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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/133/2022

JTAPI/40/2022 du 18.01.2022 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/133/2022 LVD

JTAPI/40/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 janvier 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Milena PEEVA, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 16 janvier 2022, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Madame A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Messieurs B______ et C______ et de Madame D______, située 1______, route de E______, F______, ainsi que de contacter ou de s'approcher de ces personnes.

Selon cette décision, Mme A______ était présumée avoir proféré des menaces de mort et des insultes et l'avoir déjà fait précédemment.

2.             Mme A______ a fait immédiatement opposition à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 17 janvier 2022.

3.             Le commissaire de police a transmis son dossier au tribunal. Il en ressort les éléments suivants.

4.             Selon rapport de renseignements du 16 janvier 2022, l'intervention de la police avait été sollicitée le 15 janvier 2022 à 18 heures pour un conflit dans un appartement au 1______, route de E______. Sur place, M. B______ avait expliqué aux gendarmes qu'une énième dispute venait d'éclater entre lui et sa femme, Mme A______. Il avait déposé plainte le 11 janvier 2022 auprès du poste de police de F______ pour injures et menaces. Il avait fait appel à la police, car il craignait que sa compagne ne passe à l'acte et de mettre ses menaces de mort à exécution. Dans l'appartement se trouvait également Madame D______, la fille du couple, dont les déclarations avaient également été recueillies. Il résultait des données informatiques à disposition de la police que sur les 36 mois précédant cette intervention, deux autres interventions avaient eu lieu au domicile du couple en raison de conflits, à savoir les 24 mai et 21 novembre 2021, affaires qui n'avait pas connu de suites judiciaires.

5.             Selon procès-verbal d'audition de M. B______ en date du 11 janvier 2022, le précité s'est présenté le même jour au poste de police de F______ pour évoquer un conflit avec son épouse. Il avait rencontré cette dernière en 2003 et le mariage avait eu lieu en Algérie. Ils avaient emménagé en Suisse en 2005 et de leur union étaient issus deux enfants, D______ (née en 2005) et C______ (né en 2007). Jusqu'en 2018, leur relation se passait bien et il appréciait sa vie de famille. Depuis cette date, la relation avec son épouse était devenue conflictuelle. Il y avait des problèmes d'argent et sa femme lui cachait de l'argent. Sa vie était devenue secrète pour lui. Elle fouillait sans cesse dans ses affaires et il n'avait plus de vie privée. Lors de l'intervention de la police en mai 2021, suite à une histoire d'argent, lui et sa femme s'étaient empoignés. Elle l'avait menacé avec un couteau de cuisine et il l'avait saisie par les cheveux pour se défendre. Suite à cela, elle avait lâché le couteau. Le 21 novembre 2021, la police était intervenue après que sa femme eut hurlé sur lui et sur leur fille D______. Puisqu'il avait peur de sa femme, il n'avait pas voulu intervenir et avait préféré appeler la police. Il précisait que depuis que la situation se dégradait, il n'osait plus s'opposer à sa femme. Cette dernière lui avait quand même crié dessus et l'avait insulté pour avoir appelé la police. Elle avait traité de « con » et de « lavette », en lui disant qu'il ne servait à rien et en lui disant : « tu vas faire quoi, femmelette ». Depuis des années, elle le rabaissait sans cesse. Le 9 janvier 2022, un nouveau conflit avait éclaté avec sa femme suite à des histoires d'argent. Elle l'avait menacé de mort. Pour cela, elle avait pris un rouleau d'essuie-mains et avait fait mine de le lui planter. Ensuite, elle avait d'elle-même reposé cet objet. De manière générale, la situation devenait extrêmement conflictuelle. Sa femme le dénigrait, l'insultait et le rabaissait très souvent. Ils ne communiquaient plus. Il souhaitait dès lors déposer plainte contre son épouse. Il précisait toutefois que depuis leur dernier conflit, la situation s'était calmée et que sa femme était redevenue gentille. Actuellement, il n'avait plus peur de rentrer au domicile.

