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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/234/2023

ACST/8/2023 du 01.03.2023 ( ABST ) , REFUSE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/234/2023-ABST ACST/8/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 1er mars 2023

sur effet suspensif

dans la cause

Monsieur A______
et
Monsieur B______
et
C______
et
D______
représentés par Me Romain Jordan, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT


Attendu, en fait, que :

1) Le C______ (ci-après : C______) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) qui a son siège à Genève et dont le but statutaire est notamment la défense professionnelle de ses membres. Il a pour membres des inspecteurs et gradés de la police judiciaire, de l’état-major de la police et du commissariat de police. Monsieur B______ en est le vice-président, lequel est domicilié à Genève, où il exerce la profession d’agent de police.

Le D______ (ci-après : D______) est une association au sens des art. 60 ss CC qui a son siège à Genève et dont le but statutaire est de veiller au respect des droits syndicaux de ses membres par une couverture en assurance juridique et à la défense de leurs conditions de travail et salariales. Il a pour membres les fonctionnaires du corps de la police, l’inspectorat de l’office cantonal des véhicules, les agents de détention, ainsi que leurs retraités. Monsieur A______, qui est domicilié à Genève et exerce la profession d’agent de police, en est le président.

2) Le 14 mai 2019, plusieurs députés ont déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 12'521 « améliorons le fonctionnement de la police genevoise ; pour une police au service de la population » modifiant la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) et visant au rétablissement de la gendarmerie, à la suppression du système des « silos » pour attribuer un ensemble de missions à la gendarmerie, au rapatriement dans le canton de la formation des aspirants gendarmes et policiers ainsi qu’à la suppression de l’organisation militaire de la police.

Selon l’exposé des motifs y relatif, il était apparu, peu après l’entrée en vigueur de la LPol en 2016, que la nouvelle organisation des services était la cause de leur perte d’efficacité, rendant la police incapable de répondre correctement à sa mission. Il convenait dès lors de revenir à une organisation mieux maîtrisée, la gendarmerie devant demeurer un corps de police aux missions diverses, dont le but premier était la présence effective auprès de la population, et non la constitution d’états-majors pléthoriques. La conception classique devait être rétablie, soit d’une part la police administrative et de sécurité, qui agissait pour le maintien de l’ordre, dépendant du pouvoir exécutif, et, d’autre part, la police judiciaire, qui avait pour mission la recherche des auteurs d’infractions, placée sous les ordres du Ministère public. Cette distinction s’imposait en particulier pour éviter au pouvoir exécutif d’intervenir de manière inappropriée dans les actions de la police judiciaire, sur lesquelles il ne devait avoir aucune maîtrise. Les missions opérationnelles, avant tout au service du citoyen, devaient être priorisées. La gendarmerie constituait le corps intégrant les missions de la police de secours, de proximité, routière et internationale, lesquelles ne devaient plus être des services (avec toute la lourdeur administrative qui en découlait à ce jour), mais des missions.

3) Le 6 juin 2019, le PL 12'521 a été renvoyé sans débat à la commission judiciaire et de la police (ci-après : la commission parlementaire), qui a rendu son rapport le 18 octobre 2022, après avoir y avoir consacré vingt-quatre séances.

a. Devant la commission parlementaire, les auteurs du PL ont expliqué que l’idée était de rétablir la gendarmerie comme un ensemble dont les différents « silos » actuels constituaient des missions et non plus des services séparés, en conservant la police internationale, la police de proximité, la police-secours et la police routière. La police judiciaire devait être séparée de la gendarmerie, étant donné qu’il s’agissait d’un corps différent répondant au Ministère public. Il s’agissait de trouver une solution à une crise qui durait depuis longtemps et avait provoqué des souffrances parmi les fonctionnaires concernés et des inquiétudes au sein de la population. L’essentiel de la modification structurelle était contenu à l’art. 6 du PL, puisque les quatre « silos » étaient réunis dans le même corps pour n’avoir plus qu’une seule direction, alors qu’actuellement il y avait quatre services séparés avec une hiérarchie séparée. La gendarmerie devait avoir une organisation qui lui était propre, les gendarmes devant pouvoir en assumer toutes les missions, pour permettre une transversalité, où chaque gendarme devait pourvoir être affecté, selon les besoins du service, à l’une ou l’autre de ces missions.

b. Selon les représentants du Conseil d’État et du département, une des critiques récurrentes était que l’ancienne loi avait créé des « silos », avec un règlement d’organisation fixant des effectifs pour chaque service, aucune de ceux-ci n’ayant atteint le nombre de personnes requises pour mener à bien ces politiques. Ainsi, chaque major avait le sentiment de ne pas avoir assez de gendarmes pour effectuer les tâches demandées, de sorte qu’il n’était pas enclin à mettre les membres de son personnel à disposition d’autres services, ce qui créait un malaise au niveau du terrain. Des règlements d’application pouvaient permettre de corriger les biais constatés. Si, dans l’ancienne gendarmerie, les tâches étaient déjà réparties, il n’en demeurait pas moins que l’interchangeabilité était probablement meilleure. Cette interchangeabilité ne provenait toutefois pas de la structure de la loi, mais du commandement. Rétablir l’ancienne gendarmerie constituerait une erreur et reviendrait à réhabiliter une structure grande et opaque, à la place de structures plus lisibles. Il convenait bien plus de cibler les carences et de créer de la transversalité, tout en renforçant les spécialisations, qui faisaient la force de la police. Le retour de la gendarmerie était néanmoins envisageable, pour autant qu’il serve de signe de reconnaissance et améliore la transversalité entre les services.

Il convenait de conserver les états-majors, qui existaient déjà avant l’entrée en vigueur de la LPol, puisque dans l’ancienne organisation la gendarmerie était constituée d'unités, soit notamment la brigade urbaine et suburbaines (devenue police-secours), la police de proximité et la brigade de la navigation et de prévention (devenue la police routière). Ces unités avaient à leur tête des capitaines et autres officiers supérieurs pour conduire le dispositif. L’organisation actuelle de la police n’était ainsi pas issue de la LPol mais de l’ancienne loi, dont le contenu avait été transposé dans un modèle organisationnel différent.

c. Les représentants du C______ et du D______, soit MM. A______ et B______, ont indiqué que, sous l’ancien droit, le commandant de la gendarmerie avait un lien avec l’ensemble des postes, ses ordres étant suivis d’effets, alors que sous la LPol, il y avait des commandants pour des services différents, qui avaient chacun des officiers supérieurs sous leurs ordres, ce qui créait des lourdeurs et parfois des ordres contradictoires. L’entrée en vigueur de la LPol n’avait pas changé les missions de la police et seuls des états-majors séparés avaient été ajoutés. La LPol avait voulu en finir avec les trois corps de la police qu’étaient la gendarmerie, la police internationale et la police judiciaire, pour n’en faire plus qu’un, ce qui s’était révélé un échec. L’essence du métier de policier était d’être confronté à des situations imprévues, l’institution devant fournir aux policiers le bagage nécessaire pour être à même d’intervenir au mieux dans l’intérêt public. Avec la division de la gendarmerie en « silos », des missions importantes n’étaient pas remplies par manque d’effectifs, alors que, par le passé, les missions étaient non seulement remplies, mais aussi variées et différentes pour un même gendarme. Jadis, tout gendarme était ainsi capable de rédiger un rapport d’accident avec blessé, alors qu’actuellement, avec la police routière, c’était devenu un enjeu de spécialiste. De même, il revenait à la police de proximité de parler avec les gens, alors que tout policier devait pouvoir échanger avec les citoyens. La structure actuelle était présentée comme permettant une spécialisation, ce qui n’était toutefois pas le cas. Tant la LPol que le fonctionnement de la police devaient être modifiés. Les syndicats étaient ainsi favorables au PL, à l’élaboration duquel ils avaient du reste participé en donnant leurs avis sur de nombreuses questions.

d. Les représentants de la commission du personnel de la police ont indiqué que le regroupement des différents services, soit police-secours, la police routière, la police de proximité ou la police internationale, sous un seul commandement, soit le chef de la gendarmerie, serait une mesure efficace. Si un commandant de la gendarmerie avait tous les services « uniformés » à sa disposition, il serait capable de gérer de grands événements nécessitant la mobilisation de nombreux policiers, étant précisé qu’au besoin il pourrait faire appel à son « alter ego », le chef de la police judiciaire, pour le surplus. Tant que cela restait cloisonné, il fallait « quelqu’un en-dessus », ce qui n’était plus nécessaire dès qu’on décloisonnait.

e. Durant les discussions des commissaires, un député a indiqué que si les « silos » étaient réunis, il faudrait dans tous les cas prévoir des responsables de secteur d’activité. Un autre s’interrogeait sur le maintien de corps séparés, tout en améliorant la transversalité, principale préoccupation des auditionnés, en évitant de revenir à un corps unique qui ne pourrait accomplir toutes les tâches de la police. Selon un autre député, les auditionnés avaient expliqué qu’il y avait bien une spécialisation et une manière de faire certaines tâches.

4) Lors de sa séance du 3 novembre 2022, le Grand Conseil a adopté la loi 12'521, qui contient notamment les dispositions suivantes :

« Section 2 Subordination, organisation générale, équipement

Art. 4 Organisation et hiérarchie

1 La hiérarchie policière est pyramidale.

2 La police est dirigée par une commandante ou un commandant de la police, nommé par le Conseil d’État.

[ ]

Section 3 Organisation structurelle

Art. 6 Composition de la police

1 La police, dirigée par une commandante ou un commandant, est formée des deux corps suivants :

a) la gendarmerie ; et

b) la police judiciaire.

2 Les services d’appuis, placés sous l’autorité du chef d’état-major, facilitent l’action de la police et sont composés de :

a) la direction des services d’état-major ;

b) la direction de la stratégie ;

c) la direction des ressources humaines ;

d) la direction du support et de la logistique ;

e) la direction des finances.

3 Les commissaires de police forment un service transversal.

4 L’état-major appuie la commandante ou le commandant dans la conduite de l’action de la police.

 

Art. 7 Commandement

La commandante ou le commandant dispose d’un état-major composé des cheffes ou des chefs de la gendarmerie et de la police judiciaire, ainsi que d’une représentante ou d’un représentant des services d’appui.

[ ]

Art. 10 Gendarmerie

1 La gendarmerie assure auprès de la population une présence effective et préventive, et assume les prérogatives répressives prévues par la loi, notamment dans les domaines de la circulation, du secours d’urgence et de la proximité.

2 Elle assure en outre la sécurité des personnes, des biens et des lieux en lien avec les activités diplomatiques, consulaires et plus généralement internationales de Genève, ainsi que celle du site aéroportuaire.

3 Les postes de police concrétisent l’ancrage territorial de la gendarmerie.

4 Les gendarmes accomplissent en principe leurs missions en uniforme.

[ ]

Art. 67 Dispositions transitoires

Modifications du 3 novembre 2022

5 Les modifications emportant une réorganisation de la police, soit les articles 4, 6, 7, 10, 19, alinéas 1 et 2, ainsi que la suppression des articles 13 à 15, sont mises en œuvre avec effet au 1er juin 2023 au plus tard.

6 La modification liée au retour de la formation dans le canton de Genève, soit l’article 31, alinéa 1, doit être effective au 1er janvier 2025 au plus tard. »

5) Le 21 décembre 2022, le Conseil d’État a adopté le règlement sur l’organisation de la police (ROPol - F 1 05.01), qui contient notamment les dispositions suivantes :

« Chapitre I Organisation générale

Art. 1 Suppléance de la commandante ou du commandant de la police

1 La commandante adjointe ou le commandant adjoint supplée la commandante ou le commandant de la police (ci-après : commandante ou commandant) lorsque celle-ci ou celui-ci est absent.

2 Elle ou il assume les tâches déléguées par la commandante ou le commandant afin de garantir la coordination et la transversalité, en particulier le pilotage et la coordination de la politique criminelle commune.

3 Dans ce but, elle ou il dispose des moyens nécessaires.

4 Le service des commissaires de police ainsi que le service du renseignement lui sont notamment subordonnés.

 

Art. 2 État-major

1 La commandante ou le commandant dispose d’un état-major mentionné à l’article 7 de la loi, auquel participe la commandante adjointe ou le commandant adjoint.

2 La représentante ou le représentant des services d’appui mentionné à l’article 7 de la loi est la cheffe ou le chef d’état-major indiqué à l’article 6, alinéa 2, de la loi.

3 L’état-major conseille la commandante ou le commandant, fait des propositions et élabore les dossiers confiés par la commandante ou le commandant.

4 La commandante ou le commandant fixe le rythme de conduite, les types de rapports, ainsi que les participantes et participants auxdits rapports. Elle ou il invite à participer à titre consultatif à l’état-major toute personne qui lui est subordonnée et qu’elle ou il juge utile à l’éclairage des points portés à l’ordre du jour.

[ ]

Art. 9 Organisation opérationnelle

1 La gendarmerie, assure les prérogatives répressives tout en déployant une action préventive et dissuasive par une présence visible pour répondre aux missions énoncées à l’article 10 de la loi.

2 Pour assurer ses missions, la gendarmerie est organisée en 4 unités opérationnelles :

a) l’unité routière veille à la sécurité de la mobilité, assure la sécurité des usagères et usagers, surveille le trafic et contribue à la fluidité de celui-ci ;

b) l’unité de secours d’urgence garantit la sécurité publique, notamment par la réponse aux réquisitions, et pourvoit à la protection des personnes et des biens ;

c) l’unité de proximité déploie son action au profit de la sécurité de proximité, par sa visibilité et ses partenariats durables avec la population et l’ensemble des institutions publiques et privées, notamment les communes. Elle assure en outre la récolte du renseignement et agit dans le judiciaire de proximité et de voie publique. Pour répondre à sa mission de sécurité de proximité au sens de l’article 10, alinéa 1, de la loi, elle intègre des unités judiciaires de voie publique ;

d) l’unité diplomatique et aéroportuaire assure la sécurité des personnes, des biens et des lieux et accomplit les missions qui lui sont déléguées par la Confédération, notamment en matière de migration.

3 La police judiciaire, selon l’article 11 de la loi, est un corps d’enquête et d’investigation, notamment compétent en matière de mesures préalables au sens de la section 9 du chapitre III de la loi.

a) Elle traite les affaires transmises par les autres services de la police, répondant aux critères de l’article 11, alinéa 1, de la loi.

b) Elle contribue aux dispositifs lors de grands événements ou d’événements particuliers, dans ses domaines de compétence.

c) Elle participe au dispositif général de prévention dans les thématiques propres à son activité.

[ ]

Chapitre V Dispositions finales et transitoires

Art. 22 Clause abrogatoire

Le règlement sur l’organisation de la police, du 16 mars 2016, est abrogé.

 

Art. 23 Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur le lendemain de sa publication dans la Feuille d’avis officielle. »

6) Dans un communiqué de presse du 22 décembre 2022, le Conseil d’État a indiqué, à l’issue du délai référendaire et en l’absence de recours, avoir promulgué le jour même la loi modifiant la LPol, avec une entrée en vigueur au 24 décembre 2022. Parallèlement, il avait adopté les modifications du ROPol pour le mettre en conformité avec la nouvelle loi. En effet, les nouvelles dispositions de la LPol, créant notamment un nouveau corps de gendarmerie avec, à sa tête, un chef distinct, à l’instar du chef de la police judiciaire, seraient mises en œuvre d’ici au 1er juin 2023. À cette échéance, serait supprimée la direction des opérations, avec pour corollaire la suppression du poste de chef des opérations et le report de ses tâches sur la commandante de la police (ci-après : la commandante). Au vu de ce surcroît de charges opérationnelles que n’était pas en mesure d’assumer, en sus, la commandante, et de la nécessité de mettre en œuvre notamment au quotidien les priorités de la politique criminelle commune définies conjointement par le Ministère public et le Conseil d’État, un poste de commandant adjoint était créé, à l’instar de ce que connaissaient de nombreux cantons. Cette personne aurait pour tâches de remplacer la commandante en cas d’absence, de diriger les services transversaux, tels que le service des commissaires, le service du renseignent et la centrale d’alarme ainsi que de mettre en place les réponses sécuritaires adaptées aux défis quotidiens et aux grands événements. Elle pourrait également se voir déléguer d’autres tâches et missions par la commandante. La police serait ainsi à même de poursuivre sereinement sa mission au service de la population.

7) Par arrêté du 22 décembre 2022, publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 23 décembre 2022, le Conseil d’État a promulgué la loi 12'521 pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de ladite publication.

8) Le ROPol a été publié dans la FAO du 23 décembre 2022 également.

9) Par acte expédié le 23 janvier 2023, MM. A______ et B______ ainsi que le C______ et le D______ ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le ROPol, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et principalement à l’annulation du règlement entrepris ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Dès lors que les chances de succès du recours étaient manifestes, l’effet suspensif devait être accordé. Il existait un intérêt public important à ne pas laisser le ROPol « graver dans le marbre » des éléments organisationnels, en particulier la nomination d’un commandant remplaçant, qui ne pourraient par la suite plus être modifiés.

Sur le fond, le ROPol, qui visait à prévoir les modalités d’application, et donc de fonctionnement, de la police et de ses agents, représentés par les syndicats, avait un impact sur le statut et les conditions de travail des policiers. Or, il avait été adopté sans consultation préalable desdits syndicats, en violation du droit d’être entendu, si bien qu’il devait être annulé pour ce motif déjà.

Le principe de la séparation des pouvoirs était violé. Comme la lecture des travaux parlementaires le démontrait, la loi 12'521 visait à supprimer l’organisation en « silos » de la police pour créer, à l’art. 6 LPol, un seul corps, à savoir la gendarmerie. Le législateur avait ainsi imposé au Conseil d’État une nouvelle organisation et une nouvelle gouvernance de la police, que celui-ci ne pouvait modifier. Or, en maintenant quatre unités opérationnelles, à savoir police-secours, la police routière, la police de proximité et la police internationale, l’art. 9 ROPol empiétait sur les compétences du parlement, en contradiction avec le principe de la légalité. Il en allait de même des art. 1 et 2 ROPol créant un poste de commandant adjoint, puisqu’aucune disposition de la LPol, en particulier les art. 4 al. 3, 6 al. 1 et 7 LPol, ne mentionnaient un tel poste, ce d’autant moins que le législateur avait voulu limiter au maximum la hiérarchie.

L’art. 9 ROPol violait en outre l’interdiction de l’abus de droit, puisqu’en l’adoptant, le Conseil d’État, sachant que la modification de l’art. 6 LPol visait à supprimer l’organisation en « silos », modification à laquelle il n’avait pas adhéré, avait voulu réintroduire ladite organisation. Une telle construction juridique était dès lors constitutive d’un abus de droit.

10) Le 10 février 2023, le Conseil d’État a conclu au rejet de la demande d’effet suspensif.

Il était douteux que les recourants aient qualité pour agir, dans la mesure où le ROPol traitait uniquement de l’organisation de la police, laquelle n’était pas différente d’un autre office de l’État, organisé par l’exécutif aux fins de remplir les missions qui lui étaient confiées par les lois. Les statuts et les prérogatives des policiers, qui faisaient l’objet d’un autre règlement, n’étaient en aucun cas affectés par le ROPol. L’on ne voyait pas non plus, et les recourants ne le mentionnaient pas, quels intérêts étaient gravement menacés du fait de l’entrée en vigueur immédiate du règlement litigieux. En tout état de cause, les recourants n’expliquaient pas en quoi la création du poste de commandant adjoint serait irréversible. Il existait, au contraire, un intérêt public marqué à pouvoir organiser la police avant le 1er juin 2023, date à laquelle la réorganisation devrait être mise en œuvre. Il était donc impératif tant d’adopter rapidement le règlement entrepris que de l’appliquer, afin de réaliser les adaptations organisationnelles dans le temps imparti par le législateur.

11) Le 16 février 2023, les recourants ont persisté dans leur requête.

Dès lors qu’ils étaient membres de la police, MM. A______ et B______ étaient directement concernés par les règles organisationnelles du corps de l’État dont ils faisaient partie, de sorte qu’ils disposaient de la qualité pour recourir. Sur le fond, la grave violation du principe de la légalité qu’ils alléguaient était confirmée par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la disposition litigieuse, puisqu’ils indiquaient que la police de secours, de proximité, routière et internationale n’étaient plus des services, mais des missions, alors que le règlement entrepris faisait le contraire. Les chances de succès du recours étaient donc manifestes. En outre, la mise en œuvre immédiate du règlement entraînerait la nomination de personnes à des fonctions, comme le commandant adjoint, qui ne pourraient plus être supprimées par la suite.

12) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif, ce dont les parties ont été informées.

 

Considérant, en droit, que :

1) L’examen de la recevabilité du recours est reporté à l’arrêt au fond.

2) Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. Selon l’art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d’effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3). D’après l’exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l’effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11'311, p. 15).

b. Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020 consid. 5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b).

L’octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l’effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ACST/2/2023 du 26 janvier 2023 consid. 3b).

En matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

4) En l’espèce, le recours est dirigé contre le ROPol, plus précisément contre les art. 1, 2 et 9 ROPol, seules dispositions à l’encontre desquelles les recourants émettent des griefs. Il s’agit de dispositions d’un règlement du Conseil d’État, acte visé à l’art. 57 let. d LPA, à l’encontre duquel le recours n’a pas d’effet suspensif. Il convient donc d’examiner s’il y a lieu de l’octroyer, ce qui, en matière de contrôle abstrait des normes, suppose généralement que les chances de succès du recours soient manifestes.

Tel n’apparaît, sur la base d’un examen sommaire, pas être manifestement le cas. S’agissant d’abord du grief de l’absence alléguée de consultation des syndicats avant l’adoption du règlement entrepris, il ne semble pas évident que les modifications réglementaires litigieuses toucheraient de manière significative les conditions de travail des membres desdits syndicats, comme l’exige la jurisprudence (ATF 144 I 50 consid. 5.3.2), mais paraissent prima facie davantage relever de l’organisation interne des services de police, qui en sont les destinataires, sans régler la situation juridique du personnel en tant que tel. Dans ce contexte, il ne paraît pas manifeste que les dispositions contestées contrediraient la LPol, s’agissant de l’art. 9 ROPol, qui ne semble prima facie ni remettre en cause la (re)constitution du corps de la gendarmerie et les missions confiées à ladite gendarmerie, énumérées au nouvel art. 10 LPol, ni réintroduire une organisation en « silos », la mise en place de structures hiérarchiquement subordonnées étant inhérente à l’organisation interne de toute administration. Il semble en aller de même du poste de commandant adjoint, qui, bien que n’étant pas mentionné par la LPol, ne paraît pas constituer, de manière évidente, un échelon hiérarchique supplémentaire, mais un support organisationnel, au vu du report des tâches du chef des opérations, dont la direction a été supprimée par la LPol, vers la commandante.

Étant donné que, selon l’art. 67 al. 5 LPol, les modifications du 3 novembre 2022 emportant une réorganisation de la police – soit en particulier celles, réglementaires, en découlant – ne doivent être mises en œuvre qu’avec effet au 1er juin 2023, il n’apparaît pas non plus manifeste que l’urgence commanderait de faire droit à la requête des recourants. Ceux-ci ne paraissent au demeurant pas subir de dommage irréparable du fait de l’entrée en vigueur du ROPol, les intéressés se limitant à indiquer, de manière très générale, vouloir éviter qu’une nouvelle organisation de la police soit « gravée dans le marbre », qui ne pourrait par la suite plus être modifiée, ce qui n’apparaît pas suffisant pour faire droit à leur requête.

Il ne se justifie dès lors pas de déroger au principe voulu par le législateur d’absence d’effet suspensif dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, ce qui conduit au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours.

5) Il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt à rendre au fond.

 

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

dit qu’il sera statué sur les frais de la présente procédure dans l’arrêt au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Romain Jordan, avocat des recourants, ainsi qu’au Conseil d’État.


Le président :

 

Jean-Marc Verniory

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :