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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/3607/2021

AARP/317/2022 du 14.10.2022 sur JTDP/884/2022 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : VIOLATION D'UNE OBLIGATION D'ENTRETIEN
Normes : CP.217
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3607/2021 AARP/317/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 14 octobre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant en personne,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/884/2022 rendu le 19 juillet 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

SCARPA, rue Ardutius-De-Faucigny 2, case postale 3429, 1211 Genève 3,

 

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 19 juillet 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 al. 1 du Code pénal suisse [CP]) et condamné à une peine privative de liberté de 120 jours. Les frais de la procédure, qui s'élèvent au total à CHF 983.-, ont été mis à sa charge.

b. Aux termes de sa déclaration d'appel, A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à ce que la durée de la peine privative de liberté soit réduite.

c. Selon l'ordonnance pénale du 15 novembre 2021, confirmée sur opposition par ordonnance du 16 décembre 2021, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, du mois de juillet 2018 au mois d'octobre 2021, omis de verser en mains du Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA) la contribution d'entretien de sa famille, fixée à CHF 1'300.-/mois et d'avance, allocations familiales non comprises, par jugement du Tribunal de première instance (TPI) du 3 décembre 2009, alors qu'il disposait des moyens pour le faire ou aurait pu les avoir, laissant ainsi un solde impayé de CHF 50'700.- pour la période pénale précitée, étant précisé que cette somme tient compte des versements effectués.

Le SCARPA a déposé plainte pénale le 12 février 2021.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Par convention du 1er novembre 2010, l'épouse de A______ a cédé sa créance au SCARPA.

b. Durant la période pénale, A______ a versé CHF 50.- chaque mois (26 mois), à l'exception des mois d'avril, juin, juillet, août et novembre 2020, ainsi que de février à octobre 2021 (14 mois). Il a affirmé être en mesure de s'acquitter d'une contribution mensuelle à l'entretien de la famille de CHF 200.- (jugement du TPI du 9 octobre 2019, p. 3 ; procès-verbal de première instance, p. 4), puis CHF 300.- (déclaration d'appel du prévenu).

c. A______ a reconnu ne pas avoir versé la pension alimentaire, telle que fixée dans le jugement du TPI du 3 décembre 2009 et confirmée pour la dernière fois par jugement du TPI du 9 octobre 2019. Il ne s'en était pas acquitté faute de moyens financiers suffisants.

Il a déclaré avoir cessé de verser CHF 50.- par mois au SCARPA en raison des poursuites pénales introduites à son encontre par dite institution. Devant le Ministère public (MP), il s'est engagé à chercher un emploi plus rémunérateur, afin de satisfaire ses obligations.

En première instance, il a expliqué qu'à 60 ans, il était très difficile de trouver un nouvel emploi. La pension alimentaire, telle que fixée par le TPI, était tellement élevée que cela le décourageait. Si celle-ci était adéquate, au vu de sa situation financière et personnelle, il ferait tout pour la payer. Il avait demandé à plusieurs reprises une modification du jugement du TPI, sans succès.

d. En appel, il a produit ses avis de taxation pour la période pénale (2018 à 2021). Ses revenus bruts arrêtés par l'administration fiscale cantonale étaient les suivants : 2018, CHF 28'139.- ; 2019, CHF 26'945.- ; 2020, CHF 25'526.- ; 2021, CHF 29'612.-.

Il a également versé à la procédure une facture du 7 septembre 2022 pour un ordinateur d'une valeur de CHF 1'359.- destiné à son fils, ainsi que le relevé du mois de janvier 2022 des allocations pertes de gain perçues en raison de la pandémie de coronavirus.

e. À teneur du jugement du TPI du 9 octobre 2019, le juge a rejeté la requête en modification du jugement du TPI du 3 décembre 2009, car l'appelant n'avait pas rendu vraisemblable que sa situation avait changé de façon notable et faute de pièces crédibles au dossier permettant d'établir sa situation financière actuelle. Le TPI a retenu que A______ réalisait toujours un revenu mensuel d'au moins CHF 4'000.-.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Aux termes de sa déclaration d'appel motivée, laquelle vaut dès lors mémoire d'appel, A______ estimait que sa situation financière précaire l'empêchait de payer une pension alimentaire. Il essayait de compenser en étant présent et en prenant en charge des frais courants, comme l'abonnement téléphonique de son fils ou son matériel scolaire. Une peine privative de liberté de quatre mois aurait des conséquences dévastatrices pour lui et son enfant, aujourd'hui âgé de 18 ans. Il ne serait plus en mesure de payer son loyer, perdrait son appartement ainsi que son travail, et craignait de se retrouver à charge de l'aide sociale à sa sortie de prison.

Durant la période pénale, la situation des taxis indépendants à Genève s'était considérablement dégradée en raison de l'arrivée de la société B______, puis de la pandémie. Depuis les récentes décisions des autorités, dite situation s'améliorait et il pensait être en mesure de s'acquitter d'une pension d'au moins CHF 300.-/mois, voire davantage.

c. Le MP et le TP concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement.

D. A______ est né en 1961 en Espagne, pays dont il est originaire. Il est marié mais vit séparé de son épouse depuis 2008. Ils ont un enfant, né en 2004. Il indique voir son fils une fois par semaine.

A______ est chauffeur ______ indépendant. Selon ses déclarations, il réalisait "un bénéfice d'environ CHF 38'000.-" en 2018, bénéfice qui a ensuite diminué en 2019, puis 2020, en raison de la concurrence de la société B______ et de la pandémie. Depuis mars 2020 jusqu'à mi-février 2022, il a perçu des allocations pertes de gain d'environ CHF 1'400.- à 1'500.- par mois. À ce montant s'ajoutaient environ CHF 500.- à 800.- de bénéfices.

Son loyer est de CHF 825.- par mois, sa prime d'assurance maladie de CHF 500.- (mais il perçoit des subsides à hauteur de CHF 300.-). Il possède une voiture pour son travail, dont l'assurance s'élève à environ CHF 700.-/an. Il a des poursuites, notamment de son assurance maladie, qu'il chiffre à CHF 150'000.-. Ses impôts sont d'environ CHF 200.-/an.

À teneur de l'extrait de son casier judiciaire, A______ a été condamné à cinq reprises entre 2013 et 2018, dont trois fois pour détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice (art. 169 CP), ainsi que :

-        le 1er décembre 2015 par le MP à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 50.- pour violation d'une obligation d'entretien (période pénale : 1er novembre 2010 au 31 mai 2015 ; art. 217 al. 1 CP).

Cette peine, ainsi que les trois susmentionnées, ont été converties en peine privative de liberté de substitution et exécutées sous surveillance électronique ;

-        le 18 juin 2018 par le TP à une peine pécuniaire de 80 jours-amende à CHF 20.- pour violation d'une obligation d'entretien (période pénale : 1er janvier 2016 au 31 mars 2017 ; art. 217 al. 1 CP).

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. À titre préalable, il est rappelé qu'une modification de la décision civile ne peut être ordonnée par le juge pénal et qu'il convient de s'adresser aux juridictions civiles pour ce faire.

2.2. La violation de l'obligation d'entretien est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (art. 217 al. 1 CP). L'infraction est réalisée en l'espèce, ainsi que l'admet l'appelant lequel a toujours reconnu qu'il aurait pu payer, si ce n'est l'intégralité de la contribution fixée par le juge civil, à tout le moins davantage que ce qu'il a versé. Le prévenu connaissait ses difficultés à s'acquitter de ses obligations alimentaires avant même la dégradation de la situation économique des taxis indépendants. Il n'a cependant pas démontré avoir essayé de changer d'emploi ou d'améliorer dite situation, quand bien même il s'y était engagé devant le MP. Il n'a pas non plus déposé une nouvelle demande de modification devant les autorités civiles depuis celle rejetée par jugement du TPI du 9 octobre 2019, notamment suite à la pandémie de coronavirus et ses conséquences sur l'économie du transport de personnes.

2.3. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 ; 136 IV 55 consid. 5 et 134 IV 17 consid. 2.1).

2.4. D'après l'art. 41 al. 1 CP, le juge peut prononcer une peine privative de liberté à la place d’une peine pécuniaire si une peine privative de liberté paraît justifiée pour détourner l’auteur d’autres crimes ou délits, ou s'il y a lieu de craindre qu’une peine pécuniaire ne puisse pas être exécutée.

2.5. Aux termes de l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

2.6. La faute de l'appelant est loin d'être négligeable. Il n'a pas versé la contribution due pour l'entretien de la famille pendant près de quatre ans, alors qu'il avait déjà été condamné pénalement pour cette même raison à deux reprises, en 2015 et 2018. De son aveu même, il était en mesure d'effectuer des versements d'au moins 15% de la pension (CHF 200.- puis 300.-/mois, voire davantage si la situation économique du secteur du transport continuait de s'améliorer), mais n'a procédé qu'au paiement de 4% de celle-ci de manière régulière jusqu'en janvier 2021.

Sa prise de conscience est inexistante. En appel encore, et sans contester sa culpabilité, il remet en question les contributions fixées par le juge civil et en appelle à la compréhension pour son secteur d'activité, tout en réfutant sa responsabilité. Mécontent de la plainte pénale déposée par le SCARPA, il a même cessé, dès le début de la procédure, ses versements réguliers.

Sa collaboration n'est pas bonne, même si elle s'est améliorée en appel, puisqu'il a produit des documents crédibles quant à sa situation financière (taxations fiscales pour la période pénale), ce qu'il n'avait pas fait précédemment malgré l'engagement pris devant le MP.

La situation personnelle de l'appelant, certes difficile, ne saurait justifier ses actes.

Vu son refus constant, et encore davantage marqué depuis le début de la procédure, de s'acquitter de la contribution prévue, à tout le moins autant qu'il reconnaît pouvoir le faire, ainsi que ses deux précédentes condamnations, pour les mêmes motifs, il se justifie de prononcer une peine privative de liberté. Les condamnations à des peines pécuniaires sont demeurées en effet vaines sur le comportement de l'appelant, peines qui ont d'ailleurs été converties en peine privative de liberté de substitution et exécutées sous surveillance électronique. Pour ces motifs également et au vu de la période pénale de près de quatre ans, la quotité de 120 jours arrêtée par le premier juge est adéquate

Malgré les deux précédentes condamnations pénales spécifiques, le prévenu se complait dans une position passive et ne paraît pas déterminé à se remettre à flots pour contribuer à l'entretien de sa famille. Il présente un pronostic défavorable, la peine ordonnée sera donc ferme. Au surplus, l'appelant pourra demander à bénéficier du régime de la semi-détention afin de poursuivre son activité professionnelle (art. 77b al. 1 CP).

La renonciation par le premier juge à révoquer la liberté conditionnelle accordée le 19 avril 2019 par le Tribunal d'application des peines et mesures lui est acquise.

Le jugement entrepris sera confirmé dans son ensemble.

3. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État, qui comprennent un émolument de CHF 800.- (art. 428 CPP).

La mise à sa charge des frais de première instance sera confirmée (art. 426 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/884/2022 rendu le 19 juillet 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/3607/2021.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 915.-, qui comprennent un émolument de CHF 800.-.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

Déclare A______ coupable de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 120 jours (art. 40 CP).

Renonce à révoquer la libération conditionnelle accordée le 19 avril 2019 par le TAPEM.

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 983.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP) ".

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Andreia GRAÇA BOUÇA

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

983.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

800.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

915.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

1'898.00