6.             Lors de son audition par la police le 15 janvier 2022, M. B______ a repris les explications qu'il avait déjà données le 11 janvier précédant. Il a ajouté que sa fille D______ était tous les jours en altercation avec sa mère. La pression était physique, verbale et morale. Il s'était d'ailleurs rendu avec sa fille auprès de la « protection de l'enfance » en raison des menaces qu'elle subissait de la part de sa mère. Le jour même, sa femme était à nouveau entrée dans une colère noire, toujours en lien avec leur gestion de l'argent. Elle l'avait menacé de mort, puis avait commencé à préparer les affaires de son mari en les mettant devant la porte pour qu'il quitte l'appartement. Outre les insultes qu'elle proférait, elle lui faisait des bras d'honneur en lui criant dessus. Elle ne cessait de lui répéter qu'elle allait le tuer. Le soir du 15 janvier 2022, elle avait pris une pierre et avait tenté de la lui lancer dessus. Il considérait que si leur fille n'avait pas été à la maison à ce moment-là, elle serait passée à l'acte. Il avait peur pour sa vie et celle de ses enfants. Sur question de la police, il a répondu qu'il n'avait encore pas été blessé lors d'une altercation avec sa femme et qu'en particulier, il n'avait jamais été griffé ou giflé. Lui-même n'avait jamais blessé sa femme. Il souhaitait divorcer, car cette situation était intenable. S'il était encore avec son épouse, c'était pour le bien de ses enfants. Comme la situation ne cessait d'empirer, il était d'avis qu'une mesure d'éloignement pour quelques jours lui ferait un électrochoc et qu'elle se remettrait en question. S'agissant des problèmes financiers qu'il avait avec sa femme, M. B______ a expliqué qu'elle touchait les allocations familiales directement sur son compte. Elle faisait divers achats sans régler le loyer. Il devait lui-même s'en acquitter, ainsi que de toutes les factures qu'il recevait. Sa femme travaillait en faisant divers ménages. Elle était payée « sous le manteau » mais n'avait pas d'employeur.

7.             Entendue à son tour le 15 janvier 2022, D______ a déclaré à la police que le jour même, elle se trouvait dans sa chambre, que sa mère était en train de cuisiner et que son père était dans son bureau. Sa mère était allée voir son père pour lui demander son argent, ce que son père avait refusé. Sa mère avait beaucoup insisté en lui criant de lui donner son argent. Elle avait fait une sorte de crise et avait renversé une table au salon tout en continuant à répéter : « donne-moi l'argent ». À un moment donné, elle avait dit qu'elle allait le tuer. Son père ne réagissait pas et ne disait rien. Elle lui avait dit qu'il devait « dégager de la maison ». Son père avait fait des courses et avait aussi acheté un grille-pain. Elle avait lancé le tout par terre en disant qu'il devait prendre ses affaires. Sa mère était allée dans la chambre et s'était mis à lui préparer une valise. Son père l'avait laissé faire. Ensuite, elle était allée dans le bureau de son père et s'était mise à jeter des affaires par terre. Il lui avait demandé de sortir et l'avait poussée un peu par le bras pour quelle sorte. Sa mère continuait à dire qu'elle allait le tuer. Elle avait aussi ajouté que s'il allait prendre quelque chose dans le frigo, elle lui couperait les mains. Des faits similaires s'étaient déjà produits quelques jours auparavant, le 13 janvier à nouveau à cause de l'argent. Alors qu'elle rentrait des courses, ses parents étaient en train de se disputer. Elle avait vu sa mère saisir le support à rouleaux du papier ménage en faisant mine de vouloir le planter dans le ventre de son père et en disant : « pousse-toi, autrement je vais te tuer ». Elle s'était interposée entre les deux afin qu'ils arrêtent et ensuite, la situation s'était assez vite calmée. Il y avait souvent des conflits à la maison. Les deux raisons principales étaient la gestion de l'argent entre ses deux parents et le fait qu'il lui arrivait elle-même de rentrer parfois en retard lorsqu'elle sortait. Sur question, elle a indiqué avoir été frappée à une reprise par sa mère et son frère. Cela avait été assez violent. Elle avait eu un bleu à l'œil une bosse à la tête. C'était la seule fois où cela avait été aussi violent. En général, sa mère la tapait avec un objet, comme une spatule en plastique, ou alors lancait des objets dans sa direction, comme un rouleau à pâtisserie, son lisseur, une chaise ou autre. Cela faisait environ deux ans que ce genre de choses arrivait. Elle avait déjà été menacée plusieurs fois, mais il lui semblait qu'elle n'avait jamais entendu textuellement sa mère la menacer de la tuer. Elle la menaçait toutefois de la mettre dans un foyer ou de la faire partir de la maison. En revanche, sa mère l'insultait en la traitant de « pute », de « chienne » ou de « vache », lui disant également qu'elle était grosse. Elle n'avait jamais vraiment osé déposer plainte contre sa mère, car elle n'avait pas envie qu'il lui arrive des soucis. Elle avait peur qu'après, en rentrant à la maison, elle la menace.

8.             Également entendue par la police le 15 janvier 2022, Mme A______ a expliqué que le soir même, alors qu'elle avait préparé le repas et fait la vaisselle, son mari était rentré au domicile et avait posé les factures payées sur la table. Elle lui avait demandé où était l'argent. Il lui avait répondu qu'il ne lui donnerait pas d'argent. Elle lui avait demandé pourquoi et il avait simplement rétorqué qu'il ne lui en donnerait pas. Elle avait insisté et il avait finalement dit qu'il lui donnerait CHF 900.- et qu'elle devrait se débrouiller avec cela. Elle ne l'avait pas accepté. Elle voulait qu'il lui donne CHF 2'400.-. Elle était partie vers la cuisine et il était venu vers elle en lui disant « vas-y, tape moi », en écartant les bras. A un moment donné, il lui avait dit qu'il allait appeler la police, car elle l'avait menacé, ce qui n'était pas vrai. Des faits similaires s'étaient déjà produits plusieurs fois. Une fois, son mari lui avait tiré les cheveux. C'était une fois où sa fille était rentrée plus tard que prévue. Elle avait crié sur D______ et son mari avait commencé à filmer la dispute. Elle s'était retournée vers lui pour lui dire qu'il devait parler aussi avec sa fille, que c'était son rôle. Elle était assise sur une chaise et à ce moment-là, il l'avait saisie par les cheveux. Elle n'avait rien dans les mains. Elle a contesté qu'elle tenait un couteau. Toutes ces disputes étaient causées par l'argent. Soit parce qu'il ne lui donnait pas l'argent auquel elle avait droit, soit parce que, soi-disant, elle envoyait de l'argent en Algérie. Cela était faux, elle n'avait ni père ni mère à qui envoyer de l'argent. Une seule fois, elle avait envoyé CHF 50.- à sa sœur, mais c'était de l'argent qu'elle avait elle-même gagné. Elle a contesté avoir jamais insulté son mari. Par compte, il la traitait de singe et de sorcière. Elle ne l'avait non plus jamais menacé avec un couteau. Elle a contesté avoir proféré diverses insultes à l'encontre de sa fille. Elle contestait également avoir frappé cette dernière, de concert avec son fils. Elle reconnaissait cependant avoir menacé sa fille de la mettre dans un foyer ou de l'expulser du domicile familial, car elle voulait lui faire peur, considérant qu'elle sortait trop tard avec ses copines. S'agissant de l'avenir, elle voulait voir un avocat et demander le divorce et était restée avec son mari pendant 16 ans uniquement pour les enfants.

9.             A l'audience du 18 janvier 2022 devant le tribunal, Mme A______ a en substance confirmée que la dispute du 15 janvier 2022 avait eu lieu de la manière qu'elle avait décrite à la police. S'agissant des questions d'argent, elle a indiqué que son mari recevait une rente et que celle-ci incluait une part salariale à laquelle elle avait elle-même droit en tant que proche aidante. Or son mari était devenu de plus en plus réticent à lui verser cette part, qui correspondait au montant de CHF 2'400.- par mois. Elle contestait toute forme de menaces ou d'insultes à l'encontre de son mari ou de sa fille D______. Il était vrai que sa fille était suivie par la protection de la jeunesse, mais c'était en raison des difficultés qu'elle avait à tenir un cadre acceptable concernant ses sorties. En revanche, son mari l'avait déjà violentée, une fois en renversant une chaise contre elle, une fois en serrant ses mains autour de son cou et une autre fois en serrant fortement son bras, ce qui avait provoqué un hématome. Le 15 janvier 2022, il l'avait également menacée de la jeter par la fenêtre et l'avait traitée de sorcière, de singe, de vipère et de diable, insultes qu'il avait déjà proférées à d'autres reprises.

Mme A______ a par ailleurs indiqué qu'elle souhaitait revenir tout de suite chez elle et que son fils lui avait dit la veille que si ce n'était pas le cas, il quitterait l'école. Sa fille D______ lui avait envoyé des SMS exprimant le fait que sa mère lui manquait qu'elle lui souhaitait d'avoir du courage, messages qu'elle a montrés au tribunal.

M. B______ a confirmé les déclarations qu'il avait faites le 15 janvier 2022 à la police. L'argent était effectivement le problème majeur du couple, mais cela provenait en réalité du fait que son épouse percevait les allocations familiales et qu'à un moment donné, il avait réalisé qu'elle ne reversait pas cet argent aux enfants. Il n'était pas non plus sûr qu'elle l'économisait en leur faveur, ainsi qu'il en avait été convenu par le passé. Comme il ne savait pas du tout ce que devenait cet argent, il n'était plus d'accord de lui verser la part qui lui revenait sur les rentes que le couple percevait. C'était néanmoins seulement la deuxième fois qu'il s'était montré réticent à lui reverser cet argent. En revanche, il subissait tous les jours les insultes de son épouse.

Mme A______, par l'intermédiaire de son avocate, a confirmé son opposition à la mesure d'éloignement.

La représentante du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision.

M. B______ a en substance indiquée qu'il avait besoin de repos dans son couple.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, il ressort clairement du dossier que le couple de M. B______ et de Mme A______ traverse une crise qui s'exprime par une violence verbale d'une certaine importance, ce qui a nécessité déjà trois interventions de la police au domicile familial et a en outre conduit M. B______ à se rendre à une autre reprise au poste de police de F______ afin de s'y plaindre du comportement de son épouse.

6.             Le tribunal a pu se convaincre à l'audience de ce jour du fait que les deux époux ont de la peine à communiquer de manière constructive sur la question difficile de l'allocation et de la gestion de leurs ressources financières. Dès lors, chacun considère être victime de la mauvaise volonté ou des secrets de l'autre.

7.             Dans la présente procédure, au-delà du constat que chaque époux partage vraisemblablement une part de tort dans le conflit conjugal actuel, il s'agit avant tout d'examiner si c'est à bon escient que le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement du domicile conjugal à l'encontre de Mme A______ et lui a en outre fait interdiction de contacter ou de s'approcher de son mari et de ses deux enfants.

8.             S'agissant de la vraisemblance des déclarations faites à la police par M. B______ et par sa fille D______, le tribunal relèvera que les explications données par ces deux personnes se caractérisent par la manière relativement nuancée avec laquelle elles se sont exprimées. Loin de charger Mme A______ de reproches caricaturaux ou d'exagérer sa violence, son mari et sa fille semblent faire clairement la part des choses, comme lorsque le premier évoque le fait que son épouse avait fait mine de lui lancer une pierre, mais y avait cependant renoncé, le fait que son épouse pouvait à nouveau se montrer gentille ou encore qu'elle ne l'avait jamais blessé, ou comme lorsque D______ évoque les violences verbales qu'elle subit de la part de sa mère, tout en précisant qu'elle n'a jamais subi de violences physiques, sauf à une seule reprise.

En outre, les déclarations de M. B______ et de sa fille D______ sont émaillées de détails plus ou moins insolites (par exemple l'utilisation d'un rouleau de papier d'essuie-mains à la place d'un couteau) qui sont à l'opposé d'un récit stéréotypé et impersonnel sur la violence domestique.

Enfin, on relèvera que la fille de Mme A______ a exprimé par plusieurs SMS, suite à la décision litigieuse, l'attachement qu'elle éprouvait à l'égard de sa mère, ce qui rend d'autant plus plausible les déclarations qu'elle a faites au moment de la crise concernant les violences de cette dernière.

De son côté, Mme A______ s'est contentée de nier en bloc les accusations portées contre elle. Si elle évoque de manière explicite le conflit qui l'oppose à son mari sur les questions financières, son discours s'apparente davantage au silence lorsqu'il s'agit de la manière dont ce conflit est susceptible de s'exprimer concrètement, que ce soit verbalement ou par gestes. Elle n'explique pas non plus de manière convaincante les raisons pour lesquelles sa propre fille porterait des accusations précises à son encontre, mais préfère attirer l'attention du tribunal sur les marques d'affection qu'elle a reçue de la part de cette dernière.

9.             Au vu de ce qui précède, le tribunal considère qu'il existe un faisceau d'éléments suffisants pour retenir que Mme A______ s'est montré verbalement très violente à l'égard de son mari de sa fille le 15 janvier 2022, ces violences atteignant un niveau suffisant pour être appréhendées dans le cadre de la LVD. Sa fille n'a encore que 16 ans, tandis que son mari est aujourd'hui âgé de 71 ans et qu'il est affaibli physiquement, ainsi que le tribunal a pu le constater lors de l'audience. Mme A______ a donc réellement représenté une menace pour son mari et sa fille lors de la dispute du 15 janvier 2022.

10.         À la question de savoir si l'on peut considérer qu'elle continue à représenter une menace, il convient de répondre de manière nuancée. Comme le tribunal l'a exprimé à l'audience, M. B______ et Mme A______ auraient sans doute besoin de l'aide et des compétences professionnelles d'un tiers, dont la mission serait de les aider à communiquer de manière constructive et apaisée sur leurs difficultés, et les aider à comprendre et reconnaître qu'ils peuvent avoir chacun une part de responsabilité dans la situation actuelle. En outre, la volonté qu'exprimeraient concrètement les deux époux de restaurer une confiance mutuelle seraient pour leurs deux enfants un exemple précieux.

En l'état, cette réflexion doit encore se mettre en place et faire son chemin, de sorte qu'un retour immédiat de Mme A______ au domicile conjugal apparaîtrait prématuré et pourrait conduire rapidement à de nouvelles violences. Il est important que la mesure d'éloignement, qui constitue finalement une séparation pour les deux époux, leur permette de prendre la mesure de la situation, de réfléchir et de se calmer. Cela dit, il apparaît que la décision litigieuse ne se justifie pas à l'égard de l'enfant C______, dont rien n'indique d'après le dossier qu'il aurait été victime de violences verbales ou physiques de la part de sa mère. La décision litigieuse n'apparaît plus non plus justifiée à l'égard de l'enfant D______, dont la séparation avec sa mère constitue aujourd'hui une source de culpabilité et de souffrance, et qui souhaite manifestement retrouver au plus vite des contacts avec elle.

11.         Par conséquent, l'opposition sera partiellement admise en ce sens que la mesure d'éloignement sera annulée dans la mesure où elle fait interdiction à Mme A______ de contacter ou de s'approcher de ses enfants C______ et D______. La mesure d'éloignement sera en revanche confirmée en ce qu'elle fait interdiction à Mme A______, jusqu'au 25 janvier 2022, de s'approcher ou de rentrer au domicile familial, ainsi que de contacter ou de s'approcher de M. B______. À cet égard, il convient encore de préciser que le principe de proportionnalité ne permet pas de réduire la durée de l'éloignement, puisque la loi prévoit une durée minimale de 10 jours (art. 8 al. 3 LVD) et que le tribunal ne peut donc que confirmer ou annuler un éloignement prononcé pour une telle durée.

12.         Il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

13.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 16 janvier 2022 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 16 janvier 2022 pour une durée de dix jours ;

2.             l'admet partiellement en ce sens que la mesure d'éloignement sera annulée dans la mesure où elle fait interdiction à Mme A______ de contacter ou de s'approcher de ses enfants C______ et D______ ;

3.             rejette l'opposition pour le surplus ;

4.             confirme la mesure d'éloignement en ce qu'elle fait interdiction à Mme A______, jusqu'au 25 janvier 2022, de s'approcher ou de rentrer au domicile familial, ainsi que de contacter ou de s'approcher de M. B______;

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni octroyé d'indemnité de procédure

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

7.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties. Une copie du jugement est transmise pour information au conseil de Madame A______ et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

 

Genève, le

 

La greffière