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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1901/2021

ATAS/631/2022 du 30.06.2022 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1901/2021 ATAS/631/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2022

3ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié p. a. Autorité Tutélaire, rue des Glacis-de-Rive 6, GENÈVE, représenté par le Service de protection de l'adulte

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

 

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en ______ 1976, a travaillé en qualité d’aide-soignant jusqu’en 2005, année depuis laquelle il est au bénéfice de prestations de l’Hospice général. Divorcé et père d’une fille née en 2000, il fait l’objet d’une mesure de curatelle de portée générale depuis mars 2012.

b. Par l’intermédiaire du service de protection de l’adulte, l’assuré a déposé, le 1er juillet 2013, une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) en invoquant des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de produits psychotropes, une stéatose hépatique et une polytoxicomanie.

c. Par décision du 10 mars 2016, l’OAI lui a octroyé une rente entière d’invalidité rétroactivement dès le 1er janvier 2014, sur la base d’un degré d’invalidité de 75%, tout en précisant qu’il était tenu de suivre régulièrement le traitement exigé. Cette décision a été rendue à l’issue d’une instruction ayant permis de recueillir, notamment, les éléments suivants :

-          une expertise diligentée par l’office en 2015 auprès du professeur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, médecin chef de service au département de santé mentale et de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), et de la doctoresse C______, médecin interne au service de psychiatrie des HUG. Dans leur rapport du 6 juillet 2015, les experts ont retenu les diagnostics avec effet sur la capacité de travail suivants : trouble dépressif récurrent depuis 1994, d’intensité légère à modérée (F33.1) ; troubles mentaux et du comportement, liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance avec utilisation continue depuis 2013 (F10.25) ; troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance depuis 2013 (F12.24) ; troubles psychiatriques sur opiacés, syndrome de dépendance, avec substitution sous surveillance médicale depuis 2009 (F11.22) ; personnalité émotionnellement labile, type borderline (F60.31). Les experts ont également mentionné une stéatose hépatique depuis 2012, en précisant qu’elle était sans effet sur la capacité de travail.

Dans leur appréciation, les experts ont exposé que l’assuré souffrait depuis plusieurs années d’un trouble dépressif récurrent et d’un syndrome de dépendance à de multiples substances. Le parcours de vie évoquait des difficultés dans la relation à l’autre, avec une peur de l’abandon récurrente et des efforts, souvent désespérés à maintenir la relation, évoquant une personnalité émotionnellement labile. Les comportements de l’assuré étaient souvent impulsifs. Malgré les différentes mesures prises dans le passé, l’assuré présentait toujours des épisodes dépressifs et consommait de multiples substances à forte dépendance. Du fait de la nature de ses troubles, ainsi que de leur impact sur le fonctionnement social et interpersonnel, le pronostic était réservé et la capacité de travail diminuée. Une prise en charge plus intensive, psychothérapeutique et psycho-éducative, ainsi que des ajustements du traitement psychopharmacologique, étaient susceptibles de réduire l’intensité des symptômes. La difficulté de l’assuré à faire des concessions et à accepter un cadre psycho-éducatif, due à la nature même de son trouble de la personnalité, représentait toutefois un obstacle au bon déroulement d’une telle prise en charge. Cela étant, une activité professionnelle à temps partiel, avec un cadre structuré, pourrait avoir un effet bénéfique au plan clinique et constituer une ressource dans le futur.

S’agissant de la capacité de travail, les épisodes dépressifs récurrents engendraient une importante fatigue et contribuaient à la diminution de l’attention, de la concentration et de l’estime de soi. En outre, les dépendances à plusieurs substances dont souffrait l’assuré réduisaient partiellement ses capacités cognitives, son attention et sa concentration. De surcroît, en raison du trouble de la personnalité de type borderline, les relations à autrui pouvaient être compliquées, rendant difficiles la collaboration et le respect de consignes dans le cadre du travail. Les limitations psychiques réduisaient sensiblement la capacité de travail de l’assuré dans toute activité et la capacité de travail résiduelle était évaluée à 25%, soit deux heures par jour. L’incapacité de travail existait depuis 2006, mais avait transitoirement diminué en 2013, lorsque l’assuré avait bénéficié d’un cadre psycho-éducatif au foyer de l’EPI. Les troubles psychiques rendaient très difficile une adaptation à un environnement professionnel. Toutefois, le travail dans un milieu valorisant était susceptible d’améliorer l’image de soi. Des mesures de réadaptation professionnelle étaient envisageables et les experts suggéraient que l’assuré bénéficie d’un suivi psychiatrique touchant l’ensemble de ses problèmes psychiques. Une réduction de la consommation d’alcool et de cannabis était propre à améliorer les capacités d’attention et de concentration, tandis qu’une amélioration de la thymie permettrait d’acquérir plus de régularité dans la discipline exercée.

-          un complément d’expertise rendu le 12 septembre 2015 par les experts à la demande du SMR. Répondant aux questions posées, ils ont exposé que l’assuré avait commencé à consommer plusieurs substances (alcool, cannabis et cocaïne) à la fin de l’année 2002, depuis que son épouse avait obtenu la garde de leur fille. Les consommations étaient devenues problématiques à partir de 2004, année durant laquelle un arrêt maladie avait été établi et une hospitalisation en psychiatrie était devenue nécessaire. Actuellement, l’invalidité était due à la comorbidité d’un trouble dépressif récurrent présent et d’un trouble de la personnalité borderline ; ces deux pathologies étaient en soi suffisantes pour engendrer la baisse de sa capacité de travail. La polytoxicomanie devait être considérée comme un élément accompagnant le trouble de la personnalité et la perturbation affective, mais n’en était pas la cause. Il était possible que les dépendances aient entraîné des séquelles potentiellement irréversibles au niveau neuropsychologique. Toutefois, ces séquelles ne pourraient être objectivables qu’après un sevrage de plusieurs mois, pouvant permettre un bilan neuropsychologique fiable. Chez l’assuré, les dépendances entretenaient le trouble de l’humeur, ce qui témoignait d’un cercle vicieux caractéristique. En cas d’arrêt des consommations de toxiques, il était probable que le tableau psychique soit partiellement réversible. Un sevrage devait permettre non seulement une amélioration des compétences cognitives et des capacités d’attention et de concentration, mais aussi une amélioration de l’efficacité de la prise en charge du trouble de l’humeur. La capacité de travail médico-théorique était de 25%, soit deux heures par jour, tant dans l’activité habituelle d’aide-soignant que dans une activité adaptée, ceci depuis 2006, sous réserve d’une amélioration transitoire en 2013, lorsque l’assuré avait été suivi au foyer de l’EPI ;

-          deux avis rédigés les 19 octobre et 17 décembre 2015 par les médecins du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : le SMR), retenant, sur la base de l’expertise des Drs B______ et C______, une capacité de travail de 25% depuis 2006, préconisant en outre la mise en place d’un suivi psychiatrique-psychothérapeutique, ainsi qu’une révision du dossier dans une année. L’atteinte incapacitante retenue était un trouble dépressif récurrent, actuellement d’intensité légère à modérée. La dépression était entretenue par l’alcoolisme, de sorte qu’un sevrage paraissait propre à améliorer la capacité de travail, pour autant qu’il n’y ait pas de séquelles cognitives irréversibles. Cela devait être vérifié une fois que l’assuré serait capable de maintenir un sevrage complet.

B. a. En janvier 2017, l’OAI a initié une procédure de révision de rente.

b. Invitée par l’OAI à compléter un rapport, la doctoresse D______, médecin auprès de la consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique des HUG (ci-après : la CAAP), a retenu, dans son rapport du 28 mars 2017, les diagnostics sans effets sur la capacité de travail de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance (F10) et des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’opiacés, syndrome de dépendance (F11). L’assuré, qu’elle suivait depuis novembre 2015, avait réduit ses consommations d’opiacés, mais augmenté celles d’alcool. Il n’y avait pas de comorbidité psychiatrique ni somatique, hormis un trouble de l’anxiété sans conséquences sur le fonctionnement socio-relationnel. Le patient était stable, avec une amélioration de la thymie et de l’anxiété. Les consommations d’alcool variaient selon les contrariétés de la vie (whisky 100 ml). Le traitement consistait en la prise de Méthadone (75 mg), d’Anxiolit (15 mg – 150 mg/j) et de Sertaline (50 mg/j). Une activité lucrative n’était pas exigible et on ne pouvait s’attendre à une reprise d’activité professionnelle, respectivement à l’amélioration de la capacité de travail, qu’elle évaluait à 0%, tant dans l’activité antérieure que dans une activité adaptée.

c. Le 2 janvier 2018, la doctoresse E______, médecin auprès du SMR, a relevé que, suite au suivi mis en place à la CAAP dès novembre 2015, le psychiatre avait constaté, après quinze mois de prise en charge, une amélioration de la thymie et de l’anxiété, avec la réduction des consommations d’opiacés, mais une persistance de la dépendance à l’alcool, empêchant l’assuré de travailler et de s’intégrer dans la société. Le psychiatre traitant ne retenait plus de comorbidités psychiatriques incapacitantes, ni de limitations fonctionnelles. Dans ce contexte, il convenait de conclure que le syndrome de dépendance était d’origine primaire et n’avait plus valeur d’atteinte à la santé au sens de l’assurance-invalidité.

d. En date du 5 janvier 2018, l’OAI a informé l’assuré qu’il envisageait de supprimer sa rente d’invalidité.

e. Le 14 février 2018, l’assuré a contesté la position de l’OAI, en faisant valoir que son état de santé ne s’était pas amélioré.

Il a produit un rapport établi le 9 février 2018 par la doctoresse F______, du service d’addictologie des HUG, qui le suit depuis novembre 2017. L’assuré était connu pour des troubles mentaux et du comportement, liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F10.25), mais également pour des troubles mentaux liés à l’utilisation d’opiacés (syndrome de dépendance, avec un régime de substitution – F11.22), à l’utilisation de dérivés du cannabis (syndrome de dépendance – F12.2) et à l’utilisation de sédatifs ou d’hypnotiques (F13.2). L’assuré souffrait par ailleurs d’un trouble dépressif récurrent (F33.00) et d’une personnalité émotionnellement labile, type borderline (F60.31) qui avaient été palliés par la consommation active de 4.5 litres de bière forte par jour, deux-trois joints par jour en sus d’un traitement anxiolytique (Seresta). Par le passé, l’assuré avait également bénéficié d’un traitement antidépresseur. Il se plaignait d’une labilité émotionnelle importante et d’une faible tolérance à la frustration, s’inscrivant dans son trouble de la personnalité et entraînant des conséquences sur le plan social (isolement), familial (rupture et conflit) et professionnel. Dans ce contexte, on pouvait envisager un suivi intégré psychiatrique et psychothérapeutique avec l’introduction d’un nouvel antidépresseur. Le pronostic était réservé, compte tenu de la nature des troubles psychiatriques et leur impact sur le fonctionnement social, familial et interpersonnel. Une reprise du travail à 100% n’était pas exigible en raison du caractère stationnaire du tableau clinique, avec une labilité émotionnelle importante, une faible tolérance au stress et un risque de rechute de la dépression. Seule pouvait éventuellement être envisagée une reprise du travail à 30%, avec un cadre structuré et dans un milieu valorisant.

f. Le 28 mars 2018, la Dresse E______ a proposé la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, compte tenu de discordances dans l’appréciation de l’exigibilité par les médecins du CAAP et d’une intrication d’atteintes psychiatriques et d’addictions multiples non sevrées.

g. L'OAI a confié la réalisation de cette expertise au docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

h. Le Dr G______ a adressé à l’assuré, respectivement au service de protection de l’adulte, des convocations pour deux rendez-vous fixés les 3 août 2018 et 25 septembre 2018 (cf. courriers des 5 juin et 3 août 2018).

i. Par sommation adressée au service de protection de l’adulte le 6 août 2018, l’OAI a relevé que l’assuré ne s’était pas présenté à la convocation du 3 août 2018 et lui a rappelé son obligation de collaborer.

j. L’assuré ne s’est pas présenté non plus à la seconde convocation.

k. Par décision du 27 septembre 2018, l’OAI a supprimé la rente d’invalidité, au motif que l’assuré ne s’était pas présenté aux convocations de l’expert, malgré une sommation. En l’état du dossier, l’existence d’une atteinte à la santé ayant valeur d’invalidité n’était pas établie.

l. Saisie d’un recours de l'assuré, la Cour de céans, par arrêt du 24 octobre 2019, l’a partiellement admis et a réformé la décision de suppression de rente d’invalidité du 27 septembre 2018, en ce sens que la suppression de la rente a été remplacée par la suspension de celle-ci et la cause renvoyée à l’intimé pour expertise et nouvelle décision.

m. Suite au renvoi de la cause par la Cour, l’OAI a diligenté une expertise psychiatrique auprès du docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Dans son rapport du 30 octobre 2020, l’expert a retenu les diagnostics – jugés tous sans effet sur la capacité de travail – de trouble dépressif récurrent léger depuis mars 2017 (F33.0), de trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse, non décompensé (F61) et de dépendance primaire à plusieurs substances (alcool et benzodiazépines, utilisation continue, cocaïne et amphétamines, utilisation épisodique, abstinence au cannabis depuis mars 2017 – F19.2). L’assuré se plaignait d’une démotivation à se réinsérer professionnellement, en lien avec une fatigue et des troubles de la concentration, lesquels fluctuaient en fonction d’abus éthyliques (plus de six boissons par jour), de prises quotidiennes de benzodiazépines et de prises occasionnelles de cocaïne, respectivement d’héroïne. Selon ses dires, l’assuré ne se considérait plus malade psychiquement depuis mars 2017, en dehors d’une légère tristesse et de son choix de continuer à consommer de l’alcool, de l’héroïne, des benzodiazépines et de la cocaïne, tout en passant de bons moments avec sa compagne et en choisissant de ne pas travailler. Suite à une amélioration thymique en mars 2017, l’assuré avait pu arrêter les antidépresseurs et le suivi psychothérapeutique à proprement parler, tout en continuant néanmoins le suivi nécessaire pour continuer à bénéficier d’un traitement de substitution. Il avait également arrêté de consommer du cannabis, ce qui lui avait permis de rencontrer sa compagne actuelle. Selon la psychiatre traitante de l’époque, l’assuré avait recouvré une pleine capacité de travail depuis le mois de mars 2017.

Passant brièvement en revue les indicateurs prescrits par la jurisprudence en matière de troubles psychiques, l’expert relevait, au sujet du « degré de gravité fonctionnelle », que les examens cliniques et l’anamnèse permettaient de retenir un trouble dépressif récurrent léger depuis mars 2017, dans le contexte d’un trouble de la personnalité mixte émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse et d’une dépendance à plusieurs substances. S’agissant du succès du traitement et de la réadaptation, l’expert notait une évolution globalement stationnaire des troubles dépressifs récurrents légers depuis mars 2017, malgré un traitement inadéquat vu l’absence de traitement antidépresseur et de prise en charge réussie pour la dépendance. La motivation pour une réadaptation professionnelle était nulle. S’agissant des comorbidités, elles étaient constituées du trouble dépressif récurrent léger et de la dépendance à plusieurs substances, troubles qui engendraient des limitations psychiques « non significatives et non objectivables », selon le descriptif d’une journée-type. S’agissant de la personnalité, le trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse, présent depuis le début de l’âge adulte, n’avait pas empêché l’assuré de se former, de travailler par le passé et, actuellement, de gérer son quotidien sans limitations en-dehors des tâches administratives complexes. S’agissant du contexte social, l’expert retenait un isolement social partiel, mais pas total, dans la mesure où l’assuré parvenait à gérer son quotidien sans difficultés et avait de bonnes relations avec sa fille et sa compagne, en s’occupant des enfants de cette dernière lorsque celle-ci en avait la garde ; l’intéressé voyait également des amis du village et la famille de sa compagne. L’expert ne retenait pas davantage de limitation uniforme du niveau d’activité dans tous les domaines comparables de la vie, relevant derechef l’absence de limitation psychique objectivable, compte tenu du fait que l’assuré parvenait à gérer son quotidien sans difficultés. L’expert faisait état d’une bonne cohérence entre la plupart des plaintes subjectives et le constat objectif, le décalage existant entre la fatigue et son constat s’inscrivant dans un contexte de trouble de la personnalité mixte émotionnellement labile avec des bénéfices primaires et secondaires, mais sans exagération volontaire des plaintes. À l’issue de son examen, l’expert a conclu que les « indices jurisprudentiels de gravité » prescrits par la jurisprudence en matière de troubles dépressifs légers et de dépendances n’étaient pas remplis « depuis mars 2017 au présent, dans l’absence de limitations psychiatriques significatives objectivables ». Il retenait donc, depuis mars 2017, une capacité de travail de 100%, sans baisse de rendement.

n. Le 18 novembre 2020, le SMR s’est rallié aux conclusions du Dr H______ et a retenu que l’assuré avait recouvré une pleine capacité de travail dans toute profession depuis mars 2017.

o. Le 25 novembre 2020, l’OAI a dressé à l'assuré un projet de décision dont il ressortait qu'il se proposait de lui nier le droit à une rente d’invalidité.

p. Par l’intermédiaire du service de protection de l’adulte, l’assuré a contesté ce projet par courriers des 16 février et 1er avril 2021. Il a fait valoir que sa capacité de travail devait être réévaluée, non seulement sous l’angle de ses troubles psychiques, mais également de ses dépendances toxiques. Comme l’avait relevé la doctoresse I______, du département de psychiatrie des HUG, dans un rapport annexé à son opposition, son trouble dépressif, qui pouvait être qualifié de sévère, variait en fonction des saisons et sa consommation de toxiques s’exacerbait en présence d’événements stressants. Contrairement à ce que prétendait le SMR lorsqu’il affirmait que la diminution de toxiques se traduisait par une amélioration de la thymie et de l’anxiété, son mal-être pathologique précédait la prise de substances toxiques et semblait même en être la cause. Les éléments mis en évidence par la Dresse I______ divergeaient sensiblement des constatations du SMR et ses limitations psychiques faisaient obstacle à une reprise d’activité professionnelle.

À l’appui de ses objections, l’assuré a produit :

-          un rapport établi le 12 février 2021 par le docteur J______, du département de psychiatrie des HUG, retenant les diagnostics de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen sans syndrome somatique (F33.10), ainsi que de personnalité émotionnellement labile de type borderline (F60.31), de syndrome de dépendance aux opiacés, faisant actuellement l’objet d’un régime de maintenance ou de substitution sous surveillance médicale (F11.22), ainsi que de troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation d’alcool (F10.2), de sédatifs (F13.2) et de dérivés du cannabis, avec syndrome de dépendance (F12.2). Le Dr J______ y indiquait avoir repris le suivi de l’assuré de janvier à novembre 2020, en tant que médecin référant au CAAP Arve. Pendant cette période, il s’était entretenu 8 fois avec l’assuré, dont 2 avec la présence de son infirmière référente. Il avait constaté que l’assuré présentait une thymie neutre/basse avec une labilité affective importante, qui le prédisposait à des épisodes dépressifs modérés, voire sévères. Le facteur déclencheur de ces épisodes était le rejet de sa famille adoptée, qui le culpabilisait pour sa dépendance à l’alcool. Actuellement, l’assuré consommait environ 250 ml. de vodka par jour (en diminution par rapport aux 2 bouteilles de vodka consommées 2 ans auparavant), du midazolam acheté sur le marché noir à visée antalgique et entre 5 à 7 joints de cannabis par jour, à visée anxiolytique. Pendant la période susmentionnée, le Dr J______ confirmait une incapacité de travail, vu l’absence d’amélioration au plan psychique, la mauvaise gestion des émotions des émotions, la faible tolérance au stress, le maintien d’une consommation de stupéfiants et le risque de rechute dépressive ;

-          un rapport rédigé le 31 mars 2021 par la doctoresse I______, du département de psychiatrie des HUG. L’assuré souffrait depuis de nombreuses années d’un trouble dépressif récurrent d’intensité légère à modérée. Toutefois, cette symptomatologie avait un caractère saisonnier et s’exacerbait les hivers, jusqu’à une symptomatologie sévère dans laquelle on retrouvait des critères d’intensité, dont une altération comportementale marquée. Durant les hivers 2020 et 2021, l’assuré avait présenté un comportement clinophile en lien avec une tristesse, des ruminations anxieuses, une péjoration de l’avenir et une forte aboulie / anhédonie. Durant ces périodes, il présentait un important repli social et une perte de motivation altérant considérablement ses capacités d’adhésion au traitement et ses capacités d’autonomisation dans diverses démarches sociales. S’ajoutait un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive, qui constituait un élément de vulnérabilité lors de nouveaux épisodes thymiques et était également susceptible de compromettre l’adhésion aux soins. Durant les quelques mois d’observation, il avait été constaté une grande instabilité dans les relations interpersonnelles, se traduisant par des phases d’hyperadhésion et des mouvements de rejet du cadre de soin, mais également une forte réactivité de l’humeur. La consommation de substance psychoactive s’apparentait bien souvent à une stratégie de régulation émotionnelle et d’évitement cognitif, en aggravant les troubles comorbides. L’ensemble de ces troubles impactait très fortement les capacités de l’assuré à maintenir une activité durable dans le temps.

q. Invitée à se déterminer sur ces documents, la Dresse E______, du SMR, a indiqué, le 28 avril 2021, qu’elle maintenait ses conclusions quant à l’existence d’une pleine capacité de travail depuis mars 2017, arguant que les rapports des Drs J______ et I______ ne mettaient pas en évidence d’élément qui n’aurait déjà été pris en compte par l’expert et le SMR. En particulier, ces médecins ne remettaient pas en cause le caractère primaire et non incapacitant du syndrome de dépendance, qui existait depuis l’adolescence, alors sans comorbidité psychiatrique associée.

r. Par décision formelle du 5 mai 2021, l’OAI a supprimé la rente d’invalidité avec effet au 1er novembre 2018, au motif que l’assuré ne présentait plus d’atteinte à la santé à charge de l’assurance-invalidité.

C. a. Le 1er juin 2021, par l’entremise de son curateur, l’assuré a interjeté recours auprès de la Cour de céans en concluant principalement à l’octroi d’une rente entière d’invalidité, subsidiairement au renvoi de la cause à l’OAI pour instruction complémentaire.

En premier lieu, le recourant rappelle que, selon la jurisprudence, le caractère primaire ou secondaire d’une dépendance n’est plus décisif pour en nier la pertinence en matière d’assurance-invalidité. Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que laisse entendre le SMR, le mal-être psychologique dont il souffre a précédé sa consommation de substances toxiques. Sa consommation est indépendante de sa volonté, tout comme le rejet du cadre de soin, laquelle est liée au moins partiellement à son trouble de la personnalité labile de type impulsif, ainsi qu’à sa grande instabilité dans les relations interpersonnelles, comme l’a précisé la Dresse I______. En outre, comme cela ressort du rapport du Dr J______, son syndrome de dépendance diminue sérieusement sa capacité de travail et même si ses consommations ont diminué en comparaison de ce qui avait été consigné en avril 2017, il fume toujours 5 à 7 joints de cannabis par jour, auxquels s’ajoutent sa consommation d’alcool, de benzodiazépines et d’opiacées.

En second lieu, le recourant conteste la valeur probante de l’expertise du Dr H______. Il estime que l’on peut vivement s’interroger sur la capacité de travail retenue, puisque l’expert a lui-même indiqué que cette capacité pourrait redevenir nulle en cas d’évolution vers un épisode dépressif sévère, scénario jugé probable en cas d’absence de sevrage ; or, ses médecins traitants retiennent des épisodes modérés à sévères et il n’a jamais été sevré depuis mars 2017. Sa culpabilité omniprésente, évoquée tant par le Dr J______ que par le Prof. B______, est de façon surprenante jugée « absente » par l’expert. De surcroît, l’expert se trompe lorsqu’il affirme que le traitement antidépresseur et le suivi psychothérapeutique ont été arrêtés, et l’on aurait à tout le moins pu attendre de sa part qu’il vérifie la teneur de son traitement en prenant contact avec les médecins du CAAP. Enfin, dans la mesure où il retient un trouble dépressif récurrent d’intensité légère, cela entre en contradiction avec le rapport du Dr J______ (faisant état d’épisodes dépressifs modérés à sévères, avec des risques de rechute).

En troisième lieu, le recourant fait valoir que le Dr H______, en retenant des diagnostics pratiquement identiques, ne met pas en évidence d’amélioration fondamentale de l’état de santé justifiant de retenir une capacité de travail de 100%, et qu’il n’a pas évalué ses troubles psychiques conjointement avec ses problèmes de dépendance. De surcroît, comme l’a relevé le SMR en décembre 2015, l’amélioration de la capacité de travail est tributaire d’un sevrage complet, qui n’a pas eu lieu.

b. Dans sa réponse, l’intimé a conclu au rejet du recours.

L’intimé relève que les conditions d’une révision sont réunies, la comparaison des expertises de 2015 et de 2020 permettant, selon lui, de retenir une amélioration de l’état de santé depuis mars 2017. En effet, dans le complément d’expertise rendu en septembre 2015, le Dr B______ a indiqué que l’« invalidité » était alors due à la comorbidité d’un trouble dépressif récurrent et d’un trouble de la personnalité borderline, pathologies suffisant à engendrer elles-mêmes une diminution de la capacité de travail, tandis que la polytoxicomanie devait être considérée comme un élément accompagnant le trouble de la personnalité.

De l’expertise probante du Dr H______, il ressort que le recourant ne présente plus de comorbidité psychiatrique limitant sa capacité de travail depuis mars 2017. L’expert H______ a retenu les diagnostics de trouble dépressif récurrent léger depuis mars 2017, de trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse et de dépendance primaire à plusieurs substances (alcool, benzodiazépine, cocaïne, amphétamines), avec abstinence au cannabis depuis mars 2017. Il a notamment exposé qu’« au moment de l’expertise et ce depuis mars 2017 [ ], on retient des limitations fonctionnelles psychiatriques subjectives et sans impact sur le quotidien de l’assuré [ ] ». La description d’une journée-type met en évidence qu’il n’existe pas de limitation uniforme dans toutes les activités de la vie quotidienne, que le recourant dispose de ressources personnelles préservées et qu’enfin, depuis mars 2017, son isolement social n’est plus total, mais seulement partiel (le recourant ayant fait état de moments positifs passés avec sa compagne, sa fille, et du fait qu’il s’occupait occasionnellement de ses beaux-enfants). Le recourant met essentiellement en évidence une divergence d’appréciation entre l’expert et ses médecins, ce qui ne suffit pas à remettre en cause l’expertise du Dr H______.

c. Le recourant a répliqué en persistant dans ses conclusions et en sollicitant son audition par la Cour.

Contrairement à ce que laisse entendre l’expert H______ (qui situe l’amélioration de son état de santé en mars 2017, soit au moment où la Dresse D______ a rendu son rapport), le mois de mars 2017 n’a nullement été un « tournant » pour son état de santé, le rapport de la Dresse D______ étant de surcroît contradictoire. En ce qui concerne les contacts sociaux, il souligne qu’ils ont été enjolivés, sans que cela n’ait été remis en question par l’expert : il n’a plus de contacts avec sa fille depuis plusieurs années et l’expert se trompe lorsqu’il affirme qu’il « s’occupe de ses beaux-enfants quand ils en ont la garde », sa compagne étant sous curatelle et ne pouvant voir ses enfants que de manière restreinte. Pour le reste, une amélioration notable ne peut être retenue en dépit d’une diminution de la consommation de certaines substances psychoactives, au vu du caractère saisonnier du trouble dépressif, de la stabilité précaire de son état de santé et du risque de rechute.

d. Une audience de comparution personnelle des parties s'est tenue, à laquelle le recourant ne s’est pas présenté. À la demande de sa représentante, un délai lui a été fixé pour produire un courrier décrivant son quotidien et en quoi celui-ci divergeait des constatations de l’expert.

e. Par écritures des 30 septembre et 7 octobre 2021, la représentante du recourant a fait valoir qu’une totale incapacité de travail subsiste, en raison des problèmes d’addiction de son protégé, de sa lourde dépression et d’un problème de genou. En effet, le recourant demeure très instable et souffre énormément de ses addictions. En ce moment, il ne boit certes plus d’alcool et n’est plus traité que par morphine, mais il demeure dans un combat permanent contre ses addictions. Après avoir vécu la nuit et dormi la journée pendant de longues années, sa fatigue demeure considérable et il passe encore de nombreuses nuits sans réussir à dormir. Certains jours, il lui est impossible de se lever et de se présenter à des rendez-vous. Il est inimaginable qu’il puisse retrouver un emploi et se conformer à un horaire, et même à supposer qu’il en trouve un, il se ferait licencier rapidement. Avant d’envisager une quelconque réinsertion, il faut prioriser le traitement et attendre que son état se stabilise. Par ailleurs, le recourant souffre également de problèmes au niveau du genou droit, empêchant les stations debout et assise, en raison desquels il doit prochainement subir une nouvelle IRM. La représentante du recourant a joint une lettre manuscrite rédigée par son protégé le 5 octobre 2021.

f. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, est applicable.

3.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prescrits par la loi, le recours est recevable.

4.             Le 1er janvier 2022 sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées ci-après dans leur ancienne teneur.

5.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l'intimé de supprimer, avec effet au 1er novembre 2018, la rente entière d'invalidité allouée jusqu'alors au recourant.

6.             L'assuré a droit à une rente lorsqu'il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d'au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu'au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (cf. art. 28 al. 1 let. b et c LAI, en sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2008 - 5ème révision AI). En vertu de l'art. 28 al. 2 LAI, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s'il est invalide à 40% au moins.

7.             Aux termes de l'art. 17 LPGA, si le taux d'invalidité du bénéficiaire de rente subit une modification notable, la rente est, d'office ou sur demande, révisée pour l'avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l'art. 17 LPGA. En revanche, une simple appréciation différente d'un état de fait, qui, pour l'essentiel, est demeuré inchangé n'appelle pas à une révision au sens de l'art. 17 LPGA (ATF 112 V 371 consid. 2b ; ATF 112 V 387 consid. 1b). Un motif de révision au sens de l'art. 17 LPGA doit clairement ressortir du dossier. La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 111/07 du 17 décembre 2007 consid. 3 et les références). Un changement de jurisprudence n'est pas un motif de révision (ATF 129 V 200 consid. 1.2).

Le point de savoir si un tel changement s'est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la dernière décision entrée en force reposant sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit, et les circonstances régnant à l'époque de la décision litigieuse (ATF 133 V 108 consid. 5).

Dans le contexte d’une révision au sens de l’article 17 LPGA, la détermination de l’état de santé actuel et ses effets sur la capacité de travail est le point de départ d’une expertise médicale, mais elle ne saurait être considérée de manière isolée. Une expertise complète, compréhensible et concluante n’a de valeur probante que si elle examine également la question de l’existence d’un changement important de circonstances propre à justifier l’augmentation, la réduction ou la suppression de rente. Un tel examen ne peut intervenir qu’à la faveur d’une comparaison entre deux états de fait successifs, laquelle doit distinguer clairement les changements de faits importants des simples appréciations divergentes. En d’autres termes, l’expertise doit clairement établir l’existence de faits nouveaux ou une modification substantielle de la nature ou de la portée des faits qui existaient au moment de l’évaluation antérieure. Une modification importante par rapport à l’évaluation précédente n’est suffisamment étayée que si l’expertise indique quels aspects concrets de l’évolution de l’état de santé ou de l’incapacité de travail ont conduit aux nouveaux diagnostics et à la nouvelle évaluation du degré de gravité de l’atteinte. Ces principes ne s’appliquent pas aux situations dans lesquelles il est évident que l’état de santé a changé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_244/2017 du 26.10.2017 consid. 4.2.1 et 4.2.2).

8.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique ou mentale et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

La notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L'atteinte à la santé n'est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l'assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

9.             Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

Dans sa jurisprudence récente (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7), le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques, y compris aux troubles dépressifs de degré léger ou moyen (ATF 143 V 409 consid. 4.5.1).

En cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence). 

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4). Ces indicateurs sont classés comme suit :

-          Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3)

A.    Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3)

B.     Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.     Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-          Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

10.         Selon la jurisprudence applicable jusqu’alors, un syndrome de dépendance primaire à des substances psychotropes (dont l’alcool) ne pouvait conduire à une invalidité au sens de la loi que s’il engendrait une maladie ou occasionnait un accident ou s’il résultait lui-même d’une atteinte à la santé physique ou psychique ayant valeur de maladie. Cette jurisprudence reposait sur la prémisse que la personne souffrant de dépendance avait provoqué elle-même fautivement cet état et qu'elle aurait pu, en faisant preuve de diligence, se rendre compte suffisamment tôt des conséquences néfastes de son addiction et effectuer un sevrage ou à tout le moins entreprendre une thérapie (cf. notamment ATF 124 V 265 consid. 3c).

Dans un arrêt du 11 juillet 2019 (ATF 145 V 215), le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que sa pratique en matière de syndrome de dépendance ne peut plus être maintenue. D’un point de vue médical, les syndromes de dépendance et les troubles liés à la consommation de substances diagnostiqués lege artis par un spécialiste doivent également être considérés comme des atteintes (psychiques) à la santé significatives au sens du droit de l’assurance-invalidité (consid. 5.3.3 et 6).

Le caractère primaire ou secondaire d’un trouble de la dépendance n’est plus décisif pour en nier d’emblée toute pertinence sous l’angle du droit de l’assurance-invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.1.1). Par conséquent, il s’agit, comme pour toutes les autres troubles psychiques, de déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (à cet égard, ATF 141 V 281) si, et le cas échéant, dans quelle mesure un syndrome de dépendance diagnostiqué par un spécialiste influence dans le cas concret la capacité de travail de l’assuré. La gravité de la dépendance dans un cas particulier peut et doit être prise en compte dans la procédure de preuve structurée (ATF 145 V 215 consid. 6.3). Ceci est d'autant plus important que dans le cas des troubles de la dépendance – comme dans celui d'autres troubles psychiques – il y a souvent un mélange de troubles ayant valeur de maladie ainsi que de facteurs psychosociaux et socio-culturels. L’obligation de diminuer le dommage (art. 7 LAI) s'applique également en cas de syndrome de dépendance, de sorte que l’assuré peut être tenu de participer activement à un traitement médical raisonnablement exigible (art. 7 al. 2 let. d LAI). S’il ne respecte pas son obligation de diminuer le dommage, mais qu’il maintient délibérément son état pathologique, l’art. 7b al. 1 LAI en liaison avec l'art. 21 al. 4 LPGA permet le refus ou la réduction des prestations (consid 5.3.1).

11.         Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

12.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

 

 

13.          

13.1 En l'espèce, la Cour de céans rappelle tout d'abord que, par décision du 10 mars 2016, l'intimé a accordé au recourant une rente entière d’invalidité dès mars 2014, sur la base d’un degré d'invalidité de 75%. Se fondant sur le rapport d'expertise du 6 juillet 2015 et son complément du 12 septembre 2015, l’intimé avait alors retenu que le recourant souffrait d'un trouble dépressif récurrent d'intensité légère à modérée, d'une personnalité émotionnellement labile de type borderline, de troubles mentaux et du comportement liés à des syndromes de dépendance à l'alcool, au cannabis et aux opiacés. Il présentait des limitations psychiques (fatigue, troubles de l'attention et de la concentration, difficultés interpersonnelles) et son incapacité de travail était de 75%.

La révision de la rente a été initiée au début de l'année 2017, sur proposition du SMR, dès lors que les experts mandatés en 2015 avaient indiqué qu’un sevrage leur paraissait susceptible d’améliorer les capacités d’attention, de concentration, et d’améliorer la prise en charge du trouble de l’humeur. Les experts avaient également exposé que s’il était possible que les dépendances aient causé des séquelles irréversibles, cela ne pourrait être vérifié qu'après un sevrage de plusieurs mois, permettant un nouveau bilan neuropsychologique.

Par décision du 27 septembre 2018, l’OAI a supprimé la rente d’invalidité, au motif que l’assuré ne s’était pas présenté à une expertise à laquelle il avait été convoqué auprès du Dr G______. Suite à l’arrêt de la Cour du 24 octobre 2019, qui lui renvoyait la cause « pour expertise et nouvelle décision », l’OAI a cette fois-ci mandaté le Dr H______. L’expert mandaté par l’administration est parvenu à la conclusion que le recourant disposait d’une pleine capacité de travail depuis mars 2017. Sur cette base, l’intimé, par décision du 5 mai 2021, a supprimé la rente d’invalidité avec effet au 1er novembre 2018.

Dans son recours, puis ses écritures subséquentes, l’assuré conteste la valeur probante de l’expertise du Dr H______ et le recouvrement de la capacité de travail retenu par l’expert, faisant valoir qu’il demeure totalement incapable de travailler. À cet égard, il relève notamment que le SMR, dans son avis de décembre 2015, avait lié l’amélioration de la capacité de travail à un sevrage, tandis que l’expert H______ a lui-même indiqué que la capacité de travail pourrait redevenir nulle en cas d’absence de sevrage. Or, le recourant souligne que ses médecins, les Drs J______ et I______, continuent d’attester son incapacité à travailler, qu’ils retiennent des épisodes dépressifs modérés à sévères et qu’il n’a de surcroît jamais été sevré depuis mars 2017. Au demeurant, l’expert n’a pas tenu compte du caractère saisonnier de son trouble dépressif et il se trompe lorsqu’il affirme que le traitement antidépresseur et le suivi psychothérapeutique auraient été arrêtés. Le recourant ajoute que le Dr H______, en retenant des diagnostics pratiquement identiques à ceux retenus avant lui, ne met en évidence aucune amélioration déterminante de l’état de santé qui justifierait de retenir le recouvrement d’une capacité de travail de 100% et donc de supprimer la rente, ce d’autant qu’il n’y a pas eu de sevrage, puisqu’au moment de l’expertise, il fumait toujours 5 à 7 joints de cannabis par jour, auxquels s’ajoutait sa consommation d’alcool, de benzodiazépines et d’opiacées. Au demeurant, le rapport de la Dresse D______ sur lequel s’est fondé l’expert pour situer une amélioration de son état de santé en mars 2017 se révèle contradictoire.

14.          

14.1 Dans la mesure où la décision litigieuse de suppression des prestations a été rendue à l'issue d'une procédure de révision, il incombait à l'intimé de démontrer qu'un changement important des circonstances, propre à influencer le degré d'invalidité du recourant, était survenu depuis le prononcé de sa décision initiale. C'est ce qu'il convient de vérifier.

14.2 La décision initiale d’octroi de rente rendue en 2016 reposait sur le rapport d'expertise rédigé par les Drs B______ et C______ le 6 juillet 2015, ainsi que son complément du 12 septembre 2015. Ces experts y ont retenu les diagnostics invalidants de trouble dépressif récurrent d’intensité légère à modérée (F33.1), de personnalité émotionnellement labile, type borderline (F60.31), ainsi que de troubles mentaux et du comportement, liés à l’utilisation d’alcool, de dérivés du cannabis et d’opiacés, avec syndrome de dépendance (F10.25 ; F12.24 et F11.22). Ils ont notamment exposé que l’assuré avait commencé à consommer diverses substances (alcool, cannabis et cocaïne) à la fin de l’année 2002, depuis que son épouse avait obtenu la garde de leur fille. Les consommations étaient devenues problématiques à partir de 2004, où un arrêt maladie avait été établi et une hospitalisation en psychiatrie était devenue nécessaire. Le parcours de vie évoquait des difficultés dans la relation à l’autre, avec une peur de l’abandon récurrente et des efforts, souvent désespérés à maintenir la relation, évoquant une personnalité émotionnellement labile. Les épisodes dépressifs récurrents engendraient une importante fatigue et contribuaient à la diminution de l’attention, de la concentration et de l’estime de soi. Les dépendances dont souffrait l’assuré réduisaient partiellement ses capacités cognitives, son attention et sa concentration. De surcroît, en raison du trouble de la personnalité de type borderline, les relations à autrui pouvaient être compliquées, rendant difficiles la collaboration et le respect de consignes dans le cadre du travail. Les limitations psychiques réduisaient sensiblement la capacité de travail de l’assuré dans toute activité et sa capacité résiduelle de travail était limitée à 25% dans toute profession depuis 2006. Pour les experts, l’invalidité était due à la comorbidité du trouble dépressif récurrent et du trouble de la personnalité borderline, pathologies qui étaient en soi suffisantes pour engendrer la baisse de sa capacité de travail, tandis que la polytoxicomanie devait être considérée comme un élément accompagnant le trouble de la personnalité et la perturbation affective. Selon eux, il était possible que les dépendances aient entraîné des séquelles potentiellement irréversibles au niveau neuropsychologique, ce qui ne pourrait toutefois être vérifié qu’au moyen d’un bilan neuropsychologique fiable après un sevrage de plusieurs mois. En cas d’arrêt des consommations de toxiques, il était probable que le tableau psychique soit partiellement réversible. Un sevrage devait permettre non seulement une amélioration des compétences cognitives et des capacités d’attention et de concentration, mais aussi une amélioration de l’efficacité de la prise en charge du trouble de l’humeur.

14.3 Dans son rapport du 30 octobre 2020, l’expert H______ retient les diagnostics – jugés tous sans effet sur la capacité de travail – de trouble dépressif récurrent léger depuis mars 2017 (F33.0), de trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse, non décompensé (F61) et de dépendance primaire à plusieurs substances (alcool et benzodiazépines, utilisation continue, cocaïne et amphétamines, utilisation épisodique, abstinence au cannabis depuis mars 2017 – F19.2). Dans son descriptif des « plaintes », l’expert relève notamment que l’assuré, selon ses dires, ne se considère plus malade psychiquement depuis mars 2017. Il n’aurait pas de motivation à se réinsérer professionnellement, en raison d’une fatigue et de troubles de la concentration, qui fluctuent en fonction de ses abus quotidiens d’alcool et de benzodiazépines, respectivement de ses prises occasionnelles de cocaïne et d’héroïne, excès qui persistent au moment de l’expertise. L’assuré a pu arrêter les antidépresseurs, le cannabis et son suivi psychothérapeutique, tout en continuant un suivi pour continuer à bénéficier d’un traitement de substitution. L’expert précise que la psychiatre traitante de l’époque a fait état du recouvrement d’une pleine capacité de travail en mars 2017. Plus loin dans l’expertise, à la question de savoir quelle est l’évolution des traitements et quelles sont les chances de guérison, l’expert-psychiatre se limite à répondre qu’il constate « une évolution globalement stationnaire des troubles dépressifs récurrents légers depuis mars 2017 au présent, sans traitement antidépresseur, alors que le trouble de la personnalité n’est pas décompensé, sans hospitalisation psychiatrique. Le traitement [lui] semble peu adéquat actuellement, sans traitement antidépresseur et sans sevrage, alors que le pronostic est favorable dans la mesure où [il] n’objective pas de limitations fonctionnelles significatives ». Le pronostic de reprise professionnelle lui paraît sombre, vu que le recourant n’est pas demandeur d’une réinsertion professionnelle. Après avoir brièvement discuté les indicateurs prescrits par la jurisprudence en matière de troubles psychiques, l’expert conclut qu’en l’absence de limitations psychiatriques significatives objectivables, les « indices jurisprudentiels de gravité » ne sont pas remplis depuis le mois de mars 2017 et jusqu’au jour de l’expertise, de sorte que, depuis mars 2017, le recourant bénéficie d’une pleine capacité de travail.

14.4  

14.4.1 La Cour de céans constate que l’expertise du Dr H______ n’emporte pas la conviction, notamment dans la mesure où elle conclut au recouvrement d’une pleine capacité de travail depuis mars 2017. Il convient préalablement de rappeler que, dans le cadre d’une procédure de révision, on attend d’un expert qu’il examine de façon complète la question d’un changement important des circonstances susceptible de justifier une modification de la rente. Un tel examen ne peut intervenir qu’à la faveur d’une comparaison entre deux états de fait successifs, laquelle doit distinguer clairement les changements de faits importants des simples appréciations divergentes. Une modification importante par rapport à l’évaluation précédente n’est suffisamment étayée que si l’expertise indique quels aspects concrets de l’évolution de l’état de santé ont conduit aux nouveaux diagnostics et à la nouvelle évaluation du degré de gravité de l’atteinte (cf. supra consid. 7).

Or, on ne trouve aucun examen approfondi de ce genre dans l’expertise du Dr H______. En effet, aucune mention n'est clairement faite d'une évolution clinique favorable de la symptomatologie psychiatrique mise en évidence dans l’expertise des Drs B______ et C______ et sur la base de laquelle l'OAI avait accordé la rente. L'expert-psychiatre ne procède de surcroît pas à une comparaison détaillée des situations médicales déterminantes. Retenant une absence de sevrage (l’assuré continue de consommer six boissons alcoolisées par jour, des benzodiazépines, de la cocaïne et de l’héroïne), ainsi que des diagnostics largement superposables à ceux qui avaient été posés en 2015 (troubles dépressifs récurrents légers, trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsive et anxieuse et dépendances à l’alcool, aux benzodiazépines, à la cocaïne ainsi qu’aux amphétamines vs [en 2015] troubles dépressifs récurrents d’intensité légère à modérée, personnalité de type borderline et dépendance à l’alcool, aux opiacés et aux dérivés du cannabis), il se contente de souligner à différentes reprises l’absence de « limitation fonctionnelle psychiatrique objectivable » au moment de son examen, pour en déduire que « les indices jurisprudentiels de gravité de la jurisprudence [ ] ne sont pas remplis depuis mars 2017 au présent ». Interrogé au sujet de l’évolution des traitements et des chances de guérison, l’expert se borne à faire sommairement état d’une « évolution globalement stationnaire des troubles dépressifs récurrents légers depuis mars 2017 au présent, sans traitement antidépresseur [ ] », autrement dit d’une situation peu ou prou similaire à celle qui avait cours au moment de la décision initiale d’octroi de rente.

On notera encore qu’en ce qui concerne l’absence de traitement antidépresseur, les curateurs du recourant soulignent qu’il s’agit là d’une erreur de l’expert, affirmation qui paraît effectivement corroborée par la liste des traitements figurant dans le rapport du Dr J______ (dont ressort un traitement en cours par Zoloft).

En ce qui concerne le recouvrement (allégué) d’une pleine capacité de travail en mars 2017, l’expert semble le déduire du rapport qu’a complété la Dresse D______ à la demande de l’OAI le 28 mars 2017 et du fait que l’assuré ne se considérerait « plus malade psychiquement depuis mars 2017 ». Or, comme l’a déjà relevé la Cour dans son arrêt du 24 octobre 2019 (consid. 10a), on ne saurait se fonder sur le rapport de la Dresse D______, lequel est empreint de contradictions et ne saurait être considéré comme fiable : ce document ne mentionne aucun diagnostic avec effet sur la capacité de travail, tout en retenant de façon contradictoire qu'une activité lucrative n'est pas exigible et qu'on ne peut s'attendre à une amélioration de la capacité de travail. La psychiatre traitante y évalue la capacité de travail à « 0% », tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée. De surcroît, si elle y mentionne une amélioration de la thymie et des consommations d’opiacés, elle y constate parallèlement une « augmentation des consommations d’alcool ». Enfin, elle semble avoir repris telle quelle l’anamnèse d’un rapport du docteur K______ de 2013, dont les constatations ont été démenties par l’expertise de 2015. Quoi qu’il en soit, au vu de la réponse négative donnée par cette praticienne à la question de savoir si l’activité antérieure était encore exigible, et de la mention par l’intéressée d’une capacité de travail de 0%, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée, l’expert H______ ne pouvait raisonnablement inférer du rapport en question que « selon la psychiatre traitante de l’époque, la capacité de travail serait devenue de 100% dès mars 2017 [ ] ».

Quant à l’appréciation subjective par l'assuré de son propre état de santé, qui ne se considérerait « plus malade », selon l’expert, elle ne trouve pas d’appui dans les autres rapports versés au dossier et ne revêt donc pas une importance décisive, ce d’autant que le déni fait notoirement partie intégrante d'un syndrome de dépendance, notamment à l’alcool (arrêt du Tribunal 9C_633/2017 du 29 décembre 2017 consid. 3.2.1).

On relèvera encore le caractère pour le moins ambigu, voire contradictoire, des conclusions de l’expert, qui estime, d’une part, qu’il n’existe plus d’incapacité de travail depuis mars 2017, tout en attestant, d’autre part, que la capacité de travail pourrait redevenir nulle en cas d’évolution négative vers un épisode dépressif sévère, scénario qu’il juge probable en cas d’absence de sevrage. Ce faisant, l’expert semble lier le recouvrement plus ou moins durable d’une capacité de travail à un sevrage, ce qui rejoint en fait le point de vue exprimé à l’époque par les experts B______ et C______, ainsi que par le SMR (cf. avis du 17 décembre 2015). Or, dans la mesure où l’expert constate précisément l’absence de sevrage, vu la persistance d’une consommation d’alcool, de benzodiazépines, de cocaïne et d’opiacés, sa conclusion quant au prétendu recouvrement d’une pleine capacité de travail en mars 2017 n’emporte pas la conviction et ne saurait être entérinée par la Cour de céans.

14.4.2 Les rapports établis par les médecins du recourant témoignent également de l’absence de toute amélioration déterminante de l’état de santé depuis la décision initiale d’octroi de rente. En effet, dans leurs rapports des 12 février et 31 mars 2021, les Drs J______ et I______ attestent – au contraire de l’expert – de la persistance d’une incapacité de travail, d’un trouble dépressif, épisode moyen (cf. rapport du Dr J______) et de l’absence d’amélioration sous l’angle psychique.

Le Dr J______ précise qu’en dépit d’une certaine diminution de la consommation d’alcool, le recourant consomme encore chaque jour de la vodka, ainsi que des benzodiazépines achetées sur le marché noir (midazolam) et 5 à 7 joints de cannabis.

De son côté, la Dresse I______ souligne que la symptomatologie revêt un caractère saisonnier, en ce sens qu’elle s’exacerbe en hiver pour atteindre un degré sévère. Cet aspect n’a pas été abordé par l’expert dans son rapport.

Quant à la Dresse F______, elle a indiqué dans son rapport du 9 février 2018 que le trouble dépressif récurrent et le trouble de personnalité émotionnellement labile de type borderline étaient alors palliés par « la consommation de 4.5 litres de bière forte par jour et 2-3 joints par jour, en sus [du] traitement anxiolytique de Seresta ». Elle y proposait l’introduction d’un nouvel antidépresseur et estimait qu’une reprise du travail à 100% devait être exclue, compte tenu du caractère stationnaire du tableau clinique, seule pouvant éventuellement être envisagée une reprise à 30% dans un cadre structuré et valorisant. Si ce rapport succinct ne satisfait pas aux réquisits jurisprudentiels topiques en matière de valeur probante, il en ressort néanmoins que le tableau clinique a été qualifié de « stationnaire » et que la capacité de travail n’était alors évaluée qu’à 30% tout au plus, de surcroît dans un « cadre structuré », ce qui semble désigner une activité exercée en-dehors de l’économie libre. Les conclusions de la Dresse F______ rejoignent pour l’essentiel celles de l’expertise de 2015 (qui évaluait la capacité de travail à 25%) et viennent contredire, une fois encore, le point de vue de l’expert quant au prétendu recouvrement d’une capacité de travail de 100%.

14.4.3 Eu égard au caractère insuffisant de l'expertise du Dr H______ sur la question déterminante (cf. supra consid. 14.4.1 ab initio), mais également de l’absence de motivation convaincante à l’appui de ses conclusions, la Cour de céans considère que cette expertise ne saurait se voir reconnaître de valeur probante. Au regard de son contenu et de l’ensemble des rapports versés au dossier, qui témoignent au contraire d’un état de santé demeuré largement stationnaire, il convient d’admettre que l’expertise du Dr H______ s’apparente à une simple appréciation différente d'un état de fait demeuré, pour l'essentiel, inchangé, de sorte qu’il n’existe pas de motif de révision au sens de l’art. 17 LPGA (ATF 112 V 371 consid. 2b ; ATF 129 V 200 consid. 1.2).

14.5 Au vu de ce qui précède et notamment de l’absence d’appréciation médicale probante en ce sens, l’intimé n’a pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, l’existence d’une modification notable de l'état de santé au sens de l'art. 17 LPGA, qui autoriserait une révision du droit à la rente et en particulier la suppression de celle-ci. À défaut de motif de révision de la décision du 10 mars 2016, la rente entière d’invalidité accordée au recourant doit être maintenue.

15.         Partant, le recours est admis et la décision du 5 mai 2021 annulée. Le recourant a droit au maintien de sa rente entière d'invalidité postérieurement au 1er novembre 2018.

16.         La procédure de recours en matière de contestation portant sur l'octroi ou le refus de prestations de l'assurance-invalidité étant soumise à des frais de justice, un émolument de CHF 1'000.- est mis à charge de l'intimé (art. 69 al. 1 bis LAI).

 

******

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet et annule la décision du 5 mai 2021.

3.        Dit que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité au-delà du 1er novembre 2018.

4.        Met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de l’intimé.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SECHAUD

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le