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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/14202/2016

AARP/264/2022 du 30.08.2022 sur JTDP/1272/2021 ( PENAL ) , RENVOYE

Recours TF déposé le 17.10.2022, rendu le 22.12.2022, IRRECEVABLE, 6B_1244/2022
Recours TF déposé le 11.10.2022, rendu le 22.12.2022, IRRECEVABLE, 6B_1225/2022
Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;DÉCISION DE RENVOI
Normes : CPP.339.al2; CPP.329; CPP.333.al1; CPP.319.al1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14202/2016 AARP/264/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 30 août 2022

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Olivier PETER, avocat, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4,

B______, domicilié c/o C______, ______, comparant par Me Lassana DIOUM, avocat, PBM AVOCATS SA, avenue de Champel 29, 1206 Genève,

appelants,


contre le jugement JTDP/1272/2021 rendu le 13 octobre 2021 par le Tribunal de police,

et

D______, domicilié ______, comparant par Me E______, avocate,

F______, domiciliée ______, comparant par Me G______, avocate,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           a. En temps utile, A______ et B______ appellent du jugement JTDP/1272/2021 du 13 octobre 2021, par lequel le Tribunal de police (TP):

-          a reconnu coupable B______ d'infraction à l'art. 118 al. 1 de la loi sur les étrangers et l'intégration (LEI) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 100 jours-amende à CHF 50.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, et à une amende de CHF  1'000.- ;

-          a acquitté D______ de tentative d'encouragement à la prostitution (art. 22 al. 1 cum art. 195 let. b du code pénal suisse [CP]), d'infraction à l'art. 116 al. 1 let. b LEI et d'instigation à faux dans les titres (art. 24 al. 1 cum art. 251 ch. 1 CP) ;

-          a acquitté F______ de tentative d'encouragement à la prostitution (art. 22 al. 1 cum art. 195 let. b CP), d'infraction à l'art. 116 al. 1 let. b LEI et de calomnie (art. 174 ch. 1 CP), subsidiairement de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) ;

-          a débouté A______ de ses conclusions civiles.

b.a.a. A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant au renvoi de l'acte d'accusation au Ministère public (MP) afin qu'il le complète et le corrige en ajoutant ce qui suit :

a. 1.1.2b Contrainte

A tout le moins entre le 3 mai 2016 et le 6 juin 2016, de concert avec D______ (recte: F______), F______ (recte: D______) a poussé A______, ressortissante marocaine née le ______ 1986, à se rendre dans les bars à champagne H______ et I______, contre sa volonté et sous la menace d'être envoyée au Maroc si elle ne s'exécutait pas.

En agissant de la sorte, D______ s'est rendu coupable de contrainte (art. 181 CP).

b.      1.1.5b. Contrainte

A tout le moins entre le 3 mai 2016 et le 6 juin 2016, de concert avec D______, F______ a poussé A______, ressortissante marocaine née le ______ 1986, à se rendre dans les bars à champagne H______ et I______, contre sa volonté et sous la menace d'être envoyée au Maroc si elle ne s'exécutait pas.

En agissant de la sorte, F______ s'est rendue coupable de contrainte (art. 181 CP).

c.       1.1.7 Calomnie, subsidiairement diffamation

Lors de l'audience du 30 janvier 2020 par devant le Ministère public, F______ a confirmé ses déclarations, selon lesquelles A______ était une prostituée et avait déjà exercé la prostitution au Maroc, puis affirmé que "elle ne savait pas ce que A______ allait faire quand elle était à J______ [Maroc] à 400 km de chez elle. Les filles que A______ a rencontrées à K______ [grand-magasin] lui ont expliqué qu'elles pouvaient faire des pipes et le faire par derrière".

b.a.b. A______ conclut ensuite à la condamnation de D______ pour contrainte (art. 181 CP) en concours avec la tentative d'encouragement à la prostitution (art. 22 al. 1 cum art. 195 let. b CP) et à celle de F______ pour contrainte (art. 181 CP) en concours avec la tentative d'encouragement à la prostitution (art. 22 al. 1 cum art. 195 let. b CP) et calomnie (art. 174 al. 1 CP), subsidiairement diffamation (art. 173 al . 1 CP). Elle conclut enfin à la condamnation solidaire de D______ et F______ à l'indemniser d'un montant de CHF 2'500.- avec intérêts de 5% dès le 25 juillet 2016.

b.b. B______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement de l'infraction à l'art. 118 al. 1 LEI et à ce qu'une juste indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 CPP lui soit octroyée. Subsidiairement, il conclut à être exempté de peine (art. 52 CP).

c.a. Selon l'acte d'accusation du 23 septembre 2020, il est reproché ce qui suit à B______ :

Le 28 janvier 2015, à Genève, il a contracté un mariage fictif avec F______ et a ainsi induit en erreur l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM), de sorte qu'il a frauduleusement obtenu une autorisation de séjour (permis B) dans le cadre du regroupement familial le 19 octobre 2015.

c.b. Par le même acte d'accusation, il est reproché ce qui suit à D______ et F______, de concert :

-     à tout le moins entre le 3 mai et le 6 juin 2016, ils ont poussé A______, à se prostituer dans les bars à champagne H______ et I______ ainsi que dans la rue, dans le but d'en tirer un avantage patrimonial, étant précisé que l'intéressée ne s'est finalement pas livrée à la prostitution et était vierge au moment des faits ;

-     à tout le moins entre le 3 mai et le 6 juin 2016, ils ont procuré un emploi à A______, alors qu'elle ne disposait d'aucune autorisation d'exercer une activité lucrative en Suisse.

c.c. Il est également reproché ce qui suit à D______ :

Il a, à tout le moins entre avril et mai 2016, déterminé L______ à créer une fausse attestation dans laquelle il était expliqué qu'il payait mensuellement la somme de CHF 870.- pour le loyer d'un studio sis rue 1______ no. ______, alors qu'il logeait avec F______ à no. ______ route 2______, et ce, dans le but d'augmenter fictivement ses charges pour pouvoir bénéficier de l'assistance juridique ;

c.d. Il est également reproché ce qui suit à F______ :

-       lors de l'audience du 16 avril 2019 par-devant le Ministère public, elle a affirmé que des "choses dans le dossier n'étaient pas normales. A______ est une fille de 30 ans qui est venue en Suisse pour faire de la prostitution. Elle le faisait déjà au Maroc". Elle a encore ajouté "elle m'a montré les choses que je ne savais pas faire. Les Saoudiens aiment les grandes femmes avec de longs cheveux. Je ne pourrais pas leur ramener la moche" ;

-       lors de l'audience du 30 janvier 2020 par-devant le Ministère public, elle a affirmé qu'"elle ne savait pas ce que A______ allait faire quand elle allait à J______ [Maroc] à 400 km de chez elle. Les filles que A______ a rencontrées à K______ lui ont expliqué qu'elle pouvait faire des pipes et le faire par-derrière" ;

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Par courrier reçu le 29 juillet 2016, A______ a déposé plainte pénale à l'encontre de D______ et de F______ pour traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution et contrainte pour l'avoir notamment poussée à se rendre dans des bars à champagne en profitant de sa vulnérabilité et en exerçant des pressions sur elle, telles des menaces de renvoi au Maroc.

b. Le 19 septembre 2016, une instruction pénale a été ouverte à l'encontre de D______ et de F______ pour contrainte et encouragement à la prostitution.

c. Le 29 novembre 2016, une dénonciation anonyme a accusé une [prénommée] "F______" d'inciter des jeunes femmes marocaines à travailler dans des bars à champagne ou salons de massage et de menacer sérieusement leur famille au Maroc en cas de refus.

d. Le 1er décembre 2016, D______ et F______ ont été arrêtés provisoirement pour traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution, contrainte et infraction à la loi fédérale sur les étrangers (LEtr).

e. Le 2 décembre 2016, D______ et F______ ont été entendus par le MP en qualité de prévenus notamment du chef de contrainte pour avoir en mai 2016, de concert, contraint A______ à travailler dans des bars à champagne en exerçant sur elle une pression psychologique.

f. Un avis de prochaine clôture de l'instruction a été rendu le 21 décembre 2018.

