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Décisions | Chambre civile

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C/11943/2022

ACJC/1364/2023 du 03.10.2023 sur ORTPI/511/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CPC.126
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11943/2022 ACJC/1364/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 3 OCTOBRE 2023

Entre

1) A______ SCS, sise ______ (Luxembourg),

2) B______ SCS, sise ______ (Luxembourg),

toutes deux recourantes contre une ordonnance rendue par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 mai 2023, représentées par Me Olivier NICOD, avocat, avenue du Théâtre 1, case postale 6069, 1002 Lausanne,

et

C______ SA, ______ [GE], intimée, représentée par Me Alain Bruno LEVY, avocat, rue Rodolphe-Toepffer 17, 1206 Genève.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/511/2023 du 9 mai 2023, reçue par les parties le 12 mai 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a ordonné la suspension de la procédure dans l'attente de l'évolution de la procédure d'entraide internationale en matière pénale et des procédures pénales pendantes au Luxembourg et invité la partie la plus diligente à l'informer de l'évolution des procédures pénales pendantes.

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice (ci-après : la Cour) le 22 mai 2023, A______ SCS et B______ SCS recourent contre cette ordonnance, dont elles requièrent l'annulation. Elles concluent à ce que la Cour ordonne la reprise de la procédure et condamne leur partie adverse aux frais de première et seconde instances, dont 4'000 fr. à titre de dépens de première instance. Subsidiairement, elles sollicitent le renvoi de la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. C______ SA conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, sous suite de frais.

c. Les parties ont été informées par plis du 27 juillet 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

Les parties

a. C______ SA est une société de droit suisse, sise à Genève, visant le développement et la commercialisation d'une plateforme technologique pour ______.

A______ SCS et B______ SCS sont des sociétés en commandite spéciales de droit luxembourgeois visant principalement la détention de participations dans des sociétés luxembourgeoises ou étrangères.

Ces deux sociétés allèguent être des "sociétés sœurs", ayant un représentant et gérant commun. C______ SA conteste cette allégation, soutenant qu'il ne serait pas établi qu'il s'agisse de sociétés sœurs en ce qui concerne l'actionnariat et les bénéficiaires économiques.

La souscription et la libération des actions

b. En mars 2020, A______ SCS a souscrit, en tant que nouvel investisseur, environ 6'000 nouvelles actions nominatives liées de C______ SA (ci-après : les actions en cause) au prix de 150'000 fr. Dans ce cadre, elle a signé une convention d'investissement et une convention d'actionnaires. Elle a ainsi été inscrite au registre des actionnaires de la société, sa participation représentant, au 12 février 2021, 0.36% du capital-actions, selon les allégations de C______ SA.

La libération des actions par le paiement de 150'000 fr. a été effectuée par B______ SCS.

Les procédures pénales

c. En juillet 2020, selon les allégations non formellement remises en cause de C______ SA, des procédures pénales ont été ouvertes au Luxembourg au sujet de possibles actes frauduleux commis au sein de A______ SCS, relevant, en droit luxembourgeois, d'abus de biens sociaux, abus de pouvoir, abus de confiance, distribution de dividendes fictifs, association de malfaiteurs ou organisation criminelle et blanchiment. L'investissement opéré par celle-ci dans C______ SA figurait au nombre des actes mis en cause.

En juin 2022, une demande d'entraide internationale en matière pénale avait été adressée par les autorités pénales luxembourgeoises aux autorités suisses. Les premières avaient sollicité des secondes la saisie des actions de C______ SA détenues par A______ SCS et de tous documents dont disposerait C______ SA en relation avec les faits décrits dans la commission rogatoire internationale. Le Ministère public genevois avait ainsi ordonné, par décision du 20 juin 2022, "la saisie des actions de C______ SA dont A______ SCS serait propriétaire et de tout document utile aux investigations en cours, en lien avec un investissement dans C______ SA de 150'000 euros correspondant potentiellement à l'achat desdites actions".

Le 16 mars 2023, toujours selon les allégations non formellement remises en cause de C______ SA, un membre de son conseil d'administration a été entendu en qualité de témoin par la brigade financière genevoise sur délégation du Ministère public genevois, dans le cadre de la commission rogatoire internationale émanant des autorités pénales luxembourgeoises. Cette audition avait porté sur l'investissement opéré par A______ SCS dans C______ SA.

C______ SA a exposé ne pas être autorisée en l'état à produire les documents dont elle dispose en lien avec cette procédure pénale.

A______ SCS et B______ SCS allèguent que la procédure pénale pendante au Luxembourg en serait actuellement au stade de l'instruction et qu'aucune ordonnance de mise en accusation n'aurait été rendue.


 

Les échanges entre les parties

d. Parallèlement, les 16 mai 2020, 12 avril 2021 et 22 avril 2021, le représentant de A______ SCS et B______ SCS a exigé de C______ SA que les actions en cause soient inscrites au nom de B______ SCS.

A______ SCS et B______ SCS allèguent que la première aurait souscrit les actions en cause en son nom, mais pour le compte de la seconde, ce dont C______ SA aurait été informée au préalable. Selon cette dernière, qui conteste cette allégation, le représentant de A______ SCS et B______ SCS l'aurait informée, après la souscription, du fait que la seconde, et non la première, serait devenue son actionnaire.

C______ SA a alors demandé, pour ce faire, que les conditions d'un transfert d'actions soient réalisées, notamment que lui soient communiquées certaines informations sur les entités concernées. Après de multiples échanges, C______ SA a refusé de procéder au transfert, notamment par courriers des 23 avril et 8 juin 2021.

Les parties s'opposent sur la question de savoir dans quelle mesure il a été donné suite à la demande de C______ SA de se voir communiquer les informations nécessaires au transfert et sur les raisons qui ont motivé son refus. Selon celle-ci, le nom de l'ayant-droit économique de A______ SCS n'aurait pas été fourni et il lui aurait été indiqué que cette société n'existerait pas. Les explications apportées lors de la souscription et de la libération des actions auraient en outre été confuses et contradictoires. Enfin, du fait de ces éléments notamment, la convention d'actionnaires aurait été violée. A______ SCS et B______ SCS allèguent, quant à elles, que les motifs, contraires à la vérité, dont s'était prévalue C______ SA étaient le prétendu défaut d'information sur l'ayant-droit économique de B______ SCS dans un premier temps, puis une prétendue confusion.

e. Par ailleurs, dans son courrier précité du 23 avril 2021, C______ SA a fait savoir à A______ SCS et B______ SCS qu'en raison de la violation de la convention d'actionnaires, elle exigeait la restitution des actions en cause en sa faveur en contrepartie du montant libéré pour les souscrire et que dans l'intervalle, les droits sociaux y attachés ne pouvaient pas être exercés.

Auparavant, le 6 avril 2021, C______ SA avait adressé au représentant de A______ SCS et B______ SCS une convocation à son assemblée générale.

Selon les allégations de ces dernières, il s'agissait de la seule et dernière convocation qui leur avait été adressée, les droits sociaux attachés aux actions en cause étant violés depuis lors. C______ SA allègue, pour sa part, que A______ SCS aurait été convoquée à son assemblée générale extraordinaire du 12 février 2021 et qu'elle aurait reçu pour information une copie de la convocation à celle du 9 février 2023, afin qu'elle puisse exercer son droit de souscription.

f. Dans son courrier précité du 8 juin 2021 et par courrier du 8 septembre 2021, C______ SA a informé A______ SCS et B______ SCS de sa décision, en application de l'art. 685b CO et de la convention d'actionnaires, de reprendre ses actions à leur valeur réelle de 150'000 fr. Elle a exposé que la libération des actions avait été effectuée par une autre société que celle qui les avait souscrites, mais qu'aucun transfert de celles-ci n'était intervenu. En effet, elle n'avait pas donné son accord à un transfert et la convention d'actionnaires n'avait pas été respectée.

A______ SCS et B______ SCS ont refusé cette offre le 6 octobre 2021. Selon elles, C______ SA tentait d'abuser de la situation qu'elle aurait injustement créée pour racheter les actions au prix d'acquisition et non à leur valeur réelle.

g. Quelques jours avant, le 13 septembre 2021, A______ SCS et B______ SCS ont signé un acte de cession de la première à la seconde des actions en cause.

Le 17 septembre 2021, elles ont informé C______ SA du fait qu'elles avaient exécuté le transfert des actions et l'ont mise en demeure de l'approuver. Elles ont invoqué une clause de la convention d'actionnaires selon laquelle tout actionnaire était en droit de transférer ses actions à un "affiliate". C______ SA a refusé par courrier du 27 septembre 2021.

h. Le 3 juin 2022, les actionnaires fondateurs de C______ SA ont exercé, en se fondant sur la convention d'actionnaires, leur option d'achat sur les actions en cause à leur valeur nominale.

Par courrier du 7 juin 2022, C______ SA a mis en demeure A______ SCS, en vain, de donner suite à cette option, à défaut de quoi une procédure arbitrale serait engagée.

La présente procédure

i.a Par acte déposé en conciliation le 21 juin 2022 et porté le 24 novembre 2022 devant le Tribunal à l'encontre de C______ SA, A______ SCS et B______ SCS ont conclu à ce qu'il soit constaté que C______ SA aurait approuvé le transfert de A______ SCS à B______ SCS des actions en cause, subsidiairement à ce qu'elle soit condamnée à l'approuver.

Il est admis que cette procédure porte sur les actions saisies pénalement.

i.b Dans sa réponse du 31 mars 2023, C______ SA a requis la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure d'entraide internationale en matière pénale et les procédures pénales luxembourgeoises, subsidiairement jusqu'à droit jugé dans la procédure arbitrale (cf. infra). Elle a également sollicité l'apport de la procédure d'entraide internationale en matière pénale et s'est réservée le droit de requérir l'apport des procédures pénales pendantes au Luxembourg. Au fond, elle a conclu au rejet de la demande.

i.c Une audience de débats d'instruction portant sur la question de la suspension de la procédure a été tenue par le Tribunal le 9 mai 2023, après avoir été convoquée par ordonnance du 24 avril 2023, laquelle faisait état de cet objet spécifique.

Aux termes du procès-verbal de cette audience, A______ SCS et B______ SCS se sont opposées à la suspension, au motif du défaut de lien entre les procédures pénale et civile, étant précisé qu'elles ne connaîtraient pas le contenu de la procédure pénale.

C______ SA a persisté dans ses conclusions. Elle a exposé que les actions en cause avait été saisies et que l'élément central dans la procédure civile serait d'établir qui était derrière A______ SCS, ce que la procédure pénale permettrait de déterminer.

Le Tribunal a ordonné la suspension requise à l'issue de l'audience.

Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal a tout d'abord relevé les positions respectives des parties telles qu'exposées lors de l'audience du 9 mai 2023. Le premier juge a ensuite considéré, sans autres développements, qu'il était opportun de suspendre la cause, au motif que les "actions concernées ont[avaient] été saisies pénalement et qu'il y avait lieu d'attendre pour le moins l'évolution de la procédure pénale en cours".

La procédure arbitrale

j. Parallèlement à la présente procédure, le 14 octobre 2022, une procédure arbitrale a été engagée par les fondateurs de C______ SA à l'encontre de A______ SCS et B______ SCS. Ils ont conclu à ce que le tribunal arbitral ordonne à la première, le cas échéant, à la seconde de leur transférer les actions en cause.

C______ SA expose que cette procédure a pour objet la question de la validité de l'exercice par ses fondateurs du droit d'option d'achat des actions en cause.

Selon A______ SCS et B______ SCS, cette procédure aurait été suspendue d'entente entre les parties pour une durée indéterminée. Sans être contredite, C______ SA a, pour sa part, allégué devant le Tribunal, le 6 avril 2023, que la procédure arbitrale avait été suspendue, à cette date, jusqu'au 31 octobre 2023, sur requête de toutes les parties. Pour ses fondateurs, il convenait d'attendre le résultat des procédures pénales et pour A______ SCS et B______ SCS, il se justifiait d'attendre celui de la présente procédure.

La requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles (C/1______/2023)

k. Le 7 février 2023, B______ SCS a requis du Tribunal des mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à empêcher la tenue d'une assemblée générale extraordinaire de C______ SA prévue le 9 février 2023. Les mesures superprovisionnelles ont été refusées par ordonnance du 8 février 2023, au motif que la requérante ne rendait pas vraisemblable sa qualité d'actionnaire. Celle-ci a ensuite retiré sa requête de mesures provisionnelles.

EN DROIT

1. 1.1 La décision ordonnant la suspension de la cause est une mesure d'instruction qui peut, conformément à l'art. 126 al. 2 CPC, faire l'objet du recours de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC (ATF 141 III 270 consid. 3).

Le recours, écrit et motivé, doit être déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance d'instruction, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 1 et 2 CPC; ATF 141 III 270 consid. 3.3; 138 III 705 consid. 2.1).

Interjeté en temps utile et dans la forme prescrite par la loi (art. 130 et 131 CPC), le recours est recevable.

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. Les recourantes font grief au Tribunal d'avoir violé leur droit d'être entendues.

2.1.1 La jurisprudence déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) le devoir pour le juge de motiver sa décision. Le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre. L'autorité ne doit toutefois pas se prononcer sur tous les moyens des parties; elle peut se limiter aux questions décisives (arrêt du Tribunal fédéral 5A_17/2020 du 20 mai 2020 consid. 3.2.1 et les références citées).

2.1.2 Le droit d'être entendu comprend également le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer. Le droit de répliquer n'impose pas à l'autorité judiciaire l'obligation de fixer un délai à la partie pour déposer d'éventuelles observations. Elle doit seulement lui laisser un laps de temps suffisant, entre la remise des documents et le prononcé de sa décision, pour qu'elle ait la possibilité de déposer des observations si elle l'estime nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_17/2020 du 20 mai 2020 consid. 3.2.2 et les références citées).

Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Le droit d'être entendu doit permettre d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Ce droit n'est cependant pas une fin en soi. Ainsi, lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée. Dans ce cas, en effet, le renvoi de la cause à l'autorité précédente en raison de cette seule violation constituerait une vaine formalité et conduirait seulement à prolonger inutilement la procédure (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_381/2020 du 1er septembre 2020 consid. 3.1). 

2.2.1 En l'espèce, les recourantes font valoir que l'ordonnance attaquée ne serait pas suffisamment motivée. Rien dans cette décision ne permettrait de déterminer quel était l'objet de la procédure pénale, en quoi le séquestre pénal des actions justifierait la suspension litigieuse, quel était le stade d'avancement de la procédure pénale, quelle serait la durée de la suspension, en quoi serait-elle compatible avec le principe de célérité et quels intérêts avaient été mis en balance, n'étant en particulier pas fait état de la violation des droits sociaux liés aux actions en cause.

Ce grief n'est pas fondé. Il est vrai que la décision entreprise est succincte. Le Tribunal a toutefois exposé le motif principal qui a guidé sa décision, à savoir la saisie dans la procédure pénale des actions qui faisaient l'objet de la présente procédure civile et donc, implicitement, le lien direct entre les deux procédures. Pour le surplus, l'on comprend que le Tribunal s'est fondé sur l'argument de l'intimée, à savoir que la procédure pénale permettrait de résoudre la question centrale qui se posait dans la procédure civile, à savoir de déterminer qui était derrière A______ SCS. Ainsi, la décision entreprise doit être considérée comme suffisamment motivée, même si elle ne se prononce pas sur tous les critères susceptibles d'entrer en considération dans l'examen de l'opportunité d'une suspension. D'ailleurs, comme le relève l'intimée, les recourantes ont été en mesure d'attaquer l'ordonnance entreprise et d'exposer sous quels angles elle serait, selon elles, critiquable.

2.2.2 Les recourantes soutiennent en vain également que lors de l'audience du 9 mai 2023, le premier juge aurait d'entrée de cause démontré avoir déjà décidé de suspendre la procédure avant d'entendre leurs arguments, qu'elles n'auraient au surplus pas pu présenter par écrit.

Rien dans le procès-verbal de l'audience ne corrobore cette thèse. Il en ressort au contraire que les recourantes ont pu exprimer leurs arguments avant que la décision ne soit prise. Par ailleurs, comme le soutient l'intimée, si les recourantes souhaitaient s'exprimer par écrit, elles pouvaient requérir du Tribunal un délai à cette fin, après la réception du mémoire de réponse de l'intimée du 31 mars 2023 ou de l'ordonnance du Tribunal du 24 avril 2023, ou faire usage spontanément de leur droit inconditionnel à la réplique, ce dont elles se sont abstenues.

2.3 En conclusion, en ce qui concerne le droit d'être entendu, le recours est infondé et doit être rejeté.

3. Les recourantes font grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 126 al. 1 CPC.

3.1 Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d'opportunité le commandent; la procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d'un autre procès.

La suspension doit répondre à un besoin réel et être fondée sur des motifs objectifs dès lors qu'elle contrevient à l'exigence de célérité de la procédure, imposée par les art. 29 al. 1 Cst. et 124 al. 1 CPC. Elle ne saurait être ordonnée à la légère, les parties ayant un droit à ce que les causes pendantes soient traitées dans des délais raisonnables. Elle ne peut être ordonnée qu'exceptionnellement et l'exigence de célérité l'emporte en cas de doute (ATF 135 III 127 consid. 3.4;
119 II 386 consid. 1b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_218/2013 du 17 avril 2013 consid. 3.1; Frei, Berner Kommentar, ZPO, 2012, n. 1 ad art. 126 CPC). Le juge bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1).

La suspension est notamment autorisée lorsque la décision dépend de l'issue d'une autre procédure. Dans ce sens, il faut s'accommoder d'une tension avec le principe de la célérité. Lorsque les questions de droit et de preuves à examiner dans les deux procédures sont en grande partie les mêmes, il existe une forte probabilité qu'elles soient examinées deux fois, avec un risque de décisions contradictoires. L'intérêt à la suspension l'emporte sur l'intérêt à l'accélération de la procédure dans ce cas. Une suspension en vue d'une autre procédure n'entre pas seulement en ligne de compte lorsque les deux procédures sont à des stades différents ou lorsqu'il faut effectivement s'attendre à ce que le tribunal saisi en premier rende un jugement plus tôt que celui saisi en second. Il convient plutôt de peser concrètement les avantages liés à la suspension d'une part et la durée probable de la suspension d'autre part, la procédure ultérieure ne devant pas être retardée de manière disproportionnée (ATF 141 III 549 consid. 6.5; 135 III 127 consid. 3.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_175/2022 du 7 juillet 2022 consid. 5.2-5.4).

Une suspension dans l'attente de l'issue d'un autre procès peut se justifier en cas de procès connexes, même s'il n'est pas nécessaire que l'objet du litige ou les parties soient les mêmes. La seconde procédure, dont l'issue sera déterminante pour le sort de la procédure suspendue, doit être déjà bien avancée faute de quoi, en règle générale, la suspension ne sera pas compatible avec l'exigence de célérité (Frei, op. cit., n. 3 et 5 ad art. 126 CPC).

Si l'ordonnance de suspension est attaquée pour violation de l'interdiction du retard injustifié, à un moment où la durée raisonnable de la procédure n'a pas encore été dépassée, on ne doit admettre une violation du principe de célérité que si la suspension a été décidée sans motifs objectifs et qu'elle a ainsi pour conséquence une perte de temps inutile ou lorsqu'il est hautement vraisemblable qu’en raison de la suspension la durée de l'ensemble de la procédure sera disproportionnée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_409/2015 du 2 décembre 2015 consid. 4 et les références citées).

Comme le juge civil n'est pas lié par le jugement pénal (art. 53 CO), l'existence d'une procédure pénale ne justifiera qu'exceptionnellement la suspension de la procédure civile. Une suspension peut se justifier si la procédure pénale est importante pour l'appréciation des preuves, par exemple parce qu'il s'agit de savoir si de faux témoignages ont été faits ou de faux documents présentés dans le cadre du procès civil (Gschwend/Bornatico, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 13 ad art. 126 CPC; Weber, in Kurzkommentar ZPO, 2014, n. 7 ad art. 126 CPC; Frei, op. cit., n. 1 et 4 ad art. 126 CPC).

3.2.1 En l'espèce, les recourantes font valoir que la présente procédure ne dépendrait pas du sort des procédures pénales luxembourgeoises. Selon elles, aucun élément ne laisserait penser qu'une éventuelle décision pénale qui serait prononcée aurait un lien avec la titularité des actions en cause. A l'argument de l'intimée, selon lequel la saisie pénale de celles-ci pourrait aboutir à leur confiscation et restitution aux victimes, les recourantes répondent que la précitée n'exposait pas quels seraient les actes frauduleux et les victimes concernés.

Cette critique ne convainc pas.

Les actes visés par les procédures pénales luxembourgeoises ont justifié, à titre de mesure conservatoire, la saisie pénale des actions en cause. Il peut en être déduit que ces actes et l'issue des procédures pénales ont un lien avec la titularité desdites actions.

Les recourantes n'exposent pas pour quel(s) autre(s) motif(s) une telle mesure aurait été prononcée. Il est d'ailleurs significatif qu'elles n'aient fourni aucune information au sujet des procédures pénales, en particulier sur les actes reprochés et leur impact sur la titularité des actions, alors qu'elles ne contestent pas que A______ SCS est au centre desdites procédures. Le fait que cette mesure conservatoire laisse intact le droit de propriété sur les actions en cause, comme le font valoir les recourantes, ne change rien à la conclusion du paragraphe précédent.

Or, il est admis que la présente procédure doit précisément résoudre la question de la titularité des actions litigieuses. Les questions de droit et de preuves à examiner dans les deux procédures sont donc en grande partie les mêmes et il existe une forte probabilité qu'elles soient examinées deux fois, avec un risque de décisions contradictoires.

3.2.2 Par ailleurs, selon les recourantes, la suspension aurait pour conséquence une violation du principe de célérité. Selon elles, en effet, les procédures pénales luxembourgeoises, qui nécessiteraient des investigations dans des pays étrangers par voie d'entraide internationale, pourraient s'étendre sur plusieurs années.

Les procédures pénales luxembourgeoises ont débuté en juillet 2020, soit deux ans avant la présente procédure, laquelle a été engagée en juin 2022, soit il y a relativement peu de temps. A cette dernière date, pour ce qui est des actions en cause faisant l'objet de la présente procédure, les procédures pénales avaient déjà avancé. Une demande d'entraide internationale a en effet été suivie d'effet et a abouti, en juin 2022, à la saisie desdites actions et de tout document utile en lien avec l'investissement opéré par A______ SCS dans le capital de l'intimée. En mars 2023, un témoin aurait en outre été entendu à ce sujet. S'agissant de la titularité des actions en cause, la procédure pénale se trouve donc à un stade d'instruction plus avancé que la procédure civile.

Ainsi, dans la mesure où les mêmes questions devront être investiguées dans les deux procédures (cf. supra, consid. 3.2.1), la suspension litigieuse permet d'éviter que des actes d'instruction déjà menés dans la procédure pénale soient répétés dans la procédure civile et donc de simplifier celle-ci ainsi que de raccourcir sa durée.

Par ailleurs, il ne fait pas de doute qu'à ce jour, la durée raisonnable de la présente procédure n'a pas été dépassée et, comme le relève l'intimée, la suspension a été ordonnée non pas jusqu'à droit jugé dans les procédures pénales luxembourgeoises, mais jusqu'à "l'évolution de la procédure d'entraide internationale en matière pénale et des procédures pénales pendantes au Luxembourg". Le Tribunal a invité la partie la plus diligente à l'informer de cette évolution. Ainsi, les recourantes restent en mesure de faire reprendre la présente procédure si elles disposent d'éléments nouveaux par exemple de nature à démontrer l'éventuel défaut de lien entre les procédures pénales et la présente procédure et en particulier que les premières ne concerneraient pas la question de la titularité des actions. Il est relevé à cet égard qu'elles n'ont pas démontré, ni même allégué ne pas être autorisées à produire les documents dont elles doivent certainement disposer en lien avec ces procédures pénales qui les visent.

Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de craindre, à ce stade, qu'en raison de la suspension, la durée de la présente procédure sera disproportionnée, de sorte que l'argument des recourantes est infondé.

3.2.3 Les recourantes soutiennent en vain également que la suspension aurait pour effet de faire perdurer une situation injuste, à savoir que leurs droits sociaux attachés aux actions en cause seraient violés. Ces actions sont saisies, de sorte que les recourantes ne peuvent de toute façon pas en disposer, ni justifier de leurs droits y attachés. D'ailleurs, les recourantes ont renoncé à solliciter, à titre provisionnel, de pouvoir exercer ces droits. En tout état, comme le soutient l'intimée, ceux-ci représentent environ 0.36% de son capital-actions, de sorte qu'ils ne sont pas de nature à impacter les décisions des assemblées générales et la conduite des affaires de la société. Cette situation invoquée par les recourantes ne saurait ainsi se voir accorder, dans la pesée des intérêts à effectuer, un poids prépondérant à celui de l'intérêt à connaître l'évolution de la procédure d'entraide internationale en matière pénale.

3.2.4 Point n'est besoin d'entrer en matière sur le dernier argument des recourantes, selon lequel la procédure arbitrale ne justifierait pas la suspension litigieuse, laquelle n'a pas été motivée par l'existence de cette procédure arbitrale.

3.3 En conclusion, l'intérêt à la suspension l'emporte sur l'intérêt à la poursuite de la procédure et il faut s'accommoder d'une tension avec le principe de célérité. Le Tribunal n'ayant pas mésusé de son large pouvoir d'appréciation, le recours sera rejeté.

4. 4.1 Les recourantes sollicitent devant la Cour des dépens de première instance de 4'000 fr. Le Tribunal n'a pas statué sur les frais relatifs à la question de la suspension de la procédure, réservant implicitement la décision finale à cet égard, ce qui est conforme à la loi (art. 104 al. 1 CPC). Les parties ne développent en outre aucun grief pour ce qui est des frais de première instance. Ainsi, il n'y a pas lieu de statuer à nouveau sur ce point (art. 318 al. 3 CPC a contrario). En tout état, vu l'issue du recours, les recourantes ont intégralement succombé en première instance pour ce qui est de la suspension faisant l'objet de l'ordonnance entreprise, de sorte qu'elles n'ont droit à aucun dépens à cet égard (art. 106 al. 1 CPC).

4.2 Les frais judiciaires de recours, arrêtés à 2'000 fr. (art. 2, 13 et 41 RTFMC), seront mis à la charge des recourantes, prises solidairement, dès lors qu'elles succombent (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront partiellement compensés avec l'avance fournie de 1'000 fr., qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Les recourantes seront en conséquence condamnées, solidairement entre elles, à verser 1'000 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire à ce titre.

Les recourantes seront également condamnées, solidairement entre elles, à payer 2'000 fr. à l'intimée à titre de dépens de recours, débours compris (art. 20, 25 et 26 LaCC; art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 22 mai 2023 par A______ SCS et B______ SCS contre l'ordonnance ORTPI/511/2023 rendue le 9 mai 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/11943/2022.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 2'000 fr., les met à la charge de A______ SCS et B______ SCS, prises solidairement, et les compense partiellement avec l'avance effectuée, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne D______ et B______ SCS, prises solidairement, à verser 1'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ SCS et B______ SCS, prises solidairement, à verser 2'000 fr. à C______ SA à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame
Gladys REICHENBACH, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.