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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1144/2022

ATA/667/2023 du 20.06.2023 sur JTAPI/1144/2022 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL);FRAIS SUPPLÉMENTAIRES CAUSÉS PAR L'INVALIDITÉ;DÉPENSE SOMPTUAIRE
Normes : LIFD.33.al1.leth bis; LHID.9.al2.leth bis; LIPP.32.letc
Résumé : Rejet du recours de la contribuable contre le jugement confirmant le refus de prendre en compte, à titre de déduction fiscale, les frais liés au handicap pour la partie qui dépasse le coût annuel d’une prise en charge dans l’EMS genevois le plus cher sous déduction des frais courants incompressibles de celui-ci. Les frais dépassant ce coût doivent être qualifiés de dépense somptuaire, exclue de la déduction fiscale en cause par la jurisprudence fédérale et la circulaire fédérale topique.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1144/2022-ICCIFD ATA/667/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Pietro RIGAMONTI, curateur

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée
et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 31 octobre 2022 (JTAPI/1144/2022)


EN FAIT

A. a. A______, née en 1938, a été placée sous curatelle de représentation et gestion, confiée à Me Pietro RIGAMONTI, par décisions judiciaires de juillet 2017 et janvier 2021.

Ce dernier a notamment pour tâche de la représenter dans ses rapports juridiques avec les tiers, en particulier en matière d’affaires administratives et juridiques, de gérer ses revenus et sa fortune et d’administrer ses affaires courantes ainsi que de veiller à son état de santé, mettre en place les soins médicaux nécessaires et la représenter dans le domaine médical.

B. a. Par décisions sur réclamation du 3 mars 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a confirmé les taxations de 2020 relatives à l’impôt fédéral direct (IFD) et aux impôts cantonaux et communaux (ICC) de A______.

L’AFC-GE a refusé de prendre en compte, à titre de déduction, les frais liés à un handicap pour un montant de CHF 340'760.- annoncé par la contribuable dans sa déclaration fiscale 2020. Elle a retenu, à ce titre, la somme de CHF 83'785.- qui correspondait au coût supérieur journalier dans un EMS genevois (CHF 269.- par jour), soit CHF 98'185 par an sous déduction des frais courants incompressibles de CHF 14'400.- par an.

Rappelant l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_479/2016 du 12 janvier 2017, l’AFC-GE a expliqué que les frais liés au handicap devaient être limités au montant annuel des frais de pension dans un EMS genevois « haut de gamme » sous déduction des frais courants incompressibles. Lorsqu’un contribuable choisissait, pour des raisons personnelles ou parce que sa situation financière lui permettait, de rester à son domicile, une déduction supérieure à celle qu’il aurait dans un EMS genevois n’était pas admise.

b. Par jugement du 31 octobre 2022, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a rejeté le recours de A______ contre les décisions sur réclamation. Il s’est limité à examiner la question de la déductibilité de la totalité des frais de handicap avancés par la contribuable, précisant que la qualification de celle-ci en tant que personne handicapée et la nécessité d’une assistance permanente étaient reconnues.

ba. Considérant que la somme admise par l’AFC-GE, à titre de déduction pour frais de handicap, avait un caractère forfaitaire puisqu’elle était appliquée aux contribuables vivant chez eux et ne démontrant pas le montant exact de leurs frais effectifs, le TAPI a jugé qu’il appartenait à l’intéressée de démontrer que ses frais de handicap effectifs dépassaient le forfait fixé à CHF 83'785.- résultant du calcul précité.

Or, le montant allégué par la contribuable s’élevant à CHF 340'760.- représentait la masse salariale brute de six personnes employées à son domicile en 2020. Cela ne permettait pas d’admettre d’emblée que l’intégralité de cette somme avait été générée exclusivement par son handicap. Rien ne permettait d’exclure que ces personnes avaient également accompli d’autres tâches, sans lien étroit avec son handicap, soit en particulier des tâches ménagères, de soin courant de sa personne ou de compagnie. De telles tâches étaient prévues dans leurs contrats d’engagement. Les prestations telles que « aide à domicile, préparation des repas, tenue du ménage, aide aux soins et à l’hygiène, aide et accompagnement, sorties » n’étaient pas occasionnées, stricto sensu, par son handicap, mais relevaient de l’entretien courant de sa personne et de son domicile respectivement de sa convenance personnelle.

Elle ne démontrait pas qu’elle ne pourrait pas obtenir les prestations de « surveillance permanente » et d’encadrement au sein d’un EMS. Les affirmations de sa médecin traitant et de son infirmière, non étayées et formulées de façon très générale, n’étaient pas suffisantes. Le fait que l’encadrement ne soit pas le même en EMS que celui dont elle avait bénéficié à son domicile en y employant six personnes ne signifiait pas que cet encadrement, a fortiori les frais y relatifs, était nécessairement causés par son handicap. Le choix de rester à domicile et l’encadrement mis en place à cette fin relevaient davantage de la convenance personnelle, tout à fait légitime, que d’une nécessité médicale. Le législateur avait posé une limite à la déductibilité des frais de handicap en ce sens que ceux-ci devaient effectivement être occasionnés par un handicap.

La contribuable, qui avait le fardeau de la preuve, n’avait pas établi que tous les frais de handicap allégués avaient été nécessaires et qu’ils étaient dès lors déductibles, rappelant que le caractère d’exception des déductions à l’impôt devait entraîner une interprétation restrictive tant de la nature que de l’étendue de celles-ci. Si, certes, parmi les frais allégués se trouvaient forcément des frais en lien avec son handicap, elle ne fournissait pas de preuves concrètes permettant de les distinguer et de déterminer leur montant exact. Dans ces circonstances, la déduction (forfaitaire) admise par l’AFC en vertu de la jurisprudence susmentionnée, fondée sur la référence des EMS reconnus dans le canton de Genève, devait être confirmée.

bb. Pour ces mêmes raisons, le TAPI a écarté les deux conclusions subsidiaires de la contribuable visant des déductions d’un montant de CHF 240'394.10 respectivement de CHF 272'290.-. Dans le premier cas, la somme alléguée comprenait les salaires effectifs de deux employés (CHF 142'209.70) sans qu’il ne soit possible de déterminer dans quelle mesure ces rémunérations concernaient les prestations en lien direct avec son handicap et incluaient le forfait de CHF 98'185.- admis par l’AFC-GE, alors qu’une déduction cumulant les frais forfaitaires et effectifs était exclue.

Dans le second cas, la contribuable fondait la déduction alléguée sur le coût effectivement supporté par un EMS dans un cas comme le sien, et non sur le montant qui lui aurait été effectivement facturé. Or, il n’y avait pas de raison, selon le TAPI, qu’elle puisse déduire de son revenu des coûts pris en charge par la collectivité publique et les assurances. La déduction au sens des art. 33 al. 1 let. hbis de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et art. 32 let. c de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) était uniquement possible pour les dépenses effectives et à charge du contribuable, soit non assumées par les assurances, privées ou sociales. Pour admettre une telle déduction, il n’était pas déterminant que son choix de vivre chez elle et de prendre à sa charge la totalité des frais de son handicap puisse être, selon elle, plus économique pour la collectivité.

bc. Le grief tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement par rapport aux contribuables handicapés vivant dans un EMS était aussi écarté puisque sa situation n’était pas comparable à celle de ces derniers, dans la mesure où elle vivait à son domicile. Elle avait été traitée de la même manière que les contribuables handicapés vivant chez eux, raison pour laquelle elle avait subi une réduction de CHF 14'400.- pour frais d’entretien courant.

C. a. Par acte déposé le 2 décembre 2022, Mme A______ a formé recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation. Elle a, à titre préalable, sollicité l’audition de la Docteure B______, sa médecin traitant, spécialiste en gériatrie, celle de C______, son infirmière à domicile depuis le 10 octobre 2018 jusqu’en 2022, et celle de son curateur. Elle a conclu à la prise en compte d’une déduction d’un montant fixé principalement à CHF 340'760.- et subsidiairement à CHF 225'994.70, réduisant d’autant son revenu imposable IFD et ICC de 2020, à la prise d’une nouvelle décision fiscale tenant compte des règles sur le bouclier fiscal et au remboursement de la somme minimale de CHF 113'042.54 à titre d’impôts payés en trop sur l’exercice 2020.

