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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/22321/2018

OARP/37/2022 du 18.08.2022 sur JTDP/954/2021 ( PENAL )

Descripteurs : CONFLIT D'INTÉRÊTS
Normes : LLCA.12
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22321/2018 OARP/37/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Ordonnance du 18 août 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______ (GE), comparant par Me B______, avocat, ______ (GE)

requérante,

 

contre

 

Me C______, avocat, D______ Avocats, ______ (GE),

E______, domicilié ______ (GE), comparant par Me C______,

cités.

 


Vu la procédure P/22321/2018, ouverte le 12 novembre 2018, dont la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a été saisie en date du 3 septembre 2021, ensuite de l'appel interjeté par E______ ;

Vu la représentation de E______ (prévenu ; appelant et intimé sur appel joint), depuis à tout le moins le 2 avril 2019, par Me C______, avocat ;

Vu la représentation de A______ (partie plaignante ; intimée et appelante jointe), depuis à tout le moins le 4 septembre 2017, par Me B______, avocat ;

Vu l'association dès le mois de février 2022 de Me C______ à l'étude D______ Avocats, étude quittée par Me B______ en juin 2021, alors qu'il en était associé ;

Vu la requête du 16 mars 2022 en interdiction de postuler de A______ à l'encontre de Me C______ pour conflit d'intérêts, s'en rapportant à justice quant au sort de l'écriture d'appel de E______ du 8 février 2022, rédigée par Me C______ dans les locaux de l'étude D______ Associés ;

Vu sa motivation, selon laquelle son propre conseil l'avait représentée pendant des années et jusqu'à tout récemment en qualité d'associé de l'étude D______ Avocats, dans de multiples procédures l'opposant à son mari E______, représenté par Me C______. Les liens de son conseil avec son ancienne étude étaient encore marqués, tel que cela ressortait de divers courriels. Comme l'attestaient des relevés d'activités et des extraits de procès-verbaux, plusieurs collaborateurs de l'étude D______ Avocats avaient travaillé pour son compte sur les affaires opposant les deux époux, dont l'un particulièrement longtemps et intensément. Une collaboratrice de Me C______, qui connaissait bien le dossier, avait également rejoint la nouvelle étude ;

Vu la prise de position de Me C______ du 28 mars 2022, dont on comprend qu'il conteste son incapacité de postuler, au motif qu'il n'existerait pas de conflit d'intérêts. Me B______ avait en quittant l'étude emporté tous les dossiers concernant A______. Les ordinateurs de l'ensemble des avocats de sa nouvelle étude étaient protégés par un code personnel. Il n'avait enfin pas l'intention de questionner un collaborateur ayant travaillé pour Me B______ au sujet de l'affaire ;

Considérant qu'au sens de l'art. 62 al. 1 CPP, le magistrat exerçant la direction de la procédure ordonne les mesures nécessaires au bon déroulement et à la légalité de la procédure. Il est en particulier compétent pour interdire à un avocat d'exercer son mandat ;

Que la juridiction d'appel est saisie par la transmission du dossier par le tribunal de première instance, laquelle intervient simultanément avec la notification du jugement motivé (art. 399 al. 2 CPP) ;

Qu'à compter de ce moment, la direction de la procédure est exercée par le ou la juge de la juridiction d'appel attributaire du dossier ;

Que selon l'art. 12 let. c de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA), l'avocat doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé ;

Qu'il y a conflit d'intérêts lorsque l'avocat est restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients ou qu'il peut utiliser, consciemment ou non, les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (ATF 145 IV 218 consid. 2.1 p. 222 ; ATF 141 IV 257 consid. 2.1) ;

Qu'un risque de conflit d'intérêts purement abstrait ou théorique ne suffit pas ; le conflit doit être concret, sans qu'il soit nécessaire qu'il se soit réalisé en ce sens que l'avocat a déjà exécuté son mandat de façon critiquable (ATF 135 II 145 consid. 9.1) ;

Que l'incapacité de représentation affectant un avocat rejaillit sur ses associés (ATF
135 II 145 consid. 9.1 p. 154) ;

Que l'interdiction des conflits d'intérêts ne se limite pas à la personne même de l'avocat, mais s'étend à l'ensemble de l'étude ou du groupement auquel il appartient. Sous cet angle, sont donc en principe concernés tous les avocats exerçant dans une même étude au moment de la constitution du mandat, peu importe leur statut (associés ou collaborateurs ;
145 IV 218 consid. 2.2) ;

Que celui qui accepte ou poursuit la défense d'intérêts contradictoires doit se voir dénier la capacité de postuler (ATF 147 III 351 du 25 mars 2021 consid. 6.1.3) ;

Qu'en l'espèce, il est établi que Me C______ et Me B______ représentent des parties opposées dans la présente procédure, tout comme le fait que Me C______ s'est associé à l'étude D______ Avocats, que son confrère a récemment quittée pour se mettre à son compte ;

Qu'il paraît également qu'une collaboratrice ayant travaillé pour son compte ait également rejoint la nouvelle étude, dans la même qualité ;

Qu'il n'est pas contesté que des collaborateurs de l'étude D______ Avocats ont eu non seulement connaissance du dossier de la demanderesse mais ont également travaillé pour son compte, notamment dans la présente procédure ;

Qu'au vu de la jurisprudence énoncée plus haut, l'ensemble des associés et avocats de D______ Avocats est touché par le conflit d'intérêts et ne peut agir contre une ancienne cliente ;

Que le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de trancher qu'un conflit d'intérêt pouvait se manifester dans le cas d'un avocat rejoignant l'étude de la partie adverse (cf. ATF
145 IV 218) ;

Que les éventuelles mesures prises au sein l'étude ne sont, au sens de la jurisprudence, pas suffisantes pour contrer le conflit d'intérêt existant, dans la mesure où elles ne permettent pas d'empêcher tout échange, notamment oral, entre les avocats (cf. ATF 145 IV 218 consid. 2.4) ;

Qu'il existe dès lors un risque concret que Me C______ apprenne, de par sa nouvelle association, des informations au sujet de A______ et qu'il utilise ces connaissances au détriment de la partie adverse de son client, peu importe auquel stade la procédure se situe et quand cette dernière a débuté (cf. 145 IV 218 consid. 2.1) ;

Qu'en définitive, il existe un conflit d'intérêts qui empêche Me C______ de représenter E______ contre son épouse dans la présente procédure ;

Qu'un délai sera imparti à l'appelant pour désigner un autre avocat, pour autant qu'il n'entende pas comparaître en personne.

Que, dans la mesure où A______ s'en rapporte à justice quant au sort du mémoire d'appel du 8 février 2022, ce dernier ne sera pas écarté du dossier, principalement au regard du principe de célérité, d'autant plus qu'elle pourra prendre position à son sujet et que le nouveau représentant de E______ aura également l'occasion de déposer des écritures ;

Qu'il en est de même de la réponse de Me C______ pour le compte de E______ du 5 avril 2022 ;

Que la question des frais et éventuelles indemnités sera réservée au fond.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE PÉNALE D'APPEL ET DE RÉVISION :

 

Fait interdiction à l'endroit de Me C______ et à tout avocat de l'étude D______ Avocats de représenter ou d'assister E______ dans le cadre de la procédure P/22321/2018.

Imparti à E______ un délai de 10 jours pour communiquer le nom d'un nouveau conseil, pour autant qu'il n'entende pas comparaître en personne.

Dit qu'il sera statué dans l'arrêt au fond sur les frais de la présente procédure et les éventuelles indemnités.

Notifie la présente ordonnance aux parties.

La communique, pour information, au Ministère public et au Tribunal pénal.

 

La greffière :

Julia BARRY

 

Le président :

Gregory ORCI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss et 90 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente ordonnance peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.