g. Le 6 décembre 2018, par courrier adressé au MP, A______ a interrogé celui-ci quant à la suite qu'il entendait donner à la procédure. Le MP n'y a pas donné suite.

h. Par observations du 28 janvier 2019, A______ a précisé que l'infraction de contrainte était établie dans la mesure où il ressortait du dossier qu'elle avait été contrainte par D______ et F______ à travailler dans les bars à champagne contre sa volonté, sous la menace d'être renvoyée au Maroc. Ses déclarations avaient été confirmées par celles de M______, tenancier du bar à champagne H______. Il était de plus établi qu'elle était vierge, ne consommait pas d'alcool et ne parlait pas français.

i. Par ordonnance pénale du 20 février 2019 à laquelle il a fait opposition, D______ a été reconnu coupable de tentative d'exploitation de l'activité sexuelle et d'encouragement à la prostitution, d'infraction à la LEI et d'instigation à faux dans les titres.

j. Par ordonnance pénale du 20 février 2019 à laquelle elle a fait opposition, F______ a été reconnue coupable de tentative d'exploitation de l'activité sexuelle et d'encouragement à la prostitution ainsi que d'infraction à la LEI.

k. Lors de l'audience du MP du 30 janvier 2020, F______ a déclaré que A______ avait rencontré des filles à K______ qui lui avaient indiqué qu'elles pouvaient faire des "pipes" et le faire également "par derrière".

A l'issue de cette audience, F______ a été complémentairement mise en prévention des chefs de diffamation et de calomnie pour avoir traité A______ à plusieurs reprises de "prostituée" et indiqué que celle-ci se prostituait au Maroc et qu'elle avait rencontré des filles à K______ lui ayant expliqué qu'elle pouvait faire des "pipes" et le faire également "par derrière", faits pour lesquels A______ a déposé plainte pénale le 17 février 2020.

l. Par courrier du 6 octobre 2021, le conseil de A______ a invité le TP à examiner les faits reprochés sous l'angle de la contrainte et à compléter l'acte d'accusation afin d'y faire figurer la menace de renvoi au Maroc, nécessaire pour s'écarter de l'appréciation juridique proposée par le MP. Il a également invité le TP à compléter le paragraphe concernant l'infraction de calomnie, subsidiairement de diffamation, afin que les propos de F______, traitant A______ de prostituée, ressortent clairement de l'acte d'accusation et soient fidèles à ceux tenus devant le MP.

m. Par jugement du 11 octobre 2021, le TP a rejeté la question préjudicielle de A______ tendant au complément de l'acte d'accusation du 23 septembre 2020, subsidiairement au renvoi de ce dernier au MP. Si ce dernier avait effectivement porté une accusation de contrainte au cours de l'instruction, il avait délibérément choisi de ne pas aller dans le sens voulu par la partie plaignante. Il n'avait ainsi donné aucune suite à la demande présentée le 28 janvier 2019 par cette dernière portant sur la même problématique que celle soulevée dans son courrier du 6 octobre 2021.

C. a.a. Devant la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), par la voix de son conseil, B______ conclut, à titre préjudiciel, au constat de la violation de son droit de participer à l'administration des preuves en vertu de l'art.  147 CPP et à ce que tous les actes d'instruction effectués postérieurement à son audition à la police du 1er décembre 2016 soient déclarés inexploitables. Il avait été convoqué à cette audience en tant que "personne appelée à donner des renseignements" et son statut était passé à "prévenu" à l'issue de son audition. Il n'avait toutefois jamais été convoqué aux audiences suivantes. Le MP lui avait annoncé qu'il avait la qualité de prévenu par courrier du 20 février 2018 et il n'avait pas été avisé de l'audience du 6 mars 2018.

a.b. Par la voix de son conseil, A______ conclut au rejet de la question préjudicielle aux motifs que l'inexploitabilité des pièces impliquerait leur retrait du dossier et entrainerait un dommage à son égard, en ce sens que l'enquête ne serait pas complète. Elle conclut ainsi subsidiairement, en cas d'acceptation de la question préjudicielle, à la constatation de la violation de ses droits fondamentaux.

b.a. A______ conclut également, à titre préjudiciel, à l'annulation du jugement du TP et au renvoi de l'acte d'accusation au MP afin qu'il le complète conformément aux développements de sa déclaration d'appel (cf. A.b.a.).

Selon la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul), lorsque des faits de violences à l'égard des femmes étaient dénoncés, comme de la contrainte, l'État avait l'obligation de mener une enquête effective, ce qui n'avait pas eu lieu en l'espèce. L'instruction avait été ouverte notamment pour contrainte et les prévenus avait été mis en prévention pour cette infraction. L'avis de prochaine clôture ne mentionnant pas les infractions retenues, A______ avait, par le biais d'observations, indiqué au MP que l'infraction de contrainte était réalisée au vu des éléments au dossier. Pourtant, cette infraction et sa description ne figuraient pas dans les ordonnances pénales et aucune ordonnance de classement partiel n'avait été rendue. Selon le TP, le MP avait délibérément choisi de ne pas retenir la contrainte. Il s'agissait selon lui d'un classement implicite contre lequel A______ n'avait pas recouru. Or, il ressortait de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant le classement implicite (ATF 138 IV 241 consid. 2.4.) que le MP devait justifier son choix lorsqu'une qualification juridique ou un état de fait n'était pas retenu dans une ordonnance pénale et que c'était sur la base de cette motivation qu'une partie pouvait recourir. De plus, selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (arrêt Bryan c. Royaume Uni du 22 novembre 1995, § 44 et 45), l'autorité qui rendait une décision avait l'obligation d'examiner chaque argument soulevé par la partie plaignante et de justifier pourquoi tel ou tel avait été écarté. En l'espèce, l'acte d'accusation rendu présentait plusieurs défauts dont une motivation inexistante. En l'absence de justification concernant l'abandon de l’infraction de contrainte et de la mention des pressions subies par la plaignante, il n'y avait pas de classement implicite et ainsi pas de recours possible.

b.b. Par la voix de son conseil, D______ conclut au rejet de la question préjudicielle.

Le MP avait ouvert l'instruction pour contrainte et avait instruit l'intégralité des faits. Suite à l'avis de prochaine clôture du 21 décembre 2018, la partie plaignante avait relevé que le MP devait retenir l'infraction de contrainte. Le MP avait rendu les ordonnances pénales du 20 février 2019 en ne retenant pas la contrainte. Ces ordonnances avaient dûment été notifiées à la plaignante qui avait la possibilité de recourir contre le classement implicite de la contrainte. Le MP avait par la suite sciemment persisté à ne pas retenir l'infraction de contrainte dans son acte d'accusation du 23 septembre 2020.

b. c. Par la voix de son conseil, F______ conclut au rejet de la question préjudicielle. Le MP avait instruit la contrainte mais avait décidé de ne pas la retenir et avait ainsi procédé à un classement implicite en rendant les ordonnances pénales du 20 février 2019, auxquelles la plaignante ne s'était pas opposée.

c. À l'issue de l'audience d'appel, la Cour a gardé la cause à juger sur question préjudicielle.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Selon l'art. 339 al. 2 CPP, les parties peuvent soulever des questions préjudicielles.

2.1. Le conseil de A______ a conclu au renvoi de l'acte d'accusation au MP pour complément factuel et corrections.

2.1.2. La Cour est liée par l'état de fait décrit dans l'acte d'accusation (immutabilité de l'acte d'accusation).

Dans le but de garantir les droits de la défense, il est nécessaire de prévoir une règle indiquant que l'acte d'accusation, une fois notifié aux parties, ne peut plus subir de modifications. Les art. 329 et 333 CPP constituent des exceptions permettant au Ministère public de compléter et/ou corriger l'accusation, pour autant que le tribunal l'y autorise (Y. JEANNERET / A. KUHN, Précis de procédure pénale, 2ème éd., Berne 2018, § 16043, p. 513).

