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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4330/2020

ATAS/385/2022 du 28.04.2022 ( CHOMAG ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4330/2020 ATAS/385/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 avril 2022

5ème Chambre

 

En la cause

A______ SÀRL, sise à GENÈVE

 

 

recourante

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, sis rue des Gares 16, GENÈVE

 

 

intimé

 


EN FAIT

 

A.      A______ Sàrl (ci-après : la société ou la recourante), est une société inscrite au registre du commerce de Genève (ci-après : RC) ayant pour but social « les services juridiques des clients en Suisse et à l’étranger par des avocats inscrits dans un registre des avocats suisses et par d’autres conseillers professionnellement qualifiés ; le but inclut la représentation de clients dans le cas de procédures devant les tribunaux et autres autorités, le conseil juridique et stratégique, ainsi que les exercices de tout mandat ».

B.       a. Le 20 mars 2020, Monsieur B______, associé gérant de la société, a transmis à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) un formulaire de préavis de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) annonçant une perte de travail probable de 60 %, pour toute l’entreprise, soit douze employés, pour la période allant du 23 mars au 31 août 2020.

b. Par décision du 30 mars 2020, l’OCE a fait partiellement opposition au paiement de l’indemnité en cas de RHT, autorisant l’octroi de cette dernière pour toute l’entreprise et pour autant que toutes les autres conditions soient remplies, mais seulement pour la période allant du 23 mars au 22 juin 2020.

c. En date du 26 octobre 2020, la société a transmis à l’OCE un nouveau formulaire de préavis de RHT, annonçant une perte de travail probable de 50 %, concernant dix collaborateurs sur les onze que comprenait la société à ce moment, pour la période allant du 9 novembre 2020 au 31 janvier 2021. La demande de RHT était motivée par le volume de travail de la société qui avait diminué fortement à la suite de l’arrêt brutal de l’activité en mars 2020, en raison de la pandémie de COVID-19.

d. Par décision du 27 octobre 2020, l’OCE s’est opposé au paiement de l’indemnité en cas de RHT demandée le 20 octobre 2020, au motif que seule une perte de travail en tant que telle, qui n’était pas avérée en l’espèce, permettait de fonder un droit à la RHT.

e. Le 5 novembre 2020, la société a fait opposition à la décision susmentionnée. Il était allégué, en substance, que le chiffre d’affaires de la société avait fortement diminué à la suite de l’arrêt brutal de l’économie, consécutif à la pandémie de COVID-19 qui avait frappé la Suisse. La clientèle de la société était essentiellement composée d’entrepreneurs et de petites et moyennes entreprises (ci-après : PME) sises principalement à Genève et Lausanne, qui avaient dû interrompre leurs activités et avaient cessé de requérir des conseils juridiques afin de limiter leurs dépenses et de préserver leurs avoirs pour affronter un futur qui s’annonçait compliqué. Depuis la sortie du confinement du printemps 2020, le chiffre d’affaires de la société avait subi une chute abrupte de 67 % et le semi-confinement décidé par les autorités genevoises le 2 novembre 2020, ainsi que les mesures prises, le 3 novembre 2020, par les autorités vaudoises, allaient avoir pour conséquence d’aggraver encore la situation. Il était en outre reproché à l’OCE de n’avoir pas demandé de précisions ni imparti un délai à la société pour produire des pièces complémentaires aux fins de justifier sa demande de RHT. S’agissant de la baisse du chiffre d’affaires, elle présentait un caractère exceptionnel et extraordinaire et était avérée, raison pour laquelle la société concluait à l’annulation de la décision et à l’octroi des RHT.

f. Par décision sur opposition du 24 novembre 2020, l’OCE a écarté l’opposition du 5 novembre 2020 et confirmé sa précédente décision du 27 octobre 2020. Selon l’autorité, il était établi que les activités judiciaires avaient repris et que beaucoup d’audiences étaient à rattraper, ce qui engendrait un travail plus conséquent pour les études. La crise sanitaire avait créé de très nombreux problèmes dans plusieurs domaines du droit, ce qui avait pour conséquence une augmentation des demandes de conseils juridiques auprès d’avocats. L’argument selon lequel les clients essayaient de réduire leurs dépenses et de limiter l’appel à des spécialistes en matière juridique n’était pas pertinent car « dans la très grande majorité des cas », l’intérêt de faire appel à un spécialiste l’emportait sur les considérations pécuniaires. Partant, en plus de ne pas être avérée, la perte de travail n’était pas inévitable étant donné que l’employeur n’avait pas élargi ses domaines d’activité.

