Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3988/2021

ATAS/692/2022 du 09.08.2022 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3988/2021 ATAS/692/2022

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 9 août 2022

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à Genève, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Daniela LINHARES

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, Genève

 

 

intimé

 

 

EN FAIT

1.        Monsieur A______ (ci-après : l'assuré ou le recourant), né en1967 et originaire du Portugal, est marié et père de trois enfants adultes. Il est sans formation et a travaillé en tant que maçon au Portugal, en France et en Espagne, ainsi qu'en Suisse après son arrivée en 2009, en dernier lieu chez B______.

2.        Le 18 mars 2017, l'assuré a fait une chute en arrière à son domicile suite à un malaise, laquelle a provoqué un traumatisme crânien et cervical avec une fracture du pédicule gauche de C2 et de l'uncus C3, ainsi qu'une spondylolisthésis C2-C3. Depuis lors, il est en incapacité de travail totale.

3.        Les suites de l'accident ont été prises en charge par la caisse nationale suisse en cas d'accidents (ci-après : la SUVA).

4.        Le 22 mars 2017, l'assuré a subi une intervention chirurgicale consistant en la fixation de C1-C3.

5.        Le 6 octobre 2017, l'assuré a requis les prestations de l'assurance-invalidité auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé), après le refus des prestations par cette assurance suite à une demande déposée en 2015 à cause d'une atteinte au genou gauche.

6.        Du 31 octobre au 27 novembre 2018, l'assuré a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : la CRR) à Sion. À titre de comorbidités aux diagnostics résultant de l'accident, les médecins de cette clinique ont notamment constaté une légère polyneuropathie liée à une probable consommation d'alcool chronique et nocive à la santé, ainsi qu'à un possible diabète débutant. La participation de l'assuré a été considéré comme importante et aucune incohérence n'a été relevée. La prise en charge dans les ateliers professionnels avait dû être interrompue en raison de rachialgies. Un changement professionnel paraissait inéluctable. Le cas n'était pas encore stabilisé. Il y avait des limitations fonctionnelles provisoires pour le port de charges supérieures à 5 kg, les mouvements répétés et de grande amplitude du rachis cervical et la position statique prolongée. Le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles était théoriquement favorable, mais les facteurs personnels et contextuels pourraient interférer avec le processus de réorientation.

7.        Le 14 mai 2019, l'assuré a été examiné par le médecin d'arrondissement de la SUVA, le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Il se plaignait de la persistance des douleurs cervicales, brachialgies et douleurs occipitales de 6/10 sur l'échelle d'évaluation visuelle analogique d'évaluation de la douleur (ci-après : EVA), exacerbées lors des mouvements des membres supérieurs qu'il n'arrivait que difficilement à lever au-dessus de l'horizon. Il vivait seul avec son fils, son épouse étant restée au Portugal. L'examen clinique était objectivement en relation avec l'état subjectif. Le Dr C______ a constaté une raideur de la nuque importante, une limitation des mouvements des membres supérieurs à 110-120°, une rotation interne limité à D12 et une préhension extrêmement faible à 8 kg. Les limitations fonctionnelles établies par la CRR étaient toujours d'actualité.

8.        Lors de la consultation du 29 juin 2019 au service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : les HUG), le docteur D______, spécialiste FMH en neurochirurgie, a constaté à l'examen clinique une douleur à la palpation de la musculature cervicale et une mobilité de la tête fortement restreinte.

9.        Dans son rapport du 2 mai 2020, le docteur E______, généraliste FMH et médecin traitant, a attesté qu'il y avait peu d'amélioration deux ans après le traumatisme. L'assuré était invalide compte tenu d'une mobilité très réduite du rachis et d'une raideur invalidante.

10.    Dans son rapport relatif à l'examen final en date du 24 septembre 2020, le Dr C______ a mentionné que les plaintes de l'assuré avaient peu évolué depuis son séjour à la CRR. L'assuré décrivait des douleurs en casque, irradiant dans les épaules, exacerbées par les manœuvres de Valsalva. La raideur de la nuque le gênait dans ses activités et il devait effectuer une rotation du tronc pour tourner la tête. Les mouvements des membres supérieurs étaient limités, car ils réveillaient la douleur cervicale. À l'examen clinique, le Dr C______ a constaté une raideur de la nuque importante en flexion/extension, des limitations des mouvements des membres supérieurs à l'élévation avec des douleurs entraînant une faiblesse diffuse, une préhension au Jamar faible (16 kg à droite et 10 kg à gauche, soit très inférieur à la norme pour son âge qui est de 40 kg). L'examen clinique était en cohérence avec les plaintes. L'état était stabilisé. La capacité de travail était nulle en tant que maçon. L'assuré présentait des limitations fonctionnelles pour le port de charges supérieures à 5 kg, des mouvements répétés dans tous les modes et de grande amplitude du rachis cervical et les positions statiques prolongées. Dans une activité strictement adaptée à ces limitations, la capacité de travail était de 100%. L'atteinte à l'intégrité a été évaluée à 22,5%.

11.    Le 3 novembre 2020, la SUVA a informé l'assuré qu'elle mettait fin au versement des indemnités journalières et au paiement des soins médicaux, hormis le traitement antalgique, avec effet au 1er mars 2021. Elle allait par ailleurs examiner le droit à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité.

12.    Dans son avis médical du 14 décembre 2020, le service médical régional de l'assurance-invalidité pour la Suisse romande (ci-après : le SMR) a retenu une capacité de travail totale, dès le 1er mars 2019, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles déterminées par la SUVA, auxquelles il a encore ajouté l'absence de flexion prolongée des genoux et d'utilisation répétée d'escalier.

13.    Dans son rapport final du 31 mai 2021, la division de réadaptation professionnelle de l'OAI a constaté que des mesures de reclassement professionnel n'avaient pas pu être mises en place, l'assuré ayant la conviction d'être inapte à toute tâche. Il maitrisait par ailleurs mal le français, avec des lacunes en écriture et lecture. Compte tenu des limitations retenues, l'assuré pourrait exercer à 100% toute activité lucrative adaptée qui ne nécessitait pas de formation complémentaire, sur le marché équilibré du travail. La perte de gain dans une telle activité adaptée était de 21%, en tenant compte d'un abattement des salaires statistiques de 15%.

14.    Le 24 juin 2021, l'OAI a informé l'assuré qu'il avait l'intention de lui octroyer une rente limitée à la période du 1er avril 2018 au 31 mai 2019 et lui refuser le droit à une rente à partir de juin 2019, dès lors que sa capacité de travail était considérée entière dans une activité adaptée dès mars 2019 et que sa perte de gain n'ouvrait pas le droit aux prestations.

15.    Par décision du 21 octobre 2021, l'OAI a confirmé son projet de décision.

16.    Par acte du 22 novembre 2021, l'assuré a recouru contre cette décision, par l'intermédiaire de son conseil, en concluant à son annulation et à l'octroi d'une rente d'invalidité entière, subsidiairement à une rente entière jusqu'en février 2021, puis à un quart de rente et à l'octroi d'une mesure de reclassement et de réadaptation, sous suite de dépens. À titre préalable, il a notamment conclu à la mise en œuvre d'une expertise médicale judiciaire et d'une expertise auprès des Établissements pour l'intégration (ci-après: les ÉPI) pour déterminer sa capacité de travail. En premier lieu, il a contesté que son état fût stabilisé. Par ailleurs, en admettant la stabilisation de son état, c'était seulement le cas à partir du 3 novembre 2020, comme la SUVA l'avait constaté. Le recourant a aussi contesté le calcul de sa perte de gain. Quant à la mesure de réadaptation, il ne s'y était jamais opposé et avait uniquement rappelé que son état de santé ne lui permettait pas de travailler. Il souhaitait retravailler dans une autre profession, même s'il n'avait travaillé depuis l'âge de 17 ans qu'en tant que maçon.

17.    Dans sa réponse du 16 décembre 2021, l'intimé a conclu au rejet du recours. Tant les médecins du SMR que ceux de la SUVA s'accordaient sur la date à partir de laquelle le recourant présentait une capacité de travail résiduelle dans une activité adaptée. L'intimé a par ailleurs maintenu son calcul de la perte de gain. Quant à la mesure d'ordre professionnel, il a relevé que le recourant avait déclaré ne pas se projeter vers une cible professionnelle ni envisager un quelconque projet d'orientation professionnelle. Il a également indiqué ne pouvoir exercer aucune activité professionnelle à cause de ses problèmes de santé. À défaut d'aptitude subjective à la réadaptation, c'était à juste titre qu'une mesure d'ordre professionnel n'avait pas été mis en place.

18.    Dans sa réplique du 20 janvier 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions et a informé la chambre de céans que la SUVA lui avait notamment accordé une rente de 28%, par décision du 23 décembre 2021, à laquelle il allait faire opposition.

19.    Dans sa duplique du 31 janvier 2022, l'intimé a maintenu ses conclusions. La perte de gain était déterminée de façon différente dans l'assurance-accidents et l'assurance-invalidité. En tout état de cause, un taux d'invalidité inférieur à 40% ne donnait pas droit aux prestations.

20.    Invité à soumettre le dossier à son service de réadaptation professionnelle pour déterminer les activités accessibles au recourant, l'intimé a informé le 13 juin 2022 la chambre de céans que ce service avait retenu à ce titre la logistique légère, réceptionniste ou travail de bureau, des tâches simples de surveillance, vérification ou contrôle.

21.    Le 30 juin 2022, la chambre de céans a informé les parties qu'elle avait l'intention de mettre en œuvre une expertise orthopédique judiciaire et de mandater à cette fin le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur.

22.    Par écriture du 19 juillet 2022, l'intimé a accepté la proposition d'expert et a sollicité l'ajout d'une question complémentaire.

23.    Par écriture du 25 juillet 2022, le recourant a également accepté l'expert proposé et a requis que la mission de l'expert soit complétée.

 

EN DROIT

1.             Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que lorsque les instances cantonales de recours constatent qu'une instruction est nécessaire parce que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise, elles sont en principe tenues de diligenter une expertise judiciaire si les expertises médicales ordonnées par l’office cantonal de l’assurance-invalidité ne se révèlent pas probantes (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3). Cela étant, un renvoi à l'administration pour mise en œuvre d'une nouvelle expertise reste possible, même sous l'empire de la nouvelle jurisprudence, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

2.             En l'occurrence, seul le médecin de la SUVA s'est déterminé sur la capacité de travail du recourant. Il considère que celui-ci présente une capacité de travail entière dans une activité professionnelle adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Toutefois, le médecin traitant est d'un avis opposé et atteste une incapacité de travail totale. De ce fait et compte tenu des douleurs importantes décrites par le recourant que le Dr C______ a jugées en cohérence avec l'examen clinique, la chambre de céans a des doutes quant à l'appréciation de la capacité de travail par ce médecin.

Aussi s'avère-t-il nécessaire de mettre en œuvre une expertise judiciaire.

3.             Celle-ci sera confiée au Dr F______.

4.              

4.1 Quant à la mission de l'expert, l'intimé sollicite que celui-ci effectue un dosage sanguin des traitements antidouleurs, afin d'établir la compliance du recourant. Toutefois, la chambre de céans ne juge pas nécessaire un tel contrôle, dans la mesure où un traitement antalgique n'a aucune visée curative et où il ne doit en principe pas être administré en permanence, compte tenu des effets secondaires. Par ailleurs, des antalgies seraient probablement surtout nécessaires si le recourant devait reprendre une activité lucrative.

4.2 En ce qui concerne les propositions de complément de la mission de l'expert par le recourant, il en sera tenu compte dans la mesure jugée nécessaire.


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

A.           Ordonne une expertise médicale du recourant.

B.            Commet à ces fins le docteur F______, spécialiste FMH en en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, à Nyon.

C.           Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A. Prendre connaissance du dossier de la cause.

B. Examiner l’expertisé et, si nécessaire, ordonner d’autres examens.

C. Charge l’expert d’établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :

1.        Anamnèse avec description d'une journée type

2.        Plaintes

3.        Diagnostics

4.        Depuis quand l'état de santé est-il stabilisé?

5.        Limitations fonctionnelles

5.1. Quelles sont les limitations fonctionnelles d'un point de vue orthopédique?

5.2. L'expertisé est-il également limité par les douleurs, même dans une activité strictement adaptée?

5.3. Devrait-il prendre des antidouleurs pour pouvoir mettre en valeur sa capacité de travail dans une activité strictement adaptée et, si oui, lesquels? Le cas échéant, y-a-t-il des limitations fonctionnelles en raison des effets secondaires de la médication antalgique?

6.        Capacité de travail

6.1. Quelle est la capacité de travail de l'expertisé dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles?

6.2.Y-a-t-il une diminution de rendement, notamment le cas échéant à cause d'effets secondaires de la médication antalgique?

7.        Des mesures de réadaptation professionnelles sont-elles envisageables?

8.        Pronostic

9.        Comment vous déterminez-vous sur l'appréciation de la capacité de travail par le Dr C______?

10.    Quelles autres observations avez-vous éventuellement à ajouter?

D.           Invite l’expert à déposer, dans un délai de trois mois, son rapport en trois exemplaires auprès de la chambre de céans.

E.            Réserve le fond.

 

La greffière

 

 

 

 

Maryline GATTUSO

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le