2.1.3. À teneur de l'art. 329 CPP, la direction de la procédure du tribunal de première instance examine prima facie l'acte d'accusation (al. 1). Si nécessaire, le tribunal suspend la procédure et renvoie l'accusation au MP pour qu'il la complète ou la corrige (art. 329 al. 2 CPP). Cet article vise les cas où l'accusation est irrégulière ou incomplète, lorsque l'état de fait visé dans l'acte d'accusation est lacunaire, ou encore lorsqu'un moyen de preuve indispensable n'a pas été administré au stade de l'instruction. En revanche, ce moyen ne permet pas de procéder à un élargissement de l'accusation, seul l'art. 333 CPP le permettant, dans le cadre limité de cette disposition.

Selon l'art. 333 al. 1 CPP, le tribunal de première instance ou la juridiction d'appel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_754/2013 du 26 novembre 2013 consid. 1.2) peut donner la faculté au MP de modifier l'acte d'accusation lorsqu'il estime que les faits qui y sont exposés pourraient réunir les éléments constitutifs d'une autre infraction. Cette disposition s'applique lorsque les faits décrits dans l'acte d'accusation pourraient constituer une autre infraction (requalification) - ou, en cas de véritable concours, une infraction supplémentaire -, mais que l'acte d'accusation ne répond pas aux exigences légales (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1404/2020 du 17 janvier 2022, consid. 2.6.2).

2.1.4. Dans ce cadre, le Message du Conseil fédéral donne comme exemple le cas – qualifié de typique par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_777/2011 du 10 avril 2012 consid. 2) – du prévenu accusé d’abus de confiance qualifié : « Le tribunal peut être d’avis que le comportement incriminé pourrait aussi être qualifié juridiquement d’escroquerie. Il est donc compréhensible que l’acte d’accusation ne décrive, par exemple, pas par quel comportement le prévenu a agi dolosivement. Il manque ainsi un élément factuel nécessaire pour permettre au tribunal de qualifier juridiquement le comportement d’escroquerie. En pareille situation, l’[art. 333] al. 1 permet au tribunal d’inviter le ministère public à modifier son acte d’accusation » (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1263 s.).

2.2.1. À teneur de l'art. 319 al. 1 CPP, le Ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure, notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b) ou qu'il est établi que certaines conditions à l'ouverture de l'action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus (let. d).

Le principe in dubio pro duriore s'applique (FF 2006 1255/1256 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et il vaut également pour l'autorité judiciaire chargée de l'examen d'une décision de classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2007 du 11 avril 2008 consid. 3.2.3, publié in Praxis 2008 n. 123). Il découle de ce principe qu’un classement ne peut être prononcé par le Ministère public que lorsqu’il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions de la poursuite pénale ne sont pas remplies et qu'un soupçon, même impropre à fonder un verdict de culpabilité, suffit, s'il présente quelque solidité, à justifier la poursuite de l'enquête et exclure un classement sur la base de l'art. 319 al. 1 let. a CPP (ATF 127 IV 285 consid. 2.5 p. 288ss ; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 5 ad art. 319). Dans le cadre de ce principe, l'acte d'accusation doit donc également refléter le point de vue de la partie plaignante. Il doit permettre au tribunal de porter un jugement complet sur l'affaire et de tenir compte en particulier de l'intérêt juridiquement protégé de la partie plaignante à pouvoir faire valoir son point de vue dans la procédure judiciaire. Le Ministère public ne peut donc pas refuser arbitrairement de modifier ou de compléter l'accusation en vue d'une appréciation juridique plus stricte et doit, en cas de doute, procéder selon le principe in dubio pro duriore (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1404/2020 du 17 janvier 2022, consid. 2.6.7).

2.2.2. Si le Ministère public n'entend réprimer qu'une partie des faits allégués par la plaignante, il doit prononcer simultanément une ordonnance pénale et une ordonnance de classement, cette dernière mentionnant expressément les faits qu’elle entend ne pas poursuivre et susceptible de recours. Cette formalisation de l’abandon des charges est nécessaire afin que la partie adverse puisse connaître les motifs qui ont guidé le Ministère public à prononcer le classement. Elle constitue ainsi le préalable essentiel à l’exercice du droit de recours prévu par l’art. 322 al. 2 CPP et l’art. 393 CPP. Si le Ministère public se contente du prononcé d'une ordonnance pénale, il convient de considérer celle-ci comme un classement implicite. Lorsqu'une ordonnance pénale contient un classement implicite la voie de recours ouverte à la partie plaignante pour contester ce classement est celle du recours ordinaire prévu à l'art. 322 al. 2 CPP. Cela doit permettre aux lésés et en particulier aux victimes au sens de l'art. 116 al. 1 CPP de faire valoir leurs droits dans la procédure pénale et de contrecarrer une accusation insuffisante avec un classement implicite des faits pertinents (ATF 138 IV 241 consid. 2.4 à 2.6 p. 244ss ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1404/2020 du 17 janvier 2022, consid. 2.6.5 ; 6B_819/2018 du 25 janvier 2019, consid. 1.3.3 à 1.3.5). 

2.2.3. En cas de recours contre un classement implicite, l’autorité de recours doit renvoyer la cause au MP pour que celui-ci formalise sa décision de classement, faisant ainsi courir un nouveau délai de recours pour contester le classement en connaissance de cause (arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 susmentionné consid. 3.8).

3. En l'espèce, il est constant que le MP n’a jamais rendu de décision sur les faits concernés par la demande de complément de la partie plaignante.

Cette dernière a déposé plainte pénale notamment pour contrainte, infraction que le MP a instruite pendant plusieurs mois. Malgré les observations de la plaignante adressées au MP suite à l'avis de prochaine clôture, les ordonnances pénales rendues ne faisaient aucune mention de l'infraction de contrainte et les faits y relatifs n'étaient pas détaillés. Aucune ordonnance de classement n'a été rendue en parallèle, tandis que les ordonnances pénales rendues ne contiennent aucune motivation formalisant l'abandon des charges relatives à la contrainte et expliquant le choix du MP. En l'absence d'exposé des motifs ayant guidé le choix du MP, la partie plaignante n'était pas en mesure d'exercer son droit de recours. Il ne peut ainsi, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, être retenu qu'il y a eu un classement formel de l'infraction de contrainte, cette dernière ayant été omise par le MP dans les ordonnances pénales puis dans l'acte d'accusation sans aucune justification. Il s’agit tout au plus d’un classement implicite, lequel ne permettait pas à la partie plaignante d’exercer ses droits. L’absence de décision de classement ne permet ainsi pas de retenir l’existence d’un empêchement de procéder.

L'affaire doit dès lors être renvoyée au MP afin qu'il rende une décision (classement ou mise en accusation), tant en ce qui concerne la mention de la qualification juridique de contrainte que celle des faits y relatifs.

Il est également requis du MP qu'il corrige le point 1.1.7 de l'acte d'accusation afin que son contenu corresponde aux déclarations de F______, faites lors de l'audience du 30 janvier 2020.

4. Vu l'admission de la question préjudicielle soulevée par le conseil de A______, il n'y a pas lieu, à ce stade de la procédure, de traiter celle soulevée par le conseil de B______.

5. Il sera statué sur les frais de la procédure préliminaire et de première instance à l'issue de la procédure (art. 421 al.1 CPP).

Les frais de la procédure d’appel seront laissés à la charge de l’État (art. 428 CPP a contrario).

6. 6.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. L'al. 2 dispose que l’indemnité est fixée à la fin de la procédure. Par "fin de la procédure", il faut comprendre que l’indemnité doit figurer dans le jugement au fond (art. 422 al. 1 et 2 let. a CPP) (ATF 139 IV 199 consid. 5 p. 201s, JdT 2014 IV 79 ; RPS 135/2017 p. 57).

6.2. En l'espèce, la CPAR a rendu une décision de renvoi et non un jugement sur le fond. La présente procédure ne prend pas fin. Il est donc prématuré de statuer sur l'indemnité des défenseurs d'office des parties, celles-ci seront donc fixées par l'autorité qui statuera sur le fond et sera donc compétente en la matière.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit les appels formés par A______ et B______ contre le jugement JTDP/1272/2021 rendu le 13 octobre 2021 par le Tribunal de police dans la procédure P/14202/2016.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit qu'il sera statué sur les frais de la procédure préliminaire et de première instance ainsi que sur les indemnités dues aux défenseurs d'office à la fin de la procédure.

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique pour information au Tribunal de police.

 

La greffière :

Dagmara MORARJEE

 

Le président :

Gregory ORCI

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).