Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/727/2024

JTAPI/182/2024 du 05.03.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);PROLONGATION;VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8; LVD.11
Rectification d'erreur matérielle : Rectification du prénom dans le dispositif
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/727/2024 LVD

JTAPI/182/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 mars 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Andreia RIBEIRO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Madame A______ a déposé plainte pénale au poste de police, le 21 févier 2024 contre son mari, Monsieur B______ pour injures et menaces de mort.

2.             Il ressortait de son audition par la police du même jour à 15h45 qu’elle était mariée avec M. B______ depuis 2015 et était en couple avec lui depuis 2005 ; ils avaient un fils de 14 ans. Depuis un an, ils parlaient de divorce à cause du problème d’alcool de son mari ; c’était elle qui voulait divorcer. Ils arrivaient à discuter quand son mari n’était pas saoul, mais c’était impossible quand il buvait. Elle fréquentait un autre homme depuis décembre 2023 et son mari ne le supportait pas, raison pour laquelle il l’injuriait. A la maison, ils ne se parlaient plus, elle restait dans sa chambre et son mari l’injuriait et la menaçait par messages téléphoniques.

En janvier 2024, elle était allée voir un avocat pour débuter une procédure de divorce.

Son mari lui envoyait des messages en portugais lui disant qu’elle était « une femme de merde » et une « pute ». Le 20 février 2024 à 19h45 il lui avait envoyé la photo d’un couteau. Il ne l’avait jamais frappée.

Leur fils avait assisté quelques fois à des conflits.

3.             M. B______ a également été entendu par la police le 21 février 2024 à 17h05. Il reconnaissait avoir envoyé le message avec la photo d’un couteau. Sa femme l’avait trahi avec un autre homme et il l’avait découvert ; il voulait qu’elle laisse l’autre homme, mais « [il] ne voulai[t] rien faire ». Il reconnaissait qu’il s’était énervé à cause d’une accumulation de faits qui se produisaient à la maison ; sa femme partait tôt travailler et revenait tard, il savait que le soir elle se trouvait avec son amant.

Il était conscient que son message pouvait faire mal. Il n’avait jamais injurié sa femme mais reconnaissait lui avoir dit qu’elle était « une femme de merde ». Il ne l’avait jamais traitée de « pute ».

Leur couple n’allait plus depuis 3 ou 4 mois, à cause de la trahison de sa femme avec un autre homme.

Il buvait régulièrement pendant les repas du soir, sinon il fumait environ 10 cigarettes par jour. Actuellement - à cette heure -, il était alcoolisé car il était en vacances, il était tranquille. Il ne prenait pas de drogue.

Leur fils n’avait jamais assisté à des faits de violence, il n’avait jamais levé la main sur sa femme.

Il s’opposait à son éloignement car il n’avait pas d’endroit où aller ; c’était à elle de quitter l’appartement, elle n’avait qu’à aller vivre avec son amant.

Sa femme l’avait une fois injurié en lui disant « d’aller [m]e faire foutre », elle n’avait jamais levé la main sur lui ni menacé de mort ; elle l’avait déjà menacé de le mettre à la rue.

4.             Par décision du 21 février 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de 15 jours à l'encontre de M. B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci et de leur enfant mineur C______.

Selon cette décision, M. B______ avait menacé de mort sa femme en lui envoyant une photo d’un couteau via l’application WhatsApp ; il l’avait également injuriée de « pute », le tout en portugais.

Selon une traduction du message WhatsApp du 20 février 2024, M. B______ avait dit à sa femme, en portugais « Je sais où est la voiture, j’ai déjà dit pour pas qu’il soit avec l’enfant, ça va faire de la merde », « Ça va vraiment faire, je vais rester à t’attendre dehors », « Tu sais que je suis fou et que je vais faire de la merde », et sous la photo d’un couteau, la mention « Il t’attend ».

5.             M. B______ n’a pas fait opposition à la mesure d’éloignement.

6.             Par acte du 1er mars 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant qu’elle avait peur de M. B______ et qu’elle craignait qu’il ne se rendit au domicile.

7.             Vu l'urgence, le tribunal a informé par téléphone du 1er mars 2024 de l'audience qui se tiendrait le 4 mars 2024.

8.             Lors de l’audience du 4 mars 2024, Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours. Elle a confirmé que son mari n'avait pas tenté d'entrer en contact avec elle depuis le prononcé de la mesure. Il n'était pas non plus entré en contact avec son fils. Son mari était au courant de sa démarche en vue de la séparation. La vie conjugale était compliquée à la maison quand son mari buvait de l'alcool, car il y avait des disputes. Elle ne pouvait pas envisager son retour à la maison. Ils étaient en conflit depuis presqu'un an.

Le conseil de Mme A______ a indiqué n'avoir été constituée que pour défendre les intérêts de Mme A______ : la demande de prolongation ne concernait dès lors pas le fils. Sa cliente avait l'intention de déposer une requête en mesures protectrices de l'union conjugale: elles étaient en train de terminer la récolte des documents nécessaires.

M. B______ a indiqué ne pas s'opposer à la demande de prolongation de la mesure d'éloignement. Il était dès lors d'accord de ne pas revenir au domicile conjugal jusqu'au 7 avril 2024. Il avait contacté une association mentionnée sur les documents qui lui avait été donnés par la police mais il ne savait pas laquelle. Après consultation de son téléphone, il a pu indiquer qu’il avait appelé quatre fois l'association VIRES le 23 février 2024; il lui avait été répondu qu'une personne qui parlait portugais allait le rappeler, ce qui n'avait pas été le cas. Il a confirmé ne pas avoir tenté de contacter ni son fils ni sa femme depuis le 21 février dernier. Il avait trouvé un endroit où loger, chez un ami (______[GE]) et il pouvait y rester. Il pourra y recevoir son fils en visite. Il ne pouvait pas répondre à la question de savoir s’il était d'accord de se séparer mais si c'était le souhait de sa femme, il le ferait. Il n’avait pas l'intention de retourner au domicile conjugal, la seule chose qu’il souhaitait était de pouvoir récupérer ses affaires, à savoir notamment ses vêtements, ses cartes bancaires et sa montre.

M. B______ et Mme A______ ont indiqué être d'accord que Mme D______, une amie de la famille, vienne au domicile afin de récupérer les affaires personnelles de M. B______. Cela pourrait se faire mercredi 6 mars 2024. Ils étaient également d'accord que M. B______ contacte son fils afin de pouvoir maintenir un lien avec lui, soit à partir du 7 mars 2024 à 17h00.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, Mme A______ a confirmé, en audience, sa demande de prolongation de la mesure, expliquant être sur le point de déposer une requête en mesures protectrices de l’union conjugale. M. B______ a indiqué qu’il ne s’opposait pas à la demande de prolongation de la mesure d’éloignement, n’ayant pas l’intention de revenir au domicile conjugal. Il souhaitait simplement pouvoir récupérer ses effets personnels. Il ne s’opposait pas non plus à une séparation d’avec son épouse si cette dernière le souhaitait.

Compte tenu de la perspective d'une prochaine séparation, des démarches envisagées à cette fin et de la volonté de ne plus reprendre la vie commune exprimée par les deux époux, la période paraît peu propice à un retour de M. B______ au domicile conjugal dès le 7 mars prochain.

Dès lors, même si, certes, la mesure d'éloignement, a fortiori sa prolongation, n'a pas pour objectif de donner du temps aux personnes concernées pour qu'elles organisent leur vie séparée, prenant acte de la volonté exprimée par chacune d’elles, à laquelle il convient de donner suite, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 6 avril 2024, 17h00. Partant, pendant cette nouvelle période de trente jours, il sera toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de Mme A______, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile conjugal. Par contre, la mesure d’éloignement prendra fin à l’encontre du fils du couple le 7 mars 2024 à 17h00 : M. B______ pourra dès lors reprendre contact avec son fils et le rencontrer dès cette date.

Enfin, il sera rappelé que les parties ont donné leur accord pour que Mme D______ vienne au domicile conjugal le mercredi 6 mars 2024 pour récupérer les effets personnels de M. B______. Le tribunal ne peut qu’enjoindre les parties à faire en sorte de tenir cet engagement.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, soit jusqu’au 6 avril 2024 à 17h00.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA-GE - E 5 10).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 1er mars 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 21 février 2024 à l’encontre de Monsieur B______;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 6 avril 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants en tant qu’elle concerne uniquement Madame A______ ;

4.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière