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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4198/2022

ATA/15/2024 du 09.01.2024 sur JTAPI/258/2023 ( LCR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4198/2022-LCR ATA/15/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 janvier 2024

1ère section

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES recourant

contre

A______ intimé
représenté par Me Guillaume FAUCONNET, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mars 2023 (JTAPI/258/2023)


EN FAIT

A. A______ est titulaire du permis de conduire toutes catégories, sous-catégorie et catégorie spéciale F, ainsi que du permis d’élève conducteur pour la catégorie B. Il exerce la profession de livreur.

B. a. Par décision du 30 janvier 2013, l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) a prononcé le retrait du permis de conduire d’A______ pour une durée de trois mois en raison d’une infraction grave aux règles de la circulation routière commise le 29 décembre 2012, à savoir la conduite en état d’ébriété en présentant un taux d’alcoolémie qualifié.

La mesure a été exécutée du 29 décembre 2012 au 10 janvier 2013 et du 1er février au 17 avril 2013.

b. Par décision du 29 avril 2013, l’OCV a prononcé le retrait du permis de conduire d’A______ pour une durée de douze mois en raison d’une infraction grave aux règles de la circulation routière commise le 27 mars 2013, à savoir la conduite malgré une mesure de retrait du permis de conduire et une priorité n’ayant pas été accordée.

La mesure a été exécutée du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014.

c. Par décision du 20 août 2015, l’OCV a prononcé, en application de l’art. 16c al. 2 let. d de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958
(LCR - RS 741.01), le retrait du permis de conduire d’A______ pour une durée indéterminée, mais au minimum pour deux ans, en raison d’une infraction grave aux règles de la circulation routière, à savoir la conduite en état d’ébriété en présentant un taux d’alcoolémie qualifié commise le 15 juin 2015 ainsi que la conduite d’un véhicule à moteur malgré la saisie du permis de conduire commise le 16 juillet 2015. A______ devait en outre se soumettre à une expertise du centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) avant toute demande de levée de la mesure.

Le CURML, ayant conclu à l’aptitude d’A______ à la conduite des véhicules à moteur, l’OCV a, par décision du 26 novembre 2021, levé la mesure du 20 août 2015.

C. a. Le 9 juin 2022, A______ a été impliqué dans un accident de la circulation dans le canton du Valais. Selon le rapport de la police, il avait engagé son véhicule sur la route cantonale alors qu’il devait céder le passage aux véhicules circulant sur cette route, un heurt avec une voiture roulant sur la route principale s’en étant suivi.

b. Le 16 août 2022, l’OCV a informé A______ que les autorités de police valaisanne avaient porté à sa connaissance son implication dans un accident de la circulation routière survenu le 9 juin 2022, lui demandant de se déterminer à ce sujet avant la prise d’une mesure administrative à son encontre.

c. Le 27 août 2022, A______ a indiqué à l’OCV que, le 9 juin 2022, il avait remarqué une voiture sur la route principale, sur laquelle la vue était toutefois obstruée par la présence d’un camion garé sur le bas-côté. Il s’était néanmoins engagé sur la route principale et un heurt avec ladite voiture, qui ne pouvait pas le voir en raison de la présence du camion, était survenu. Personne n’avait toutefois été blessé.

d. Par décision du 11 novembre 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’OCV a prononcé, en application de l’art. 16b al. 2 let. e (recte : let. f) LCR, le retrait du permis de conduire d’A______ pour une durée indéterminée, mais au minimum pour cinq ans, en raison d’une infraction moyennement grave aux règles de la circulation routière commise le 9 juin 2022, à savoir une priorité non accordée à un véhicule prioritaire et un heurt. La levée de la mesure était subordonnée à la présentation d’un rapport d’expertise établi par le CURML, qui devrait se déterminer favorablement au sujet de son aptitude à la conduite.

D. a. Par acte du 6 décembre 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision de l’OCV du 11 novembre 2022, concluant à son annulation.

L’infraction récemment commise devait être considérée comme légère, dès lors que la sécurité d’autrui n’avait pas été mise en danger. En tout état, son permis ne lui avait pas été retiré à trois reprises, mais deux fois, la dernière mesure ayant été prise en 2015. Depuis lors, il avait adopté un comportement irréprochable sur la route.

b. L’OCV a conclu au rejet du recours.

c. Par jugement du 8 mars 2023, le TAPI a admis le recours.

L’infraction commise par A______ n’était pas légère, comme il l’alléguait, mais moyennement grave, étant donné la mise en danger grave provoquée.

La décision litigieuse semblait rattacher le retrait définitif prononcé sur la base de l’art. 16b al. 1 (recte : al. 2) let. f LCR au fait qu’A______ aurait fait l’objet d’une mesure au sens de l’art. 16 (recte : 16b) al. 1 (recte : al. 2) let. e LCR. Tel n’était toutefois pas le cas, puisque le dernier retrait du permis de conduire, daté du 20 août 2015, était fondé sur l’art. 16c al. 2 let. d LCR, dès lors que l’intéressé n’avait alors fait l’objet que de deux retraits du permis de conduire, et non de trois comme dans l’hypothèse de l’art. 16 (recte : 16b) al. 1 (recte : al. 2) let. e LCR. Cela n’avait toutefois pas d’incidence dans le cas d’espèce, puisque le précédent retrait du 20 août 2015 était antérieur de plus de cinq ans à l’infraction commise le 9 juin 2022, de sorte que l’art. 16b al. 2 let. f LCR n’était pas applicable. Seul l’art. 16b al. 2 let. e LCR pouvait s’appliquer, puisqu’il faisait remonter l’antériorité du dernier retrait du permis de conduire à dix ans, délai englobant le retrait du 20 août 2015. Par conséquent, la décision litigieuse n’était pas conforme à l’art. 16b al. 2 let. f LCR. Les circonstances du cas d’espèce imposaient toutefois un retrait du permis de conduire selon l’art. 16b al. 2 let. e LCR, soit à titre définitif mais au minimum pour deux ans.

E. a. Par acte expédié le 24 avril 2023, l’OCV a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à la confirmation de la décision du 11 novembre 2022.

Les délais de récidive commençaient à courir à l’expiration du retrait antérieur, c’est-à-dire à l’exécution complète de la mesure antérieure. Dans le cas présent, il fallait tenir compte des dates suivantes pour définir si la mesure de retrait définitif était ou non justifiée : le 26 novembre 2021, qui marquait la fin du retrait de durée indéterminée prononcé le 20 août 2015, et le 9 juin 2022, date de la commission de la quatrième infraction six mois et demi après la fin de la dernière mesure. En considérant que le calcul du délai de cinq ans devait être effectué à compter du prononcé de la décision du 20 août 2015, et non pas à compter de la date de la levée de la mesure le 26 novembre 2021, au regard de l’infraction commise le 9 juin 2022, le TAPI avait violé le droit. Il s’ensuivait que le retrait définitif de cinq ans au moins prononcé sur la base de l’art. 16b al. 2 let. f LCR devait être confirmé.

b. Le 15 juin 2023, A______ a conclu au rejet du recours.

Le point de départ du calcul du délai de cinq ans commençait à courir dès la date du prononcé du retrait de permis antérieur. Dans son cas, le retrait du permis fondé sur l’art. 16c al. 2 let. d LCR avait été prononcé le 20 août 2015, de sorte que le délai de cinq ans de l’art. 16b al. 2 let. f LCR prenait fin le 20 août 2020. Or, l’infraction moyennement grave s’était produite le 9 juin 2022, soit près de deux ans après la fin du délai susmentionné, de sorte qu’elle était réalisée en dehors de l’échéance des cinq ans prévue par l’art. 16b al. 2 let. f LCR. Comme l’avait à juste titre retenu le TAPI, cette dernière disposition ne s’appliquait pas à son cas, contrairement à l’art. 16b al. 2 let. e LCR.

c. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.


 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ -
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) 2.1 Le litige a trait au retrait du permis de conduire prononcé par l’autorité recourante à l’encontre de l’intimé pour faute moyennement grave, plus précisément la question de l’application de l’art. 16b al. 2 let. f LCR, comme le soutient l’OCV, ou de l’art. 16b al. 2 let. e LCR, comme l’a retenu le TAPI, ce qui suppose de déterminer le point de départ du calcul du délai de récidive, seul élément contesté du jugement entrepris.

2.2 En vertu de l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l’espèce.

3) 3.1 Selon l’art. 16b al. 2 let. f LCR, après une infraction moyennement grave, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré définitivement si, au cours des cinq années précédentes, le permis a été retiré en vertu de la let. e ou de l’art. 16c al. 2 let. d LCR. Ainsi, aux termes de l’art. 16b al. 2 let. e LCR, le permis est retiré pour une durée indéterminée mais pour deux ans au minimum si, au cours des dix années précédentes, le permis a été retiré à trois reprises en raison d’infractions qualifiées de moyennement graves au moins ; selon l’art. 16c al. 2 let. d LCR, après une infraction grave, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré pour une durée indéterminée, mais pour deux ans au minimum, si, au cours des dix années précédentes, le permis a été retiré à deux reprises en raison d’infractions graves ou à trois reprises en raison d’infractions qualifiées de moyennement graves au moins.

3.2 De jurisprudence constante, en droit de la circulation routière, un conducteur se trouve en état de récidive lorsqu’il commet un délit qui entraîne un retrait du permis obligatoire dans les deux ans – voire cinq ans – depuis la fin de l’exécution d’un précédent retrait (ATF 136 II 447 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_492/2020 du 18 novembre 2020 consid. 3.1 ; 1C_104/2015 du 22 juillet 2015 consid. 3.1). Les dispositions actuelles relatives au retrait du permis, en vigueur depuis le 1er janvier 2005, n’ont pas introduit de changement quant au point de départ du calcul du délai (ATF 136 II 447 consid. 5.3).

3.3 En l’espèce, l’exécution du retrait du permis de l’intimé pour faute grave prononcé le 20 août 2015 s’est achevée le 26 novembre 2021, date à laquelle l’autorité intimée a levé la mesure et qui constitue le point de départ du délai de récidive selon la jurisprudence précitée. C’est dès lors à tort que le TAPI a retenu que l’infraction moyennement grave, dont la qualification n’est au demeurant plus litigieuse, commise le 9 juin 2022 était postérieure de plus de cinq ans à l’infraction du 20 août 2015, ce qui l’a conduit à conclure que l’art. 16b al. 2 let. f LCR n’était pas applicable. Au contraire, cette disposition s’applique à l’intimé, lequel a fait l’objet de trois précédents retraits du permis pour faute grave, dont la mesure prise en application de l’art. 16c al. 2 let. d LCR le 20 août 2015 basée sur les deux antécédents des 30 janvier et 29 avril 2013. C’est dès lors à juste titre que l’autorité recourante a prononcé le retrait du permis de conduire de l’intimé pour une durée indéterminée en application de l’art. 16b al. 2 let. f LCR, mais au minimum pour cinq ans (art. 23 al. 3 LCR).

Le recours sera par conséquent admis et le jugement entrepris annulé.

4) Malgré l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu, l’intimé plaidant au bénéfice de l’assistance juridique. L’OCV ayant agi pour la défense de ses propres intérêts, il ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure, qu’il ne réclame d’ailleurs pas (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 avril 2023 par l’office cantonal des véhicules contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mars 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mars 2023 ;

rétablit la décision de l’office cantonal des véhicules du 11 novembre 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’office cantonal des véhicules, à Me Guillaume FAUCONNET, avocat de l’intimé, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l’office fédéral des routes.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

 

 

 

 

 

la greffière :