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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1582/2021

ATA/990/2021 du 23.09.2021 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1582/2021-EXPLOI ATA/990/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 septembre 2021

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Patrice Riondel, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 



EN FAIT

1) La société A______ SA (ci-après : A______) exploite à B______ une entreprise de travaux de génie civil, de démolition, de terrassement et de décharge, d’aménagements extérieurs, de plantations d’exploitation de gravière de traitement de matériaux en tout genre et leur commercialisation, ainsi que toutes autres activités en relation avec ce but.

2) A______ s’est engagée le 30 juin 2015 auprès de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) à respecter les conditions minimales de travail et prestations sociales en usage à Genève dans le secteur des bureaux d’ingénieurs (ci-après : UBI). Elle a renouvelé cet engagement le 12 février 2020.

3) Le 17 octobre 2019, l’OCIRT a entrepris un contrôle de A______ afin de s’assurer du respect des conditions de travail et de salaire en usage.

4) A______ ayant demandé de repousser à mars 2020 une visite fixée au 14 novembre 2019, le contrôle sur site a été repoussé sine die, mais un contrôle administratif a été maintenu, et conduit par écrit.

5) Le délai, initialement fixé au 13 décembre 2019, pour remettre des documents, a été repoussé, et le 12 février 2020 A______ a remis une partie des renseignements requis.

6) Le 22 octobre 2020, après avoir analysé les documents, l’OCIRT a réclamé à A______ des éléments complémentaires.

7) Le 13 novembre 2020, A______ a répondu à l’OCIRT que ces documents lui parviendraient durant le premier trimestre 2021.

8) Le 14 novembre 2020, l’OCIRT a averti A______ qu’il prononcerait une sanction pour refus de collaborer en cas de retard.

9) Le 4 décembre 2020, A______ a remis un certain nombre de documents, dont une liste des stagiaires, avec lesquels aucun contrat écrit n’avait été conclu, et pour lesquels aucun décompte de salaire n’était transmis.

10) Se fondant sur les documents transmis, l’OCIRT a constaté des infractions aux UBI concernant les stagiaires. Ceux-ci ne remplissaient pas les conditions pour être reconnus comme tels et devaient être considérés comme du personnel administratif au sens de l’art. 18 al. 4bis let. e des UBI, soit « les porteurs du Certificat Fédéral de Capacité (CFC) d’employé de commerce, les porteurs d’un diplôme équivalent, ainsi que ceux pouvant justifier d’aptitudes ou d’une expérience professionnelle équivalente pour le poste occupé », dont le salaire brut minimum mensuel versé treize fois l’an était, durant les trois premières années de pratique, de CHF 4'154.-. Ils avaient en outre le droit au paiement des neuf jours fériés du canton ainsi qu’à une sixième semaine de vacances lorsqu’ils avaient moins de vingt ans.

Étaient concernés neuf jeunes travailleurs (ci-après : les jeunes travailleurs) :

- Mme C______, née en 1999, qui avait travaillé de janvier à avril 2018 pour un salaire mensuel brut de CHF 2'703.60 ;

- Mme D______, née en 1998, qui avait travaillé en avril 2018 pour un salaire brut mensuel de CHF 2'703.60 ;

- Mme E______, née en 1998, qui avait travaillé en mai 2018 pour un salaire mensuel brut de CHF 1'599.90 et en juin 2018 pour un salaire mensuel brut de CHF 755.25 ;

- M. F______, né en 2002, qui avait accompli un « job d’été » en 2018 pour un salaire brut total de CHF 1'250.- ;

- M. G______, né en 1999, qui avait travaillé de juillet à octobre 2018 pour un salaire brut mensuel de CHF 2'694.72 ;

- Mme H______, née en 2000, qui avait travaillé en 2019 pour un salaire brut total de CHF 2'300.- ;

- M. I______, né en 2001, qui avait accompli un « job d’été » en 2020 pour un salaire brut total de CHF 2'200.- ;

- M. J______, né en 2002, qui avait accompli un « job d’été » en 2020 pour un salaire brut total de CHF 400.- ;

- M. K______, né en 2001, qui avait accompli un « job d’été » en 2020 pour un salaire brut total de CHF 300.-.

11) Le 29 janvier 2021, l’OCIRT a informé A______ des violations constatées et lui a imparti un délai au 5 mars 2021 pour se mettre en conformité, soit effectuer les rattrapages salariaux dus et transmettre tous les justificatifs, sous peine de faire l’objet des sanctions prévues à l’art. 45 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05).

Le 5 mars 2021, A______ a expliqué : qu’elle n’entendait pas figurer sur la liste des entreprises actives dans les marchés publics ; que Mmes C______, D______, E______ et H______ et M. G______ avaient été engagés en attendant de suivre une nouvelle formation et qu’elle n’avait plus de contact avec eux, sauf M. G______, de sorte qu’elle ne pouvait fournir les registres des heures, mais que les salaires versés comprenaient les vacances ; que MM. I______, J______, K______ et F______ étaient en formation post-obligatoire et avaient travaillé quelques heures pour disposer d’un peu d’argent pour leurs vacances, que leur rémunération correspondait au salaire prescrit dans la circulaire de la commission paritaire des bureaux d’ingénieurs genevois (ci-après : CPBIG) et que le paiement des vacances y était inclus, de sorte que les rémunérations accordées correspondaient à la convention collective et aux usages de la branche. Aucun document n’était fourni et aucune régularisation n’était demandée.

12) Par décision du 25 mars 2021, l’OCIRT : a refusé de délivrer à A______ l’attestation visée à l’art. 25 LIRT pour une durée de deux ans, décision déclarée exécutoire nonobstant recours ; lui a infligé une amende administrative de CHF 4'000.- ; l’a exclue de tout marché public futur pour une période de deux ans ; a arrêté l’émolument à CHF 100.- ; a réservé les procédures de contrôle et de mise en conformité.

A______ s’était engagée à respecter les UBI. Elle était active sur les marchés publics, soit sur au moins une dizaine de marchés proposés par L______ (ci-après : L______) ainsi que par la commune de M______, et devait dès lors respecter les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage dans son secteur d’activité, les bureaux d’ingénieurs.

Elle n’avait pas respecté les salaires minimaux prévus par les UBI. Elle n’avait pas conclu de contrat de travail écrit pour neuf collaborateurs, en violation des UBI. Elle n’avait pas mis en place un enregistrement du temps de travail et de repos conforme à l’ordonnance fédérale 1 relative à la loi sur le travail du 10 mai 2000 (OLT 1 - RS 822.111). Elle n’avait pas annoncé les salaires de neuf collaborateurs à la caisse de compensation, en violation de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41), étant précisé qu’à tout le moins les salaires versés à Mmes C______ et D______ ainsi qu’à M. G______ auraient dû être annoncés. Elle ne s’était pas mise en conformité et avait persisté à violer les UBI.

13) Par acte remis au guichet le 7 mai 2021, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours.

La décision reposait exclusivement sur l’emploi de jeunes engagés entre janvier et octobre 2018, en octobre 2019 et durant les vacances d’été 2020. Ceux-ci étaient désignés comme des « stagiaires » effectuant de petites missions au sein de l’entreprise pendant une durée déterminée. Une qualification erronée de l’emploi occupé au sein de l’entreprise durant quelques mois ne pouvait justifier les sanctions infligées.

Elle avait décidé en 2018 de mettre à jour ses archives, mission qu’elle avait confiée aux neuf jeunes âgés de 16 à 20 ans qui avaient travaillé pour elle entre un jour et quatre mois. Mmes C______ et D______ avaient commencé l’université. Mme E______ préparait un examen d’entrée pour passer une maturité commerciale après l’école de commerce. MM. F______, G______, I______ et J______ étaient collégiens. M. K______ avait commencé le centre de formation professionnelle technique (ci-après : CFPT) en vue d’une formation d’ingénieur. Mme H______ avait travaillé à temps partiel avant son départ à l’étranger pour poursuivre ses études. Tous disposaient d’une entière liberté pour organiser leur travail, soit les pauses ainsi que le début et la fin du travail quotidien, et il avait été convenu que leurs salaires seraient mensualisés.

Le salaire minimum que l’OCIRT prétendait voir appliquer à ces emplois concernait les employés titulaires d’un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) d’employé de commerce ou ayant une formation équivalente. Or, aucun des jeunes mentionnés dans la décision n’était au bénéfice d’une telle formation ou d’une formation équivalente. Elle leur avait appliqué les salaires fixés par une circulaire du 22 juillet 2020 de la CPBIG et applicables aux « jobs d’étudiants », soit CHF 16.- brut par heure dès 16 ans révolus, CHF 17.- dès 17 ans révolus, CHF 18.- dès 18 ans révolus, auxquels s’ajoutaient 10.64 % au titre des vacances. Elle avait dans les faits appliqué aux neuf jeunes ayant travaillé pour elle un salaire horaire brut de CHF 18.-, auxquels elle avait ajouté CHF 1.95 pour le droit aux vacances, soit une rémunération horaire brute de CHF 19.95 au lieu des CHF 24.43 retenus par l’OCIRT.

Les jeunes jouissaient d’une grande autonomie pour organiser leur travail et elle n’avait aucune raison de mettre en place des moyens de contrôle totalement disproportionnés par rapport à la durée de l’emploi et la mission à accomplir. Le législateur n’avait pas visé les emplois de courte durée de jeunes percevant un salaire défini à l’avance pour un travail d’une durée déterminée.

Elle avait déclaré à la caisse de compensation FER CIAM 106.1 les numéros d’assurance vieillesse et survivants (ci-après : AVS) et les salaires de Mmes C______, D______ et E______ et de MM. G______ et I______. Ceux de Mme H______ et de MM. F______, J______ et K______ n’étaient pas soumis à l’AVS.

14) Le 20 mai 2021, l’OCIRT s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif au recours.

15) Le 7 juin 2021, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.

A______ avait elle-même qualifié les jeunes travailleurs de « stagiaires », et la requalification en « emplois jeunes » à laquelle elle procédait plus d’une année après le début du contrôle importait peu. Les employés avaient fait du rangement d’archives, du classement et des copies. Il pouvait donc à raison les considérer comme « bénéficiant d’une formation une expérience professionnelle équivalente », disposition que A______ interprétait de façon restrictive, au risque de heurter sinon sa lettre du moins son esprit, lequel avait été explicité dans la version légèrement modifiée en 2019, qui indiquait : porteurs du CFC d’employé de commerce, porteur d’un diplôme équivalent, ainsi que ceux pouvant justifier d’« aptitudes » ou d’une expérience professionnelle équivalentes pour le poste occupé. La circulaire invoquée était postérieure aux emplois et ne concernait que les « jobs d’étudiants ». Elle ne constituait pas l’approbation prévue par les UBI 2019, qui était un acte individuel et concret.

A______ avait admis ne pas avoir respecté la forme écrite requise par les UBI. La durée de l’emploi ne justifiait pas une exception.

Seuls cinq jeunes travailleurs sur neuf avaient vu leurs salaires déclarés à la caisse de compensation. Il était impossible, pour les quatre autres, de vérifier, en l’absence de contrat de travail écrit et de fiches de salaire, si leurs salaires devaient être déclarés.

A______ n’avait mis en place aucun enregistrement de la durée du travail, pour l’ensemble de son personnel, ce qu’elle ne contestait d’ailleurs pas. Aucune exception prévue par la loi n’était remplie.

16) Par décision du 10 juin 2021, la présidence de la chambre administrative a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif au recours.

Celle-ci serait revenue à accorder à titre provisoire ce que A______ demandait au fond, soit la délivrance de l’attestation, avant que soit instruit son recours, dont les chances de succès n’apparaissaient pas d’emblée manifestes.

17) Le 12 juillet 2021, A______ a répliqué.

Elle a produit les avis des débits bancaires concernant le paiement des salaires pour Mme H______ et MM. F______, J______ et K______, qui établissaient que ceux-ci n’étaient pas soumis à cotisations AVS.

Elle n’exigeait pas de ses employés le compte rendu précis des heures effectuées quotidiennement, avec les heures de pause, les temps consacrés aux déplacements en cas de rendez-vous à l’extérieur et le temps réel des rendez-vous, car elle leur faisait confiance. Les neuf jeunes jouissaient d’une très large autonomie pour organiser leur travail et il n’était pas nécessaire de les surveiller en permanence.

A______ a pour le surplus persisté dans ses conclusions et son argumentation.

18) Le 14 juillet 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige a pour objet la conformité au droit de la décision de l’OCIRT du 25 mars 2021.

3) La recourante soutient tout d’abord qu’elle n’était pas tenue de verser aux jeunes travailleurs le salaire minimal prévu par les UBI pour les emplois administratifs.

a. Le but de la LIRT est de définir le rôle et les compétences respectives du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (ci-après : le département) et de l’inspection paritaire des entreprises, notamment dans le domaine des conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève (art. 1 al. 1 let. c LIRT). Les compétences du département sont en règle générale exercées par l’OCIRT, sauf exception prévue par la présente loi ou son règlement d’application (art. 2 al. 3 LIRT).

L’OCIRT est l’autorité compétente chargée d’établir les documents qui reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, sur la base des directives émises par le conseil de surveillance (art. 23 al. 1 LIRT). Pour constater les usages, l’office se base notamment sur les conventions collectives de travail, les contrats-types de travail, les résultats de données recueillies ou d’enquêtes menées auprès des entreprises, les travaux de l’observatoire dont son calculateur des salaires ainsi que sur les statistiques disponibles en la matière (art. 23 al. 2 LIRT).

Toute entreprise soumise au respect des usages, en vertu d’une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle, doit en principe signer auprès de l’OCIRT un engagement de respecter les usages. Celui-ci délivre à l’entreprise l’attestation correspondante, d’une durée limitée (art. 25 al. 1 LIRT). L'engagement vaut pour l'ensemble du personnel concerné et prend effet au jour de sa signature (art. 25 al. 2 LIRT). L’entreprise est réputée liée par un engagement dès l’instant où son personnel est appelé à travailler sur un marché public (art. 25 al. 3 LIRT).

En matière de marchés publics, l’art. 20 RMP dispose que pour le personnel appelé à travailler sur le territoire genevois, les soumissionnaires et les entreprises exécutantes doivent respecter les dispositions relatives à la protection sociale des travailleurs et aux conditions de travail applicables à Genève dans leur secteur d'activité (al. 1), et que l’OCIRT établit les usages en la matière, conformément à l’art. 23 LIRT. L’art. 32 al. 1 let. b RMP dispose que ne sont prises en considération que les offres accompagnées, pour le soumissionnaire et ses
sous-traitants, des attestations certifiant, pour le personnel appelé à travailler sur territoire genevois, soit que le soumissionnaire est lié par la convention collective de travail de sa branche, applicable à Genève (ch. 1), soit qu’il a signé, auprès de l’OCIRT, un engagement à respecter les usages en vigueur à Genève qui lui sont applicables, notamment en ce qui concerne les salaires minimaux, la couverture du personnel en matière de retraite, y compris retraite anticipée, de perte de gain en cas de maladie, d’assurance-accidents et d’allocations familiales, ainsi que la contribution professionnelle (ch. 2). Pour obtenir l’attestation prévue à l’al. 1, let. b, ch. 2, le soumissionnaire doit signer un engagement officiel à respecter ces usages à l'égard de son personnel appelé à travailler sur territoire genevois (art. 32 al. 2 let. b RMP).

Le 31 octobre 2020 est entré en vigueur le salaire minimum cantonal (art. 39l à 38N LIRT). La novelle prévoit des exceptions concernant les contrats d’apprentissage (art. 39J let. a LIRT), les contrats de stage s’inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale (art. 39J let. b LIRT) et les contrats de travail conclus avec les jeunes gens de moins de 18 ans (art. 39J let. c LIRT). Les contrats de stage portent sur l’orientation entre deux formations, la réinsertion professionnelle, respectivement sociale, sont prévus dans un cursus de formation ou validés par un institut de formation (art. 56E al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 - RIRT - J 1 05.01). Dans les secteurs couverts par une convention collective de travail de branche, l’exception prévue à l’art. 39J let. b LIRT s’applique aux activités professionnelles occasionnelles d’étudiants de 18 ans révolus, s’ils sont immatriculés auprès d’un établissement de formation, si l’activité professionnelle occasionnelle est déployée pendant la période de vacances de l’établissement de formation, si elle n’excède pas soixante jours continus par année civile et si le salaire est fixé par la commission paritaire compétente (art. 56E al. 2 RIRT).

b. Les versions des UBI applicables au présent litige sont celles du 1er octobre 2016 et du 1er avril 2019. D’éventuels points de divergence seront soulignés ci-après.

Les UBI reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage dans le secteur et s’appliquent à tous les bureaux d’ingénieurs (respectivement des départements d’ingénieurs dans les entreprises), suisses ou étrangers, qui exécutent à Genève à titre principal ou accessoire des prestations dans le domaine de la construction et des techniques du bâtiment (art. II al. 1). Les dispositions générales des usages (titre 2) sont applicables à tous les travailleurs employés dans les entreprises précitées (art. II al. 2). Les dispositions spécifiques au secteur (titre 3) s’appliquent aux travailleurs des entreprises précitées, y compris les stagiaires, à l’exception des apprentis (art. II al. 3).

L’employeur est tenu de respecter la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11 ; art. III al. 2). Il tient notamment le registre des heures prévu à l’article 46 LTr (art. III al. 2bis).

L’engagement est confirmé par écrit. La forme écrite devra aussi être respectée en cas de modification du contrat individuel de travail. Il sera remis à chaque nouvel employé un exemplaire des UBI (art. 4 ch. 1). L’horaire de travail est défini dans le contrat de travail individuel (art. 11 ch. 1). Le travailleur a droit au minimum à 5 semaines de vacances payées par an (art. 14 ch. 1). Jusqu’à l’âge de 20 ans révolus, la durée des vacances est de 6 semaines (art. 14 ch. 2).

Les salaires bruts minimaux mensuels, arrêtés selon l’expérience et la catégorie professionnelle sont, pour le personnel administratif, de CHF 4'154.- minimum à la fin de la formation, CHF 4'674.- minimum après trois ans de pratique et CHF 5'277.- minimum après six ans de pratique, treize fois l’an (art. 18 ch. 4). Pour les stagiaires, ils sont de CHF 2'500.- en master, de CHF 1'500.- en bachelor, et à bien plaire pour le stage passerelle HES (ibid.).

Le personnel administratif comprend les porteurs du CFC d’employé de commerce, les porteurs d’un diplôme équivalent, ainsi que ceux bénéficiant d’une formation ou d’une expérience professionnelle équivalente (art. 18 ch. 4bis let. e édition 2016), respectivement les porteurs du CFC d’employé de commerce, les porteurs d’un diplôme équivalent, ainsi que ceux pouvant justifier d’aptitudes ou d’une expérience professionnelle équivalente pour le poste occupé (art. 18 ch. 4bis let e édition 2019).

Sont considérés comme stages ceux prévus dans le cadre des cursus de formation de master, pour un stage maximum de 6 mois, de bachelor, pour un stage maximum de 6 mois, et pour un stage passerelle HES, pour un maximum de douze mois. Toute autre forme de stage doit impérativement recevoir l’approbation de la commission paritaire avant le début du stage. Aucune déduction sur le salaire du stagiaire, en faveur de l’école, n’est autorisée (art. 18 al. 4bis let g).

c. Les fonctions et les salaires minimaux prévus par les UBI reprennent ceux prévus par la convention collective de travail (ci-après : CCT) des bureaux d’ingénieurs de la construction et des techniques du bâtiment à Genève du 1er octobre 2016 (art. 18), en vigueur dès le 1er janvier 2016.

d. La CPBIG a diffusé le 29 juin 2021, suite à l’introduction du salaire minimum cantonal, une circulaire à ses membres concernant les « jobs d’étudiants », soit tous les emplois qui ont lieu lors de vacances scolaires ou tout au long de l’année, de manière ponctuelle. Ces emplois ne doivent pas être considérés comme des stages.

Les « jobs de vacances scolaires » sont destinés uniquement aux jeunes gens qui sont encore en études obligatoires et post-obligatoires (cycle d’orientation, collège, école de commerce, école de culture générale, etc.), ils ne peuvent pas excéder deux mois par année scolaire, doivent se dérouler pendant la période de vacances de l’établissement, leurs conditions de travail doivent respecter la CCT étendue, à l’exception de certains articles, et la rémunération est à bien plaire, mais au moins de CHF 16.- par heure brut, le montant de CHF 17.- étant suggéré dès l’âge de 17 ans révolus et celui de CHF 18.- dès l’âge de 18 ans révolus.

Les « jobs d’étudiants universitaires (HES/facultés universitaires) » sont destinés uniquement aux jeunes gens qui suivent un cursus universitaire ou une HES et qui souhaitent avoir un travail d’appoint dans un bureau d’ingénieurs, de manière ponctuelle, ne peuvent excéder quinze heures par semaine sauf pendant les vacances scolaires, doivent respecter la CCT étendue, et la rémunération est au minimum de CHF 22.60 brut par heure, plus les vacances, les jours fériés et le treizième salaire, correspondant à la catégorie professionnelle « personnel administratif de 0 à 3 ans de pratique ».

e. En l’espèce, personne ne soutient que les jeunes travailleurs auraient été des stagiaires au sens des art. 39J let. b LIRT et art. 56E al. 1 RIRT ou encore de l’art. 18 al. 4bis let g UBI. L’OCIRT soutient qu’il s’agit de personnel administratif au sens des UBI, et la recourante qu’il s’agit de « jobs d’été ».

La novelle de la LIRT et du RIRT ainsi que la circulaire du CPBIG n’étaient pas encore applicables lors des missions accomplies par les jeunes travailleurs.

Âgés de 16 à 20 ans au moment de leurs emplois, les jeunes travailleurs n’étaient pas titulaires du CFC d’employé de commerce, ni d’un diplôme équivalent. Ils ne bénéficiaient pas d’une formation équivalente, étant rappelé que la maturité gymnasiale ou le diplôme de culture générale ne constituent pas des titres attestant de compétences professionnelles. Ils ne pouvaient bénéficier, vu leur âge et leur cursus, d’une expérience professionnelle équivalente. Compte tenu du caractère particulièrement peu spécialisé des tâches qui leur étaient confiées et surtout du caractère ponctuel des missions, typiques des « jobs d’été », il est enfin douteux qu’ils présentaient des « aptitudes équivalentes » pour un poste de personnel administratif (art. 18 ch. 4bis let. e édition 2019).

La chambre de céans retiendra que les jeunes travailleurs n’occupaient pas des emplois administratifs au sens de la CCT et des UBI.

Faute de rentrer dans la catégorie du personnel administratif, ou encore une autre catégorie des UBI, les jeunes travailleurs n’étaient soumis à aucun des salaires minimums prévus par ceux-ci. L’OCIRT ne pouvait donc reprocher à la recourante de ne pas leur avoir appliqué un salaire minimum, et la décision sera annulée sur ce point.

4) La recourante conteste avoir omis de déclarer à la caisse de compensation les salaires soumis à cotisations AVS.

a. Selon l’art. 1a al. 2 let. c LAVS de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), ne sont pas assurés les salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations, lorsqu’ils ne remplissent les conditions énumérées à l’al. 1 que pour une période relativement courte, soit une activité lucrative qui n’excède pas trois mois consécutifs par année civile (art. 2 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 - RAVS - RS 831.101). Selon l’art. 3 al. 2 let. a LAVS, ne sont pas tenus de payer des cotisations les enfants qui exercent une activité lucrative, jusqu’au 31 décembre de l’année où ils ont accompli leur dix-septième année. Selon l’art. 34d al. 1 RAVS, lorsque le salaire déterminant n’excède pas CHF 2'300.- francs par année civile et par employeur, les cotisations ne sont perçues qu’à la demande de l’assuré.

b. En l’espèce, M. F______ était âgé de 16 ans lors de son engagement, et son salaire était soustrait aux cotisations. Les huit autres jeunes travailleurs restants étaient âgés de 18 ans ou plus lorsqu’ils ont été engagés. Toutefois, les salaires de Mme H______ et MM. J______ et K______ étaient inférieurs à CHF 2'300.-, et n’étaient partant assujettis à cotisation qu’à leur demande, personne ne soutenant qu’une telle demande aurait été formée. La recourante a documenté avec son recours avoir déclaré les salaires de Mmes C______, D______ et E______ et de MM. G______ et I______. Elle avait déjà annexé au courrier de son conseil du 4 décembre 2020 à l’OCIRT la liste des « stagiaires » indiquant les numéros AVS de ceux dont les revenus avaient été déclarés à la caisse de compensation (annexe 9).

L’OCIRT se plaint à juste titre de n’avoir pu obtenir de la recourante la documentation de la déclaration, ou du défaut, d’assujettissement des salaires des jeunes travailleurs. Cela étant, bien que tardivement, la recourante établit le virement des salaires et la déclaration de certains d’entre eux à la caisse de compensation.

Il ne peut ainsi lui être reproché la non-annonce des salaires des neuf jeunes travailleurs à la caisse de compensation. La décision sera annulée sur ce point.

5) La recourante conteste qu’elle aurait dû conclure des contrats écrits.

a. L’art. 4 ch. 1 UBI dispose que l’engagement est confirmé par écrit. La forme écrite doit aussi être respectée en cas de modification du contrat individuel de travail. Il est remis à chaque nouvel employé un exemplaire des UBI. Le ch. 2 précise que le contrat de travail individuel doit impérativement contenir la fonction ou catégorie professionnelle, le taux d’occupation ou le temps partiel, le salaire mensuel brut et les allocations et/ou les indemnités fixes.

Les dispositions spécifiques des UBI, au chapitre desquelles figure la prescription de la forme écrite pour le contrat, s’appliquent aux travailleurs des entreprises concernées, y compris les stagiaires, à l’exception des apprentis. La CTT déclare s’appliquer aux « catégories » du personnel, lesquelles comprennent les ingénieurs EPF, les ingénieurs ETS-HES, les techniciens ET, les dessinateurs, le personnel administratif, les cadres et les stagiaires, et exclut pareillement les apprentis.

b. En l’espèce, la recourante a produit les contrats écrits de son personnel, et indiqué qu’elle n’avait conclu avec les jeunes travailleurs que des contrats oraux.

Il a été établi que les jeunes travailleurs n’étaient ni des stagiaires ni du personnel administratif au sens des UBI et de la CCT, et ces dispositifs ne paraissent pas les prendre en compte.

La décision sera donc annulée sur ce point et la cause renvoyée à l’OCIRT afin qu’il examine la question de l’assujettissement des contrats des jeunes travailleurs à l’exigence de la forme écrite.

6) La recourante soutient enfin qu’elle n’avait pas à mettre en place un dispositif d’enregistrement du temps de travail.

a. L’art. 73 OLT 1 prescrit entre autres la tenue de registres permettant de vérifier pour chaque travailleur la nature de son activité, les dates du début et de la cessation de ses rapports de service (al. 1 let. b), les durées (quotidienne et hebdomadaire) du travail effectivement fourni, travail compensatoire et travail supplémentaire inclus, ainsi que ses coordonnées temporelles (al. 1 let. c), les jours de repos ou de repos compensatoire hebdomadaire accordés, pour autant qu’ils ne tombent pas régulièrement un dimanche (al. 1 let. d), l’horaire et la durée des pauses d’une durée égale ou supérieure à une demi-heure (al. 1 let. e). Ces registres doivent être conservés au moins cinq ans dès l’expiration de leur validité (al. 2).

Depuis le 1er janvier 2016, il peut être renoncé à l’enregistrement de la durée du travail par la CCT si les travailleurs disposent d’une grande autonomie dans leur travail, peuvent dans la majorité des cas fixer eux-mêmes leurs horaires de travail, touchent un salaire annuel brut dépassant 120 000 francs (bonus compris) ou la part correspondante en cas de travail à temps partiel et ont convenu individuellement par écrit de renoncer à l’enregistrement de la durée du travail (art. 73a OLT 1).

Depuis cette date également, les représentants des travailleurs au sein d’une entreprise ou d’une branche ou, à défaut, la majorité des travailleurs d’une entreprise peuvent par ailleurs convenir avec l’employeur que seule la durée quotidienne du travail fourni doit être enregistrée pour les travailleurs qui peuvent déterminer eux-mêmes une part significative de leurs horaires de travail. Le début et la fin des plages de travail de nuit ou du dimanche doivent en outre être consignés (art. 73b al. 1 OLT 1). L’accord doit prévoir à quelles catégories de travailleurs l’enregistrement simplifié de la durée du travail s’applique, des dispositions particulières pour garantir le respect de la durée du travail et du repos et une procédure paritaire permettant de vérifier le respect de l’accord (al. 2). Dans les entreprises qui occupent moins de 50 travailleurs, l’employeur peut conclure par écrit avec le travailleur un accord individuel prévoyant l’enregistrement simplifié de la durée du travail tel que le prévoit l’al. 1. L’accord doit mentionner les dispositions relatives à la durée du travail et du repos en vigueur. Les entreprises sont en outre tenues de mener un entretien de fin d’année sur la charge de travail et d’en consigner le contenu (al. 3). Même si un accord a été conclu, les travailleurs concernés sont libres d’enregistrer les données prévues par l’art. 73, al. 1, let. c à e. L’employeur est tenu de mettre à disposition un instrument approprié à cet effet (al. 4).

b. En l’espèce, le recourante a reconnu ne tenir aucun enregistrement des horaires.

La CCT ne prévoit pas d’exception de l’art. 73a OLT 1, et la recourante ne soutient pas avoir convenu d’un enregistrement simplifié selon l’art. 73b OLT 1. Les UBI disposent au contraire que l’employeur tient le registre des heures prévu à l’article 46 LTr (art. III al. 2bis).

La recourante invoque la confiance qu’elle témoignerait à ses employés. Cet argument ne saurait toutefois fonder une exception à l’obligation de tenir le registre, étant observé que le contrôle des horaires a entre autres pour but de protéger les travailleurs contre les horaires excessifs ou irréguliers, et partant contre le surmenage.

La recourante était ainsi tenue de mettre en place un enregistrement.

C’est à bon droit que l’OCIRT a retenu qu’une infraction avait été commise à cet égard.

Le grief sera écarté.

Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision annulée et la cause renvoyée à l’OCIRT pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

7) Vu l’issue du recours, un émolument réduit, de CHF 500.-, sera mis à la charge de la recourante, qui succombe partiellement et n’a documenté que très tardivement ses allégations (art. 87 al. 1 LPA). Pour ces mêmes motifs, aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 mai 2021 par A______ SA contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 25 mars 2021 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du 25 mars 2021 ;

renvoie la cause à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Patrice Riondel, avocat de la recourante ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :