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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/239/2023

ATAS/161/2024 du 12.03.2024 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/239/2023 ATAS/161/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 12 mars 2024

Chambre 15

 

En la cause

A______
représenté par TUTELA, soit Madame Bérénice ALBERTI, mandataire

 

recourant

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant), né le ______ 1940, est veuf depuis le ______ 2017.

b. Il a été placé sous curatelle de représentation avec gestion du patrimoine par ordonnance du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE), le 26 juin 2019. Avant cela, il avait été mis sous curatelle d’accompagnement du 2 octobre 2017 au 18 avril 2018, étant précisé qu’entre cette dernière date et le 26 juin 2019, aucune curatelle n’était en vigueur.

c. L’intéressé vit dans un Établissement médico-social depuis le 22 août 2022.

d. Sa curatrice a sollicité des prestations complémentaires pour le compte de son protégé, par pli du 22 septembre 2022. Dans un formulaire reçu le 26 suivant par le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC), la curatrice indiquait que son protégé percevait chaque mois une rente de vieillesse (CHF 2’575.-), une allocation d’impotent (CHF 239.-), une rente de la prévoyance professionnelle (CHF 2’949.10) et une autre rente de la CPEG (CHF 568.30). Il était titulaire de trois comptes en banque, les deux premiers présentant un solde positif (CHF 58’858.14 et CHF 2’510.35) et le troisième étant déficitaire (CHF 23.30).

e. Les éléments de fortune retenus par l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) pour l’année 2017 (avant le décès de l’épouse de l’intéressé) s’élevaient à CHF 5’495.- pour lui et CHF 262’540.- pour son épouse. Après le décès de cette dernière, l’AFC a retenu une fortune mobilière de respectivement CHF 6’577.- et CHF 70’913.-, ce dernier montant ayant été inscrit à titre de succession non partagée. Pour les années suivantes, l’AFC a retenu à titre de fortune de l’intéressé les montants de CHF 75’700.- en 2018, de CHF 62’963.- en 2019 et de CHF 71’804.- en 2020.

f. Selon une convention de partage de la succession dressée par la curatrice en juin 2018, les droits de l’intéressé dans la succession ont été chiffrés à CHF 187’551.35 (soit CHF 15’930.- de mobilier, CHF 178’754.55 de créances/titres, sous déduction du passif matrimonial de CHF 1’913.90 et du quart des passifs successoraux, soit CHF 5’219.30) et ceux de la fille commune du couple à CHF 100’004.50. L’intéressé avait reçu deux avances sur sa part, soit CHF 5’000.- le 6 mars 2018 et CHF 15’000.- le 27 mars 2018.

B. a. Par décision du 4 novembre 2022, le SPC a rejeté la demande de prestations compte tenu du fait que la fortune de l’intéressé dépassait le seuil de CHF 100’000.-. Le SPC a tenu compte d’une part de succession de CHF 187’551.35 reçue en 2017 (valeur au 31 décembre 2017) et a constaté que la fortune annoncée à l’administration fiscale fin 2018 n’était plus que de CHF 75’700.-. Il existait ainsi une diminution de fortune de CHF 111’851.35. Après amortissement de CHF 10’000.- par an, la diminution de fortune non justifiée était de CHF 90’851.- le 1er janvier 2022. À ce montant, le SPC a ajouté les avoirs en banque (CHF 61’345.19), ce qui l’a conduit à retenir une fortune de CHF 152’196.19, supérieure au seuil de CHF 100’000.- au-delà duquel une personne seule ne peut pas prétendre à des prestations complémentaires.

b. La curatrice de l’intéressé a fait opposition à cette décision le 22 novembre 2022, en justifiant, tableaux de dépenses et ressources à l’appui, une diminution de fortune de CHF 78’259.41 et le versement d’une provision en sa faveur de CHF 6’000.- en 2019. La diminution non justifiée était selon elle que de CHF 44’433.45. Après amortissement sur quatre ans, la diminution injustifiée ne s’élevait plus qu’à CHF 4’433.45.-. Entre octobre et le 18 avril 2018, l’intéressé avait dépensé pour son entretien CHF 94’982.53 et reçu CHF 43’925.35 de rentes diverses pour la même période, soit un déficit de CHF 51’057.18. Entre le 26 juin 2019 et le 30 avril 2020, il avait dépensé CHF 67’350.48 et avait reçu CHF 40’148.25, soit un déficit de CHF 27’202.23 (soit en tout CHF 78’259.41). Entre ces deux périodes, il n’existait pas de justificatif. Du 30 avril 2020 au 30 avril 2022, le budget était équilibré selon la curatrice.

c. Par décision sur opposition du 11 janvier 2023, le SPC a maintenu sa décision. Il ne pouvait pas tenir compte du montant de CHF 51’057.18 mentionné dans l’opposition, dans la mesure où il s’agissait d’un déficit existant avant le partage de succession. Les montants de CHF 27’202.23 et de CHF 6’000.- pouvaient en revanche être pris en compte, la fortune prise en compte étant de CHF 152’196.-. Ainsi même en en déduisant ces précédents montants, le droit à des prestations devait être nié.

d. Par courrier du 17 janvier 2023, la curatrice a confirmé que le montant de CHF 51’057.18 correspondait à un déficit antérieur au partage de succession. Cela étant, elle avait dû solliciter une avance de CHF 20’000.- en 2018, ce qui justifiait de retenir que la diminution de revenu était justifiée à hauteur de CHF 53’202.23. Seul un montant de CHF 37’648.77 n’était dès lors pas justifié. Après addition de celui-ci à la fortune de l’intéressé au 31 décembre 2021 (CHF 37’648.77 + 61’345.19 = 98’993.96.-), le seuil de CHF 100’000.- n’était pas dépassé.

C. a. Ce dernier courrier a été adressé à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre des assurances sociales) par le SPC pour raison de compétence. Il a été enregistré comme un recours.

b. Par courrier du 30 janvier 2023, la curatrice a adressé la décision attaquée à la chambre de céans et les pièces de son dossier.

c. Le 20 février 2023, le SPC a conclu au rejet du recours, l’avance sur succession de CHF 20’000.- n’étant pas démontrée ni établie sur les avis de taxation. Les montants de CHF 5’000.- et de CHF 15’000.- mentionnés dans la convention de partage avaient été versés en 2018, de sorte qu’ils ne pouvaient justifier des dépenses de 2017.

d. Il n’a pas été déposé de réplique.

e. La chambre de céans a sollicité de la représentante de l’intéressé notamment tous les relevés bancaires de fin d’année de son protégé pour les années 2017 à 2022 afin de pouvoir constater où avaient été versés les montants de la succession.

f. Les extraits de comptes produits mettent en évidence un solde d’héritage de CHF 123’799.60 versé sur le compte ouvert à cet effet par l’intéressé, le 26 septembre 2018. À la fin 2018, seul un montant de CHF 67’379.50 se trouvait sur ce compte. Deux avances de respectivement CHF 5’000.- et CHF 15’000.- avaient été prélevées par la curatrice pour couvrir le déficit du budget de son protégé les 6 et 27 mars 2018 et deux autres avances de CHF 15’000.- étaient mentionnées les 20 juillet et 21 août 2018, de sorte que seul un montant de CHF 123’799.60 avait été versé à titre de succession.

g. Les pièces ainsi obtenues ont été transmises au SPC lequel a pris position le 13 octobre 2023. Ce dernier a constaté avec la chambre de céans notamment que le solde d’héritage versé à l’intéressé s’élevait à CHF 123’799.60. Un montant de CHF 67’376.50 avait été dépensé sans justificatif en 2018, de sorte qu’un dessaisissement de CHF 37’379.50 devait être pris en compte au 1er janvier 2022 (après déduction de CHF 10’000.- d’amortissement les 1er janvier 2020, 2021 et 2022). Si les montants de CHF 5’000.- et CHF 15’000.- versés à titre d’avances les 6 et 27 mars 2018 avaient bien servi à couvrir un déficit dans le budget de l’intéressé comme l’avait démontré sa curatrice, il n’existait pas de preuve de l’utilisation des deux avances de CHF 15’000.- prélevées les 20 juillet et 21 août 2018. Le SPC souhaitait obtenir la preuve que ces avances avaient été utilisées contre prestation adéquate. À défaut de quoi, il fallait retenir que l’intéressé s’était dessaisi de CHF 37’379.50 et de CHF 30’000.- sans contre-prestation adéquate. Le dessaisissement s’élevait dès lors à CHF 67’379.50 au 1er janvier 2022, auquel devait s’ajouter la fortune existante de CHF 61’345.19.

h. Interrogée sur les deux avances de CHF 15’000.-, la curatrice a indiqué par acte du 9 novembre 2023, pièces bancaires à l’appui, que ces montants avaient été versés sur le compte courant de son protégé (relevé du 1er juillet au 31 août 2018) pour pallier son manque de liquidités, alors qu’elle n’était plus sa curatrice. L’intéressé avait retiré CHF 17’919.50 durant les mois de juillet et d’août 2018. En retenant des dépenses personnelles de CHF 2’000.- par mois, soit de CHF 4’000.- sur deux mois, seuls CHF 13’919.50 demeuraient injustifiés. Durant les mois de juillet à décembre 2018, l’intéressé avait retiré CHF 22’419.50. On pouvait considérer que CHF 12’000.- (soit CHF 2’000.- par mois) étaient justifiés à titre de dépenses personnelles ainsi que le paiement de CHF 4’462.30 à l’État de Genève, soit un montant de CHF 16’462.30, auquel la curatrice ajoutait CHF 13’629.10 (soit CHF 16’428.64 - 2’799.84 (encore en compte)) pour parvenir à un montant de CHF 30’091.40 justifié par des dépenses personnelles.

i. Par acte du 22 novembre 2023, le SPC a indiqué que les ressources de l’intéressé, jusqu’au versement de CHF 123’799.60 le 26 septembre 2018, lui permettaient de couvrir ses besoins vitaux. Un montant de CHF 21’587.70 prélevé entre juillet et septembre 2018 n’était dès lors pas justifié. À celui-ci devait être ajouté le montant du dessaisissement constaté au 31 décembre 2018 de CHF 67’379.50, soit un montant total de respectivement CHF 88’967.20 au 31 décembre 2018 et de CHF 58’967.20 au 1er janvier 2022. À ce montant devait s’ajouter le solde en compte (CHF 61’345.15), de sorte que la fortune totale de CHF 120’312.35 dépassait toujours le seuil de CHF 100’000.-. En revanche dès le 1er janvier 2023, la fortune n’était plus que de CHF 37’039.54 et le dessaisissement de CHF 48’967.20, de sorte que le seuil n’était plus dépassé. Le SPC proposait ainsi le renvoi de la cause pour l’année 2023.

j. Par acte du 14 décembre 2023, la curatrice a encore indiqué que les besoins vitaux ne pouvaient pas être de CHF 250.- par semaine comme le soutenait le SPC, mais étaient selon les barème en vigueur de CHF 20’100.- par an pour les PCF et de CHF 30’750.- pour le PCC. Il n’y avait pas eu dessaisissement de fortune de CHF 21’587.70 respectivement de CHF 67’379.50.

k. Le 18 janvier 2024, le SPC a rappelé que c’était sur la base du tableau des dépenses de l’intéressé qu’il avait été retenu que ce dernier parvenait à couvrir ses besoins vitaux au moyen de ses ressources. Il considérait ainsi que les deux versements de CHF 15’000.- n’avaient pas servi à couvrir des dépenses courantes et que l’intéressé s’était ainsi dessaisi d’un montant de CHF 21’587.70 durant les mois de juillet et d’août 2018.

l. À l’issue de l’instruction, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l’art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l’art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales, à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC). Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

1.3 La modification du 22 mars 2019 de la LPC est entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (Réforme des PC, FF 2016 7249 ; RO 2020 585).

1.4 Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l’ancien droit reste applicable trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des prestations complémentaires entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle. A contrario, les nouvelles dispositions sont applicables aux personnes qui n’ont pas bénéficié de prestations complémentaires avant l’entrée en vigueur de la réforme des prestations complémentaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_329/2023 du 21 août 2023 consid. 4.1).

1.5 En l’occurrence, le droit aux prestations complémentaires est né postérieurement au 1er janvier 2021, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur nouvelle teneur.

1.6 Le délai de recours est de 30 jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 43 LPCC ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA ‑ E 5 10]).

1.7 Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 9 de la loi cantonale sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).

2.              

2.1 Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations complémentaires, en particulier sur le montant de sa fortune nette à prendre en considération pour déterminer s’il respecte le seuil d’entrée et, dans ce cadre, sur le calcul des biens dessaisis.

2.2 Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC, ainsi que les conditions relatives à la fortune nette prévues à l’art. 9a LPC, ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de vieillesse de l’AVS, conformément à l’art. 4 al. 1 let. a LPC.

2.3 Les PCF se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (art. 3 al. 1 LPC). L’art. 9 al. 1 LPC prévoit que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants : a. la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de prestations complémentaires ni de prestations d’aide sociale ; b. 60% du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d LPC.

2.4 Le droit à une prestation complémentaire annuelle prend naissance le premier jour du mois au cours duquel la demande est déposée, pour autant que toutes les conditions légales soient remplies (art. 12 al. 1 LPC).

2.5 Ont droit aux PCC les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 LPCC). Le revenu déterminant est calculé conformément aux règles fixées dans la loi fédérale et ses dispositions d’exécution, moyennant certaines adaptations, dont le fait que les PCF sont ajoutées au revenu déterminant.

2.6 Le droit à une prestation prend par ailleurs naissance le premier jour du mois où la demande est déposée et où sont remplies toutes les conditions légales auxquelles il est subordonné (art. 18 al. 1 LPCC).

2.7 Conformément à l’art. 9a al. 1 let. a LPC, la fortune nette d’une personne seule ne doit pas dépasser le seuil de CHF 100’000.- afin de pouvoir prétendre aux prestations complémentaires. Les parts de fortune visées à l’art. 11a al. 2 à 4 LPC font partie de la fortune nette au sens de l’al. 1 (art. 9a al. 3 LPC).

2.8 L’art. 2 al. 2 OPC-AVS/AI, intitulé « seuil d’entrée lié à la fortune », énonce que si une personne dépose une demande de prestation complémentaire annuelle, la fortune déterminante pour le droit à cette prestation est la fortune disponible le premier jour du mois à partir duquel la prestation est demandée.

2.9 D’après le commentaire de l’art. 2 OPC-AVS/AI établi en janvier 2020 par l’Office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) dans le cadre de la modification de l’OPC-AVS/AI, le droit à des prestations complémentaires n’existe que tant que toutes les conditions d’octroi sont remplies. Or, il est possible que la fortune d’un bénéficiaire de prestations complémentaires qui se situait initialement sous le seuil autorisé augmente à la suite d’un héritage ou d’un autre événement et en vienne à dépasser ce seuil. Dans ce cas, la personne concernée ne remplit plus toutes les conditions d’octroi et son droit à des prestations complémentaires expire à la fin du mois au cours duquel la fortune a dépassé le seuil autorisé. Il s’agit d’une conséquence de l’art. 12 al. 3 LPC qui n’exige pas de clarification supplémentaire au niveau de l’ordonnance. Pour vérifier si le seuil de la fortune visé à l’art. 9a al. 1 LPC est dépassé, il est tenu compte en principe du montant de la fortune pris en considération dans le calcul de la prestation complémentaire pour fixer l’imputation de la fortune. La réglementation applicable au calcul et à l’évaluation de la fortune nette conformément aux art. 17 al. 1 et 2 et 17a à 17e OPC-AVS/AI s’applique donc également à la détermination de la fortune nette selon l’art. 9a al. 1 LPC. Concernant plus spécifiquement l’art. 2 al. 2 OPC˗AVS/AI, le commentaire indique que les conditions d’octroi doivent être intégralement remplies pendant toute la période durant laquelle les prestations sont octroyées, mais uniquement pendant cette période. La disposition précise ce principe en ce qui concerne la fortune : pour décider si les conditions d’octroi relatives à la fortune sont remplies, c’est la fortune disponible le premier jour du mois à partir duquel les prestations complémentaires sont demandées qui est déterminante (p. 5 s.).

2.10 Dans un récent arrêt de principe, la chambre de céans, procédant à une interprétation de la LPCC, a retenu qu’en l’absence d’une révision législative de la LPCC suite à la réforme de la LPC, les nouveaux seuils d’entrée liés à la fortune prévus à l’art. 9a al. 1 LPC étaient également applicables, depuis le 1er janvier 2021, à l’octroi des PCC du fait du renvoi général qu’opère la LPCC à la LPC et du silence de la loi cantonale à ce sujet (ATAS/521/2023 du 29 juin 2023).

2.11 La réforme des prestations complémentaires a introduit un nouvel art. 11a LPC, relatif à la renonciation à des revenus ou parts de fortune, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Conformément à celui-ci, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé (al. 2). Un dessaisissement de fortune est également pris en compte si, à partir de la naissance d’un droit à une rente de survivant de l’AVS ou à une rente de l’AI, plus de 10% de la fortune est dépensée par année sans qu’un motif important ne le justifie, étant précisé que si la fortune est inférieure ou égale à CHF 100’000.-, la limite est de CHF 10’000.- par année, et que le Conseil fédéral règle les modalités, en définissant en particulier la notion de « motif important » (art. 11a al. 3 LPC). L’al. 3 s’applique aux bénéficiaires d’une rente de vieillesse de l’AVS également pour les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente (art. 11a al. 4 LPC). Selon l’al. 3 des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019, l’art. 11a al. 3 et 4 LPC ne s’applique qu’à la fortune qui a été dépensée après l’entrée en vigueur de la présente modification (arrêt du Tribunal fédéral 9C_329/2023 du 21 août 2023 consid. 4.2).

2.12 Selon l’art. 17b OPC-AVS/AI, il y a dessaisissement de fortune lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation (let. a), ou a consommé, au cours de la période considérée, une part de fortune excédant ce qui aurait été admis sur la base de l’art. 11a al. 3 LPC (let. b).

2.13 Le montant total de la fortune qui fait l’objet d’un dessaisissement correspondant ainsi à l’addition du montant dessaisi en cas d’aliénation (art. 11a al. 2 LPC) et du montant dessaisi en cas de consommation excessive de la fortune (art. 11a al. 3 LPC) (DPC, ch. 3531.01).

2.14 Lorsque la fortune diminue de façon substantielle sans que le bénéficiaire des prestations complémentaires puisse prouver l’utilisation qu’il en a faite, on suppose aussi, en principe, qu’il y a dessaisissement (DPC, ch. 3532.09).

2.15 Si le bénéficiaire des prestations complémentaires et les membres de sa famille disposaient de revenus suffisants pendant les années où la fortune a diminué, le montant du dessaisissement de fortune correspond à celui de la diminution de la fortune. À l’inverse, s’ils ne disposaient pas de revenus suffisants, le montant du dessaisissement de fortune correspond à la différence entre la diminution non justifiée de la fortune et la part de la fortune dépensée pour son entretien usuel (DPC, ch. 3532.10).

2.16 Le revenu est considéré comme suffisant s’il est supérieur à un montant forfaitaire applicable pour l’entretien usuel, et insuffisant s’il est inférieur à ce montant (DPC, ch. 3532.11).

2.17 Selon le ch. 3532.12 des DPC, le montant forfaitaire pour l’entretien usuel est déterminé en multipliant le montant destiné à la couverture des besoins vitaux pour les personnes seules pour l’année correspondante, soit CHF 19’450.- en 2020 (art. 10 al. 1 let. a ch. 1 LPC dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2020) et CHF 19’610.- en 2021 et 2022 (art. 10 al. 1 let. a ch. 1 LPC dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022) par le facteur applicable tel que défini à l’annexe 8, soit en l’occurrence 3.2 (cf. p. 279 des DPC).

2.18 Les revenus comprennent toutes les prestations périodiques, y compris les revenus visés à l’art. 11 al. 3 LPC (DPC, ch. 3532.14).

2.19 Le montant de la part de fortune qui a dû être utilisé pour l’entretien usuel en cas de revenus insuffisants correspond à la différence entre le montant forfaitaire pour l’entretien usuel applicable, y compris les contributions d’entretien, et le revenu effectif (DPC, ch. 3532.15).

2.20 En vertu de l’art. 17d OPC-AVS/AI, le montant du dessaisissement en cas de consommation excessive de la fortune correspond à la différence entre la consommation effective de la fortune et la consommation admise pour la période considérée (al. 1). La consommation admise de la fortune est calculée en appliquant à chaque année de la période considérée la limite de la consommation de la fortune autorisée à l’art. 11a al. 3 LPC et en additionnant les montants annuels ainsi obtenus (al. 2).

2.21 Selon les DPC, la période à prendre en considération se termine le 31 décembre de l’année précédant l’année civile pour laquelle le calcul de la prestation complémentaire est effectué (ch. 3533.07). Si un dessaisissement de fortune a eu lieu au cours de la période considérée en raison de l’aliénation de parts de fortune au sens du chapitre 3.5.3.2, le montant des parts de fortune dessaisies doit être déduit de la consommation effective de la fortune (ch. 3533.09).

2.22 L’art. 17e al. 1 OPC-AVS/AI prévoit que le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 et 3 LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de CHF 10’000.-. Le montant de la fortune au moment du dessaisissement doit être reporté tel quel au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement pour être ensuite réduit chaque année (al. 2). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

2.23 Il faut qu’une année civile entière au moins se soit écoulée entre le moment où l’intéressé a renoncé à des parts de fortune et le premier amortissement de fortune (Ralph JÖHL, Die Ergänzungsleistung und ihre Berechnung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, p. 1816 n. 247).

2.24 Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n’existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

2.25 Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Mais ce principe n’est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). En particulier, dans le régime des prestations complémentaires, l’assuré qui n’est pas en mesure de prouver que ses dépenses ont été effectuées moyennant contre-prestation adéquate ne peut pas se prévaloir d’une diminution correspondante de sa fortune, mais doit accepter que l’on s’enquière des motifs de cette diminution et, en l’absence de la preuve requise, que l’on tienne compte d’une fortune hypothétique (arrêt du Tribunal fédéral P 65/04 du 29 août 2005 consid. 5.3.2 ; VSI 1994 p. 227 consid. 4b). Mais avant de statuer en l’état du dossier, l’administration devra avertir la partie défaillante des conséquences de son attitude et lui impartir un délai raisonnable pour la modifier ; de même devra-t-elle compléter elle-même l’instruction de la cause s’il lui est possible d’élucider les faits sans complications spéciales, malgré l’absence de collaboration d’une partie (cf. ATF 117 V 261 consid. 3b ; 108 V 229 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral P 59/02 du 28 août 2003 consid. 3.3 et les références).

2.26 En l’espèce, le recourant conteste disposer d’une fortune dépassant la valeur seuil fixée par la loi à CHF 100’000.- pour une personne seule.

3.              

En l’espèce, l’instruction de la cause a permis de démontrer que le recourant avait droit, selon une convention de partage de la succession de juin 2018, à CHF 187’551.35 et sa fille à CHF 100’004.50. Le recourant devait percevoir une partie de ce montant sous forme de mobilier (CHF 15’930.-) et devait payer les montants de CHF 1’913.90 équivalent au passif patrimonial et de CHF 5’219.30 correspondant au quart des passifs successoraux. Devaient en outre être déduites deux avances reçues les 6 et 27 mars 2018 (CHF 5'000.- et CHF 15'000.-). Le recourant n’a, dans les faits, reçu qu’un montant de CHF 123’799.60, le 26 septembre 2018, à la suite du partage de succession, lequel montant tenait compte de deux avances supplémentaires des 20 juillet et 21 août 2018, (CHF 15'000.- x 2) et d’un différentiel de CHF 2'723.50 en faveur du recourant suite à la vente de titres.

Il est incontesté que les avances des 6 et 27 mars 2018 étaient destinées à couvrir le déficit du budget du recourant, de sorte qu’elles n’ont pas été considérées comme un dessaisissement. Quant aux avances reçues les 20 juillet et 21 août 2018, l’intimé les considère comme un dessaisissement faute de preuve de leur utilisation et, partant, de la contreprestation équivalente.

L’on constate dans les relevés bancaires du recourant que seul un montant de CHF 56'421.10 se trouvait encore sur son compte le 31 décembre 2018, de sorte qu’un solde de CHF 67'379.50 a été prélevé entre l’ouverture du compte le 19 septembre 2018 et le 31 décembre 2018.

Un dessaisissement de CHF 37'379.50 doit être pris en compte au 1er janvier 2022 (après déduction de CHF 10’000.- d’amortissement les 1er janvier 2020, 2021 et 2022).

Quant aux avances de CHF 30'000.-, la chambre de céans constate avec l’intimé (dans ses dernières écritures) qu’au vu des pièces produites par le recourant, ce dernier a prélevé CHF 21'587.70 entre les mois de juillet et d’août 2018 sans justificatif établi puisque ses ressources couvraient ses besoins selon le tableau établi par la curatrice. En effet, dans ce tableau, les ressources du recourant se montaient à CHF 6'284.40 par mois en 2018 et ses charges à CHF 6'345.45 par mois, de sorte qu’il existait un déficit de seulement CHF 61.05 par mois. Par conséquent, les prélèvements additionnés (soit un montant de CHF 21'587.70) ne peuvent pas être considérés comme ayant été destinés à couvrir des charges courantes.

La chambre de céans constate ainsi qu’il convient d’ajouter au montant du dessaisissement de CHF 67’379.50 au 1er janvier 2022, un montant de CHF 21'587.70, desquels il convient de retrancher CHF 10'000.- par an.

Le dessaisissement total à prendre en compte est dès lors de CHF 58'967.20. En y ajoutant la fortune existante de CHF 61’345.19, le seuil de CHF 100'000.- est dépassé (CHF 58'967.20 + CHF 61’345.19 = CHF 120'312.39).

Le seuil de CHF 100’000.- était dès lors atteint au 1er janvier 2022.

En revanche, au 1er janvier 2023, le recourant n’avait plus que CHF 37'029.54 sur ses comptes, de sorte qu’en y ajoutant un dessaisissement de CHF 48'967.20, le seuil n’est plus dépassé.

Le recours sera partiellement admis et la décision attaquée annulée en tant qu’elle retient un dessaisissement de CHF 90'851.- au 1er janvier 2022.

La cause sera renvoyée à l’intimé pour qu’il statue sur les droits du recourant dès le 1er janvier 2023.

Le recourant, représenté par une curatrice, qui obtient partiellement gain de cause, se verra allouer un montant de CHF 2’000.- à titre de dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite.

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision du 11 janvier 2023 en tant qu’elle retient des biens dessaisis de CHF 90'851.- au 1er janvier 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens à charge de l’intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le