C.      a. Par acte posté le 21 décembre 2020 et signé par son associé gérant, la société a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours, concluant à l’annulation de la décision sur opposition de l’OCE du 24 novembre 2020 et à l’acceptation de la demande de RHT déposée par la recourante le 26 octobre 2020, avec suite de frais et dépens. La recourante reprenait l’argumentation déjà exposée dans le cadre de son opposition et joignait à son recours, notamment, les chiffres d’affaires des années 2017 à 2020, ainsi que des graphiques montrant l’évolution du chiffre d’affaires de la société pendant cette période. En se fondant sur ces derniers, la société considérait que l’impact du confinement sur le chiffre d’affaires était démontré. Il était encore allégué que, malgré tous ses efforts et notamment à la suite de l’annulation de tous les événements permettant le réseautage, la recherche de nouveaux clients était rendue impossible, de telle sorte que la société ne pouvait pas rencontrer de nouveaux clients potentiels et faire rentrer de nouveaux dossiers. La société avait réduit ses effectifs à la suite du confinement mais, malgré la diminution du nombre d’employés, la perte de travail rencontrée au mois de septembre 2020 ne lui avait temporairement pas permis de faire face à ses charges, dont notamment les salaires des employés, raison pour laquelle la société avait été contrainte de déposer la demande de RHT à hauteur de 50 % pour dix des onze employés, ce qui avait conduit à la décision querellée et avait mis la société dans une situation économiquement insupportable. Les mandats qui étaient en cours au moment où le confinement avait été ordonné étaient arrivés à leur échéance vers la fin de l’été ; ils n’avaient pas pu être remplacés par des demandes de clients existants, ni même de nouveaux clients vu l’impossibilité de prospecter ou de rencontrer ces derniers. Au vu de la situation, la société était contrainte de licencier une partie de son personnel, voire risquait la faillite. La société s’étonnait également que, selon les propos tenus par les différents interlocuteurs de l’OCE, cette autorité avait pris une décision de principe selon laquelle toute demande formée par certaines professions, notamment les avocats et les fiduciaires, devait être rejeté d’office. Cette pratique avait d’ailleurs donné lieu à un courrier du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Genève, en date du 26 novembre 2020, signalant à l’OCE la contrariété au droit consacrée par l’exclusion systématique des demandes de RHT émanant des études d’avocats.

b. Par réponse du 19 janvier 2021, l’OCE a considéré que la recourante n’apportait aucun élément nouveau permettant de revoir la décision querellée et a persisté dans les termes de cette dernière.

c. Dans sa réplique du 15 février 2021, la recourante a fait observer que la réponse de l’OCE s’était limitée à persister dans les termes de la décision querellée, sans justification, ni explication, par rapport aux arguments exposés dans le mémoire de recours. Il s’ensuivait que la décision avait été rendue sans analyse du dossier, en contrariété de tous les principes juridiques élémentaires, en se fondant sur la pratique du rejet d’office des demandes de RHT formées par des études d’avocats, sans examen du dossier. Dès lors, la recourante persistait dans ses conclusions.

d. Par duplique du 5 mars 2021, l’OCE a contesté le point de vue de la recourante, affirmant que chaque préavis était examiné au cas par cas, selon les directives en vigueur auprès du Secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) et a persisté intégralement dans les termes de sa décision.

e. Par courrier du 11 novembre 2021, la chambre de céans a demandé à la recourante d’une part, de lui faire parvenir les chiffres audités de la société, attestant du chiffre d’affaires pour les années 2017 à 2020 inclusivement, et d’autre part, de lui indiquer si des avocats avaient été licenciés, sans que les postes de travail ne soient repourvus, en 2019 et en 2020.

f. Par courrier du 10 décembre 2021, la recourante a transmis les documents demandés à la chambre de céans et a indiqué que les contrats de travail de quatre avocats, dont trois exerçaient déjà à 100 % pendant l’année 2019, avaient été résiliés dans le courant de l’année 2020. Par ailleurs, une juriste qui avait été engagée en date du 1er janvier 2020 avait vu son contrat de travail résilié pour le 30 juin 2020 et deux postes de travail qui s’étaient libérés entre 2019 et 2020, soit celui d’un avocat et d’un juriste, n’avaient pas été repourvus depuis lors.

g. Les documents et informations reçus de la société ont été transmis à l’intimé, qui n’a pas réagi.

h. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

i. Les autres faits seront repris, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.        Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l’ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

3.        Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

4.        Le litige porte sur le droit de la recourante à des indemnités RHT pour la période allant du 9 novembre 2020 au 31 janvier 2021.

5.         

5.1 Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l’accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l’activité de son entreprise (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss). En effet, selon l’art. 31 al. 1 let. b et d LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT lorsque la perte de travail doit être prise en considération et la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question. Une perte de chiffre d’affaires ne suffit pas à entraîner une indemnisation. Encore faut-il que cette perte se traduise par une diminution des heures travaillées (cf. RUBIN, op. cit., n. 4 ad art. 32 LACI). L’indemnité s’élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). L’indemnité en cas de RHT doit être avancée par l’employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l’issue d’une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), étant précisé qu’un délai d’attente de deux à trois jours doit être supporté par l’employeur (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 31 août 1983 [ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02], étant précisé que l’art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de coronavirus).

5.2 Le but de l’indemnité en cas de RHT consiste, d’une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps de travail et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D’autre part, l’indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l’intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de réduction de l’horaire de travail (ATF 121 V 371 consid. 3a).

Une perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due, entre autres conditions, à des facteurs économiques et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 121 V 371 consid. 2a). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l’entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l’existence d’un facteur économique (DTA 1985 p. 109 c. 3a). L’art. 32 al. 3 phr. 1 prévoit en outre que pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques où à d’autres circonstances non imputables à l’employeur. L’art. 51 OACI concrétise l’art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d’autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail : interdiction d’importer ou d’exporter des matières premières ou des marchandises (let. a) ; contingentement des matières premières ou des produits d’exploitation, y compris les combustibles (let. b) ; restrictions de transport ou fermeture des voies d’accès (let. c) ; interruptions de longue durée ou restrictions notables de l’approvisionnement en énergie (let. d) ; dégâts causés par les forces de la nature (let. e). L’art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n’est pas prise en considération tant qu’elle est couverte par une assurance privée.

5.3 Les pertes de travail au sens de l’art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; Rubin, op. cit, n. 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l’indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s’il existe des mesures que l’employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du SECO, état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

La seule présence d’un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n’est pas suffisante pour conduire à une indemnisation. Lorsque la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, l’indemnisation est exclue. Ainsi, lorsqu’en plus des mesures prises par les autorités ou des circonstances indépendantes de la volonté de l’employeur au sens de l’art. 51 al. 1 OACI, l’une des conditions de l’art. 33 LACI est réalisée, par exemple en présence d’un risque normal d’exploitation, l’indemnisation est exclue (RUBIN, op. cit., n. 18 ad art. 32 LACI et n. 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérés comme des risques normaux d’exploitation au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit, n. 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tels que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence, ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables. Dans le domaine de la construction, des délais d’exécution reportés à la demande du maître de l’ouvrage et des annulations de travaux en raison de l’insolvabilité de ce dernier ou à cause d’une procédure d’opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d’exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d’une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d’exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1 p. 292).

6.         

6.1 En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l’art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme du 28 septembre 2012 (loi sur les épidémies ; LEp  - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RS 818.101.24 ; RO 2020 573) puis l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (Ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24 ; RO 2020 773) qui interdisait les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément cent personnes (art. 6 al. 1) et qui limitait l’accueil dans les restaurants, les bars, les discothèques et les boîtes de nuit à cinquante personnes (art. 6 al. 2). Après avoir qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de l’art. 7 LEP, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de cette ordonnance, notamment en interdisant toutes les manifestations publiques ou privées et en ordonnant la fermeture des magasins, des marchés, des restaurants, des bars, des discothèques, des boîtes de nuit et des salons érotiques (art. 6 al. 1 et 2). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783).

Les magasins et marchés ont pu rouvrir dès le 11 mai 2020 (RO 2020 1401).

6.2 Sur le plan cantonal, le Conseil d’État a adopté, le 1er novembre 2020, l'arrêté d'application de l'ordonnance COVID-19 situation particulière et sur les mesures de protection de la population (ci-après : l'arrêté COVID-19), publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 2 novembre 2020, qui, à son art. 11 al. 1 let. e a ordonné la fermeture des commerces de vente au détail et les marchés. Cet arrêté est entré en vigueur le 2 novembre 2020.

Par arrêté du 25 novembre 2020, publié dans la FAO du même jour et entré en vigueur le 28 novembre 2020, le Conseil d'État a abrogé l'art. 11 al. 1 let. e de l'arrêté COVID-19 avec effet au 28 novembre 2020 à 00h01 (art. 2 de l'arrêté du Conseil d'État du 25 novembre 2020).

6.3 S’agissant du domaine particulier de l’indemnité en cas de RHT, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l’ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (Ordonnance COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033), avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er mars 2020 (art. 9 al. 1), qui prévoyait, à son art. 8b al. 1 que l’employeur n’était pas tenu de respecter un délai de préavis, lorsqu’il avait l’intention de requérir l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail en faveur de ses travailleurs. Cette disposition a été abrogée avec effet au 1er juin 2020 (RO 2020 3569). Quant à l’art. 8c de l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage, il prévoyait qu’en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, le préavis devait être renouvelé lorsque la réduction de l’horaire de travail durait plus de six mois. Cette disposition a été abrogée par modification du 12 août 2020, avec effet au 1er septembre 2020 (RO 3569).

Le 19 mars 2021, l’Assemblée fédérale a adopté l’art. 17b de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (loi COVID-19 - RS 818.102). D’après son al. 1er, en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, aucun délai de préavis ne devait être observé pour la réduction de l’horaire de travail. Le préavis devait être renouvelé lorsque la réduction de l’horaire de travail durait plus de six mois. À partir du 1er juillet 2021, une réduction de l’horaire de travail pour une durée de plus de trois mois ne pouvait être autorisée que jusqu’au 31 décembre 2021 au plus tard. Toute modification rétroactive d’un préavis existant devait faire l’objet d’une demande auprès de l’autorité cantonale jusqu’au 30 avril 2021 au plus tard.

D’après le ch. III al. 7 de la modification du 19 mars 2021 à la loi COVID-19 (RO 2021 153), l’art. 17b al. 1 est entré en vigueur rétroactivement le 1er septembre 2020, avec effet jusqu’au 31 décembre 2021.

Il ressort du message du Conseil fédéral relatif à une modification de la loi COVID-19 du 17 février 2021 que l’art. 17b crée une disposition directement applicable qui, après son entrée en vigueur, n’a pas besoin d’être mise en œuvre dans l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage. L’al. 1, 1ère phr., supprime totalement le délai de préavis pour toutes les entreprises. Le début de la réduction de l’horaire de travail pourra être autorisé à partir de la date du préavis pour autant que toutes les autres conditions dont dépend le droit à l’indemnité soient remplies. Par ailleurs, selon l’art. 36 al. 1 LACI, le préavis doit être renouvelé et la réduction de l’horaire de travail autorisée de nouveau si celle-ci dure plus de trois mois. L’al. 1, 2ème phr., de l’art. 17b de la loi COVID-19 prévoit que l’autorisation de réduction de l’horaire de travail émise par l’autorité cantonale sera désormais valable pendant six mois. Autrement dit, l’entreprise ne devra renouveler le préavis que si la réduction de l’horaire de travail dure plus de six mois. Cette réglementation allègera la charge administrative des entreprises et des organes d’exécution (FF 2021 285, p. 29s.).

Aucune modification n’a toutefois été apportée aux critères relatifs à la perte de travail à prendre en considération (art. 31 al. 1 let. b et 32 al. 1 et 3 LACI).

7.        En l’espèce, l’intimé s’est opposé au paiement de l’indemnité en cas de RHT, au motif que la perte de travail de la recourante n’était pas avérée.

7.1 En premier lieu, il sied d’examiner si la recourante a subi une perte de travail, ce que l’intimé conteste.

Selon les rapports des exercices 2017 à 2020, les chiffres suivants ont été confirmés par l’organe de révision :

Année Honoraires Charges de personnel Bénéfice de l’exercice

2017 2’106'809 755'839 190’255

2018 2'459'715 1'261'488 185’217

2019 3'013'796 1'555'408 39’936

2020 2'205'349 1'324'724 -468'701 (perte)

Le graphique produit par la recourante montre l’évolution du chiffre d’affaires trimestre par trimestre et année après année ; il permet de constater que pendant les années 2017 et 2018, le chiffre d’affaires a très nettement évolué du 2ème au 3ème trimestre puis du 3ème au 4ème trimestre. Pour les années 2019 et 2020, le chiffre d’affaires a connu une très importante augmentation entre le 1er et le 2ème trimestre, puis a fléchi entre le 2ème et le 3ème trimestre, avant de repartir à la hausse entre le 3ème et le 4ème trimestre pour l’année 2019, alors que la baisse du chiffre d’affaires s’est poursuivie entre le 3ème et le 4ème trimestre pour l’année 2020.

L’évolution du graphique de l’année 2020 montre de manière claire que le chiffre d’affaires est arrivé à plus de CHF 300'000.- pendant le 1er trimestre, puis est monté à CHF 800'000.- pendant le 2ème trimestre (soit au 30 juin 2020) avant de descendre aux environs de CHF 300'000.- pendant le 3ème semestre (soit au 30 septembre 2020) puis de passer sous le seuil de CHF 100'000.- pour le 4ème trimestre.

En comparaison, pendant les 3ème et 4ème trimestres des années 2017, 2018 et 2019, le chiffre d’affaires était systématiquement en augmentation, alors qu’il n’a cessé de diminuer pendant les 3ème et 4ème trimestres de l’année 2020.

La baisse importante du chiffre d’affaires de la société pendant les 3ème et 4ème trimestres est ainsi avérée.

7.2 Par ailleurs, la chambre de céans considère qu’il est établi au degré de la vraisemblance prépondérante que les mesures prises par les autorités à partir du mois de mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 ont eu un effet direct sur la baisse du chiffre d’affaires de la société.

En effet, l’activité de la société se porte essentiellement sur le conseil aux PME genevoises et vaudoises ; or, il est notoire que ces dernières ont été touchées de plein fouet par la pandémie, tout d’abord par la baisse de l’activité de représentation judiciaire devant les tribunaux, à tout le moins jusqu’au milieu de l’année 2020, et ensuite en raison de la diminution drastique de la demande en conseil pour les fusions et acquisitions – domaine de prédilection de la société – en raison du ralentissement général de la conjoncture et des incertitudes sur l’avenir, ce qui a mis un frein aux projets d’acquisitions d’entreprises et de montages commerciaux complexes.

Le ralentissement des affaires dans ces domaines a ainsi entraîné des conséquences directes sur l’activité de la recourante, de sorte que les conditions pour la reconnaissance d’un cas de rigueur au sens des art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI, dont la liste n’est pas exhaustive, doivent être considérées comme étant réalisées.

7.3 Toutefois, même dans un tel cas de figure, l’indemnisation est exclue si la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, en particulier en présence d’un risque normal d’exploitation (al. 1 let. a).

S’agissant de la perte de travail selon l’art. 33 al. 1 let. a LACI, il n’est pas contesté, ni contestable, que la pandémie de coronavirus constitue une circonstance exceptionnelle dépassant le cadre du risque normal d’exploitation à la charge de l’employeur (cf. Kurt Pärtli, Corona-Verordnungen des Bundesrates zur Arbeitslosenversicherung und zum Erwerbsausfall, in SZS 2020, p. 125).

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que les activités de la société se sont continuellement développées depuis 2017 et ont vu une croissance constante du personnel.

Néanmoins, alors que le chiffre d’affaires était de CHF 615'000.- par avocat en 2019, il est brutalement descendu à CHF 428'000.- par avocat en 2020.

Cette baisse du chiffre d’affaires est liée à la baisse soudaine du volume de travail, ce qui a entraîné la décision de résilier les contrats de travail de quatre avocats et d’un juriste pendant l’année 2020 ; ces éléments démontrent, selon l’appréciation de la chambre de céans, que la perte de travail est directement liée à la baisse du chiffre d’affaires consécutive à la pandémie de COVID-19.

Dès lors, il convient d’admettre que la perte de travail est due à des circonstances exceptionnelles non liées aux risques d’exploitation de la société.

7.4 Par ailleurs, les pertes de travail ne peuvent être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage. Cette dernière condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage incombant à la société et voulant que cette dernière prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail.

À cet égard, l’intimé s’est montré peu prolixe dans sa motivation, se contentant d’indiquer dans la décision querellée « qu’il appartient à l’employeur d’élargir ses domaines d’activité » sans apporter plus de précisions dans ses écritures ultérieures.

Il sied de rappeler que la demande de RHT présentée par la société porte sur la période allant du 9 novembre 2020 au 31 janvier 2021, soit grosso modo, le 4ème trimestre de l’année 2020 et le premier mois de l’année 2021.

Il est douteux qu’en plein milieu de la pandémie, la société puisse redéployer ses ressources et prendre des mesures lui permettant d’élargir son domaine d’activité de manière si rapide que les mesures puissent déjà produire leurs effets pendant le 4ème trimestre et conduire raisonnablement à ce que la société redresse son chiffre d’affaires dans un délai aussi court.

Même si l’on peut attendre d’une société regroupant des avocats qu’elle fasse preuve d’inventivité et redouble d’efforts pour développer ses relations avec la clientèle, en proposant, cas échéant, des nouveaux services en lien avec les problématiques soulevées par la crise sanitaire, il faut prendre en compte le fait qu’il s’agit d’une petite structure, de dix à quinze personnes qui sont spécialisées depuis de nombreuses années dans un domaine très particulier. Dès lors, considérer que ces avocats puissent se doter de nouvelles spécialisations dans un délai aussi court n’apparaît pas réaliste.

Cela ne correspond d’ailleurs pas au but de l’indemnité en cas de RHT qui est principalement de maintenir des emplois en cas de baisse temporaire de l’activité et non d’indemniser les pertes de travail durables. La recourante ne demande d’ailleurs pas d’indemnités RHT au-delà du 31 janvier 2021, ce qui démontre qu’elle anticipe un retour à une situation normale au début de l’année 2021.

Il résulte de ces éléments que c’est bien une baisse temporaire de l’activité – partant du chiffre d’affaires - qui est en jeu dans le cas d’espèce, et non pas la situation d’une société structurellement inadaptée au marché, pour laquelle l’indemnité en cas de RHT n’aurait pour effet que de retarder les adaptations nécessaires.

Il sied d’ajouter qu’un changement d’orientation, dont les bénéfices se sentent généralement sur la durée, n’apparaît pas approprié dans un délai aussi court ; outre la concurrence à laquelle la société s’exposerait par rapport à d’autres études déjà actives dans les nouveaux domaines de spécialisation, la société serait amenée à restructurer son organisation, sa clientèle et ses employés.

Une adaptation d’une telle ampleur ne saurait être considérée comme une mesure appropriée et économiquement supportable, étant précisé que la société a déjà pris des mesures drastiques pour réduire son dommage et a diminué ses charges salariales en licenciant, dans le courant de l’année 2020, quatre avocats et une juriste et en évitant de repourvoir un poste de juriste devenu vacant pendant cette même année.

7.5 Il résulte de ce qui précède que les conditions posées par la loi pour accorder des indemnités en cas de RHT à la recourante sont ainsi réunies.

8.        La question d’un éventuel délai de préavis ne se pose pas dès lors que le formulaire de préavis a été transmis le 26 octobre 2020 pour la période allant du 9 novembre 2020 au 31 janvier 2021.

On ajoutera que, selon l’art. 17b al. 1 de la loi COVID-19, entré en vigueur avec effet rétroactif au 1er septembre 2020, aucun délai de préavis ne doit être observé pour la RHT (voir supra ch. 6.3).

9.        Le recours sera donc admis et la décision litigieuse modifiée en ce sens que la recourante a droit aux indemnités en cas de RHT, pour dix employés, pour la période allant du 9 novembre 2020 jusqu’au 31 janvier 2021, sous réserve de l’examen par la caisse de chômage des conditions conformément à l’art. 39 LACI.

10.    La recourante, qui n'est pas représentée en justice mais agit par l’intermédiaire de son associé gérant et qui n'a pas allégué ou démontré avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n'a pas droit à des dépens.

11.    Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA, dans sa version – applicable en l’occurrence - en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 en lien avec l’art. 1 al. 1 LACI).

 

* * * * * *

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 24 novembre 2020.

4.        Dit que la recourante a droit aux indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail pour dix employés, pour la période allant du 9 novembre 2020 jusqu’au 31 janvier 2021, sous réserve de l’examen par la caisse de chômage des conditions conformément à l’art. 39 LACI.

5.        Dit qu’il n’est pas octroyé de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le