Plus subsidiairement, elle a demandé le renvoi de la cause au TAPI pour complément d’instruction sur trois aspects (adéquation des frais d’encadrement encourus en lien avec son handicap, impossibilité pour elle d’obtenir des prestations équivalentes en EMS, inexistence d’un plafond à la déductibilité des frais de handicap) ainsi que l’audition de sa médecin traitant et de son infirmière par le TAPI. Cette juridiction avait violé son droit d’être entendue en refusant de donner suite à ces auditions tout en écartant les déclarations écrites de ces deux personnes, considérées trop générales et non étayées.

Elle souffrait de démence qui s’était aggravée à la suite du décès de son mari en 2018. Elle produisait une attestation de sa médecin traitant du 6 novembre 2020 préconisant la poursuite de sa curatelle de gestion et de représentation, en raison de sa perte d’autonomie, notamment au niveau de son hygiène personnelle, de la nécessité d’être surveillée pour éviter de s’empoisonner, et de sa dépendance pour la plupart des activités instrumentales de la vie quotidienne. Dans un questionnaire rempli le 10 février 2022 au sujet des frais liés à un handicap, pièce produite devant le TAPI, sa médecin traitant certifiait la nécessité médicale d’un encadrement quotidien complet et d’une surveillance permanente (24h sur 24h) en raison d’une démence modérée à sévère et concluait que la situation n’avait pas changé en 2021 par rapport à 2020 (« mêmes réponses »). En outre, la contribuable avait été hospitalisée en mai 2017 pour des problèmes de santé de nature psychique et produisait un rapport des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) des 30 mai et 6 juin 2017. Elle avait été autorisée par les médecins des HUG à retourner à son domicile à condition qu’elle y bénéficie d’un encadrement complet, soit une surveillance constante 24 heures sur 24. Ce type d’encadrement ne pouvait pas être garanti en EMS selon la médecin traitant et l’infirmière qui l’attestaient dans des documents des 7 et 6 avril 2022 produits dans le dossier, ce qui était au surplus un fait notoire. Cela avait justifié dès septembre 2017 l’engagement de plusieurs employés comme le démontraient les contrats de travail produits au dossier. Son précédent médecin traitant certifiait dans une attestation du 3 octobre 2019 qu’elle nécessitait un encadrement à domicile « continu et constant, ce depuis plusieurs années, pour raisons médicales », ce qui impliquait la présence permanente de plusieurs personnes. La somme déclarée de CHF 340'760.-, détaillée dans la pièce 3 produite devant le TAPI, était ainsi due, dans son intégralité, aux frais liés à son handicap.

Elle a sollicité l’audition de sa médecin traitant, de son infirmière et de son curateur pour démontrer le lien entre les frais allégués et son handicap ainsi que le fait qu’elle ne pourrait pas bénéficier en EMS d’une surveillance permanente et des soins dont elle avait besoin. Elle a produit un planning hebdomadaire de deux EMS genevois concernant les activités proposées à leurs résidents, afin de démontrer qu’ils n’étaient pas surveillés en permanence et qu’il existait des plages horaires où ils étaient seuls, ce qui ne correspondait pas à ses besoins. Le seul mode de vie compatible avec son état de santé était l’encadrement « permanent et complet » à domicile, ce d’autant plus qu’elle refusait d’aller vivre en EMS. Sa médecin traitant a confirmé, par certificat du 10 novembre 2022, la nécessité d’une assistance personnelle 24h sur 24 en raison d’une démence avancée qui la rendait dépendante pour toutes les activités instrumentales de la vie quotidienne et a précisé que la « stimulation mise en place par une assistance permanente permettait de maintenir au mieux l’autonomie résiduelle ».

b. Les parties ont ensuite répondu puis répliqué, en maintenant leur position.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, y compris sur les actes d’instruction sollicités.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par la contribuable, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 60 al. 1 let. a et b et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite l’audition de sa médecin traitant, de son infirmière et de son curateur devant la chambre administrative.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

2.2 En l’espèce et pour les raisons développées ci-après, il n’est pas nécessaire pour l’issue du présent litige d’instruire les questions susmentionnées au sujet desquelles la recourante souhaite procéder aux auditions sollicitées. Dès lors, la chambre administrative renonce à y donner suite. Pour le même motif, il convient de retenir que le TAPI n’a pas violé le droit d’être entendue de la recourante en refusant de procéder aux auditions sollicitées.

3.             Le litige porte uniquement sur l’étendue de la déduction fiscale pour les frais liés à un handicap au sens des art. 33 al. 1 let. hbis de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), art. 9 al. 2 let. hbis de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et art. 32 let. c de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

3.1 En matière d’impôts directs, le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés dans les dispositions topiques, à savoir les art. 26 à 33a LIFD et les art. 29 à 37 LIPP (art. 25 LIFD ; art. 28 LIPP ; cf. art. 9 al. 1 phr. 1 LHID). Sont en particulier déduits du revenu, les frais liés au handicap du contribuable (ou d’une personne à l’entretien de laquelle il subvient) lorsque le contribuable (ou cette personne) est handicapé au sens de la loi du 13 décembre 2002 sur l’égalité pour les handicapés et que le contribuable supporte lui-même les frais (art. 33 al. 1 let. hbis LIFD ; art. 9 al. 2 let. hbis LHID ; art. 32 let. c LIPP).

3.2 Le Tribunal fédéral a, à plusieurs reprises, admis l’application de la Circulaire n° 11 de l’administration fédérale des contributions du 31 août 2005 concernant la déductibilité des frais de maladie et d’accident et des frais liés à un handicap (ci-après : la Circulaire n° 11), notamment de son chiffre 4.2, dans la mesure où elle permet une correcte et convaincante application des dispositions légales déterminantes (arrêts du Tribunal fédéral 9C_635/2022 du 31 mai 2023 consid. 2.3.1 ; 2C_450/2020 du 15 septembre 2020 consid. 3.3.2 ; 2C_479/2016 précité consid. 3.5).

3.3 Selon le chiffre 4.2 de la Circulaire n° 11, les frais sont liés à un handicap lorsqu’ils sont occasionnés (lien de cause à effet) par un handicap au sens défini par cette circulaire et qu’ils ne constituent ni des frais d’entretien courant, ni des dépenses somptuaires. Par frais d’entretien courant, ladite circulaire vise les dépenses servant à satisfaire les besoins individuels, parmi lesquelles figurent les frais usuels d’alimentation, d’habillement, de logement, de soins corporels, de loisirs et de divertissements. Elle précise également que les dépenses engagées par simple souci de confort personnel ou excessivement élevées qui excèdent ce qui est usuel et nécessaire (dépenses somptuaires telles l’achat d’un fauteuil roulant de course ou l’aménagement d’une piscine) ne sont pas déductibles.

Contrairement aux frais de maladie et d’accident précisés par cette circulaire, soumis à une limite prévue dans la loi (art. 33 al. 1 let. h LIFD), les frais occasionnés par un handicap sont entièrement déductibles à condition que le handicap soit à l’origine du traitement thérapeutique (lien de cause à effet ; ex : physiothérapie d’une personne paralysée ; Circulaire n° 11, ch. 4.2).

Parmi les frais liés à un handicap, la Circulaire n° 11 cite entre autres les frais d’aide-ménagère. Elle prévoit que les frais d’aide à domicile nécessités par un handicap sont déductibles ; leur déduction intégrale requiert la production d’un certificat médical (établi par exemple au moyen d’un questionnaire ad hoc) précisant les tâches ménagères ne pouvant plus être effectuées sans aide en raison du handicap (ch. 4.3.2).

3.4 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour être déductibles en vertu des art. 33 al. 1 let. hbis LIFD et 9 al. 2 let. hbis LHID, les frais doivent être la conséquence directe de l’handicap au sens de l’art. 2 al. 1 LHand (arrêts du Tribunal fédéral 9C_635/2022 précité consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; 2C_479/2016 précité consid. 3.4). Ils ne doivent en outre pas constituer des frais d’entretien courant, ni des dépenses somptuaires (« Luxusausgaben » ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_635/2022 précité consid. 2.2.2).

Par ailleurs, pour être déductibles, les frais liés au handicap doivent être supportés par le contribuable lui-même. Confirmant le ch. 5.1 de la Circulaire n° 11, le Tribunal fédéral a jugé que seuls étaient déductibles les frais restant à la charge du contribuable après déduction de toutes les prestations des assurances et institutions publiques, professionnelles ou privées (AVS, AI, SUVA, assurance militaire, caisse d'assurance-maladie, assurance responsabilité civile et assurance-accidents privée, œuvres d'entraide, fondations, etc. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2015 du 21 janvier 2016 consid. 3.3).

3.5 Dans l’arrêt 2C_479/2016 précité, le Tribunal fédéral a confirmé l’approche cantonale limitant la déduction des frais allégués liés à un handicap pour une assistance à domicile financée par la contribuable, au coût annuel d’une prise en charge complète dans l’EMS le plus cher du canton, sous déduction des frais pour le coût de la vie ordinaire. Il avait été établi que la contribuable avait certes besoin d’un suivi intensif, mais que celui-ci pouvait également être dispensé dans l’EMS en tenant compte de ce qui était médicalement nécessaire. La juridiction cantonale avait ainsi limité le montant déductible desdits frais de manière conforme à la loi, en se fondant sur des critères objectivement compréhensibles. L’allégation selon laquelle la prise en charge dans l’EMS n’aurait pas répondu aux besoins de la contribuable, ne trouvait pas de fondement dans l’arrêt cantonal, ni n’était étayée par un moyen de preuve concret (consid. 3.6).

Concernant le montant de la déduction autorisée en vertu de l’art. 33 al. 1 let. hbis LIFD, le Tribunal fédéral a précisé qu’il ne dépendait pas de critères subjectifs tels que le niveau de revenus ou de fortune de la personne concernée. La notion de handicap, ancrée dans cette norme, visait l’intégration sociale et professionnelle de la personne handicapée en tant que personne à part entière de la société. Il convenait donc de déterminer si les frais engagés servaient l’intégration de la personne handicapée dans la société. Le degré de participation à la société, à alléger sous l’angle fiscal, était le même pour toutes les personnes handicapées, indépendamment de leur revenu et fortune. Autrement, il existerait le danger de créer des privilèges, inadmissibles du point de vue constitutionnel, qui iraient au-delà de la suppression des inconvénients liés au handicap (arrêt du 2C_479/2016 précité consid. 3.7).

3.6 Concernant les frais liés à l’installation d’une piscine privée, le Tribunal fédéral a rappelé qu’il s’agissait en principe d’une dépense somptuaire au sens de la Circulaire n° 11. Une déduction de tels frais pouvait être seulement envisagée dans des cas exceptionnels à une double condition, d’une part que la piscine soit indispensable du point de vue thérapeutique et, d’autre part, que le fait d’aller dans une piscine externe soit totalement impossible (« unzumutbar »). Dans cette dernière hypothèse, les frais fiscalement déductibles d’une piscine privée devaient être comparables à ceux encourus pour aller dans une piscine externe (frais de déplacement et d’entrée) et être limités dans cette mesure. L’appréciation de ces deux conditions cumulatives, qui n’étaient réunies que de manière exceptionnelle, dépendait en règle générale du type de handicap, des thérapies prescrites, de leur nécessité médicale et d’autres circonstances personnelles de la personne concernée telles que la capacité de voyager ou de la distance entre son domicile et le lieu de la thérapie (arrêt du Tribunal fédéral 2C_450/2020 précité consid. 3.4.1).

Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a considéré que la juridiction cantonale n’avait ni suffisamment établi les faits pertinents, ni examiné de manière suffisante les preuves produites pour décider si tous les frais allégués étaient dus à l’handicap conformément à l’art. 33 al. 1 let. hbis LIFD (arrêt 2C_450/2020 précité consid. 3.4.3). Il a en outre précisé que si les conditions précitées étaient réunies, il serait admissible de diviser les frais allégués en deux parties, l’une concernant les frais déductibles car liés à l’handicap et l’autre non déductibles car considérés comme des dépenses somptuaires (« Luxusausgabe »). Sur ce point, le Tribunal fédéral a fait référence à l’arrêt 2C_479/2016 précité (consid. 3.6 et 3.7) estimant que la prise en charge intensive d’une personne à domicile pour des raisons liées à son handicap avait été jugée conforme au droit fédéral, mais que seuls pouvaient être fiscalement déduits les frais encourus correspondant à ceux d’une prise en charge complète dans l’EMS le plus cher du canton. Les frais dépassant celle-ci et liés à la commodité du soin à domicile avaient été considérés comme des dépenses somptuaires, fiscalement non déductibles (arrêt 2C_450/2020 précité consid. 3.4.4).

3.7 Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a rappelé que le caractère exceptionnel des déductions générales commandait de les interpréter de manière restrictive. Il revenait également au contribuable de les prouver vu qu’il s’agissait de faits réduisant l’imposition. En outre, le Tribunal fédéral a jugé que dans les procédures de masse relatives à la taxation, en particulier concernant les déductions fiscales qui n’avaient pas de lien direct avec la perception d’un revenu, une certaine schématisation et généralisation était indispensable et admissible (arrêt 9C_635/2022 précité consid. 2.2.3).

3.8 En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. L'autorité fiscale doit apprécier les preuves avec soin et conscience. Sous cette réserve, elle forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu'elle a recueillis. Cette liberté d'appréciation, qui doit s'exercer dans le cadre de la loi, n'est limitée que par l'interdiction de l'arbitraire. Il n'est pas indispensable que sa conviction confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu'elle découle de l'expérience de la vie et du bon sens et qu'elle soit basée sur des motifs objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_582/2017 du 23 février 2018 consid. 5.1).

3.9 En l’espèce, le TAPI a considéré que la condition de la qualification de la recourante en tant que personne handicapée et celle de la nécessité d’une assistance permanente étaient admises, de sorte que ces deux questions ont été exclues de l’objet du litige. Celui-ci a été limité à la question du montant admissible des frais liés au handicap, pour être fiscalement déductible. Il n’est pas contesté que seuls les frais effectivement encourus à ce titre par la recourante entrent en ligne de compte et que la somme de CHF 340'760.- représente la masse salariale brute des six personnes employées à domicile en 2020.

Outre le lien de causalité indispensable entre les frais encourus et le handicap, tant la Circulaire n° 11 que la jurisprudence du Tribunal fédéral excluent de la déduction fiscale au sens des art. 33 al. 1 let. hbis LIFD et 9 al. 2 let. hbis LHID les frais d’entretien courant et les dépenses somptuaires. Le TAPI a considéré sans arbitraire que les pièces produites par la recourante, en particulier les contrats visant sa prise en charge dès septembre 2017, ne permettaient pas de distinguer les frais concernant son entretien courant (à savoir la satisfaction de ses besoins individuels en alimentation, habillement, logement, soins corporels, loisirs, cf. art. 4.2 de la Circulaire n° 11) et les frais générés exclusivement par son handicap, et ce alors qu’elle en avait le fardeau de la preuve vu qu’il s’agit d’éléments tendant à réduire, voire supprimer, sa charge fiscale.

Le fait que ces frais puissent éventuellement se recouper s’ils constituent de frais d’aide-ménagère au sens du ch. 4.3.2 de la Circulaire n° 11 ne modifie pas la répartition du fardeau de la preuve. Il revient à la personne handicapée de le démontrer en produisant un certificat médical précisant les tâches ménagères ne pouvant plus être effectuées sans aide en raison du handicap (ch. 4.3.2 de ladite circulaire). Le formulaire ad hoc, produit devant le TAPI, date du 10 février 2022 et concerne une période postérieure à celle de l’année 2020, ici fiscalement en cause, tandis que le certificat médical du 6 novembre 2020 de la médecin traitant indique, de manière générale, que la recourante est « dépendante pour la plupart des activités instrumentales de la vie quotidienne », sans autre précision. L’attestation médicale du 3 octobre 2019 de son précédent médecin traitant n’est pas non plus déterminante puisqu’elle se limite à confirmer la nécessité d’un encadrement « continu et constant » à domicile « pour raisons médicales », sans autre précision. Cela étant, même si cette démonstration était faite à satisfaction de droit, il resterait la question de l’exclusion des dépenses somptuaires, examinée ci-après.

L’argumentation de la contribuable pour s’opposer à la limite des frais déductibles retenue par l’AFC-GE tente de démontrer que son état de santé exige des besoins médicaux, en particulier une assistance personnelle permanente à toute heure du jour et de la nuit, qui ne peuvent être satisfaits en EMS. La question de savoir si tel est effectivement le cas n’a en l’espèce pas besoin d’être instruite. En effet, s’il n’existe certes pas une limite chiffrée posée par les normes légales précitées à la déductibilité des frais liés à un handicap, il n’en demeure pas moins que la déduction fiscale de ceux-ci repose sur des critères objectifs et précis, rappelés dans la jurisprudence fédérale susmentionnée. En particulier, outre que lesdits frais doivent trouver leur cause directe et concrète dans le handicap, ils ne doivent consister ni en des frais d’entretien courant, ni en des dépenses somptuaires. Par ailleurs, ils doivent servir l’intégration sociale et professionnelle de la personne handicapée dans la société, indépendamment de sa situation financière, sous peine d’introduire des critères allant au-delà de la suppression des inconvénients liés au handicap, ce qui pourrait conduire à des inégalités inadmissibles du point de vue constitutionnel. C’est dans ce sens qu’il y a lieu, au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral, en particulier de son arrêt 2C_450/2020 précité (consid. 3.4), de limiter la déduction des frais liés au handicap au sens des normes fiscales précitées, y compris dans l’hypothèse où lesdits frais sont dûment prouvés.

La particularité de la présente espèce réside dans l’origine de la mise en place, dès septembre 2017, de l’assistance permanente à domicile de la recourante. Comme celle-ci le souligne dans son recours, cette prise en charge intensive était la condition absolument indispensable pour que les médecins des HUG autorisaient sa sortie du milieu hospitalier en été 2017. En effet, selon le rapport médical du 6 juin 2017, l’intéressée présentait un « tableau démentiel au premier plan avec une composante psychiatrique importante » et n’avait pas la « capacité de discernement concernant un RAD [retour à domicile] », ce qui constituait « un risque pour elle et surtout pour son conjoint, en cas de RAD sans encadrement (qu’elle refus[ait]) ». Dans son recours, l’intéressée, sous la plume de son curateur, a précisé que les « médecins des HUG avaient accepté un retour à domicile (RAD) à la condition qu’[elle] bénéficie d’un encadrement complet à domicile, soit une surveillance constante 24 heures sur 24 ». C______ avait été l’infirmière lui ayant prodigué des soins à domicile du 10 octobre 2018 jusqu’en 2022, étant précisé qu’avant elle, une autre infirmière passait deux à trois fois par semaine chez elle. L’assistance permanente à domicile, dont les frais font l’objet du présent litige, a dû répondre à des exigences médicales particulières pour que la sortie du milieu hospitalier de la contribuable soit autorisée par les médecins. Il ne s’agit en l’espèce pas d’une mesure usuelle d’intégration sociale d’une personne handicapée.

En outre, le fait que la contribuable ait pu organiser à domicile une prise en charge équivalente à celle que lui offrait le milieu hospitalier dépend de facteurs personnels propres à sa situation, notamment en termes de moyens organisationnels et financiers. La recourante disposait en 2020, selon les éléments retenus par l’AFC-GE dans sa taxation y relative, d’une fortune imposable de près de CHF 35'000'000.- ainsi que d’un revenu brut de CHF 350’524.- duquel étaient notamment déduits des frais bancaires à hauteur de CHF 211'125.-, des frais médicaux de CHF 14'016.- et des charges et frais d’entretien d’immeuble de CHF 30'020.-.

Dans ces circonstances et afin de garantir une égalité de traitement entre toutes les personnes handicapées, indépendamment de leurs moyens financiers propres, l’approche de l’AFC-GE est conforme à la jurisprudence fédérale précitée et doit être confirmée en ce sens que la déduction fiscale pour les frais liés au handicap doit être in casu limitée au montant de CHF 83'785.-, à savoir le coût annuel de l’EMS le plus cher du canton sous déduction de ses frais courants incompressibles conformément au calcul de l’AFC-GE, non contesté. Pour la part qui dépasse ce montant, les frais allégués par la recourante doivent être qualifiés de dépense somptuaire, exclue de la déduction fiscale au sens des art. 33 al. 1 let. hbis LIFD, art. 9 al. 2 let. hbis LHID et art. 32 let. c LIPP.

Pour ces mêmes motifs, il y a lieu de rejeter l’argumentation subsidiaire de la recourante relative au montant allégué de CHF 225'994.70. La question de l’éventuelle violation du droit d’être entendue par le TAPI n’a dès lors pas besoin d’être tranchée, ce d’autant plus que la chambre de céans revoit, comme le TAPI, les questions de fait et de droit (art. 61 al. 1 LPA).

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- est mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui est allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2022 par A______, représentée par son curateur Pietro RIGAMONTI, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 31 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pietro RIGAMONTI, curateur de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :