Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1525/2022

ATA/982/2023 du 12.09.2023 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 19.10.2023, rendu le 04.04.2024, ADMIS, 1C_577/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1525/2022-FPUBL ATA/982/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Robert ASSAEL, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. Par arrêté du 14 juin 2021, le conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS) a décidé de l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de A______. Il lui était reproché d’avoir entretenu une relation de proximité avec l’exploitant d’un salon de massage, une centaine de messages ayant été échangés entre eux jusqu’en février 2019 en tout cas. Lors de ces échanges, le policier aurait transmis des informations dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Il aurait, en outre, été ou serait toujours impliqué dans l’exploitation des salons de massage de son épouse.

b. Interpellé sur la question de la prescription des faits sur lesquels porte l’enquête administrative, l’enquêteur a, par décision du 17 septembre 2021, retenu que les faits visés par l’arrêté d’ouverture de l’enquête administrative n’étaient pas prescrits, sous réserve de ceux s’étant produits les 30 août, 5 septembre et 11 octobre 2011.

c. Par arrêt du 22 mars 2022, la chambre administrative de la Cour de justice a déclaré irrecevable le recours formé contre cette décision. Il n’entrait pas dans la compétence de l’enquêteur de statuer sur une question de droit matériel, telle la prescription.

L’intéressé aurait dû soulever l’exception de prescription en recourant contre l’arrêté d’ouverture de l’enquête administrative, « ou le cas échéant […] solliciter, de la part du DSPS, la prise d’une décision relative à la prescription, pour autant que cette question puisse effectivement déjà être résolue à ce stade de la procédure ».

d. A______ a demandé au DSPS, le 7 avril 2022, de se déterminer sur la question de la prescription des faits à élucider.

e. Le DSPS a, par courriel du 29 avril 2022 adressé au conseil du recourant, répondu qu’il était prématuré de se prononcer sur cette question. L’enquête devait établir si certains faits ou l’ensemble de ceux-ci constituaient un délit continu. Toutefois, si tel était le cas, la prescription n’était pas acquise et certains faits perduraient encore. Le DSPS allait se prononcer lors de l’issue de l’enquête sur la question de savoir s’il entendait renoncer à toute sanction, en prononcer une si la prescription n’était pas acquise, voire emprunter une autre voie que celle disciplinaire. Enfin, cette question aurait dû être soulevée au moment de l’ouverture de l’enquête administrative. L’intéressé était forclos à se prévaloir de ce moyen. Il était précisé que le courrier ne constituait pas une décision.

B. a. Par acte expédié le 12 mai 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce courrier, concluant, à titre provisionnel, à ce que l’enquête administrative soit suspendue jusqu’à droit jugé sur la question de la prescription, et, principalement, à ce que celle-ci soit constatée.

Le courrier constituait une décision incidente, quand bien même il avait été adressé par courriel uniquement et ne mentionnait pas les voies de recours. En cas d’admission du recours, une décision finale pourrait éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. L’établissement des faits survenus les 27 mars 2018, 1er mai et 21 juin 2019 nécessiterait l’audition de nombreux témoins. La commandante de la police avait eu connaissance des faits le 3 décembre 2019, date à laquelle le rapport de l’IGS du 18 novembre 2019 lui avait été remis. L’ensemble des faits étaient ainsi prescrits depuis le 4 décembre 2020.

b. Le DSPS a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement au rejet de la requête de mesures provisionnelles. Le courriel du 7 avril 2022 ne constituait pas une décision. Même si tel était le cas, le recours était formé hors délai, soit treize jours après sa réception par le conseil du recourant. Si le recours était déclaré recevable, l’octroi de mesures provisionnelles n’était justifié par aucune urgence ni par un quelconque intérêt prépondérant.

c. Dans sa réplique sur mesures provisionnelles, le recourant a relevé qu’en raison de la notification irrégulière, il ne devait pas subir de préjudice de l’absence d’indication des voies et délais de recours. Pour le surplus, les mesures provisionnelles requises étaient pleinement justifiées.

d. Dans le délai imparti pour se prononcer sur le fond, le DSPS, devenu entretemps le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), s’est déterminé sur celui-ci et a complété ses déterminations sur mesures provisionnelles. Malgré l’absence de décision sur mesures provisionnelles, l’enquêteur n’avait procédé à aucun acte d’instruction. Si le recours devait être déclaré recevable, il convenait de retenir que les agissements du recourant constituaient un délit continu ou durable, puisqu’il s’agissait d’un comportement de même nature, au préjudice du même bien juridique. Le rapport de l’IGS du 18 novembre 2019 n’établissait pas si les agissements reprochés avaient perduré après cette date. Seule l’enquête administrative permettrait de l’établir. Ainsi, la dernière date des agissements possiblement répréhensibles n’était pas encore établie, de sorte que la prescription n’avait pas encore commencé à courir.

e. Par courrier du 31 juillet 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur mesures provisionnelles.

f. Se déterminant sur l’écriture sur le fond de l’autorité intimée, le recourant a relevé que le 14 février 2019, l’exploitant du salon de massage avait été arrêté et son téléphone saisi. Le recourant n’avait donc plus pu avoir de contacts avec celui-ci. Il contestait avoir été ou toujours être impliqué dans l’exploitation du salon de massage de son épouse. Celle-ci n’en gérait d’ailleurs plus « suite à la période Covid », soit antérieurement à l’ouverture de l’enquête administrative.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était également gardée à juger sur le fond.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

Se pose cependant la question de savoir s’il a été formé dans le délai légal de dix jours, les parties s’accordant, à juste titre, sur le fait que le courriel du 7 avril 2022, s’il devait être qualifié de décision, constituerait une décision incidente au sens de l’art. 57 let. c LPA, devant être attaquée dans le délai de dix jours (art. 62 al. 1 let. b LPA).

2.             La LPA contient les règles générales de procédure s'appliquant à la prise de décision par l'autorité. Sont réputées autorités au sens de la LPA les autorités administratives ainsi que les juridictions administratives (art. 1 al. 1 et 2).

2.1 Selon l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a) ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). Les décisions incidentes sont également considérées comme des décisions (art. 4 al. 2 LPA).

À teneur de l'art. 5 LPA, sont réputées autorités administratives au sens de l'art. 1, notamment, le Conseil d'État (let. a) et les départements (let. c).

2.2 En l’espèce, le DIN constitue une autorité administrative au sens de l’art. 5 al. 1 let. c LPA.

Bien que le DIN ait indiqué dans son courriel ne pas pouvoir se prononcer sur la question de savoir si les faits sous enquête étaient prescrits, il a exposé que dans l’éventualité où l’enquête établirait que certains agissements perdureraient, il conviendrait de retenir l’existence d’un délit continu, de sorte que la prescription n’avait pas commencé à courir. Dans sa détermination sur le fond devant la chambre de céans, le DIN a répété qu’il considérait les agissements reprochés comme un délit continu qui pourrait encore perdurer, de sorte que le délai de prescription n’avait même pas commencé à courir. Le recourant pouvait donc, de bonne foi, comprendre – comme il l’a d’ailleurs fait – que le courriel litigieux retenait que la prescription n’était pas acquise. Ledit courriel constitue ainsi une décision, dès lors qu’il constate l’absence du bienfondé d’un droit, à savoir celui permettant de mettre fin à l’action disciplinaire alors en cours. Il s’agit ainsi d’une décision incidente susceptible de recours dans le délai légal de dix jours.

Le courriel ayant été reçu par le conseil du recourant le 29 avril 2022, le recours formé le 12 mai 2022 apparaît tardif. Le recourant se prévaut toutefois des vices de forme affectant la décision, qui ne sauraient lui porter préjudice.

2.3 Selon l’art. 46 al. 1 LPA, les décisions doivent en principe être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours. Elles sont notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit (art. 46 al. 2 phr. 1 LPA). Une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA). D’après la jurisprudence, ce n'est pas la forme de l'acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/775/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3a).

D’après un principe général du droit, déduit de l’art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) protégeant la bonne foi du citoyen et concrétisé en droit genevois par l’art. 47 LPA, le défaut d’indication ou l’indication incomplète ou inexacte des voies de droit ne doit en principe entraîner aucun préjudice pour les parties (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2 ; 117 Ia 297 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_471/2019 du 11 février 2020 consid. 3.1). Demeure toutefois réservée l’obligation, pour l’administré, d’agir de manière conforme aux règles de la bonne foi (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Ainsi, lorsque l’indication des voies de droit fait défaut, il est attendu du justiciable qu’il fasse preuve de diligence en recherchant lui-même les informations nécessaires. Il s'ensuit que le plaideur dépourvu de connaissances juridiques peut se fier à une indication inexacte du délai de recours, s'il n'est pas assisté d'un avocat et qu'il ne jouit d'aucune expérience particulière résultant, par exemple, de procédures antérieures (ATF 135 III 374 consid. 1.2.2). En revanche, le plaideur expérimenté ou assisté d'un avocat ne peut pas se prévaloir de l'indication erronée lorsqu'il aurait dû se rendre compte de l'inexactitude en agissant avec l'attention commandée par les circonstances (ATF 141 III 270 consid. 3.3 i.f. ; 138 I 49 consid. 8.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_471/2019 du 11 février 2020 consid. 3.1 ; 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 5.1).

2.4 En l’espèce, le recourant est, dans son litige l’opposant à son employeur, assisté d’un avocat depuis plusieurs années. C’est d’ailleurs celui-ci qui a requis, le 7 avril 2022, à la suite de l’arrêt de la chambre administrative du 22 mars 2022, que le DIN constate la prescription des faits sous enquête. Compte tenu de sa formation, l’homme de loi était en mesure d’apprécier le caractère du courriel litigieux et d’agir en conséquence. En tant qu’il se prévaut de l’irrégularité de la notification, qui est intervenue par voie électronique, pour justifier le fait d’avoir agi après l’échéance du délai légal, il ne saurait être suivi. En effet, bien qu’entaché d’un vice de forme, la décision a, le 29 avril 2022, atteint le représentant du recourant, à qui le courriel était adressé et qui l’a identifiée comme telle. Il lui appartenait ainsi d’agir dans le délai légal de dix jours pour préserver les droits de son client.

Ayant été formé plus de dix jours après la réception du courriel litigieux, le recours est tardif et doit, partant, être déclaré irrecevable.

Le présent arrêt rend sans objet la requête de mesures provisionnelles.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

 

déclare irrecevable le recours formé le 12 mai 2022 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 29 avril 2022 ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de A______;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14 par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAEL, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :