contrat prévoient des cautèles pour permettre d’activer les autorités en cas de modification (étant au passage relevé que le contrat semble considérer que les forces de l’ordre sont à sa libre disposition dans le cadre de l’assignation à résidence, ce qui n’est évidemment pas le cas), rien ne permet de garantir qu’une modification de contrat pourrait intervenir sans que l’autorité n’en soit informée, le mandat pouvant être résilié en tout temps (art. 404 CO) et donc, a fortiori, modifié à tout moment. C’est le lieu de relever que la clause relative à la résiliation en temps inopportun prévue par le contrat, permettant en tel cas de retenir l’appelant jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre, paraît peu compatible avec l’art. 404 CO, la seule conséquence d’une résiliation en temps inopportun étant financière et non la poursuite du mandat.

Enfin, comme déjà relevé, le coût est exorbitant, ce qui interpelle sous l’angle de l’égalité de traitement entre les prévenus aisés et les autres. Si elle devait être ordonnée, à la demande expresse d’un détenu, les coûts ne pourraient en être mis à la charge de l’Etat même si celui-ci devait, in fine, bénéficier d’un acquittement, par application analogique de l’art. 44 CO.

En tout état de cause, compte tenu du lieu prévu pour cette assignation à résidence et des modalités de celle-ci, la mesure, certes restrictive, ne paraît pas pouvoir prévenir la fuite d’une personne déterminée. La frontière se trouve à quelques kilomètres et plusieurs douanes sont de simples postes sans personnel affecté (il en va ainsi des douanes de I______ [GE], de J______ [GE], de K______ [GE] et de L______ [GE], toutes situées à moins de cinq kilomètres en voiture, la plus proche, I______, étant à moins de quatre kilomètres ; les routes y menant sont peu fréquentées en dehors des heures de pointe du trafic frontalier et le trajet ne durerait que quelques minutes). Il suffirait ainsi que l’appelant monte dans un véhicule, voire qu’il se faufile à l’extérieur en profitant de la pénombre pour qu’il échappe à la surveillance ; la présence de deux gardes non armés n’est pas suffisante pour l’empêcher de les prendre par surprise. De plus, l’appelant s’est réservé un droit de promenade à l’extérieur de la propriété, qui facilite d’autant un tel scénario. Les forces de l’ordre ne pourraient pas intervenir en temps utile, le poste le plus proche étant situé à la M______ [GE], à trois kilomètres de la route 2______.

De telles mesures ne sont ainsi toujours pas de nature à prévenir la fuite mais tout au plus à permettre de la constater lorsqu’elle sera effective (ATF 145 IV 503 consid. 3.3 p. 510 s.).

Le maintien en détention du requérant respecte au surplus le principe de la proportionnalité, au vu de la peine privative de liberté prévisible en cas de condamnation et de la proximité des débats d’appel.

Aux motifs qui précèdent, la requête de mise en liberté sera rejetée.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de mise en liberté provisoire de A______.

Notifie la présente ordonnance aux parties.

La communique, pour information, à la Prison de B______.

 

La greffière :

Julia BARRY

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss et 90 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente ordonnance peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.